Intervention de Ségolène Royal

Réunion du 19 janvier 2016 à 14h30
Reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages — Discussion d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Ségolène Royal :

Madame la présidente, monsieur le président Hervé Maurey, monsieur le rapporteur au fond de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Jérôme Bignon, madame la rapporteur de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, madame la rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Françoise Férat, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureuse de vous présenter aujourd’hui ce projet de loi relatif à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, qui a pour ambition de donner un nouvel élan à la protection et à la valorisation de nos richesses naturelles en conférant force de loi au choix de ce nouveau modèle de développement, de société et, à vrai dire, de civilisation.

Nous voulons agir, non plus contre la nature, mais avec elle, et la traiter en partenaire, dans une chaîne du vivant à laquelle nous appartenons ; nous voulons aussi créer les emplois de la croissance verte et de la croissance bleue – en lien avec l’eau douce ou marine – qui constituent, dans le monde d’aujourd’hui, notre nouvelle frontière, cette nouvelle alliance entre l’humanité et la nature.

Permettez-moi de remercier la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable pour ses travaux, de même que la commission des affaires économiques et celle de la culture, de l’éducation et de la communication.

La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, devant laquelle j’ai présenté ce texte en juin dernier, l’a minutieusement examiné au cours du mois de juillet, et je tiens à féliciter les trois rapporteurs pour l’excellence de leurs travaux.

En 2007, déjà, deux de vos collègues sénateurs, Pierre Laffitte et Claude Saunier, avaient déposé, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, un rapport passionnant sur la biodiversité, dont le titre, L’autre choc ? L’autre chance ? disait à la fois l’ampleur de l’altération des écosystèmes, l’urgence d’agir ainsi que le potentiel scientifique, technologique et économique remarquable de la diversité du vivant.

Le texte qui vous est soumis, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale en mars dernier, puis retravaillé par les commissions permanentes du Sénat, est aussi le fruit d’une implication active des associations, des ONG et de toutes les parties prenantes du Conseil national de la transition écologique, que je remercie, elles aussi, pour leurs contributions et leur vigilance. Il a également fait l’objet, sur l’initiative notamment de Joël Labbé, d’une consultation participative remarquable, qui a suscité 50 000 votes et a ouvert la voie à des amendements dont nous aurons l’occasion de débattre dans cette enceinte. Je félicite le Sénat pour cette démonstration remarquable. Nous continuons d’ailleurs à étudier le contenu de ces différentes contributions pour leur donner une suite, législative ou d’une autre nature.

Ce projet s’inscrit, comme vous le soulignez à raison, monsieur Bignon, dans le même esprit que la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte : la France se dote, avec ces deux textes complémentaires, du cadre législatif le plus avancé en Europe, le plus complet et le plus volontariste.

Ensemble, ces deux textes donnent corps dans notre pays à cette avancée majeure et, pour la première fois, explicite dans l’histoire des négociations internationales sur le climat : la reconnaissance du lien étroit entre le changement climatique et la biodiversité, entre la prise en compte des impacts du dérèglement climatique sur l’intégrité de tous les écosystèmes, terrestres et aquatiques, et la valorisation de la biodiversité comme solution d’atténuation et d’adaptation à la dérive du climat.

L’agenda des solutions qui a accompagné l’accord de Paris et anticipé la mise en application de cet accord en témoigne également, qu’il s’agisse des nombreux événements programmés sur ce sujet ou des alliances et des coalitions internationales d’acteurs qui se sont engagés à agir sans délai.

Je pense, par exemple, au pacte de Paris sur l’eau et l’adaptation au changement climatique dans les bassins versants des fleuves, des lacs et des aquifères, signé par plus de 305 organisations et 87 États, ou la promotion des solutions fondées sur la nature. J’ai ainsi eu l’occasion de m’engager, au nom de la France, à protéger 55 000 hectares de mangroves d’ici à 2020, lesquelles jouent dans les outre-mer un rôle pour l’atténuation des tempêtes climatiques, et à protéger 75 % de nos récifs coralliens, ces écosystèmes fragilisés par le dérèglement climatique et les pollutions, qui remplissent pourtant des fonctions décisives de nurserie pour la faune aquatique, d’épuration des eaux, de captation du carbone et d’adaptation aux impacts climatiques.

Oui, la COP 21 a accéléré la prise de conscience des enjeux de la biodiversité et a donné un éclairage particulier à vos travaux, grâce à la prise en compte des relations avec la question climatique. Elle a témoigné aussi d’une volonté d’agir inédite.

Tel est donc le nouveau contexte, marqué par l’urgence, car les activités humaines détruisent la biodiversité à un rythme et à une échelle qui ne lui permettent pas de se régénérer.

Certains experts parlent d’une sixième extinction de masse. Un rapport de l’Agence européenne estime que 60 % des espèces sont en situation défavorable en Europe où, en trente ans, 420 millions d’oiseaux ont disparu.

Je n’accumulerai pas ici les chiffres : M. le rapporteur cite les plus frappants, qui donnent la mesure de l’érosion accélérée, due aux activités humaines, d’une biodiversité pourtant vitale et de la cadence de cette disparition, qui excède de beaucoup les capacités de régénération de la nature.

« Nous coupons la branche sur laquelle nous sommes assis, c’est nous qui sommes désormais dans le collimateur de cette destruction », nous prévient Hubert Reeves. La reconquête de la biodiversité est aujourd’hui impérative ; « elle est aussi possible, ajoute-t-il, mais elle nécessite la mobilisation de tous les acteurs, publics et privés, à toutes les échelles ». C’est l’ambition de ce projet de loi et des plans d’action qui l’accompagnent, auxquels vos travaux ont permis d’apporter des améliorations, mesdames, messieurs les sénateurs.

