Intervention de Fleur Pellerin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 décembre 2015 à 16h30
Liberté de la création architecture et patrimoine — Audition de Mme Fleur Pellerin ministre de la culture et de la communication

Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication :

Après son adoption à une assez large majorité par l'Assemblée nationale le 6 octobre, ce sera, en effet, dans quelques semaines, à votre tour de vous prononcer sur ce projet.

Depuis les grandes avancées de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, il est rare que soit inscrite dans une loi une liberté nouvelle ; plus rare encore d'affirmer cette liberté au moment même où elle revêt un caractère urgent et nécessaire. Ainsi, la liberté de création, reconnue dans la législation de nombreux autres pays européens, est consacrée à l'article 1er de ce projet dans la France de l'après-13 novembre.

Chacun est conscient que les fanatiques qui nous ont attaqués s'en sont pris à la vie culturelle de notre pays, à travers une rédaction de journal, puis une salle de spectacle, des terrasses de cafés et les abords d'un stade. Ils ont voulu atteindre notre façon de vivre en société, d'agir en commun, de donner du sens à nos existences, et bien sûr notre culture.

Frappée au coeur, il est indispensable que la France réponde en réaffirmant ce qu'elle est. Nous sommes vulnérables parce que nous croyons en la liberté : cette vulnérabilité fait notre grandeur.

C'est un acte symbolique, juridique, au sens politique, voire philosophique, très fort : dans quelques semaines, si vous en décidez ainsi, la liberté de création aura force de loi au même titre que les libertés d'expression et de conscience. La portée de ce geste dépasse l'ordre du symbole. Cette liberté subit des attaques, insidieuses ou franches, de plus en plus fréquentes : oeuvres saccagées, spectacles annulés, artistes agressés, expositions remises en cause, catalogues envoyés au pilon, films pourchassés, art contemporain méprisé, artistes décrits comme des fainéants qui devraient s'occuper des enfants, et j'en passe - au nom d'une vision étroite, ethnicisée, pétrifiée de la culture et de la nation censée répondre aux craintes de nos concitoyens !

Qui douterait de la nécessité de graver cette liberté dans le marbre de la loi ? La liberté d'expression suffit-elle à garantir aux artistes leur place primordiale dans notre vie culturelle, mais aussi dans notre existence quotidienne ?

Consacrer la liberté de création est aussi une mesure pour l'avenir. Nous ne savons pas à quoi ressembleront les oeuvres de demain, mais il faut soutenir leur émergence ; car les artistes ont souvent un temps d'avance sur la société, les institutions, qu'ils expriment sous la forme de la transgression, de la remise en question de l'ordre - et la société a parfois du mal à l'accueillir. Or c'est par les chemins singuliers empruntés par les artistes que nous pouvons renouer avec notre histoire commune. Le premier article du projet de loi est un acte de protection mais aussi de confiance envers les artistes, pour renouveler chaque jour la rencontre entre ceux-ci et le public.

Des dispositions garantissant la liberté de diffusion, corollaire de la liberté de création, ont été introduites au sein de l'article 2 lors de la première lecture à l'Assemblée nationale. J'en discuterai bien volontiers avec vous. La liberté de création n'a de sens que rendue accessible au plus grand nombre.

Dans ses autres articles, le projet de loi fixe les objectifs des politiques culturelles et donne une base juridique indiscutable aux labels. Il reconnaît aussi le caractère public des collections des fonds régionaux d'art contemporain (Frac), tout en renforçant leur mission. Les pouvoirs publics seront toujours des acteurs majeurs de la vie culturelle.

Le texte offre également un cadre pérenne aux artistes ; il reconnaît les professions du cirque et les marionnettistes, en les ajoutant à la liste des métiers artistiques, ce qui leur ouvre l'accès aux droits sociaux. C'est une avancée non négligeable.

