Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, le statut général des fonctionnaires, constitué entre 1983 et 1986, a déjà été modifié 212 fois…
Le Gouvernement, par la voix de Mme Lebranchu, nous a expliqué en quoi il était nécessaire d’adopter une loi relative à la déontologie, aux droits et obligations des fonctionnaires. M. le rapporteur Alain Vasselle, que je remercie pour son excellent travail, nous a précisé les grandes lignes du texte et la position adoptée par la commission des lois.
Concernant l’émergence d’un nouveau dispositif déontologique, la perte des repères et des valeurs que connaît notre société rend indispensable la réaffirmation des principes de la fonction publique.
Le déclin de l’autorité parentale, l’affaiblissement de l’argumentation et de la réflexion qu’entraîne la dictature de l’immédiateté des réseaux sociaux et le développement du communautarisme ont abouti à des dérives en matière de dignité, d’impartialité, d’intégrité, de probité, de neutralité et, évidemment, de laïcité. En cela, ce projet de loi est nécessaire.
À l’instar de la commission des lois, j’y ajouterai aussi le devoir de réserve, un agent public étant tenu de s’exprimer avec tact et discernement.
Les nombreux droits octroyés pour la protection des fonctionnaires ne doivent pas occulter le fait qu’ils sont également assortis d’obligations.
Cependant, ces obligations, rappelées ou nouvelles, ne doivent pas porter atteinte à la vie privée. En ce sens, le dispositif qui prévoyait de verser la déclaration d’intérêts au dossier du fonctionnaire est écarté.
De même, l’envoi de la déclaration de situation patrimoniale par les fonctionnaires qui seront concernés devra intervenir dans les deux mois suivant leur nomination, plutôt que d’être demandée à tous les candidats au poste.
En revanche, la déclaration d’intérêts demeure nécessaire avant la nomination, pour que l’employeur puisse connaître d’une éventuelle contre-indication avant de prendre sa décision.
Afin de contrôler les déclarations, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sera dotée des mêmes prérogatives que celles dont elle dispose à l’égard des responsables politiques. En outre, la commission de déontologie verra ses prérogatives renforcées et ses compétences élargies.
Comme M. le rapporteur l’a rappelé tout à l’heure, je me permettrai de présenter un amendement sur ce sujet, tendant à ce que la commission de déontologie devienne une section de la Haute Autorité, afin de garantir à terme davantage de lisibilité, de transparence et d’efficience. Je sais que cette proposition fera débat, comme ce fut le cas ce matin en commission.
La commission des lois a assoupli le texte du Gouvernement en matière de cumul d’emplois publics. En effet, si l’interdiction doit demeurer la règle, la limitation drastique des dérogations mettrait les employeurs et les agents en difficulté. Par exemple, un fonctionnaire doit avoir la possibilité de cumuler, pour un temps limité, son activité avec la création d’une entreprise. Ce cumul peut participer à la valorisation des agents publics et constituer une source de revenus complémentaires dans un contexte de gel du point d’indice : un fonctionnaire à temps complet ne doit donc pas être interdit « par principe » de créer sa propre entreprise en dehors des heures de travail.
Concernant les droits des agents publics, il est absolument anormal, en matière de droit au reclassement des fonctionnaires, qu’un fonctionnaire placé en disponibilité d’office pour raison médicale soit privé du bénéfice de ce principe général du droit. Je propose de mettre fin à cette discrimination, pour que ces fonctionnaires puissent exercer toute activité ordonnée et contrôlée médicalement au titre de la réadaptation, conformément à une proposition de la Fédération nationale des centres de gestion et de l’Association nationale des directeurs de centre de gestion.
En matière disciplinaire, il est regrettable que, sous prétexte d’harmoniser les trois fonctions publiques, on veuille imposer qu’une sanction de un à trois jours d’exclusion devienne une sanction du deuxième groupe, systématiquement soumise au conseil de discipline. Mme la ministre a argumenté que cette mesure aurait un impact très important pour l’agent concerné. Il perdrait en effet de 3 % à 10 % de son salaire mensuel. La modification de cette disposition entraînerait une multiplication des réunions du conseil de discipline, des dépenses conséquentes pour les collectivités – je rappelle qu’une séance du conseil de discipline coûte environ 1 200 euros –, une dilution dans le temps de l’application de la sanction – il faut un certain temps pour réunir le conseil de discipline –, et elle pourrait avoir comme effet pervers de pousser les employeurs, tant qu’à passer devant le conseil de discipline, à prononcer une durée d’exclusion plus longue. Il faut donc bien y réfléchir.
Dans le même temps, le Gouvernement souhaite supprimer la présidence des conseils de discipline par un magistrat du tribunal administratif pour la fonction publique territoriale.
Là encore, la seule motivation est l’alignement des pratiques sur celles des deux autres fonctions publiques. Or, chers collègues, les commissions administratives paritaires de l’État sont-elles présidées par des élus ? Bien sûr que non ! Ainsi, on laisserait les élus locaux être juges et parties dans les conseils de discipline, dont le nombre sera démultiplié.
Il faut savoir aussi que cette mesure est proposée contre l’avis des employeurs, des organisations syndicales et des magistrats eux-mêmes, qui ont été consultés sur cette question et assurent l’impartialité de cette instance disciplinaire.
Le quinzième plan de titularisation des contractuels, dit « Sauvadet », sera prolongé jusqu’en 2018, voire 2020. Soit, mais soyons conscients des conséquences de celui-ci. Il n’éradiquera pas la présence des « vrais » contractuels, dont les employeurs ont besoin. En revanche, il siphonne le nombre de postes ouverts aux concours, qui, de ce fait, ne peuvent plus être organisés annuellement. Il fera cohabiter de plus en plus de fonctionnaires qui auront réussi de très sélectifs concours avec d’anciens contractuels qui auront seulement passé un entretien.
Alors que l’on n’a de cesse d’ouvrir la voie au recrutement de contractuels, et même directement de fonctionnaires en CDI, dans la seule fonction publique d’État – bizarrement, la volonté d’harmoniser les trois fonctions publiques ne joue plus en l’occurrence – et que l’on facilite leur « déprécarisation » par le biais de simples entretiens, il faut désormais se poser la question de la place et du rapport coût-utilité des concours, qui, me semble-t-il, étaient censés assurer un égal accès des citoyens à la fonction publique.
En effet, le concours doit demeurer la règle, sauf lorsqu’il ne représente qu’une formalité inutile, comme dans le cas des professions réglementées par un diplôme d’État. Devant les innombrables difficultés, voire l’impossibilité, pour les employeurs locaux de recruter des professionnels de la filière médico-sociale titulaires de diplômes d’État, tels les médecins ou les auxiliaires de puériculture, il conviendrait d’être pragmatique et de permettre le recrutement direct de ces professionnels. C’est un vrai sujet.
Permettez-moi, à ce stade de la discussion générale, d’aborder trois thèmes tenant au renforcement de l’exemplarité de la fonction publique.
Premièrement, dans l’attente de la remise du Livre blanc sur le temps de travail dans la fonction publique qu’a commandé Mme la ministre au président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, le CSFPT, Philippe Laurent, et devant l’augmentation dramatique et ininterrompue de l’absentéisme dans la fonction publique, nous appelons au rétablissement de un à trois jours de carence, seule mesure qui avait fait baisser le nombre des arrêts maladie courts lors de sa trop brève existence. En effet, les statistiques du courtier en assurances Sofaxis prouvent que le nombre des seuls arrêts maladie d’une journée avait chuté de plus de 62 % entre 2011 et 2013 dans les collectivités locales comme dans les hôpitaux, corrélativement à une baisse de la durée moyenne des arrêts.
J’ajouterai même que, afin d’éviter toute discrimination avec le secteur privé, cette mesure devrait s’y appliquer de la même façon, et même être assortie de l’interdiction d’une prise en charge par les mutuelles ou les employeurs.
Deuxièmement, 1 550 collectivités utilisent la possibilité que la loi de 1984 leur a laissée de maintenir un temps de travail inférieur à la durée légale. Nous vous proposerons de mettre fin à cette disposition, qui ne respecte pas la durée légale du travail, fixée à 35 heures hebdomadaires.
Troisièmement, dans le même ordre d’idées, la décharge de fonctions des emplois fonctionnels territoriaux ou des suppressions d’emplois entraînent la gestion de « fonctionnaires momentanément privés d’emploi ». Si la majeure partie d’entre eux, fort heureusement, retrouvent du travail, accompagnés par le Centre national de la fonction publique territoriale, le CNFPT, ou les centres de gestion, les CDG, une minorité ne joue pas le jeu, ce qui peut engendrer des coûts de plusieurs centaines de milliers d’euros pour les employeurs. Je suis confrontée à des situations de ce genre dans le centre de gestion que je préside.
Je présenterai une mesure afin de limiter ces dérives. J’avais proposé également la mise à la retraite d’office de ces agents lorsqu’ils remplissent les conditions minimales pour ce faire. Cette proposition a été rejetée au titre de l’article 40 de la Constitution, alors que, en réalité, sa mise en œuvre n’aurait généré aucune dépense supplémentaire, mais au contraire des économies pour les collectivités, à qui il est demandé par ailleurs de limiter leurs dépenses de fonctionnement.
Concernant la fluidité de la gestion des ressources humaines, le Gouvernement estime les élus locaux assez responsables pour présider les conseils de discipline, mais pas suffisamment pour recruter leurs agents de catégorie C sur le grade de base. Il souhaite donc instaurer des « comités de sélection ». On nous dit que les recrutements directs représentent 3, 5 % des nouveaux fonctionnaires de l’État, mais sont majoritaires dans la fonction publique territoriale. On oublie simplement de préciser que les agents de catégorie C représentent 20 % des effectifs de la fonction publique d’État et 75 % de ceux de la fonction publique territoriale…
Si une suspicion pèse sur les élus locaux, cela est grave, car cela signifie que 75 % des fonctionnaires territoriaux, soit plus d’un million d’agents, ont pu être recrutés sur d’autres critères que celui de leurs compétences ! On se demande, dès lors, qui trouvera grâce aux yeux du Gouvernement pour constituer lesdits comités de sélection.
