Intervention de Chantal Jouanno

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 16 décembre 2015 à 9h30
Lutte contre le gaspillage alimentaire — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Chantal JouannoChantal Jouanno, rapporteure :

A l'initiative de Mme Didier, nous avions introduit dans la loi sur la transition énergétique, en première lecture, des dispositions relatives aux dates d'utilisation optimale des produits non périssables. Les députés y avaient ajouté, en nouvelle lecture, les conclusions du rapport de Guillaume Garot sur le gaspillage alimentaire. Après un vote unanime des deux chambres, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions, estimant qu'elles ne respectaient pas la règle de l'entonnoir. Très vite, les parlementaires ont déposé des propositions de loi pour les reprendre, et la première, Nathalie Goulet, au Sénat.

Comment définir le gaspillage alimentaire ? Quels stades de la chaîne alimentaire faut-il considérer ? Les légumes laissés dans les champs parce qu'ils ne correspondent pas aux calibres en font-ils partie ? Les céréales pour les animaux d'élevage doivent-elles être considérées comme du gaspillage alimentaire, puisqu'elles auraient pu servir à l'alimentation humaine ? Heureusement, non. Guillaume Garot définit comme gaspillée « toute nourriture destinée à la consommation humaine qui, à une étape de la chaîne alimentaire, est perdue, jetée, dégradée ». Cette étape peut être la production, le transport, la logistique, la distribution ou la consommation.

En 2007, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a estimé le gaspillage alimentaire annuel dans notre pays à 20 kg par personne - soit 100 à 160 euros - dont 7 kg de nourriture non déballée. Selon la Food and Agriculture Organisation (FAO), un tiers des aliments destinée à la consommation humaine est gaspillé, perdu ou jeté entre le champ et l'assiette. Les produits gaspillés correspondent à 3,3 gigatonnes équivalent carbone : si le gaspillage alimentaire était un pays, ce serait le troisième émetteur mondial de gaz à effet de serre. La FAO évalue à 700 millions de dollars le montant des dommages environnementaux.

Si ce texte vise plutôt la grande distribution, chaque maillon de la chaîne alimentaire est source de gaspillages. Le plus gros contributeur est constitué par les ménages, qui jettent des déchets alimentaires encore comestibles. Dans un foyer, les fruits et légumes représentent la moitié des denrées gaspillées et les liquides, le quart. Viennent ensuite la restauration hors domicile, puis la distribution en grandes et moyennes surfaces. Quoique non exhaustifs, imprécis et peu suivis, ces chiffres sont révélateurs.

Le problème est économique, environnemental, social et surtout éthique puisque notre modèle économique a longtemps considéré l'abondance et le superflu comme des fins en soi, d'autant que les ressources étaient jugées inépuisables. Cette vision doit laisser place à un modèle circulaire, dans lequel la notion même de déchet doit disparaître. Autre aspect éthique, réclamé d'ailleurs à juste titre par les agriculteurs : redonner une valeur aux produits alimentaires. La part de l'alimentation dans le budget des ménages français est passée de 35 % en 1960 à 20 % en 2014. Les prix des produits alimentaires sont systématiquement tirés vers le bas. La dévalorisation de ces denrées rend l'acte de jeter presque anodin et complique la tâche des agriculteurs qui veulent produire des aliments de qualité. Là, comme ailleurs, il faut un juste prix.

Face à ce constat négatif, des actions ont déjà été mises en oeuvre. L'Ademe lutte depuis des années contre le gaspillage alimentaire et insiste sur les économies que peuvent réaliser les ménages. En 2013, un pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, dit pacte anti-gaspi, a été signé avec tous les acteurs de la filière alimentaire. L'objectif est de réduire de moitié le gaspillage alimentaire avant 2025 - mais comment mesurer les résultats ? En avril dernier, Guillaume Garot a remis son rapport sur le gaspillage alimentaire, dont le présent texte reprend les conclusions.