Faire de l’urgence une chance en rétablissant avec la nature des relations non seulement harmonieuses, mais aussi fructueuses, bonnes pour la santé, bonnes pour l’innovation, bonnes pour l’emploi ; protéger et valoriser notre capital naturel pour faire de la France le pays de l’excellence environnementale : tel est l’objectif.

Notre pays est l’un des plus riches au monde en merveilles de la nature, tout particulièrement dans les outre-mer français, qui concentrent plus de 80 % de la biodiversité nationale. Nous sommes, Hexagone et outre-mer, au premier rang des pays européens pour la variété des amphibiens, oiseaux et mammifères et parmi les dix pays du monde qui abritent le plus grand nombre d’espèces ; notre domaine maritime est le deuxième de la planète ; nous sommes le quatrième pays au monde pour ses récifs coralliens. Mais nous sommes aussi, selon la liste de l’Union internationale pour la conservation de la nature, au sixième rang des pays abritant le plus grand nombre d’espèces menacées. Nous avons donc une responsabilité majeure.

La loi qui vous est soumise est une loi de mobilisation, qui inscrit dans notre droit positif de grands principes opérationnels, qui clarifie et simplifie pour plus d’efficacité, qui crée, avec l’Agence française de la biodiversité, un outil d’expertise et de pilotage unique au monde – je puis vous dire qu’il est regardé avec grand intérêt par nombre de pays, notamment nos voisins européens.

Cette loi s’accompagne d’actions concrètes – vous connaissez ma préoccupation à ce sujet – qui en préfigurent les dispositions et vont en approfondir la dynamique. Bien sûr, la France s’est dotée, au fil des ans, de moyens de protection, comme le Conservatoire du littoral, les parcs nationaux et régionaux, les parcs marins ou les grands sites. Pour résister à la très forte pression qui pèse sur le patrimoine naturel et pour en tirer parti sans l’épuiser, des initiatives avaient déjà été prises dans le Grenelle de l’environnement. Tous ces travaux permettent d’aboutir au texte sur lequel nous travaillons aujourd’hui.

Si ce projet de loi est adopté, trois valeurs majeures de la biodiversité seront inscrites dans le code de l’environnement.

Premier de ces grands principes : la solidarité écologique, qui est la reconnaissance scientifique des interactions multiples entre les écosystèmes. En effet, la biodiversité, c’est beaucoup plus qu’une collection d’espèces ou une juxtaposition d’espaces ; c’est le tissu vivant de la planète, au sein duquel tout se tient et se soutient et dont nous, les êtres humains, faisons partie. Il ne s’agit pas de mettre la nature sous cloche, bien évidemment, mais au contraire de préserver les capacités d’évolution et d’adaptation du vivant. Elles constituent notre assurance sur la vie elle-même !

Deuxième principe opérationnel : le triptyque « éviter, réduire, compenser ». Il met l’accent sur l’action préventive et sur la notion de valeur écologique. Il s’agit d’anticiper, plutôt que de réparer après coup – réparer coûte nettement plus cher et est parfois même impossible ! –, et d’intégrer les enjeux de la biodiversité et les impacts sur l’environnement en amont des projets d’aménagement.

L’ordre des priorités est clairement indiqué : « éviter, réduire, compenser », sachant que l’obligation de compenser n’est pas un permis de détruire, mais au contraire une obligation de responsabilité.

Dans ce cadre, il est important de mettre en mouvement les territoires autour des continuités écologiques et des trames vertes et bleues. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de le dire ce matin même, puisque les représentants des 400 territoires à énergie positive étaient réunis. Nous entamons ainsi le volet « biodiversité » de la transition énergétique, avec l’arrivée du nouveau fonds de 250 millions d’euros, dont la deuxième étape va permettre de financer, dans les territoires, les actions liées à la biodiversité et les emplois induits.

Troisième principe opérationnel qui va être inscrit dans le code de l’environnement : « innover sans piller ». Il s’agit de soutenir l’innovation, ainsi que les emplois de la croissance verte et de la croissance bleue, en érigeant contre la biopiraterie un principe de justice pour un partage équitable des avantages tirés des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles, au bénéfice mutuel des habitants, des territoires directement concernés, des petites entreprises, de la recherche scientifique et de ses prolongements industriels et commerciaux. Cela concerne des secteurs considérables, comme celui de l’agroalimentaire, des cosmétiques ou de la pharmacie. Certaines entreprises françaises ont commencé à le faire et nous disposons, dans tous ces champs, d’un potentiel d’activités nouvelles.

Je vous proposerai d’ailleurs une disposition qui permettra de s’assurer qu’aucun dépôt intempestif de brevet ne vienne limiter l’accès à des ressources, dont il s’agit de partager les bénéfices, ou à des savoir-faire utilisés depuis longtemps par certaines personnes, qui s’en trouvent alors brutalement privées.

Ensuite, le projet de loi prévoit la création de l’Agence française de la biodiversité.

Trop d’instances se sont additionnées au fil du temps ! Le projet de loi en réunit les missions et en simplifie les structures avec la création d’une seule instance d’expertise scientifique – le Conseil national de la protection de la nature – et d’une instance de débat qui rassemblera toutes les parties prenantes – le Comité national de la biodiversité…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion