Intervention de Nelly Tocqueville

Réunion du 14 janvier 2016 à 15h00
Coût économique et financier de la pollution de l'air — Débat sur les conclusions d'une commission d'enquête

Photo de Nelly TocquevilleNelly Tocqueville :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission d’enquête, madame la rapporteur, mes chers collègues, la Haute Assemblée est réunie aujourd’hui afin de débattre des conclusions du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, commission dont je salue la qualité des échanges tout au long des auditions.

Ce rapport, rendu public le 15 juillet 2015, doit fortement nous alerter, puisqu’il évalue à 101, 3 milliards d’euros le coût annuel de la pollution de l’air en France. Nous connaissons déjà, depuis longtemps, les conséquences néfastes pour la santé que suscite ce type de pollution. Toutefois, celles-ci sont désormais chiffrables et chiffrées, mais en partie seulement.

Il ne s’agit pas uniquement d’un problème de santé publique, mais également d’un problème environnemental et économique majeur.

Les estimations, au niveau mondial, que l’OMS a publiées en mars 2014 portent à 7 millions le nombre de décès dus en 2012 à la pollution atmosphérique. L’OMS rappelle que celle-ci constitue le principal risque environnemental pour la santé dans le monde, même si, au niveau européen, elle constate une baisse des décès prématurés. Néanmoins, la commission d’enquête a rappelé que la qualité de l’air est un sujet de plus en plus préoccupant pour les Français.

Nous ne pouvons pas, par conséquent, rester passifs face à cet état de fait ; nous nous devons de proposer des solutions durables, efficientes et efficaces.

Je salue à cet égard les récentes décisions prises par le Gouvernement visant à compléter le plan d’action pour lutter contre la pollution atmosphérique. Je pense, notamment, au bonus de 10 000 euros permettant de donner à tous les Français l’accès à un véhicule propre, au « certificat qualité de l’air », mais aussi à l’appel à projets « Villes respirables en cinq ans », les collectivités étant des acteurs majeurs de la lutte contre la pollution de l’air.

Il convient également de rappeler avec force les nouvelles mesures qui visent à prévenir cette pollution atmosphérique et qui sont inscrites dans la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, promulguée le 17 août 2015. Je fais référence ici aux zones à circulation restreinte, aux avantages de stationnement et de péage accordés aux véhicules les moins polluants, à l’incitation à une baisse des vitesses en ville ou encore à l’interdiction des produits phytosanitaires dans l’espace public. Je me félicite aussi de l’instauration d’une journée nationale de la qualité de l’air, laquelle s’est tenue pour la première fois le 25 septembre dernier.

Nous constatons une véritable prise de conscience des enjeux liés aux conséquences de la pollution atmosphérique. Pour cette raison, nous nous devons de continuer à agir afin de faire respecter et de renforcer les normes existantes, ce qui garantira une meilleure qualité de l’air pour nos populations.

Néanmoins, le rapport de la commission d’enquête mentionne avec une certaine sévérité l’échec des mesures prises depuis vingt ans. Sévérité, oui, car ce rapport constate bien que plusieurs polluants ont disparu ces dernières années et que l’air que l’on respire est moins pollué aujourd’hui qu’il y a vingt ans. En effet, comme il est indiqué dans ce même rapport, entre 1990 et 2003, la quantité de dioxyde de soufre émise dans l’air a été réduite de près de 83 %. Sur cette même période, les émissions de particules dans l’atmosphère ont également subi une réduction, celle-ci de 29 %.

Si ces chiffres nous incitent à faire une lecture objective de la réalité de la pollution de l’air, ils nous obligent aussi à poursuivre les études et les actions, ainsi qu’à exploiter les résultats des avancées technologiques et scientifiques.

Toutefois, ce bilan chiffré de 101, 3 milliards d’euros annuels ne nous permet plus d’user d’excuses : nous devons agir au vu des connaissances dont nous disposons et des diagnostics posés par les différents acteurs que nous avons auditionnés.

La nature de la pollution de l’air est certes difficilement appréhendable, car elle est la résultante de plusieurs facteurs : les modes de vie, les moyens de transports et de chauffage, ou encore la pollution engendrée par le secteur industriel.

Cependant, la France ne doit pas et ne peut pas agir seule face aux enjeux de la pollution de l’air : elle doit intervenir en interaction et en conformité avec les normes européennes et internationales. C’est ce qu’elle a fait avec l’adoption de la loi du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, dite « loi LAURE », qui énonce le « droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé », ainsi que l’a rappelé Évelyne Didier. Cette loi est fondamentale, car elle pose explicitement le lien de cause à effet entre la pollution de l’air et les problématiques sanitaires.

Cependant, traiter le problème de la pollution de l’air, c’est également être confronté à une autre réalité : la multitude des polluants identifiés aujourd’hui, laquelle explique, pour partie, le constat de la sous-évaluation du coût de ce type de pollution qu’a dressé la commission d’enquête.

Quoi qu’il en soit, les effets restent identiques. On observe que les personnes exposées aux polluants atmosphériques sont victimes de dysfonctionnements de l’appareil respiratoire et cardiovasculaire. On constate également des cas de pathologies pulmonaires comme la bronchite ou l’asthme. Des effets indésirables peuvent aussi apparaître en ce qui concerne le développement neurologique, celui du fœtus et de la fonction cognitive.

Force est donc de constater que la pollution de l’air a pour conséquence un impact sanitaire manifeste et multiforme. Les symptômes peuvent apparaître à court terme, mais également plusieurs années après l’exposition aux polluants. Cela justifie d’ailleurs la difficulté à chiffrer les conséquences sanitaires, en particulier auprès des populations les plus vulnérables : les jeunes enfants, les personnes âgées et les personnes souffrant de pathologies chroniques.

La commission d’enquête a aussi constaté à la lecture de plusieurs études une pollution d’origine anthropique, provoquée par l’activité humaine. Quatre grands secteurs ont été identifiés : les transports, le résidentiel tertiaire, l’industrie, l’agriculture. Toutefois, il faut également mentionner une pollution aérobiologique, celle qui émane des polluants d’origine biologique, comme les pollens ou les moisissures, et qui sont responsables en grande partie des allergies respiratoires, toujours plus nombreuses.

Ainsi, d’une manière générale, deux types de pollution de l’air peuvent être identifiés : la pollution de l’air extérieur et celle de l’air intérieur. Cette dernière a été pendant longtemps négligée, car elle était peu connue. Elle est pourtant très importante, puisque l’OMS estime que près de 4, 3 millions de personnes meurent prématurément de maladies imputables à la pollution de l’air intérieur.

Par ailleurs, si nous sommes alertés par les impacts sanitaires de la pollution de l’air en général, il ne faut pas occulter ceux sur l’environnement et l’économie, ni leur coût économique et financier. Cependant, les causes de celle-ci nous interpellent d’abord par leur caractère protéiforme.

Que l’on évalue les coûts sanitaires ou non sanitaires, que l’on apprécie en coûts tangibles ou intangibles, les manifestations de la pollution de l’air sont multiples : impact sur le système de santé, absentéisme et perte de productivité, baisse des rendements agricoles et forestiers, dégradation des écosystèmes, perte de biodiversité ou encore nuisances psychologiques, olfactives ou esthétiques.

Même s’il est possible de mettre en lumière les différents types de coûts qu’entraîne la pollution de l’air, il reste cependant très difficile de les quantifier. En effet, nous ne disposons pas aujourd’hui des éléments permettant de calculer avec exactitude le coût des conséquences atmosphériques sur les écosystèmes et sur la biodiversité. Il en est de même des pertes financières des rendements agricoles.

C’est un fait, par ailleurs mis en avant dans le rapport, il n’existe pas d’étude exhaustive recensant l’ensemble des coûts de la pollution de l’air tant intérieur qu’extérieur.

Pour cette raison même, la commission d’enquête considère que le coût total annoncé dans ce rapport concernant cet état de fait est sous-estimé, en particulier parce que nous ne sommes pas en mesure actuellement d’évaluer ce que l’on appelle « l’effet cocktail », résultat de l’association de plusieurs polluants, par ailleurs peu dangereux, considérés séparément. De plus, les avancées scientifiques et technologiques amènent régulièrement à la découverte de nouveaux polluants.

Calculer le coût économique et financier de la pollution de l’air trouve donc ses limites, comme le confesse la commission d’enquête, que celles-ci soient liées aux incertitudes scientifiques ou à la non-prise en compte de ces « effets cocktails ».

D’une manière générale, il est pratiquement impossible, ou du moins très complexe, de procéder à une estimation précise et irréfutable des coûts dits « intangibles », qu’ils soient sanitaires ou non, ce qui laisse à penser que le coût annoncé de 101, 3 milliards d’euros est sous-estimé. C’est pourquoi ce constat nous oblige désormais à prendre nos responsabilités, à proposer des solutions et à les appliquer.

Dans cet esprit, la commission d’enquête préconise de mettre en place une fiscalité écologique et de compléter les normes existantes. Je partage cet avis, même si une fiscalité incitative doit être privilégiée à une fiscalité punitive. Aussi, elle propose le renforcement et la création de normes au vu des enjeux sanitaires, mais aussi du coût économique et financier que cela induit.

Néanmoins, il faudrait prendre en compte le résultat d’études scientifiques approfondies et irréfutables, notamment en matière de pollution de l’air intérieur, avant d’envisager de légiférer, tant subsiste encore un nombre significatif de données inconnues.

Il semblerait préférable, dans un premier temps, d’inciter à l’innovation, à la recherche et au développement, afin de lutter contre la pollution de l’air, d’autant que, comme le rapport l’indique, la France dispose d’un savoir-faire reconnu, d’acteurs de pointe dans le secteur des énergies nouvelles. Il serait donc opportun de continuer à travailler dans cette voie.

Je salue ainsi l’action dans ce domaine du Gouvernement, qui mobilise le programme des investissements d’avenir, stimule l’innovation en matière d’équipements de lutte contre la pollution, comme les filtres à cheminées ou encore les équipements agricoles.

Par ailleurs, je partage tout à fait l’avis énoncé dans le rapport, qui préconise de veiller à ne pas renforcer les inégalités sociales dues aux inégalités environnementales. En effet, force est de constater que ce sont les populations défavorisées vivant dans des quartiers où l’habitat est peu cher, voire dégradé, souvent près de zones industrielles ou de grands axes routiers, exposées à toutes ces formes de pollution qui en sont les premières victimes.

Je partage également l’idée d’un nécessaire changement de modèle de production agricole, d’un soutien accru à l’agriculture biologique et, d’une manière générale, d’une accélération de la transition vers une agriculture verte.

Il en est de même du développement des actions de pédagogie sur les problématiques liées à la pollution de l’air, et ce tant pour les particuliers que pour les entreprises.

En tant que sénatrice de la Seine-Maritime, je suis particulièrement sensible aux problèmes que rencontre le milieu agricole. Je constate, lors de mes déplacements, que les exploitants agricoles, y compris les jeunes, ne sont pas suffisamment sensibilisés aux dangers liés à la pollution inhérente à leur activité. Un réel effort de mobilisation est indispensable dans ce secteur. Ne pensez-vous pas, monsieur le secrétaire d'État, qu’il est devenu urgent et indispensable d’engager une réflexion avec les chambres d’agriculture sur le sujet ?

Pour conclure, je souhaite rappeler que la pollution de l’air doit être perçue comme un problème non pas purement national, mais bien européen et international.

Tout comme pour la déréglementation climatique, la récente COP21 à Paris en étant un parfait exemple, les problématiques liées à la pollution de l’air devront être appréhendées à l’échelle mondiale, a minima européenne, dans un premier temps. C’est aussi la raison pour laquelle il faudra poursuivre les investigations.

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