Intervention de Didier Mandelli

Réunion du 14 janvier 2016 à 15h00
Coût économique et financier de la pollution de l'air — Débat sur les conclusions d'une commission d'enquête

Photo de Didier MandelliDidier Mandelli :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour commencer, je tiens à féliciter nos collègues de la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, notamment son rapporteur, Leila Aïchi, et son président, Jean-François Husson, qui ont participé à l’élaboration et à la rédaction de ce rapport, lequel fait l’unanimité. Mes propos s’éloigneront donc peu de ceux des intervenants précédents et sans doute de ceux qui suivront.

La commission d’enquête a réalisé un travail de grande qualité. Mme la rapporteur, M. le président et les membres de la commission ont eu l’ambition de mesurer des situations complexes et parfois méconnues. L’évaluation à laquelle ils ont procédé est inédite.

La commission d’enquête n’a pas effectué une simple évaluation des coûts de la pollution de l’air pour notre système de santé, une telle évaluation ayant déjà été réalisée l’an dernier. Elle a pris à bras-le-corps la pollution de l’air sous toutes ses formes, notamment la pollution intérieure, identifiant toutes ses causes, en particulier la pollution transfrontalière, ainsi que l’ensemble de ses conséquences, y compris en termes de compétitivité pour les entreprises.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, la pollution de l’air se définit par la « contamination de l’environnement intérieur ou extérieur par un agent chimique, physique ou biologique qui modifie les caractéristiques atmosphériques ».

Certains constats et certains chiffres de ce rapport ont retenu mon attention. La pollution de l’air n’est pas seulement une pollution de l’air extérieur. Elle a des effets autres que sanitaires. Son coût, de plus de 100 milliards d’euros par an, est évidemment exorbitant. Des solutions identifiées doivent être rapidement mises en œuvre pour lutter efficacement contre ces effets.

J’insisterai pour ma part sur trois points qui me paraissent importants : la prise en compte de la pollution intérieure, les impacts et les coûts des pollutions autres que sanitaires et les nombreuses propositions de la commission.

La pollution de l’air n’est pas seulement extérieure. Jusqu’à présent, on parlait de pollution atmosphérique, de pollution chimique, comme celles qui sont liées au secteur des transports essentiellement, ce secteur étant le plus visible et le plus souvent cité, même s’il ne représente qu’une partie des émissions. En effet, l’impact négatif des carburants sur la qualité de l’air est connu depuis longtemps. Même si les véhicules thermiques émettent en moyenne moins de CO2 qu’il y a une vingtaine d’années, d’autres substances sont aujourd’hui en cause dans la pollution atmosphérique, comme les particules fines et les oxydes d’azote, que l’on retrouve dans les émissions.

Le rapport de la commission d’enquête met en avant une autre source de pollution plus méconnue et dont les impacts sont difficilement quantifiables, même si l'on estime son coût à 19 milliards d’euros par an : la pollution de l’air intérieur. L’OMS considère que cette pollution est un problème majeur de santé touchant l’ensemble des pays, en particulier les pays industrialisés et bien dotés en habitat.

Selon une étude de l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur datant de 2007, qu’il faudrait d’ailleurs réactualiser, quelque 9 % des logements français présentent des concentrations élevées de plusieurs polluants. Sachant que l’on passe entre 70 % et 90 % de son temps dans ces espaces confinés, la qualité de l’air respirée dans les espaces clos revêt une dimension de santé publique majeure.

« Des dizaines de substances chimiques issues de produits de la vie quotidienne sont présentes dans l’air et les poussières au sol de nos logements » révélait en juin 2015 une enquête de l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur. Ces composés, comme les phtalates, le radon, les oxydes d’azote, les moisissures, sont « omniprésents » et certains « sont détectés dans quasiment tous les logements », affirme l’Observatoire.

Même si des dispositions législatives et réglementaires ont été adoptées sur ce sujet, la rapporteur fait un constat sans appel, que je partage : les dangers des polluants sont largement méconnus et, de fait, toutes les dispositions de protection les plus élémentaires n’ont pas été prises.

C’est en ce sens que je soutiens la mesure n° 16, qui a pour objet d’intégrer la qualité de l’air intérieur et extérieur dans les processus de formation initiale des professionnels du bâtiment, ainsi que la mesure n° 17, qui donne les moyens à l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, d’effectuer la surveillance des produits présentés comme des polluants de l’air.

