La proposition de loi que nous examinons a pour objet de lutter contre la fraude dans les transports terrestres, notamment ferroviaires. Elle a également pour objet de renforcer la sécurité des voyageurs. Nous souhaitons y intégrer les recommandations de la mission d'information commune à nos deux commissions, dont les conclusions vous ont été présentées il y a une semaine. Malgré les modifications opérées à l'Assemblée nationale, le texte comporte encore de nombreuses dispositions dont la portée juridique et normative reste incertaine.
Selon le rapport de la Cour des comptes de février 2015, la fraude dans les transports collectifs de voyageurs représente une perte d'au moins 500 millions d'euros par an pour l'ensemble des exploitants, montant qu'il faudrait multiplier par quatre ou cinq pour tenir compte des fraudeurs qui n'ont pas fait l'objet de contrôle. Pour la SNCF, le coût s'élève à 340 millions d'euros par an, en taux de fraude mesuré, soit l'équivalent du budget annuel que l'entreprise consacre à la sécurité (400 millions d'euros).
L'article 529-3 du code de procédure pénale autorise la SNCF à conclure une transaction avec le fraudeur, éteignant ainsi toute action publique. Les déclarations de fausse adresse et de fausse identité par les contrevenants, qui constituent un délit quand elles sont intentionnelles, rendent inexploitables la moitié de ces procédures. En pratique, la répression est quasi-inexistante : en 2014, dix personnes seulement ont été condamnées pour ce délit. Pour renforcer la répression des fraudeurs récidivistes, le législateur a institué un délit de fraude d'habitude dans les transports en commun. Cette mesure est également peu mise en oeuvre : 710 condamnations ont été prononcées en 2014. Pourtant, des pratiques nouvelles se développent, à la faveur d'Internet, comme les mutuelles de fraudeurs qui prennent en charge l'amende transactionnelle en échange d'une cotisation modique de chaque sociétaire.
Pour renforcer la sécurité dans les transports collectifs, les agents pourront procéder à une inspection visuelle et à une fouille des bagages, ou bien encore à des palpations de sécurité, avec le consentement des voyageurs concernés. Le texte prévoit l'élargissement des dispenses du port de tenue professionnelle pour les agents des services de sécurité internes de la SNCF et de la RATP, en l'occurrence la Sûreté générale (SUGE) et le Groupe de protection et de sécurisation des réseaux (GPSR). D'autre part, les forces de l'ordre, sous l'autorité du préfet, procéderont à des contrôles supplémentaires. Le régime de contrôle d'identité préventif sera assoupli grâce à la création de règles de compétence spécifique pour les procureurs en cas d'intervention dans un train : le procureur de la gare de départ serait compétent pour l'ensemble du trajet. Enfin, sur le modèle du contrôle préventif des véhicules, on pourra procéder à un contrôle des bagages dans les transports en commun et dans les emprises immobilières concernées, ainsi qu'au contrôle administratif des agents, préalablement à leur recrutement ou à leur affectation.
Plusieurs dispositions améliorent la lutte contre la fraude. L'encadrement juridique du délit sera assoupli : il suffira de cinq contraventions au lieu de dix, en douze mois, pour constituer un délit de fraude d'habitude. Un dispositif d'échange d'informations spécifique entre les agents chargés de la lutte contre la fraude et les différentes administrations, par le biais d'une personne morale unique, sera développé. En opérant à partir des nom, prénom, date de naissance et adresse des fraudeurs, ce dispositif contrecarrera d'éventuelles falsifications d'identité en cas de contrôle. Un délit sanctionnera le refus de se tenir à disposition de l'agent contrôleur dans l'attente de l'intervention de l'officier de police judiciaire. Enfin, pour lutter contre le développement des mutuelles de fraudeurs, le texte modifie la loi du 29 juillet 1881.
Nos propositions visent d'abord à simplifier le texte en supprimant les dispositions de nature réglementaire ou sans caractère normatif. D'autres articles doivent être précisés. Je propose de modifier le mécanisme d'enquête administrative préventive prévu dans le cas d'agents susceptibles de poser un problème de sécurité après leur affectation ou leur recrutement. Je propose également d'aligner le régime de fouille des bagages sur celui des véhicules, pour remédier à la différence de régime qui prévaut dans le texte, en référence à l'article 78-2-4 du code de procédure pénale. Je propose de préciser pendant combien de temps un contrevenant doit se maintenir à la disposition de l'agent de sécurité en attendant la décision de l'officier de police judiciaire. Même s'il faut lutter contre la constitution de mutuelles de fraudeurs, le mécanisme proposé par le texte risque de porter atteinte à la logique de la loi de 1881, qui considère comme complices les personnes ayant appelé à commettre un délit ou un crime, si ceux-ci se sont réalisés. La seule exception à ce principe est constituée par l'apologie du terrorisme qui est en soi un délit. Enfin, l'article 12 qui autorise les polices municipales à relever des infractions dans les transports est contradictoire avec le principe selon lequel les missions de police judiciaire s'effectuent sous le contrôle de l'autorité judiciaire.
Notre deuxième proposition renforce les contrôles externes des agents de sécurité internes de la SNCF et de la RATP, au regard de leurs nouvelles prérogatives, pour parvenir à l'équilibre que le Défenseur des droits nous encourage à trouver. Le code de la sécurité intérieure autorise les entreprises qui le souhaitent à se doter d'un service interne de sécurité propre, soumis au contrôle du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). Si la sécurisation du secteur ferroviaire a ses caractéristiques propres, la protection d'autres secteurs, non moins spécifiques, comme les navires, est confiée à des services qui dépendent du CNAPS. Il serait pertinent d'un point de vue juridique d'en faire autant pour la SUGE et le GPSR, à l'image de ce que nous avions proposé, en 2014, sous l'impulsion d'Alain Richard, dans le projet de loi sur la protection des navires. Pour les agents de la SUGE et du GPSR, ce contrôle du CNAPS serait assoupli, pour ne pas l'étouffer sous la charge de travail, en se concentrant sur la formation des agents de sécurité interne, sur le respect de l'application du code de déontologie, et sur la transmission du bilan des contrôles réalisés.
Je vous proposerai enfin d'autoriser la transmission en temps réel aux forces de l'ordre des images de vidéo-surveillance recueillies au sein des véhicules ou des emprises immobilières liées au transport des voyageurs, en prenant modèle sur les mesures qui figurent dans le code de la construction. Il faudra également renforcer le rôle des polices municipales, en facilitant la constitution de polices intercommunales, comme l'ont recommandé nos collègues François Pillet et René Vandierendonck dans le cadre de la mission d'information qu'ils ont menée sur les polices municipales, en prévoyant le transfert de la réglementation des transports urbains, lorsque l'intercommunalité a la compétence transports.
Je vous propose d'approuver cette proposition de loi sous réserve de l'adoption des amendements.