Il clarifie les relations entre les artistes-interprètes d'une part, les producteurs et diffuseurs d'autre part, dans le sens d'une plus grande transparence, alors que la mutation numérique change la donne en profondeur. De même, le médiateur de la musique créé par le projet constituera une instance de conciliation, ce qui sera particulièrement utile, dans le contexte d'une modification des relations économiques dans la chaîne de la création.

Les dispositions relatives à la musique ont été complétées à l'Assemblée nationale par l'introduction d'un partage plus équitable des revenus de la musique en ligne, aboutissement du protocole d'accord Schwartz signé, entre autres, par le syndicat des artistes-interprètes qui représente plus de 75 % des signataires de la convention collective nationale de l'édition phonographique. Historique, cet accord a été observé avec attention au niveau européen et international. Il a été signalé par la presse américaine en particulier.

Ces dispositions s'inscrivent dans le combat que je mène en faveur des droits d'auteur auprès des instances européennes ; elles modernisent les modalités d'application des quotas radiophoniques pour donner leur chance aux nouveaux talents et aux nouvelles voix.

Dans ses dispositions relatives au cinéma, le texte clarifie les relations entre producteurs et distributeurs. Je souhaiterais l'étendre, sous forme d'amendement, à la production audiovisuelle.

L'émergence des nouveaux talents sera facilitée par la révision du cadre de formation de la centaine d'établissements de l'enseignement supérieur Culture, qui forment plus de 36 000 étudiants chaque année. Les classes préparatoires publiques aux écoles d'art seront désormais reconnues, ce qui garantira à leurs élèves des droits équivalents à ceux des étudiants. C'est la correction d'une injustice.

Nous donnons enfin aux architectes la possibilité de mettre leur talent au service du bien commun et de la création contemporaine, une démarche lancée par la stratégie nationale pour l'architecture que j'ai présentée fin octobre. Il leur sera possible, à titre expérimental et sous certaines conditions, de déroger à certaines règles d'urbanisme ; pour la construction d'un bâtiment, le seuil au-delà duquel le recours à un architecte est obligatoire est abaissé de 170 à 150 mètres carrés ; enfin la construction de lotissements sera conditionnée à la réalisation d'un diagnostic urbain et paysager par un architecte.

Ces mesures contribuent à l'aménagement durable et surtout à l'embellissement du territoire, qui constituent deux défis majeurs : les Français ont droit au beau dans leur environnement quotidien. Alors qu'un accord historique vient d'être signé à la fin de la COP21, nous devons nous montrer à la hauteur de l'enjeu. Je suis convaincue de l'aide que peuvent apporter les architectes en la matière.

Le texte offre un cadre solide, pérenne et modernisé, pour l'exercice de leur liberté de création, qui doit bénéficier à tous. L'art et la culture participent de la conversation nationale, et c'est à travers une vie culturelle riche et intense que vit notre fraternité républicaine. La culture ne se conçoit que dans l'ouverture à la nouveauté, à l'autre, qui permet l'émerveillement.

Nous avons également inscrit l'éducation aux arts et à la culture comme un objectif majeur, en reconnaissant l'apport des artistes et en élargissant cette notion d'accès à tous les âges de la vie. Un mécanisme de financement des actions artistiques et culturelles par la copie privée a été instauré. Les personnes handicapées se voient assurer un accès élargi aux oeuvres. La vocation du formidable réseau des conservatoires est réaffirmée. Je mise sur des conservatoires ouverts à de nouvelles disciplines, de nouveaux publics, de nouveaux modes d'enseignement, et irriguant l'ensemble du territoire. Enfin, en reconnaissant les pratiques artistiques amateurs qui concernent 12 millions de Français, nous adaptons la loi à la réalité.

Le patrimoine est un enjeu fondamental dans la perspective d'un accès universel à la culture. Les traces du passé sont au coeur de la vie culturelle des Français, comme en témoigne l'intérêt suscité par les journées du Patrimoine. C'est également le cas des archives et des vestiges archéologiques, auxquels j'ai consacré une part importante du projet.

