J'interviens en qualité de représentant de l'Association nationale des villes et pays d'art et d'histoire et des espaces protégés qui regroupe deux cent villes dans ce pays qui comptent soit un secteur sauvegardé ou qui bénéficient du label « Villes ou pays d'art et d'histoire ». Ces villes ont eu le souci de mettre en oeuvre une politique patrimoniale. Près de 800 collectivités ont adopté au moins un outil de la politique patrimoniale. C'est dire à quel point la politique patrimoniale occupe une place importante pour les élus que nous sommes. Je suis moi-même maire de Bayonne. Dans notre association, nous nous intéressons à tous les dispositifs juridiques permettant de protéger les édifices architecturaux et paysagers.
À la lecture de ce projet de loi, nous constatons une inquiétante perte de la puissance que nous avait donnée, en particulier, la loi « Malraux ». Peut-on parler d'assassinat de ce dispositif ? On n'en est pas loin. Ce texte manque d'ambition et les collectivités locales qui ont beaucoup attendu de l'État et du législateur craignent d'être lâchées sur cette question de la protection patrimoniale.
Le paysage institutionnel proposé par les premières dispositions du projet de loi évoquant les commissions nationale et régionales laisse à penser que celui-ci est satisfaisant. Il y aurait ainsi une protection nationale, qui existe encore pour les secteurs sauvegardés, et régionale, qui existait auparavant pour les ZPPAUP et les AVAP. Cette démarche revient également à reconnaître un patrimoine local, voire vernaculaire, relevant de la protection des PLU locaux. Il est vrai que notre association avait porté l'idée, soutenue d'ailleurs par le législateur au travers des réformes multiples et trop nombreuses qui se sont succédées ces dernières années, que nos PLU pouvaient avoir une vocation patrimoniale. Je partage d'ailleurs l'avis de mes collègues qui viennent d'évoquer le rapport de forces entre le code de l'urbanisme et celui du patrimoine. On assisterait ainsi à une espèce de nivellement par le bas qui interviendrait par le PLU et serait néfaste à nos collectivités.
Il faut être conscient que les intercommunalités sont vouées à prendre le pas sur les communes. Au moment où l'on nous incite à mettre en place des plans locaux d'urbanisme intercommunal (PLUI), on nous explique que le patrimoine sera bien protégé par des PLU dits patrimoniaux. Il y a là une contradiction totale. Je sais de quoi je parle, étant président d'une intercommunalité qui possède un secteur sauvegardé, à l'instar d'une centaine de villes et ce, alors que Malraux en espérait 400. Il est difficile de mettre en place un secteur sauvegardé et il est encore plus difficile de le maintenir. Le président de l'intercommunalité que je suis ne peut que constater le peu d'intérêt de ses collègues pour la préservation du patrimoine culturel de la ville de Bayonne. On ne peut leur en faire le reproche, mais il n'y a pas mieux que les élus locaux et communaux pour avoir conscience des enjeux du patrimoine. Cette loi n'a pas pris la mesure de la place que les EPCI vont prendre, du fait de leur taille conséquente, à l'instar de celle des régions. Nous ne sommes pas préparés à cette nouvelle situation et je suis très inquiet, car le paysage institutionnel est en train d'évoluer et la loi qu'on nous propose ne le prend pas suffisamment en compte.
Sur le plan réglementaire, notre inquiétude est la même. Les servitudes d'utilité publique assuraient la crédibilité du dispositif, et en particulier du secteur sauvegardé et des ZPPAUP. C'est parce que ces servitudes d'utilité publique sont solides que l'on peut légitimer la fiscalité spécifique du patrimoine que ne concernait pas, à l'origine, la loi Malraux. Songeons à l'ambition que devrait avoir cette loi en termes de niveau de contraintes, qui se révèlent être autant de servitudes ! Il est important que les régimes d'autorisation d'urbanisme intervenant dans ces secteurs protégés soient examinés par l'ABF qui est, de ce fait, un allié pour les élus. Les majorités passent dans les municipalités et les intercommunalités vont, du fait de leur élection au suffrage universel direct, être traversées par des mouvements politiques importants et connaître des formes d'instabilité plus importantes que celles qui existent dans nos communes. Il nous faut de la stabilité et le droit du patrimoine doit demeurer beaucoup plus stable que ne l'est le droit de l'urbanisme dans la mesure où dès que nos communes enregistrent un changement de majorité, elles modifient, de fond en comble, leur plan local d'urbanisme. Défendre le patrimoine, c'est défendre la mémoire qui s'inscrit dans la continuité des mandats et est séculaire. Le projet de loi a totalement oublié le facteur temps dans la protection du patrimoine.