Le contentieux relatif à l'état d'urgence devant le juge administratif est significatif sans être massif. À ce jour, pour les tribunaux administratifs, 75 décisions ont été rendues, dont 64 relatives à des assignations à résidence, avec une douzaine de suspensions prononcées par le juge des référés. Devant le Conseil d'État, dix-neuf décisions ont été rendues, y compris les sept décisions de section du 11 décembre, au tout début de l'état d'urgence, qui ont tracé le cadre général du contrôle de l'assignation à résidence. Elles ont conduit à une évolution de la jurisprudence par un renforcement du contrôle du juge administratif et, avec la présomption de l'urgence, à l'obligation de tenir une audience.
Il reste douze affaires, dont quatre cas pour lesquels le ministère de l'intérieur a mis fin de lui-même à l'assignation à résidence, ce qui a conduit le juge à constater un non-lieu, deux recours pour excès de pouvoir déposés par la Ligue des droits de l'Homme, contre un des décrets d'application et une circulaire d'application de la loi du 20 novembre 2015 qui ont donné lieu aux deux QPC actuellement pendantes devant le Conseil constitutionnel sur les interdictions de réunions et les perquisitions administratives. Il y a par ailleurs deux mesures d'injonction ordonnées par le juge des référés du Conseil d'État, l'une concernant une fermeture de restaurant à Cannes, jugée disproportionnée même si la mesure d'assignation à résidence du propriétaire du restaurant a été confirmée, et l'autre portant sur les modalités d'assignation à résidence d'une mère de famille tchétchène à qui l'on demandait de pointer trois fois par jour à dix kilomètres de chez elle, bien qu'elle ait trois enfants et qu'elle ne dispose d'aucun véhicule. Nous avons en outre, parmi ces douze affaires, eu à connaître d'une affaire particulièrement délicate, parmi les premières affaires jugées, concernant la fermeture d'un restaurant à Bobigny qui a donné lieu à deux audiences successives, ce qui est assez exceptionnel en référé et a abouti au rejet de la requête.
J'informe également votre commission que depuis hier après-midi, le juge des référés est saisi d'une nouvelle affaire, comparable, pour laquelle il a ordonné un complément d'instruction. Un nouveau recours de la Ligue des droits de l'homme a également été déposé hier après-midi demandant au juge du référé-liberté du Conseil d'État d'enjoindre au Président de la République de mettre un terme à l'état d'urgence, rien de moins...
Soulignons l'existence de deux affaires périphériques, l'une concernant des articles pyrotechniques à Strasbourg lors des fêtes du réveillon, en application du code de la défense, et l'autre concernant des interdictions de déplacement de supporters de football, en application du code du sport. En l'espèce, les mesures contestées n'ont pas été prises en application de l'état d'urgence, mais le contexte a joué.
Vous pouvez constater que le Conseil d'État a transmis au Conseil constitutionnel les trois questions prioritaires de constitutionnalité dont il a été saisi : une première fois le 11 décembre 2015 concernant l'assignation à résidence, puis le 15 janvier 2016 concernant les réunions et les perquisitions.
Je souhaiterais faire quelques remarques sur l'expérience du juge des référés du Conseil d'État, qui est le principal concerné. Il statue au vu d'un dossier et d'un débat. Le dossier comprend les pièces produites par les parties, dont les notes blanches du ministère de l'intérieur, qui font partie des pièces du dossier contradictoire soumises à débat. Ces débats sont systématiques. Ils permettent un échange contradictoire approfondi, pour apprécier la matérialité des faits. Au vu du dossier et du débat, le juge peut demander des compléments d'information et se faire une opinion sur la réalité des faits.
Sur l'efficacité d'ensemble du dispositif, soulignons que le ministre de l'intérieur a accepté les suspensions décidées par les tribunaux administratifs, il n'a pas contesté l'ensemble, et de loin, des jugements prononcés. Il a de lui-même, à plusieurs reprises, pris l'initiative de suspendre l'assignation à résidence. Les compétences très larges du juge des référés en la matière sont indispensables : il peut suspendre et enjoindre. Son pouvoir général d'injonction lui a permis, par exemple, s'agissant de l'assignation à résidence d'une mère tchétchène, d'enjoindre des pointages dans la commune du domicile de l'intéressée.