Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 12 janvier 2016 à 14h30
Compensation des charges applicables aux collectivités territoriales — Discussion générale

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

On peut se demander s’il y a lieu de modifier une fois encore un texte constitutionnel déjà passablement martyrisé par la pratique d’un peu plus de cinquante ans et dont la mise en œuvre a tout de même abouti à créer un rapport de force politique dont le premier parti est, le plus souvent, celui de la cohorte des abstentionnistes et le second, celui du « vote contre, faute de mieux ».

Le texte qui nous est présenté part donc d’un constat relativement juste mais apporte des solutions inadaptées. Plutôt que de corseter l’action publique dans une évaluation le plus souvent strictement comptable, il conviendrait que nous nous interrogions sur ses objectifs, ses finalités, son contenu.

Quelques-uns de ceux qui ont signé le texte mis en discussion ont pourtant voté le transfert du RMI aux départements, sans d’ailleurs se demander si la compensation suivrait ; je crois qu’il serait fastidieux, mes chers collègues, de rappeler ici les votes que vous avez exprimés, notamment entre 2002 et 2012, sur les dotations aux collectivités locales, alors même que vous affirmiez votre attachement à la décentralisation et à l’autonomie financière des collectivités locales. La remarque vaudrait aussi, soit dit en passant, pour ceux qui furent vent debout contre la réforme Sarkozy des collectivités locales et qui ont fini par proposer, en échange, la loi NOTRe et le développement des communes nouvelles comme pis-aller à la réduction des concours budgétaires… Et je ne parle pas d’une réforme de la dotation globale de fonctionnement dont on sent, confusément, qu’elle tend à faire « table rase du passé », notamment le passé industriel de nombre de villes petites et moyennes de notre pays qui n’ont plus, aujourd’hui, que les sans-emploi laissés sur le carreau par les plans sociaux et les stratégies d’entreprises et de groupes.

La démagogie a ceci de déplaisant, mes chers collègues, qu’elle empêche d’appréhender les voies et moyens conduisant au redressement de situations compromises.

Oui, nous devons revisiter et revivifier l’action publique dans ce pays !

Nous sommes partisans, de longue date, d’une dépense publique adéquate, qu’elle soit menée par les collectivités locales comme par l’État ou la sécurité sociale, tout simplement parce que, par principe, la dépense publique, c’est le salaire de celui qui n’en a pas ou pas beaucoup et c’est l’application la plus évidente du principe d’égalité, élément pivot du pacte républicain. La dépense publique, c’est l’essence et peut-être même la quintessence de notre République. La réduire, c’est affaiblir – je l’ai dit précédemment – le lien entre le citoyen et nos valeurs de fond, et cela conduit parfois à ce que nous constatons depuis plusieurs mois.

Le bien-fondé de notre travail de parlementaire n’est donc pas de nous livrer au petit jeu des équivalences entre dépenses à prendre en charge et dépenses à redonner à d’autres, ni de devenir des comptables au petit pied et à la vue étroite, mais bien plutôt de rendre plus efficace l’allocation de la ressource tirée de l’impôt, c’est-à-dire de répondre aux besoins et aux attentes de nos compatriotes pour ce qui concerne l’éducation, le logement, l’action sociale, la réalisation d’infrastructures, la santé, les transports publics, le sport ou la culture.

À ce stade de la discussion, je ne peux évidemment manquer de rappeler – nous l’avons encore vu cet après-midi – à quel point ceux-là mêmes qui s’affichent contempteurs de la dépense publique deviennent souvent négligents quand il s’agit de s’interroger sur la dépense fiscale et d’en interpeller l’efficacité !

Avant de conclure, je ne peux également oublier de parler quelques instants de la question des normes et directives européennes.

Il n’y a pas de « surtransposition » des directives européennes. Un acte communautaire, fruit de la procédure en vigueur au niveau européen, n’a pas vocation à constituer une sorte de « plafond » législatif ou réglementaire pour chaque droit positif national. Il constitue en réalité un socle commun à l’ensemble des pays membres de l’Union, et il se peut fort bien, dans un domaine donné, que le droit national d’un pays membre propose, sous certains aspects, des garanties supérieures du point de vue des usagers ou des citoyens.

Transposer une directive européenne ne signifie donc pas nous plier à une règle forcément supérieure. En revanche, qu’un certain nombre d’élus soient préoccupés par les « normes » continue de nous interpeller. Le titre de cette proposition de loi surfe sur le ras-le-bol des normes de nombreux élus locaux, que nous entendons fortement dans cette période de vœux.

La norme peut être contraignante, mais la norme peut aussi – elle le doit de fait – signifier la sécurité pour l’usager, la règle commune, appliquant des principes aussi importants que ceux de prévention, précaution, préservation des individus et de notre environnement par exemple. Il faut donc, non pas balayer d’un revers de manche cette question, mais éviter tout amalgame. Certaines normes, nous le savons, sont le fruit de lobbies privés et n’ont nullement pour mission de répondre à l’intérêt général. Certaines nécessitent un accompagnement, des moyens financiers pour les rendre efficaces.

Or, et j’en terminerai par ce hasard de calendrier, cette colère anti-normes s’accroît au moment où les conséquences de la RGPP se font sentir avec le départ de nombreux fonctionnaires des services déconcentrés de l’État au plus près de nos communes, poussant les élus locaux vers des cabinets coûteux d’assistance, de conseil, d’accompagnement. Enfin, cette colère s’accroît au moment où le gel, puis la baisse de la dotation plongent les élus locaux dans l’incapacité à investir pour répondre aux besoins de femmes et des hommes qui vivent et travaillent sur leurs territoires.

Nous ne voterons évidemment pas cette proposition de loi, qui est, selon nous, un pur affichage politique sans plus-value pour l’intérêt général, objet naturel de la loi.

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