Intervention de Fleur Pellerin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 décembre 2015 à 16h30
Liberté de la création architecture et patrimoine — Audition de Mme Fleur Pellerin ministre de la culture et de la communication

Fleur Pellerin, ministre :

Ce texte suscite beaucoup d'intérêt et d'implication. Je vous en remercie. Monsieur Leleux, je n'adopte pas du tout une posture défensive. J'avais survolé le rapport du CESE ; ses critiques, à l'époque, portaient sur notre affirmation politique très forte en faveur de la liberté de création. Je la revendique. Elle est nécessaire et utile. De surcroît, elle a un vrai sens juridique. Le CESE déplorait aussi, il y a déjà un certain temps, le manque de moyens : je les ai obtenus, ils sont conséquents. Je suis l'un des rares ministres à avoir réussi à les augmenter quand tous les autres ministères sont mis à contribution. La loi de finances répond au CESE, dont les critiques n'étaient pas constructives.

Le projet réaffirme un principe indispensable. Les artistes ont besoin d'une protection supplémentaire. La liberté d'expression est garantie, mais sa portée et sa définition sont très générales. S'il est essentiel d'affirmer clairement la liberté de création, tout ne relève pas du champ de la loi. Ma politique passe par d'autres véhicules législatifs, comme les mesures pour l'intermittence inscrites dans la loi relative au dialogue social, mais aussi des actions qui ne sont ni législatives ni réglementaires.

Pierre Laurent m'a devancée sur la notion de service public. Des personnes privées, ou n'agissant pas en tant qu'agent public, remplissent une mission de service public. L'objectif de la loi était de fixer les missions menées par les collectivités territoriales et l'État. L'apport des acteurs privés n'est pas pour autant nié. J'ai présenté ce matin l'initiative « un immeuble, une oeuvre ». Les plus grandes entreprises foncières privées s'engagent à commander une oeuvre à un artiste emblématique de la création française et à l'installer dans tout bâtiment nouvellement construit, quelle que soit sa vocation. L'art contemporain sera ainsi à la disposition de tous les publics et les artistes émergents pourront se faire connaître. Voilà un exemple de mission de service public financée par le secteur privé. Nous reconnaissons l'apport des entreprises privées et de la société civile dans les politiques culturelles. J'ai porté une grande attention au mécénat.

L'État et les collectivités territoriales travaillent en partenariat sur l'ensemble des réseaux labellisés, selon une politique de décentralisation culturelle et de responsabilité partagée. Nous travaillons en bonne intelligence. Les collectivités territoriales s'appuient sur l'expertise de l'État pour choisir les meilleurs candidats. L'évolution du droit nous amène à inscrire cette disposition dans la loi. L'agrément constitue une dimension importante de la labellisation, même si la nomination reste le fruit d'une coopération étroite.

J'ai qualifié le protocole Schwartz d'historique car il a été signé par une grande majorité des acteurs de la musique, et des organisations syndicales représentant trois quarts des salariés. La question du partage de la valeur à l'ère numérique est peu abordée. Ce protocole et l'accord qui en est issu, dont j'espère qu'il sera signé dans la foulée, portent sur la transparence, la promotion de la diversité des esthétiques, les garanties de rémunération des artistes, l'observation des données économiques de la musique, et le recours à la médiation. Tous ces aspects n'étaient pas du tout traités. Ce pas est extrêmement important. Je regrette le choix de l'Adami et de la Spedidam, mais j'espère qu'elles auront des raisons de nous rejoindre.

Rien ne s'oppose à ce que le président de la Commission pour la rémunération de la copie privée transmette une déclaration d'intérêts. Aucun de ses présidents n'a été critiqué en la matière, mais si cela est de nature à rassurer, nous pouvons y travailler. Quant à la nomination de personnalités qualifiées à la place du pôle public... L'objectif de celui-ci était précisément d'améliorer le fonctionnement de la commission, les personnalités qualifiées modifiant les équilibres et ouvrant la porte à la contestation de leur légitimité...

Je veux rassurer M. Assouline sur l'importance que j'attache à l'audiovisuel depuis ma prise de fonction. C'est une priorité, parce qu'il entre chez tous les Français et constitue l'une des pratiques culturelles les plus universelles ainsi qu'un outil de cohésion. Nous avons besoin d'un audiovisuel public fort. Ce secteur connaît des mutations considérables : profusion des offres, abolition totale des frontières, émergences de très grands acteurs mondiaux. Ma responsabilité consiste à préserver des acteurs français forts et la diversité de la création, qui est une richesse. Nous avons déjà abordé l'importance du financement de l'audiovisuel dans la pérennisation de l'exception culturelle française.

Mon premier objectif est d'encourager la création. Avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), nous avons réformé la plupart des dispositifs de soutien. J'ai obtenu une forte amélioration des crédits d'impôt en faveur de l'audiovisuel et du cinéma. J'ai lancé le chantier de la transparence des comptes de production et d'exploitation - un accord professionnel est en cours de finalisation, qu'il faudra inscrire dans la loi. Un autre chantier porte sur la relation entre producteurs et diffuseurs, que je souhaite équilibrée. Un accord a été trouvé entre France Télévisions et des producteurs. Des discussions sont en cours ailleurs. Ces accords vont dans le bon sens. J'y suis favorable. J'agis aussi pour le rayonnement de la création française. J'ai confié une mission à Laurence Herszberg sur la création d'un festival des séries en France. Ce secteur de la fiction connaît une très forte dynamique. Le soutien à l'audiovisuel public a été renforcé en loi de finances.

Vous avez émis des inquiétudes sur l'indépendance dans le secteur audiovisuel, des mouvements de concentration n'étant pas achevés. Je travaille sur des dispositions renforçant l'indépendance vis-à-vis des actionnaires et des annonceurs. Le CSA et Canal Plus travaillent actuellement sur cette question. Laissons le temps à ce groupe de travail d'aboutir à des conclusions avant d'apporter des améliorations législatives.

La régulation des relations contractuelles dans le secteur de la musique rend indispensable une procédure de médiation spécialisée, distincte du livre ou du cinéma. Le recours au médiateur ne coûte rien aux parties en présence. Actuellement, en cas de litige, la partie la plus faible renonce souvent à faire valoir ses droits. L'existence du médiateur les y incitera. Il encouragera aussi l'adoption de chartes de bonnes pratiques. Dans ces industries, les modèles économiques évoluent en permanence. Une rigidification excessive peut être contre-productive ; un mode de régulation plus souple, comme le médiateur, est plus adapté. Il ne remet nullement en cause la liberté d'entreprendre ni les relations contractuelles. Au contraire, il agit en facilitateur.

L'un de mes collègues est chargé spécifiquement de la jeunesse au sein du Gouvernement. Mais beaucoup de dispositions de ce projet la concernent au premier chef : les conservatoires, l'enseignement supérieur... Il faut réaffirmer la place de la jeunesse au coeur des politiques publiques. J'ai consacré 7 millions d'euros, dans le cadre du budget 2016, aux assises de la jeune création. Je réfléchis beaucoup à la culture hors-les-murs, à la rencontre des territoires. J'encourage l'itinérance des institutions, notamment parisiennes.

Ainsi nous avons introduit des bibliothèques mobiles au coeur des quartiers et des villages, pour tous les publics. La démocratisation n'est pas qu'une incantation, elle doit être perceptible. Oui, nous devons faire de la jeunesse un axe très fort de notre politique et bien l'expliquer.

Dans le cadre de la réforme territoriale, les Drac ont été confortées, comme instance de dialogue territorial entre les amateurs et les professionnels. Je ne suis pas sûre qu'un médiateur soit indispensable. Les dispositions du projet ont vocation à lever l'incertitude juridique actuelle. Les 12 millions d'amateurs doivent pouvoir présenter leur travail. Cette réforme nécessaire avait longtemps achoppé, comme lors de la tentative de 2008.

La question des écoles supérieures d'art, au sein des territoires, dans leur articulation avec l'enseignement supérieur, est importante. Je serai attentive à vos propositions d'amélioration. Nous avons travaillé à l'amélioration du statut de leurs professeurs, mais nous devons aussi respecter le principe de libre administration des collectivités locales.

Le hip hop a été une pratique spontanée, désormais d'une grande maturité, dont l'esthétique n'est pas encore totalement reconnue par nos institutions. Les scènes de musiques actuelles (Smac) ont beaucoup aidé à structurer ce mouvement, mais ses praticiens ont encore bien du mal à tourner, même si la discipline - musique et danse - est très populaire. La demande des jeunes est forte. Il faut des enseignants et des formateurs à même de l'enseigner. Ma volonté n'est pas de les enfermer dans un cadre, mais de les aider à se développer. Je rencontrerai leurs représentants début janvier, afin d'oeuvrer à une reconnaissance par les institutions de ce mouvement artistique, devant être respecté comme tel.

Quant aux labels, le choix des dirigeants passe toujours par un appel à candidatures - et non par le fait du prince de la rue de Valois - avec une totale transparence du processus, des jurys réalisant un choix conjoint avec les collectivités territoriales,

La liste des labels est réalisée par décret pour tenir compte des pratiques et de la discipline. Attribuer de nouveaux labels, pourquoi pas ? On pourrait en attribuer un, par exemple, à la chorégraphie équestre - Zingaro a des pratiques artistiques assez uniques pouvant justifier ce label.

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