Intervention de Hervé Henrion-Stoffel

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 14 janvier 2016 : 1ère réunion
Table ronde sur les aspects juridiques de la traite des êtres humains

Hervé Henrion-Stoffel, conseiller juridique à la CNCDH :

La CNCDH a formulé en mai dernier plusieurs recommandations pour améliorer la rédaction de l'article L. 316-1 du CESEDA. Les victimes de traite ont été oubliées dans la réforme du droit des étrangers : étant donné la longueur des procédures pénales, pourquoi leur refuser un titre de séjour pluriannuel ?

Les praticiens ont du mal à s'approprier l'infraction de traite. D'abord, elle est délicate à prouver, car le texte du code pénal est complexe. D'ailleurs, lorsque nous l'avons analysé, je n'y ai pas vu les mêmes choses que mon collègue ! Sans doute les textes sur le proxénétisme ou le trafic de migrants sont-ils d'un maniement plus commode. Pour définir l'acte de traite, le texte reprend les verbes recruter, transporter, transférer, héberger ou accueillir, qui sont ceux de la directive. Pourtant, il n'est pas toujours facile de distinguer entre héberger et accueillir, entre transporter et transférer. Le terme « accueillir » fait l'objet d'une interprétation très restrictive. Ainsi, l'infraction de traite n'a pas été retenue pour les coiffeuses du boulevard de Strasbourg, puisque ces personnes, qui travaillaient 20 heures sur 24, ne dormaient pas sur place. De plus, les services de police ne sont pas habitués à manipuler l'infraction de traite des êtres humains et connaissent mieux les textes relatifs aux conditions indignes de travail. Le transfert du contrôle - passer par un intermédiaire pour contrôler la victime - n'apparaît pas explicitement dans le texte, il faudrait l'y ajouter.

Sur les circonstances de la traite, l'article 225-4-1 du code pénal vise quatre hypothèses, mais la vulnérabilité sociale ou économique n'est pas envisagée. C'est dommage, car c'est celle qui facilite le plus l'exploitation. La notion d'abus de vulnérabilité pose problème pour établir l'infraction, puisqu'il faudra prouver cumulativement la situation de vulnérabilité, l'abus en lui-même et le lien entre les deux. Mieux vaudrait s'en tenir à la notion de vulnérabilité particulière, sans mentionner l'abus, dans la mesure où cela permettrait plus aisément la poursuite sous le chef de traite.

Les mots « en échange d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage » peuvent laisser penser que la victime peut consentir à sa situation. Aussi faut-il rappeler de façon plus claire dans les textes l'indifférence du consentement de la victime afin d'éviter tout malentendu dans l'interprétation.

Au titre de l'élément moral, le texte définit un dol spécial : que la volonté de l'auteur porte sur l'acte de traite mais aussi sur le résultat, c'est-à-dire la commission, réalisée ou simplement projetée, d'un fait d'exploitation. Le législateur a choisi de définir l'exploitation par une liste limitative d'infractions. Il faudrait y ajouter l'exploitation d'une personne réduite en esclavage, le commerce d'enfants et peut-être aussi le mariage forcé.

Concernant la répression, le texte prévoit que l'infraction de traite des êtres humains est aggravée lorsqu'elle est commise dans deux des circonstances qu'ils mentionnent. Ces circonstances sont les quatre hypothèses que j'ai évoquées. Or le droit pénal a pour principe de distinguer l'élément constitutif de l'infraction de la circonstance aggravante. Pour l'heure, on ne sait pas combien au juste d'hypothèses doivent être vérifiées pour constituer la circonstance aggravante : deux ou trois ? Il faut améliorer la rédaction. De fait, nous avons tendance à transposer les directives au dernier moment... Rien n'empêche de les expliciter !

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