La proposition de loi qui nous occupe ce soir, et qui va probablement nous occuper une autre soirée, vise plutôt la grande distribution.
Pour autant, n’oublions pas que celle-ci n’est qu’un maillon de la chaîne du gaspillage dont le principal maillon reste les ménages. Viennent ensuite la restauration hors domicile et la distribution en grande et moyenne surface.
Le gaspillage alimentaire est un problème économique, environnemental et social, mais c’est surtout un problème éthique.
Tout d’abord, il renvoie à la pauvreté économique. Je l’ai déjà dit lorsque j’ai précisé que nous aurions en théorie les moyens de nourrir toute la planète.
Ensuite, il renvoie aussi à la pauvreté intellectuelle. En effet, le gaspillage est finalement le signe d’une société qui considère l’abondance, le superflu et la surconsommation comme une fin en soi. De surcroît, aujourd’hui, il est nécessaire de redonner une juste valeur aux produits alimentaires. Nous sommes submergés par les messages publicitaires sur la nécessité de tirer le prix de tous les produits, y compris les produits alimentaires, vers le bas. En conséquence, la part de l’alimentation dans le budget des ménages est passée de 35 % en 1960 à 20 % en 2014. Autre effet : on ne rémunère plus les agriculteurs au juste prix de la production. On ne leur permet donc plus non plus de fournir des produits de qualité. En définitive, les prix sont tellement bas que jeter devient pour certains un acte tout à fait anodin !
J’en arrive plus précisément au contenu de cette proposition de loi, qui reprend les conclusions du rapport de Guillaume Garot sur le gaspillage alimentaire.
L’article 1er définit une hiérarchie en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire qui commence par la prévention de ce gaspillage, passe ensuite par la valorisation destinée à l’alimentation animale, et aboutit enfin à l’utilisation des invendus pour fabriquer du compost ou produire de la méthanisation. Cette hiérarchie s’inspire de la directive européenne relative aux déchets que l’on connaît relativement bien dans cet hémicycle. Elle s’applique à tous les maillons de la chaîne alimentaire, du producteur au consommateur, en passant par les distributeurs et les associations.
Par ailleurs, l’article 1er interdit la javellisation des invendus encore propres à la consommation que pratiquent certains restaurants ou des enseignes de la grande distribution. À cet effet, il crée une sanction lourde en établissant une amende de 3 750 euros par infraction constatée, c’est-à-dire par poubelle javellisée.
En outre, cet article lève les obstacles au don de produits vendus sous marque de distributeur, ce qui constitue un enjeu de responsabilité assez technique.
Enfin, point important et qui nous occupera certainement longtemps, il formalise les pratiques de don en vigueur en imposant qu’une convention de don soit établie entre le distributeur et l’association caritative, afin d’en négocier toutes les modalités, et ce dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi.
J’insiste sur le fait qu’il s’agit non pas d’une obligation de donner – les associations n’en veulent d’ailleurs pas, car elles craignent de devenir le « déversoir » des invendus de la grande ou de la moyenne distribution –, mais d’une obligation de s’engager dans la démarche et de proposer au moins la reprise des invendus.
L’article 2 transfère la responsabilité des produits défectueux du distributeur vers le fournisseur, dans le cas où ce dernier réalise un don de denrées sous marque de distributeur que le distributeur ne souhaite pas commercialiser pour des raisons autres que sanitaires. En d’autres termes, en cas de problème d’étiquetage – par exemple, l’étiquetage est en italien alors que vous êtes en France –, vous ne pouvez pas donner vos produits pour des raisons de responsabilité. Avec l’adoption de ce texte, cela deviendra désormais possible.
L’article 3 complète l’information et l’éducation à l’alimentation dans les écoles en prévoyant un volet sur la lutte contre le gaspillage alimentaire. À cet égard, il faut noter que de nombreuses collectivités locales se sont déjà engagées dans cette voie.
Enfin, l’article 4 précise le contenu du rapport sur la responsabilité sociale et environnementale publié chaque année par les entreprises cotées.
À l’unanimité, la commission vous propose, mes chers collègues, d’adopter conforme cette proposition de loi.
Il s’agit tout d’abord d’une question de cohérence, puisque nous avons voté ce dispositif dans des termes strictement identiques voilà à peine six mois.
Par ailleurs, il nous est apparu urgent d’adopter ce texte, car le calendrier parlementaire est relativement chargé dans les mois à venir, monsieur le secrétaire d’État. L’adoption de cette proposition de loi avant la fin de cette année par l’Assemblée nationale est peu probable si nous ne l’adoptons pas rapidement.
Enfin, les leviers qu’il reste à mobiliser pour poursuivre la lutte contre le gaspillage alimentaire ne sont pas nécessairement législatifs. Beaucoup d’aspects relèvent en effet du Gouvernement et de mesures réglementaires.
Je souhaite maintenant évoquer un point particulier, qui est régulièrement soulevé par nos interlocuteurs, à savoir la réduction d’impôt dont bénéficient les agriculteurs lorsqu’ils font des dons de produits agricoles. Ce dispositif existe déjà pour les dons de lait ou de légumes frais. En revanche, certains produits agricoles doivent être transformés, ce qui a un coût et génère un transfert de propriété. Pour prendre un exemple, les fruits peuvent être transformés en compote ou en jus de fruit. Toutefois, il est nettement plus difficile de donner des animaux sur pied, car une association ne saurait qu’en faire ! Il est alors nécessaire de les transformer. Des discussions sont en cours à Bercy pour que les agriculteurs aient la possibilité de bénéficier de réductions d’impôt dans de tels cas.
Compte tenu des amendements déposés, le dernier point que je souhaite aborder correspond à une réelle préoccupation de la commission : il s’agit de la question du coût éventuel de la mesure pour les collectivités territoriales.
Les collectivités locales souhaiteraient que les produits invendus, s’ils sont donnés en trop grand nombre aux associations, ne se retrouvent pas par la suite dans le circuit du service public de gestion des déchets. En d’autres termes, elles ne veulent pas payer le traitement de déchets qui est aujourd’hui pris en charge par les distributeurs.
Théoriquement, ce risque est assez limité si les conventions signées sont bien calibrées. En effet, les associations elles-mêmes ne veulent pas crouler sous les invendus. Néanmoins, nous avons maintenu nos amendements pour l’examen du texte en séance publique, parce qu’il s’agit là d’une préoccupation réelle, qui est soulevée par de nombreuses associations et collectivités.
Nous aimerions enfin obtenir des garanties de la part du Gouvernement sur les dispositifs d’évaluation de cette proposition de loi et sur les différentes clauses de revoyure qui nous permettraient éventuellement d’en corriger la rédaction si jamais l’on venait à constater de telles dérives.
En conclusion, je tiens à souligner que le présent texte a obtenu le soutien unanime de la commission, tout comme les dispositions similaires qui avaient été examinées dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique avaient reçu un accueil unanime dans cet hémicycle !