Intervention de Louis Nègre

Réunion du 19 janvier 2016 à 14h30
Reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages — Discussion d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Louis NègreLouis Nègre :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre temps n’a que des incertitudes géopolitiques, économiques ou politiques à nous proposer. Toutefois, l’accord de Paris sur le climat intervenu le 12 décembre 2015 constitue une accalmie et suscite un large consensus auprès de nos concitoyens. Voilà enfin un grand sujet de notre temps dont gouvernements et sociétés civiles semblent s’être emparés avec vigueur. À l’issue d’un travail considérable, notre excellent rapporteur, Jérôme Bignon, a su rendre le texte qui nous est aujourd'hui proposé équilibré et donc applicable.

Ce chantier d’une ampleur exceptionnelle doit participer à l’édification d’un nouveau modèle économique, énergétique et écologique. C’est finalement tout notre modèle actuel de développement qu’il faut questionner. Je partage ce postulat de départ sans réserve, d’autant plus aisément que je ne fais pas mien les discours culpabilisants tournés vers le passé.

La poursuite du progrès technique et une croissance purement extensive nous ont conduits à cette sorte d’adolescence technologique dans laquelle nous nous trouvons et dont il convient de sortir pour s’engager résolument dans un nouveau mode de gestion de notre planète. Telle est la raison d’être de ces deux grands textes que sont la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte et le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dont la Haute Assemblée est aujourd'hui saisie.

La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, dont j’ai eu l’honneur d’être l’un des rapporteurs, visait déjà à adapter notre économie aux nouvelles contingences climatiques et énergétiques. Nous introduisions une nouvelle vision, un nouveau paradigme qui bousculait les traditionnelles visions antérieures, voire un certain nombre de lobbies.

Le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages est pour moi complémentaire de la loi relative à la transition énergétique. Il participe lui aussi, depuis les lois Grenelle, à la nouvelle grande politique publique en matière d’écologie que nous appelons de nos vœux, compte tenu de la dégradation accélérée et dramatique de notre « maison commune », pour reprendre l’expression tant du pape François que d’Hubert Reeves.

Le rapport publié le 19 juin dernier par les experts des plus prestigieuses universités américaines - Stanford, Princeton ou Berkeley - évoque désormais le risque d’une sixième extinction de masse. C’est, pour moi, et cela devrait l’être pour nous tous, une alerte rouge majeure !

La maison est donc bien en feu : de grâce, ne regardons pas ailleurs ! Il s’agit effectivement de reconquête. Saint-Exupéry avait très bien décrit notre situation : « On n’hérite pas de la terre de nos ancêtres, on l’emprunte à nos enfants. » C’est notre responsabilité humaine, morale et politique qui est engagée.

Je voudrais donc me féliciter de la substance de ce texte à travers plusieurs exemples. Je pense d’abord à la réforme de la gouvernance, avec un nouveau système d’accès et de partage des avantages. Le texte s’attaque également au nouveau périmètre des parcs naturels régionaux. Enfin, le projet de loi institue les contrats d’obligations environnementales, de même qu’il entend favoriser le développement des activités en mer.

Ce projet de loi est donc manifestement ambitieux. Pour autant, son architecture est-elle cohérente ? Je ne ferai pas grief au Gouvernement sur ce point, mais je serai critique sur nombre d’articles additionnels qui sont venus parasiter ce projet de loi. Ces articles, introduits à l’Assemblée nationale par des membres de la majorité, mais qui ne sont pas le fait du Gouvernement, ont affaibli le texte en rompant avec son architecture initiale. Je pense notamment à l’article 74 visant à interdire la publicité sur les monuments historiques à l’occasion de travaux et aux centaines d’amendements apparus ces derniers jours, qui ne peuvent que porter atteinte à la qualité du travail parlementaire.

Pour la bonne compréhension politique de ce texte, on peut regretter ces ajouts qui confirment l’adage : « le mieux est l’ennemi du bien ». C’est parce que ces articles venaient mettre à mal un équilibre précaire que je salue les initiatives de notre rapporteur, qui a souhaité rendre à ce texte sa clarté originelle et son équilibre. Le projet de loi a donc retrouvé son architecture initiale.

S’agissant des choix structurants, je m’autorise là encore quelques remarques. En matière de gouvernance de la biodiversité, ce texte commet une omission importante, car il ne fait qu’effleurer la réforme de la police de l’environnement, qui est un sujet très sensible.

S’agissant ensuite du système d’accès et de partage des avantages, dit APA, découlant de l’utilisation de ressources génétiques, il s’agit de mettre en œuvre le protocole de Nagoya qui a été signé par la France le 20 septembre 2011, tel que cela a été rappelé.

Malheureusement, le texte soumis à notre examen ne lève pas encore toutes les inquiétudes. Sur ce point, il nous faut à nouveau être plus clairs. Ce dispositif doit s’appliquer aux nouvelles utilisations qui peuvent être faites d’une ressource génétique. Cependant, ce dispositif ne doit souffrir d’aucune ambiguïté sur son éventuel caractère rétroactif. Or tel n’est pas le cas pour l’instant.

Pour conclure, je voudrais évoquer l’article 33 et les obligations environnementales.

Ici encore, nous saluons l’action de notre rapporteur, qui est venu sécuriser un dispositif qui pouvait, dans sa première mouture, se retourner contre la profession agricole, première concernée par celui-ci - profession qui traverse une passe difficile, rappelons-le, qu’il faut aider et accompagner, plutôt que sanctionner.

Ce contrat, car il s’agit d’un contrat, ne pourra pas s’imposer aux agriculteurs. Ils seront libres de consentir ou non à ces obligations environnementales. Cependant, je compte sur leurs compétences, leurs connaissances du terrain et l’amour qu’ils portent à la nature pour définir des politiques ambitieuses de reconquête de la biodiversité dont les Français seront fiers. Nous nous rapprochons ainsi de l’écologie incitative que vous prônez, madame la ministre, à juste raison.

Dernier dispositif que je souhaitais évoquer : l’article 69 et la nouvelle politique sur les sites inscrits au titre du code de l’environnement.

Pour le dire très simplement, je crois que c’est une erreur que notre collègue et rapporteur Jérôme Bignon est venu corriger en modifiant les critères de cette rationalisation excessive et en réinstaurant la possibilité d’inscrire de nouveaux sites.

Je dois à la vérité confesser que j’étais circonspect à la lecture du texte transmis par l’Assemblée nationale. Nous étions passés d’un texte rationnel et ambitieux à un texte parfois insécurisant pour les acteurs économiques, voire à un texte brouillon, un peu à l’image de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte que le Sénat avait bien modifiée en son temps. Aujourd’hui, avec les modifications envisagées par le rapporteur, le texte retrouve son équilibre et toute sa force pédagogique et pragmatique. En conséquence, je peux à nouveau émettre un vote favorable sur un projet de loi ô combien nécessaire pour les générations futures et l’avenir de la planète.

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