L'article 1er de la proposition de loi reprend les cinq mesures qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Il crée une hiérarchie de la lutte contre le gaspillage alimentaire, inspirée de celle qui figure dans la directive relative aux déchets : prévention du gaspillage alimentaire ; utilisation des invendus propres à la consommation humaine par le don ou la transformation ; valorisation destinée à l'alimentation animale ; utilisation des invendus pour fabriquer du compost pour l'agriculture ou méthanisation. Cette hiérarchie s'applique à tous les maillons de la chaîne alimentaire, des producteurs aux consommateurs en passant par les distributeurs et les associations. L'État et les collectivités doivent-ils être spécifiquement mentionnés dans ce texte ? Déjà, la loi de transition énergétique leur donne jusqu'au 1er juillet 2016 pour lutter contre le gaspillage dans leurs services de restauration collective. De plus, la rédaction de cet article 1er est suffisamment large pour les inclure.

Cet article interdit aussi la javellisation des invendus encore propres à la consommation, que pratiquent certains restaurants ou des enseignes de grande distribution pour des raisons de responsabilité sanitaire. Le distributeur qui contreviendrait à l'interdiction serait passible de 3 750 euros d'amende par infraction constatée - donc, par poubelle - et surtout d'une peine d'affichage et de diffusion de la décision de justice.

L'article 1er lève les obstacles au don de produits vendus sous marque de distributeur. Il formalise les pratiques de don existantes en imposant qu'une convention de don soit établie entre le distributeur et l'association caritative, afin d'en négocier toutes les modalités. Enfin, il laisse aux distributeurs un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi pour proposer à une ou plusieurs associations de signer une convention de don. Il ne s'agit donc pas d'une obligation de donner - dont les associations ne veulent pas - mais d'une obligation de s'engager dans la démarche et d'au moins proposer la reprise des invendus.

L'article 2 transfère la responsabilité des produits défectueux du distributeur vers le fournisseur, dans le cas où le fournisseur réalise un don de denrées sous marque de distributeur que le distributeur ne souhaite pas commercialiser pour des raisons autres que sanitaires - par exemple, en cas de problème d'étiquetage. Aujourd'hui, seule la responsabilité du distributeur pouvait être recherchée alors même que c'était le fournisseur qui réalisait le don.

L'article 3 complète l'information et l'éducation à l'alimentation dans les écoles en prévoyant un volet sur la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Enfin, l'article 4 précise le contenu du rapport sur la responsabilité sociale et environnementale publié chaque année par les entreprises cotées. Le volet économie circulaire de ce rapport devra présenter les actions menées par ces entreprises pour lutter contre le gaspillage alimentaire.

Je vous propose d'adopter conforme cette proposition de loi. Il s'agit d'abord d'une question de cohérence : nous avons voté ce dispositif dans des termes strictement identiques il y a quatre mois. Le réexamen de ces mesures ne tient qu'à une censure de forme par le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, il est urgent que ce texte soit adopté : compte tenu du calendrier parlementaire, un réexamen par l'Assemblée nationale n'interviendrait que dans le courant de 2016.

Enfin, les leviers qu'il reste à mobiliser ne sont pas nécessairement législatifs. Ainsi, les agriculteurs bénéficient d'une réduction d'impôt lorsqu'ils font des dons de produits agricoles. Ce dispositif est bien encadré pour les dons de lait, de fruits et de légumes frais, les dons d'oeufs et l'abandon de recettes pour les dons de céréales. Mais les produits agricoles doivent souvent être transformés, ce qui a un coût et génère un transfert de propriété. Ainsi, les fruits doivent être mis en compote ou en jus ; un boeuf donné sur pied ne saurait être utilisé tel quel ! Des discussions sont en cours à Bercy.

La mise en place d'indicateurs de mesure et de suivi précis et pertinents est indispensable car nous n'avons qu'une connaissance partielle du gaspillage alimentaire. L'Ademe travaille en ce moment à une nouvelle évaluation du gaspillage en France. Nous interrogerons le gouvernement en séance sur ces questions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion