Intervention de Marie-Françoise Perol-Dumont

Réunion du 12 janvier 2016 à 14h30
Compensation des charges applicables aux collectivités territoriales — Discussion générale

Photo de Marie-Françoise Perol-DumontMarie-Françoise Perol-Dumont :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, outre les éléments développés par notre collègue René Vandierendonck, qui ont conduit notre groupe à déposer la motion tendant à opposer la question préalable qu’il a défendue, cette proposition de loi, si elle présente le mérite d’avoir pour objet de combattre l’aggravation, par diverses lois, des charges pesant sur les collectivités territoriales, s’en tient au coût des normes – qui n’est pas minime et contre lequel le Gouvernement vient d’engager un certain nombre de mesures – et n’aborde pas – elle ne propose donc aucune réponse – l’une des questions les plus prégnantes en termes de transferts de coûts de l’État vers les collectivités, la plus emblématique par les montants concernés, à savoir la question des trois allocations de solidarité que sont l’allocation personnalisée d’autonomie, la prestation de compensation du handicap et surtout le revenu de solidarité active.

En effet, le transfert aux départements de l’APA en 2001, de la PCH en 2005 et, cerise sur le gâteau, du RMI en 2004, devenu RSA en 2009, a petit à petit conduit les conseils généraux hier, départementaux aujourd’hui – le problème reste le même –, dans une impasse budgétaire quasiment inextricable tant ils n’ont pas été accompagnés d’une compensation financière juste et pérenne.

Entre 2007 et 2012, les dépenses liées à ces trois prestations ont progressé de 11 milliards d’euros à 15 milliards d’euros – 4 milliards d’euros de plus en cinq ans ! – et, dans le même temps, la situation financière des départements s’est ainsi dégradée de façon spectaculaire avec une épargne nette passant de 7 milliards d’euros en 2007 à 4 milliards d’euros en 2013, des délais de désendettement augmentant de 2, 4 à 4, 6 années et l’obligation de solliciter de plus en plus le levier fiscal local avec une hausse de 8 % du taux de la taxe d’habitation et de 18 % du taux du foncier bâti, chiffres constatés sur une moyenne nationale.

Ce faisant, c’est la capacité d’action, d’innovation de ces collectivités au service de nos concitoyens, leur capacité d’investissement propre et de soutien aux investissements des communes et des intercommunalités dont elles sont les partenaires privilégiées qui ont été remises en cause, faisant planer de lourdes hypothèques sur tout un tissu économique, associatif, social.

Jusqu’en 2013, les gouvernements successifs sont, hélas ! restés impassibles face aux nombreuses alertes lancées par les exécutifs départementaux de tous bords. La seule avancée, même si elle n’est pas à la hauteur du défi du financement global de la solidarité dans notre pays, a été en 2013 la reconnaissance par le Président François Hollande et son Premier ministre d’alors, Jean-Marc Ayrault, d’une compensation insuffisante de ces trois allocations, et ce à la suite d’un travail partenarial entre l’État et les départements, sous le contrôle d’un conseiller-maître à la Cour de comptes, gage d’objectivité, travail qui a abouti au diagnostic partagé d’un manque avéré de moyens transférés et d’une situation de plus en plus intenable pour les assemblées départementales.

S’ensuivirent les accords de juillet 2013 signés à Matignon, auxquels plusieurs d’entre nous, alors présidents de conseil général, participaient dans leur diversité politique, des accords qui actèrent deux mesures relatives au RSA, problème le plus prégnant et première des urgences. Ces mesures visaient à mieux couvrir les dépenses engagées par les départements en lieu et place de l’État, pour une prestation dont ils n’ont aucun pouvoir de maîtriser les coûts, pas plus que les critères d’attribution. Aussi le gouvernement Ayrault décida-t-il de transférer aux collectivités départementales le produit des frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties et leur donna la possibilité d’augmenter le taux de droit commun des droits de mutation à titre onéreux, possibilité dont la plupart se sont saisis ; parallèlement, un fonds de solidarité entre départements fut créé et le principe d’une clause de revoyure également posé, ce qui est essentiel.

Ces dispositions ont permis de stabiliser une situation qui ne cessait de se dégrader avec le refus des gouvernements précédents de reconnaître une « dette » de l’État envers les conseils généraux et donc d’entrer dans des discussions visant à dégager des solutions. Pour autant, stabilisation ne signifie pas amélioration, et, à la suite du renouvellement des assemblées départementales au printemps dernier, une nouvelle négociation est, semble-t-il, engagée avec le gouvernement de Manuel Valls ; on ne peut que s’en féliciter.

Si j’ai développé cet exemple du revenu de solidarité active, ce n’est pas pour dévier du sujet ; c’est parce qu’il est particulièrement emblématique d’une « aggravation par la loi de charges pesant sur une collectivité territoriale » sans qu’elle ait la moindre marge de manœuvre pour influer sur le montant de ces charges.

Mauvaise évaluation dès le départ du coût du transfert, volontairement ou non – je ne fais pas de procès d’intention –, refus des gouvernements pendant plusieurs années de reconnaître l’engrenage mortifère du reste à charge pesant sur les budgets locaux, conjugués à une hausse significative du nombre d’allocataires dans un contexte de crise économique aiguë depuis 2008 et à une augmentation de la prestation pour les allocataires, augmentation légitimement décidée par le Gouvernement mais instaurant une charge supplémentaire pour les finances départementales, sont autant d’éléments qui ont conduit à la situation budgétaire actuelle particulièrement inquiétante.

Cette situation incite aujourd’hui nombre de départements à demander une renationalisation de cette allocation du RSA, proposition qui signe l’échec de ce transfert dans les conditions où il a été réalisé. Au demeurant, cette proposition n’est pas dénuée de sens, tant il n’y a aucune plus-value à ce que le paiement de cette prestation transite par les conseils généraux hier, départementaux aujourd’hui, qui jouent là un simple rôle de guichet, contrairement à l’allocation personnalisée d’autonomie ou à la prestation de compensation du handicap, dont la gestion en proximité permet du cousu main et apporte une véritable plus-value aux allocataires.

Dans ce contexte, mes chers collègues, la proposition de loi débattue ce jour est absolument inopérante. La vraie problématique qui devrait animer nos débats est de savoir comment trouver le moyen d’assurer une vision évolutive lors de tout transfert, intégrant les besoins en ressources humaines pour le gérer, les évolutions du point d’indice, des régimes indemnitaires, etc. On pourrait à cet égard citer le cas des personnels techniciens, ouvriers et de service de l’éducation nationale pour lesquels, par exemple, n’existait pas ou peu de médecine préventive, alors même qu’ils sont au contact permanent d’adolescents, que nombre d’entre eux travaillent à la restauration scolaire où la rigueur sanitaire est de mise, ce qui a obligé départements et régions à recruter des médecins du travail sur fonds propres bien au-delà des tiers ou quart temps transférés.

Dans un autre domaine, la Cour des comptes, dans un rapport de février 2012 sur le transfert des routes nationales aux départements, a estimé à 46 millions d’euros les frais supplémentaires de personnel générés par l’alignement des régimes indemnitaires des anciens agents de l’État sur celui des collectivités territoriales. Parallèlement, ces mêmes collectivités ont dû faire face à de nouvelles dépenses pour remettre à niveau les infrastructures transférées quelque peu laissées à l’abandon jusque-là. Là encore, la Cour des comptes estime à 30 % le surplus de dépenses consacrées depuis 2005 à la remise en état et à l’entretien du réseau routier et des ouvrages d’art transférés.

À l’évidence, le constat honnête du coût d’un transfert ne peut être fait qu’une fois celui-ci effectif, avec un recul d’appréciation qui nécessite d’acter dans la loi des clauses de revoyure obligatoires. Cette culture de la négociation – elle n’est malheureusement pas la coutume en France –, qui semble se dessiner depuis 2013 sur le RSA, devrait devenir la norme dans une République décentralisée assumée.

Dans le même temps, il est impératif que les collectivités aient une réelle visibilité sur les vrais leviers fiscaux à leur disposition et sur les dotations qui leur sont attribuées, y compris lorsque le contexte économique rend inévitable une diminution de celles-ci.

Cette proposition de loi, outre son instabilité juridique et constitutionnelle, n’aborde aucun de ces sujets, pourtant prégnants ; elle serait inopérante et ne servirait qu’à alourdir un arsenal législatif dont l’encombrement nuit souvent à l’efficacité. C’est la raison pour laquelle, en dépit de la bonne volonté de ses auteurs, notre groupe ne la soutiendra pas.

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