Nous pensions naïvement que le droit du travail était trop rigide dans ce pays, mais nous nous apercevons finalement que l’on peut arriver à le rendre encore plus complexe.
Concernant l’allongement de la durée de validité des listes d’aptitude des lauréats de concours, je peux vous affirmer, en tant que présidente d’un des centres de gestion qui organisent le plus de concours, que c’est une fausse bonne idée. À titre d’exemple, lorsqu’on examine les chiffres nationaux du concours d’attaché de 2010, dont les listes d’aptitude ont expiré en mai 2014, 64 % des lauréats ont été recrutés la première année, 12 % la deuxième année et 5 % la troisième année. Ils sont 11 % à ne pas avoir demandé leur réinscription, ce qui laisse 9 % de « reçus-collés ». Après les avoir tous contactés, il s’avère que la moitié d’entre eux n’avait fait aucun acte de candidature. Le vrai taux de « reçus-collés » s’établit donc à moins de 5 %.
Voilà l’exemple type d’une « mesurette » qui donnera un inutile espoir aux candidats aux concours et rendra plus complexe le suivi des lauréats.
Enfin, il est louable que la commission des lois ait maintenu la faculté de recourir au travail intérimaire dans les trois fonctions publiques, faculté bien utile aux employeurs.
Je terminerai en évoquant les dispositions visant à la poursuite de la réforme des centres de gestion.
On parle beaucoup aujourd’hui de mutualisation, mais je souligne que les centres de gestion la pratiquent à un niveau départemental depuis plus de trente ans. Le plus grand reproche qui doit leur être fait, comme l’a souligné un récent rapport de l’Inspection générale de l’administration remis à Mme la ministre, tient à la disparité des missions qu’ils exercent d’un département à l’autre. C’est pourquoi un renforcement de leurs missions mutualisées à un niveau régional serait un minimum.
Comment comprendre que le Gouvernement s’oppose aux observatoires régionaux de l’emploi, qui existent déjà et sont les seuls à pouvoir agréger les statistiques de l’emploi dans la fonction publique territoriale ? Le Gouvernement se retranche derrière l’argument selon lequel le CNFPT peut assurer cette mission, mais cet argument n’est pas recevable, puisque cet organisme n’exerce que des missions liées à la formation !
Comment comprendre que le Gouvernement s’oppose à ce que les centres de gestion assurent des missions administratives, organisationnelles ou de gestion pour le compte des collectivités qui le leur demandent ? S’ils le font déjà à la requête des communes rurales, mais aussi des intercommunalités, c’est parce que l’État a disparu du paysage et parce qu’ils assurent une assistance juridique, informatique ou urbanistique au meilleur rapport coût-efficacité.
Dans le département du Rhône – exemple que je connais le mieux –, le centre de gestion propose aux employeurs locaux une assistance juridique non statutaire depuis 1992 : 231 collectivités adhèrent à ce service facultatif, pour un coût moyen de 1 800 euros par an et plus de 3 000 questions résolues. À titre d’exemple, la préfecture elle-même a sollicité ce service pour coorganiser les réunions d’information préalables aux dernières élections municipales.
On nous objectera que c’est le rôle de l’intercommunalité, mais alors, privilégier le territoire d’une intercommunalité plutôt que celui d’un département, j’appelle cela de la démutualisation !
Enfin, la loi Sauvadet a créé, en 2012, un socle commun de compétences que les centres de gestion proposent facultativement aux collectivités non affiliées d’exercer.
En 2013, déjà plus de 60 % des collectivités non affiliées adhéraient à ce socle, qui leur assure notamment la gestion des commissions de réforme et comités médicaux, transférée par l’État aux centres de gestion pour leurs collectivités affiliées sans transfert de ressources. Ce socle pourrait être enrichi de l’organisation de tous les concours – à l’exception des concours de la catégorie A+, qui relèvent du CNFPT –, sans aucune dépense nouvelle pour les collectivités non affiliées, puisqu’elles assument déjà le financement.
La pérennité de l’organisation de ces missions aurait pu être assurée par l’adhésion de toutes les collectivités non affiliées à ce socle, ainsi que le recommandent les auteurs du rapport de mai 2014 de l’Inspection générale de l’administration, sachant que ces collectivités sont désormais fortement représentées dans les conseils d’administration des centres de gestion.
Là encore, le Gouvernement s’oppose à ces propositions de mutualisation en matière de gestion des ressources humaines.
Très sincèrement, je pense qu’il est regrettable de ne pas saisir l’occasion de renforcer les outils de mutualisation et de privilégier, au contraire, un émiettement des acteurs.
Voilà, madame la ministre, mes chers collègues, les quelques thèmes qu’il me semblait important d’aborder avant que nous n’entamions l’examen des articles de ce projet de loi, par ailleurs fort utile.