Dans notre contrôle de la mise en oeuvre de l'état d'urgence, nous n'avons pas, comme les juges administratifs doivent le faire, à traiter de cas individuels, mais à vérifier que les mesures de police administrative spéciale mises en oeuvre par l'exécutif sont proportionnées et ne donnent lieu à aucune dérive. Le comité de suivi devrait éclairer notre commission dans le cas où le Gouvernement demanderait au Parlement une deuxième prorogation de l'état d'urgence, ainsi que sur une évolution éventuelle de nos règles constitutionnelles.
Le Gouvernement joue parfaitement le jeu en nous communiquant, chaque jour, les statistiques des mesures administratives venant du ministère de l'intérieur : ainsi, 2 721 perquisitions administratives ont été effectuées et 361 assignations à résidence ont été prononcées. Au-delà de ces chiffres, les ministres répondent aussi à nos demandes qualitatives - j'ai écrit deux fois déjà au ministre de l'intérieur.
Le ministre m'a répondu que l'assignation à résidence consistait généralement à rester chez soi huit à dix heures par nuit et à se présenter deux à trois fois par jour au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie. Aucune assignation n'a été assortie d'une interdiction d'entrer en relation avec une personne déterminée, ni d'une remise de document d'identité ; personne non plus n'a été placé sous surveillance électronique mobile.
La garde des sceaux, hier soir, nous a informé que, sur 2 417 perquisitions administratives, 488 ont donné lieu à des procédures judiciaires, dont 187 pour infraction à la législation sur les armes, 167 pour infraction à celle sur les stupéfiants et 134 pour d'autres infractions. Bon nombre de ces perquisitions visent à fournir des renseignements, difficilement quantifiables. À ma connaissance, aucune information judiciaire, ensuite, n'a été ouverte pour terrorisme : c'est un point tout à fait important.
Dans ces conditions, les décisions du Conseil d'État intervenues vendredi dernier et celle à venir du Conseil constitutionnel, prennent un relief considérable. Le Conseil d'État, comme toujours avec subtilité et habileté, a élargi l'accès au référé-liberté tout en en restreignant le champ - une technique fréquente qu'il a inaugurée en 1872... Il a estimé, d'abord, que l'état d'urgence justifie à lui seul le référé-liberté : c'est en élargir l'accès car, jusqu'à présent, il fallait une double condition d'urgence et d'illégalité manifeste. Sur le fond, ensuite, le Conseil d'Etat a considéré qu'il n'était pas nécessaire qu'il y ait un lien entre les motifs justifiant la déclaration de l'état d'urgence et celui de l'assignation à résidence, qui n'a donc pas à relever directement de la lutte contre le terrorisme. Car tous les assignés à résidence ne l'ont pas été sur le motif de péril imminent et de menace terroriste, mais en raison des désordres publics qu'ils étaient susceptibles de provoquer, par exemple des écologistes radicaux assignés en marge de la COP 21, ces conférences internationales étant toujours l'occasion de débordements.
L'un des assignés à résidence a motivé sa saisine du Conseil d'Etat par le fait que le motif de son assignation n'était pas identique à celui qui avait justifié le recours à l'état d'urgence. C'est à cette question du lien entre les motifs de l'état d'urgence et de l'assignation que le Conseil d'Etat a répondu sur le fond, c'est le coeur du sujet - nous en reparlerons en débattant de la constitutionnalisation de l'état d'urgence.
Le même requérant a usé du même moyen dans une question prioritaire de constitutionnalité : l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 autorise-t-il l'assignation à résidence dans le seul cadre de la lutte contre le terrorisme, ou pour prévenir toutes les atteintes à l'ordre public ? Le ministère de l'intérieur et le secrétaire général du Gouvernement arguent que les forces de l'ordre sont toujours les mêmes, en effectifs limités. Est-ce bien raisonnable ? N'est-ce pas courir le risque d'étendre trop l'état d'urgence ? Le Conseil constitutionnel répondra le 22 décembre prochain, j'invite chacun de vous à y prêter la plus grande attention. Nous en reparlerons à la rentrée.