Intervention de Jérôme Bignon

Réunion du 19 janvier 2016 à 14h30
Reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages — Discussion d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Jérôme BignonJérôme Bignon :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes ici aujourd’hui pour examiner le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, qui a commencé son cheminement, comme l’a rappelé Mme la ministre, depuis quelque temps déjà.

En effet, il a été adopté en conseil des ministres voilà bientôt deux ans, en mars 2014, puis par l’Assemblée nationale, qui l’a passablement modifié, en mars 2015. Enfin, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, qui m’a fait l’honneur et le plaisir de me nommer rapporteur, a adopté son texte au début de juillet 2015.

Ma tâche de rapporteur sur ce texte a été – et continue d’être – passionnante. Les nombreuses auditions que j’ai menées, les personnes que j’ai rencontrées, toutes profondément engagées, quelle que soit leur appréciation sur le projet de loi, ainsi que les innombrables contributions que j’ai reçues et décortiquées une à une, ont fini de me convaincre, s’il en était besoin, que nous abordons avec ce texte un sujet capital et exigeant.

J’en profite pour remercier tout particulièrement mes collègues de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, ainsi que son président Hervé Maurey. Par leur implication et leur confiance, ils ont rendu possible la construction d’une solution par notre commission, pour reprendre une expression de Mme la ministre. Cette solution n’est certainement pas parfaite, et nous sommes d’ailleurs là pour continuer d’en débattre, mais elle a le mérite d’atteindre un équilibre logique, pragmatique et réfléchi.

Nous avons adopté en commission 222 amendements, issus de tous les groupes politiques. Nous avons repris la quasi-totalité des amendements de Mme la rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, et nous avons voté une vingtaine d’amendements de simplification proposés par notre collègue Rémy Pointereau, ainsi qu’une dizaine d’amendements déposés par notre collègue Jean-Noël Cardoux au nom du groupe d’études Chasse et pêche. J’en profite pour les remercier et les saluer.

Mes chers collègues, comme l’a dit Mme la ministre, nous allons parler cet après-midi de la planète que nous laisserons à nos petits-enfants, en tout cas de celle que j’aimerais laisser aux miens, et des conditions de notre survie sur Terre.

Dans un livre paru récemment, La sixième extinction, qui a d’ailleurs reçu le prix Pulitzer, Elizabeth Kolbert a mené une enquête sur l’histoire de la vie terrestre. Elle raconte une anecdote saisissante que je vais vous livrer. Au centre de la galerie de la biodiversité du Muséum américain d’histoire naturelle, où elle s’est rendue pour les besoins de l’écriture de son livre, une plaque rappelle que cinq phénomènes d’extinction majeurs se sont succédé depuis l’apparition des animaux complexes voilà 500 millions d’années. Sur cette plaque figure l’inscription suivante : « Le changement climatique planétaire et d’autres causes, comme les collisions entre la Terre et des astéroïdes, ont été à l’origine de ces événements ; actuellement, nous sommes en plein milieu de la sixième extinction, provoquée cette fois-ci par la seule action de l’homme sur l’environnement. » C’est ce que l’on appelle le début de l’anthropocène.

L’enjeu est donc immense. Les exemples, qui pleuvent, sont autant de signaux d’alarme que nous ne pouvons plus ignorer. Aujourd’hui, il semble que le taux d’extinction actuel des amphibiens soit 45 000 fois plus élevé que leur taux d’extinction de fond. Un tiers de tous les coraux bâtisseurs de récifs, un tiers de tous les mollusques d’eau douce, un tiers des requins et des raies, un quart des mammifères, un cinquième des reptiles et un sixième des oiseaux – Mme la ministre a évoqué les 400 millions d’oiseaux morts en Europe – sont en voie d’extinction, et ces disparitions interviennent partout sur le globe.

C’est pourquoi le devoir qui nous incombe est important. Nous devons, en conscience, changer notre regard sur notre modèle de développement et sur nos actions quotidiennes, dont l’impact, que l’on mesure aujourd’hui, peut être catastrophique pour nous. Saisissons ce moment comme une véritable opportunité dynamique, ce que sont souvent les crises, pour valoriser la vie sur Terre, notre bien le plus précieux, tout en la protégeant.

J’insiste sur cette dimension, car je crois qu’elle est susceptible d’éclairer nos débats. Gardons toujours en tête que ce texte n’est pas une énième loi agricole, ni une énième loi sur la chasse, ni d’ailleurs une énième loi sur la nature, se caractérisant par une approche statique qui consisterait à mettre nos paysages sous cloche.

Non, ce texte est un des maillons du changement de paradigme qui est devant nous. Il est une des clés de la réussite des accords de Paris de la COP 21, comme l’était déjà le projet de loi relatif à la transition énergétique, ainsi que nous l’avait expliqué notre collègue Louis Nègre, que je salue.

Tout se tient et nous ne pouvons plus nous payer le luxe de cloisonner ces sujets au nom d’intérêts sectoriels, certes souvent légitimes à première vue, mais qui, en fin de compte, ne seraient satisfaits que pour un temps. Nous ne ferions que reculer pour mieux sauter si nous prenions ce texte sous cet angle.

C’est cette ambition-là que je vous encourage à avoir aujourd’hui. Nous avons tous salué l’accord historique sur le climat, et je me souviens de la réunion des parlementaires du monde entier dans cet hémicycle, à l’occasion de laquelle nous avons voté une déclaration à l’unanimité, au début du mois de décembre 2015. Nous avons une occasion concrète de commencer sans attendre à mettre en œuvre cet accord historique sur lequel 190 pays aux intérêts divergents se sont retrouvés. Je souhaite que le Sénat montre son engagement, son sens des responsabilités et sa modernité – certes, nous ne sommes que 348 sénateurs, alors que 195 pays ont participé à la COP 21. En tout cas, ce ne serait pas la première fois que le Sénat se placerait au-dessus de la mêlée.

Mes chers collègues, je n’entrerai pas maintenant dans le détail du texte, ce qui serait trop long. Mme la ministre en a esquissé les grands traits, et nous aurons bien évidemment l’occasion d’y revenir très longuement au cours des débats.

Cependant, je voudrais vous éclairer sur l’état d’esprit qui a présidé à l’adoption de notre texte en commission. Le fil rouge que j’ai proposé tient en quelques phrases.

J’ai d’abord tenté de faire partager à mes collègues cette conscience de l’urgence, comme je l’ai dit tout à l’heure. J’ai ensuite appelé de mes vœux la recherche de positions d’équilibre et de compromis, loin de la caricature. Par ailleurs, j’ai souligné la nécessité de recentrer le texte sur ses véritables enjeux – je le répète, comme il ne s’agit pas d’une loi sur la chasse, nous avons supprimé tous les articles qui pouvaient légitimement être considérés comme « anti-chasse » ou « pro-chasse », inutilement polémiques et hors sujet. Enfin, je me suis efforcé d’alléger les contraintes pour tous les acteurs et d’adopter une démarche pragmatique.

Cette démarche pragmatique, j’ai tenu à ce qu’elle soit systématique et qu’elle associe tous mes collègues. Je prendrai deux exemples.

Le premier concerne l’article 34, qui crée des zones prioritaires pour la biodiversité. Nous les avons supprimées en commission à titre conservatoire et je m’étais engagé à regarder si une autre solution plus satisfaisante existait. Je me suis donc rendu en Alsace, avec certains de mes collègues de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, car, s’il importe de légiférer dans cet hémicycle, il est aussi important de se rendre dans les territoires pour se rendre compte de ce que pensent les acteurs de terrain.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion