Intervention de Sophie Primas

Réunion du 19 janvier 2016 à 14h30
Reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages — Discussion d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Sophie PrimasSophie Primas, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, monsieur le rapporteur Jérôme Bignon, mes chers collègues, l’accélération fulgurante du développement économique qu’a connue notre monde, notamment aux XIXe et XXe siècles, s’est imposée à nos sociétés. Emblématique d’une forme de conquête de l’homme sur les lois de la nature, l’avancée des techniques était alors synonyme de progrès et de prospérité et l’environnement n’était pas une préoccupation majeure.

Depuis un demi-siècle, les esprits ont bien changé : aujourd’hui, la raréfaction annoncée des ressources, les conséquences polluantes de certaines activités, les dégradations des écosystèmes et la perte de biodiversité paraissent des enjeux majeurs qu’il convient de considérer avec le plus grand sérieux. Dès lors, pour exercer son activité, le monde économique doit pleinement intégrer les enjeux environnementaux, voire s’ouvrir à de nouvelles opportunités.

La protection de l’environnement est ainsi considérée comme la condition d’une prospérité nouvelle, avec le déploiement de l’économie bleue et de l’économie verte.

La législation environnementale a pris son essor en France à partir des années 1970, s’employant à interdire certaines pratiques, à protéger des espaces particulièrement remarquables ou encore à imposer des études d’impact autour des projets d’aménagements ou d’infrastructures.

Parallèlement, à l’échelon européen, des directives ont été adoptées pour demander aux États membres de mieux protéger les milieux : la directive « Oiseaux », la directive-cadre sur l’eau, les directives « Habitats ».

Enfin, à l’échelon international, la problématique environnementale a pris une importance croissante. L’accord de Paris, intervenu à l’issue de la COP 21 de décembre dernier, en constitue le dernier épisode en date – pas l’ultime, bien sûr, et fort heureusement !

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui se fixe plusieurs objectifs : lutter contre l’érosion de la biodiversité, la disparition d’espèces, qu’elles soient animales ou végétales, phénomènes qui peuvent être lourds de conséquences environnementales et sanitaires, mais aussi économiques.

Ce texte ne part pas d’une feuille vierge. Il intervient quelques années après les lois « Grenelle I » et « Grenelle II », qui avaient posé les bases d’une nouvelle ambition environnementale de la France et inscrit dans notre paysage législatif des outils inédits, parmi lesquels les trames vertes et bleues, la prise en compte de l’environnement dans les documents d’urbanisme ou la lutte contre la production de déchets.

Ce projet de loi, qui n’est pas en contradiction avec l’ambition d’alors, s’inscrit dans une logique d’approfondissement et de complément.

Si la commission des affaires économiques du Sénat s’est saisie de plusieurs articles de ce projet de loi, c’est parce qu’elle considère que les préoccupations environnementales et économiques ne peuvent pas aujourd’hui être traitées indépendamment les unes des autres.

L’ensemble des acteurs économiques – les agriculteurs, les pêcheurs, les forestiers, en particulier – sont des acteurs majeurs de la biodiversité. Il en va de même, bien sûr, pour les chasseurs, qui sont les premières vigies de la biodiversité.

Or, s’il convient toujours de mieux apprécier l’impact de leurs activités sur les milieux naturels, il convient aussi, en retour, d’évaluer l’impact économique des réglementations environnementales que tous ces acteurs doivent appliquer dans leur vie quotidienne. De ce point de vue, la démarche partenariale doit s’imposer en lieu et place de l’écologie punitive.

La multiplication des zonages, des organismes publics ou parapublics, l’enchevêtrement des normes conduisent aujourd’hui inexorablement à la complexification, parfois à l’incompréhension, à l’impossibilité de répondre à toutes les réglementations qui s’empilent et se croisent ; il arrive même qu’elles se contredisent ! Tout cela provoque trop souvent l’hostilité des acteurs économiques et conduit parfois à la confrontation. En définitive, l’environnement n’est pas mieux protégé, tandis que l’économie est, quant à elle, pénalisée.

Je regrette que quelques-unes des dispositions présentées dans ce texte ne relèvent pas totalement de cette logique. En effet, la première lecture à l’Assemblée nationale a conduit à l’ajout de nombreuses mesures nouvelles qui n’ont fait l’objet d’aucune évaluation préalable sérieuse. C’est la raison pour laquelle la commission des affaires économiques a recommandé, dans son avis, l’adoption de dispositifs plus pragmatiques qui ont été, pour la plupart, acceptés par la commission du développement durable et se trouvent intégrés dans le texte que nous examinons aujourd’hui.

Je remercie Jérôme Bignon pour son écoute toujours attentive et son souci de l’équilibre. Grâce à son soutien, nous avons pu modifier certains points concernant l’urbanisme et le droit des sols, dans le but de ne pas complexifier le droit actuel, notamment pour les élus locaux.

Ainsi, nous avons supprimé l’article 27 bis, qui prévoyait que les schémas de cohérence territoriale, ou SCOT, devaient transposer les dispositions des chartes de parc national.

Nous avons supprimé l’article 32 quater, qui donnait à l’Agence des espaces verts d’Île-de-France un droit de préemption sur les espaces naturels sensibles concurrent du droit de préemption des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER.

Nous avons également supprimé l’article 36 quinquies A, qui imposait de nouvelles normes en matière de végétalisation des toitures et des parkings, alors même que nous avons déjà récemment tranché la question lors de l’examen de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », laquelle n’est pas encore appliquée.

Nous avons souhaité favoriser une approche plus réaliste et moins idéologique des dispositions impactant le monde agricole.

Nous avons ainsi supprimé l’article 34, qui créait la possibilité d’établir un nouveau zonage et de délimiter des « zones prioritaires pour la biodiversité », au sein desquelles des pratiques agricoles auraient pu être imposées. L’idée louable de protéger certaines espèces fragiles, comme le grand hamster d’Alsace précédemment cité, peut tout à fait être traitée de façon pragmatique sur le terrain par un travail partenarial entre les acteurs. Nul n’est besoin de légiférer à outrance !

Nous avons rappelé, à l’article 35, que le but premier de l’assolement en commun devait être économique et social.

Nous avons précisé les règles applicables en matière de traitement des fonds de cuve et des résidus de produits phytopharmaceutiques et supprimé la mesure purement nationale d’interdiction des néonicotinoïdes prévue à l’article 51 quaterdecies. En la matière, je pense que nous aurons des débats intéressants.

Nous avons aussi souhaité que soit mieux encadré le dispositif sur les obligations réelles environnementales prévu par l’article 33. Ainsi, nous avons demandé que soit respecté un équilibre entre obligations et contreparties, afin que les agriculteurs ne soient pas victimes de ce nouvel outil et puissent, au contraire, l’intégrer positivement.

Au sujet de la pêche et de la chasse, je souhaite rappeler, après Jérôme Bignon, que ce texte n’est pas d’une loi « chasse » ou d’une loi « pêche ». Nombre d’amendements adoptés par l’Assemblée nationale en séance de nuit ont été extrêmement mal ressentis par nos concitoyens chasseurs ou pêcheurs, notamment ceux des zones rurales, pour lesquels ces activités sont essentielles d’un point de vue social, mais aussi au titre de la régulation des espèces. Je remercie le président du groupe d’études, Jean-Noël Cardoux, pour le travail conjoint que nous avons effectué avant la première réunion de la commission.

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des modifications que nous avons apportées.

Je voudrais, avant de conclure, évoquer la question de l’accès aux avantages résultant de l’exploitation de ressources génétiques issues de la nature et de leur partage, qui fait notamment l’objet des articles 18 et suivants du projet de loi. C’est un sujet techniquement difficile, car il est indispensable de concilier le droit des communautés d’habitants des territoires dont sont issues ces ressources avec la nécessité de conserver une recherche forte et performante.

La France doit protéger ses ressources génétiques, notamment au regard de la grande richesse de celles-ci en outre-mer, mais elle ne peut pas, de sa propre initiative, entraver son propre appareil de recherche, qu’il soit public ou privé, alors même qu’une féroce compétition mondiale se joue en matière de génie génétique, domaine dans lequel notre pays excelle particulièrement.

C’est le souci d’équilibre permanent entre développement économique et préservation de la biodiversité qui a guidé mes travaux en tant que rapporteur et que je défendrai durant nos débats, au nom de la commission des affaires économiques.

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