Intervention de Philippe Esnol

Réunion du 14 janvier 2016 à 15h00
Coût économique et financier de la pollution de l'air — Débat sur les conclusions d'une commission d'enquête

Photo de Philippe EsnolPhilippe Esnol :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, la pollution de l’air est, avec les pics enregistrés ces dernières années, un sujet qui intéresse particulièrement les Franciliens, d’autant que les mesures de circulation alternée viennent désormais perturber assez souvent leur quotidien. Si ceux-ci sont directement touchés, le rapport de la commission d’enquête nous fait prendre conscience que nous sommes tous concernés, en raison des effets néfastes sur notre santé, mais aussi parce que le champ des altérations provoquées par la pollution est en définitive bien plus vaste.

Forte de ces constats, la commission d’enquête a procédé à une évaluation inédite du coût économique et financier de la pollution de l’air dans notre pays. Il faut bien reconnaître qu’un tel « angle d’attaque » est pour le moins malin, puisqu’il permet de rallier ceux que les seuls arguments sanitaires ne suffiraient pas à convaincre.

Aussi, je partage l’analyse de la commission d’enquête sur la nécessité d’agir. Il le faut, parce que c’est un impératif de santé publique et pour que le droit reconnu à chacun de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé ne reste pas un vœu pieux. On sait avec certitude que la pollution de l’air augmente le risque de développer un cancer du poumon, des maladies cardiovasculaires ou respiratoires. Plus de 40 000 décès prématurés lui sont attribués en France chaque année.

L’ampleur serait en outre minimisée, notamment parce que « l’effet cocktail », c'est-à-dire le fait d’être exposé à plusieurs polluants en même temps, n’est pas mesuré. De nouvelles études tendent de surcroît à démontrer que les particules fines auraient aussi un effet sur la santé mentale et seraient à l’origine de maladies dégénératives, telles que celles d’Alzheimer et de Parkinson.

Outre cet aspect sanitaire, la concentration de polluants provoque une baisse des rendements agricoles, dégrade la biodiversité, souille l’eau et se révèle même le principal facteur d’érosion des façades !

Une intervention se justifie encore pour la simple et bonne raison qu’il existe de véritables manquements. Ainsi, la France ne respecte pas ses obligations s’agissant des valeurs limites de particules fines, ce que la Commission européenne n’a pas manqué de lui rappeler au printemps 2015.

Reste que, s’il faut avant tout agir pour la reconquête de la qualité de l’air, c’est parce qu’on y aurait intérêt économiquement. En effet, le coût de la pollution de l’air n’a jamais vraiment été appréhendé par les pouvoirs publics. Il serait pourtant majeur ! La commission d’enquête l’a évalué au total à plus de 100 milliards d’euros par an.

Comment parvient-on à une telle somme ? Certes, les évaluations varient fortement selon la méthodologie employée, mais celle qu’a retenue la commission d’enquête, car elle l’a jugée la plus complète, a été établie dans le cadre du programme « Air pur pour l’Europe » de la Commission européenne. Elle s’élève à entre 68 milliards d'euros et 97 milliards d’euros, auxquels il convient d’ajouter le coût non sanitaire qui vient d’être évoqué, évalué à 4, 3 milliards d’euros.

Ce qu’il faut retenir, c’est que les modélisations du rapport entre coûts et bénéfices montrent qu’il serait avantageux de réduire la pollution atmosphérique via une réglementation plus stricte et que cela induirait même des bénéfices. Ceux-ci permettraient de couvrir les coûts engendrés par exemple par les investissements nécessaires à la mise en conformité des secteurs émetteurs.

Si la question de l’opportunité d’agir ne fait pas débat, celui-ci peut en revanche s’engager sur ce qu’il convient de faire. Il existe aujourd’hui un « paquet » de normes et dispositifs qui ne sont pas appliqués ou qui le sont mal. Ainsi, les plans de protection de l’atmosphère ne couvrent que 47 % de la population et leur mise en œuvre mériterait d’être accélérée et mieux articulée avec d’autres outils tels que les schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie et le plan national de réduction des émissions de polluants.

De même, il serait souhaitable de ne pas créer de « contraintes inutiles » et de se contenter de renforcer les normes uniquement là où il y a des manques certains, notamment en matière de pollution de l’air intérieur, ainsi que de privilégier une action ciblée sur les principaux secteurs émetteurs, à savoir les transports, l’agriculture, l’industrie, etc. À cet égard, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit des avancées concrètes. Elle prévoit, entre autres, d’accélérer le remplacement du parc automobile par des véhicules à faibles émissions et l’installation de points de recharge pour les véhicules électriques.

Améliorer l’information à destination du public serait également utile pour renforcer l’efficacité des mesures. À ce titre, je suis favorable à la généralisation des étiquetages sur les produits ménagers.

Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il me paraît primordial de laisser aux mesures le temps de produire leurs effets et de savoir raison garder, la situation n’étant pas ce qu’elle est dans d’autres pays du monde, et des bien plus grands que le nôtre. En effet, il ne faut pas négliger les efforts réalisés par les constructeurs de véhicules diesel pour mettre à jour des solutions. Je crois qu’il serait plus judicieux, au moment où le marché automobile français envoie des signaux de reprise, de renforcer la fiabilité d’homologation des véhicules quant à leurs niveaux d’émissions. Nous devons tirer les enseignements du scandale Volkswagen.

Enfin, en tant que Francilien, j’aspire à ce que soit conduite une véritable politique d’aménagement du territoire pour que cessent la concentration des activités économiques et la densification du logement en Île-de-France, qui conduisent des millions de nos concitoyens à subir, quotidiennement, souvent à grands coups d’anxiolytiques, les migrations pendulaires et la saturation des transports. Je suis bien placé pour en parler.

Pour conclure, je rappelle que, la pollution de l’air étant un phénomène transfrontalier, seule une action européenne coordonnée sera un gage d’efficacité. Je souhaite donc que la France, portée par le succès de la COP21, puisse défendre cette position qui permettrait de redonner à l’Europe son rôle clef, historique, dans la lutte contre la pollution de l’air puisque, pour mémoire, la loi LAURE de 1996 n’était que la transposition de directives européennes en la matière.

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