J’en arrive au deuxième point de mon intervention. Selon le rapport de la commission d’enquête, la pollution de l’air coûterait plus de 100 milliards d’euros par an à notre pays. C’est une somme astronomique ! Or la rapporteur estime ce coût « largement sous-évalué », faute de données suffisantes. En effet, il est difficile de la quantifier précisément en raison du manque de recherches et d’études sur la question. Les effets sanitaires de certains polluants sont mal connus, notamment « l’effet cocktail » résultant de la présence de plusieurs polluants.

Le coût sanitaire total serait compris « entre 68 et 97 milliards d’euros par an », selon l’estimation menée dans le cadre du programme « Air pur pour l’Europe » : coût du système de santé – hospitalisation, soins de ville –, absentéisme et perte de productivité dans les entreprises et les administrations.

Il est donc important à mon sens de souligner que la pollution de l’air a des conséquences néfastes non seulement sur la santé, mais également sur les rendements agricoles, la biodiversité, la qualité des sols et le patrimoine bâti. L’INRA, l’Institut national de la recherche agronomique, estime par exemple que le rendement du blé en région parisienne est réduit en moyenne de 10 % par rapport à une région non polluée, sous l’effet de la pollution, en particulier à l’ozone.

La pollution entraîne une dégradation plus rapide des façades des bâtiments et un surcoût en termes de rénovation urbaine. Ces impacts non sanitaires restent encore mal connus et sont difficilement mesurables. Les quelques études existantes montrent toutefois que leur coût est loin d’être négligeable. Réalisant un premier chiffrage avec les données disponibles, la commission évalue a minima le coût non sanitaire à 4, 3 milliards d’euros.

J’en viens au troisième et dernier point de mon intervention : les 61 propositions de la commission, sur lesquelles je ne reviendrai évidemment pas en détail. Ces propositions sont pertinentes. Elles doivent être prises en compte et mises en œuvre sans délai dans leur globalité, avec quelques fois des facilités. Cela a été évoqué lors de la présentation du travail de la commission.

Le diesel est un sujet récurrent. Les gouvernements successifs ont accordé une fiscalité avantageuse à ce carburant. Cela a conduit notre pays à devenir l’un des leaders mondiaux du secteur. Cela explique aussi la forte représentation du diesel dans le parc automobile français.

Conscients des risques liés aux particules fines, les constructeurs, en particulier nos leaders nationaux, ont fait évoluer la technologie diesel pour tenter de diminuer les émissions. L’actualité récente sur la mesure des émissions, plus particulièrement celle du jour d’ailleurs, nous incite à la vigilance, en attendant la mise en place de la norme Euro 6c en septembre 2017.

Comme la commission, je pense qu’il faut aligner progressivement d’ici à 2020 la fiscalité de l’essence et du gazole. Cela permettra aux entreprises s’équipant de véhicules à essence ou électriques de déduire la TVA, comme c’est le cas pour les voitures diesel. En octobre dernier, Matignon a d’ailleurs annoncé avoir tranché sur la fiscalité du diesel et prévu un alourdissement de 20 centimes d’euros en début de cette année, l’objectif étant de parvenir à un alignement en cinq ans.

Le 30 septembre 2015, le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a créé une commission chargée d’effectuer une enquête approfondie sur les émissions de polluants des véhicules légers. Je souhaite que cette commission rende rapidement un rapport, ce qui nous permettra de disposer de tous les éléments d’appréciation.

Je soutiens par ailleurs toutes les mesures permettant de promouvoir les transports propres, à savoir les véhicules hybrides et électriques, le fret ferroviaire et l’autoroute de la mer. À cet égard, je regrette l’abandon de la ligne entre Saint-Nazaire et l’Espagne. Il est important de mettre l’accent sur le soutien à l’innovation, afin de produire « des ruptures technologiques », comme le souligne Jean-François Husson dans son rapport.

Enfin, dans le secteur agricole, la commission recommande d’étudier spécifiquement les causes de la surmortalité des agriculteurs, très exposés à certains risques qui entraînent de nombreux cancers ou d’autres maladies, et de mieux contrôler les dispersions de polluants.

En conclusion, cet excellent rapport permet d’appréhender au mieux les conséquences de la pollution de l’air d’un point de vue économique et financier, au-delà des dommages causés à l’homme et à son environnement. Le temps de l’action est venu, sur la base de ces 61 propositions !

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