Nous avons souhaité créer des « cités historiques ». Les échanges que nous aurons dans votre Haute Assemblée, chambre des collectivités territoriales par excellence, nous feront avancer, je l'espère, vers une réforme comprise par tous. En effet, j'ai entendu beaucoup de propos erronés sur ce sujet : il ne s'agit ni d'un désengagement de l'État, ni d'une invitation au laisser-faire à l'égard des collectivités territoriales.

La protection du patrimoine a toujours été assurée en collaboration entre l'État et les collectivités. La création des cités historiques empêchera la disparition de plus de 600 zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) qui n'auront pas été transformées en aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (Avap) au 14 juillet 2016, en vertu des dispositions du Grenelle II. La protection du patrimoine est donc renforcée à travers le rôle majeur de l'État, qui classe les territoires concernés, détermine leur périmètre, apporte son assistance technique et financière à l'élaboration des documents d'urbanisme et donne son accord préalable, à travers l'architecte des bâtiments de France (ABF), à tous les travaux envisagés dans le périmètre des bâtiments historiques. Le rôle des associations engagées dans la préservation du patrimoine sera également amplifié.

Certains croient encore que les outils à la disposition des collectivités territoriales seront réduits ; bien au contraire, ils seront renforcés. Les plans de sauvegarde et de mise en valeur pourront être mis en place dans les 800 espaces protégés et non plus seulement les 105 secteurs sauvegardés ; et sur tout ou partie du périmètre. C'est une grande avancée ! Je vous engage à vous saisir de cet outil.

Je reviendrai sur les interrogations que suscite le PLU patrimonial. Sans hésiter, j'affirme que notre texte, avec les cités historiques, est la plus grande loi sur le patrimoine depuis celle de 1962, parce qu'elle clarifie, renforce et légitime la protection et la mise en valeur du patrimoine. À l'évidence, les Français se reconnaîtront davantage dans le label clair de « cité historique » que dans le sigle incompréhensible de ZPPAUP.

La protection des objets mobiliers est renforcée afin de protéger le patrimoine de la dispersion et de la vente à la découpe, dont la villa Cavrois a été victime. Nous travaillons avec la direction générale des patrimoines et le centre des monuments nationaux à le restaurer et à le reconstituer.

Grâce à ce texte, les vestiges archéologiques deviendront, après leur découverte, propriété de la nation. Nous créons également une nouvelle catégorie d'ensembles immobiliers, les domaines nationaux, qui seront inaliénables. La nation reconnaît avec ce texte le patrimoine mondial de l'humanité classé par l'Unesco. Les députés y ont ajouté la reconnaissance du patrimoine immatériel ; enfin, je me félicite aussi de la reconnaissance des archives.

La protection du patrimoine international, menacé par la barbarie à Nimrud, à Palmyre, mais aussi au Mali et en Afghanistan, est plus que jamais d'actualité ; c'est pourquoi le texte renforce la lutte contre le trafic des oeuvres d'art et propose, conformément à la déclaration du président de la République du 17 novembre dernier devant l'Unesco, un droit d'asile aux oeuvres menacées. Des dispositifs numériques sont développés pour la sauvegarde des oeuvres vouées à une destruction irrémédiable. Face à ceux qui tuent et qui détruisent, nous affirmons ainsi notre volonté de transmettre ce patrimoine. Ces dispositions, urgentes et attendues, ont été introduites lors de l'examen par l'Assemblée nationale en première lecture. Je salue l'engagement des Sénatrices Sylvie Robert et Bariza Khiari sur ce thème.

L'avenir de notre pays se joue à travers sa vie culturelle, la liberté et la confiance accordées à l'artiste, la participation des habitants à la vie culturelle. La culture est un facteur d'ouverture à l'autre et de fierté de soi ; elle se vit dans une relation juste avec les héritages du passé et les cultures d'ailleurs. Ce projet, avec d'autres textes présentés lors de ce quinquennat, offre les conditions d'une vie culturelle riche, juste, dense et accessible à tous.

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