Intervention de Alain Vidalies

Réunion du 28 janvier 2016 à 10h30
Sécurité publique dans les transports collectifs de voyageurs — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Alain Vidalies :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis pour examiner ensemble la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs. Présentée par le député Gilles Savary, elle a été, comme vous le savez, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, le 17 décembre dernier.

Comme vous le savez aussi, le Gouvernement soutient pleinement l’adoption de ce texte. L’une des priorités de l’action que nous conduisons en matière d’ordre public consiste en effet à garantir partout en France le droit fondamental à la sécurité dont chaque Français doit pouvoir jouir lors de ses déplacements.

Chaque jour, sur l’ensemble du territoire national, des millions de Français et de visiteurs étrangers empruntent les transports publics. Ces derniers constituent donc un élément central dans la vie quotidienne de la plupart de nos concitoyens. Je pense notamment aux 8, 3 millions de Franciliens qui utilisent quotidiennement les transports en commun pour se rendre sur leur lieu de travail le matin, puis pour rentrer chez eux le soir. À cet égard, je constate que le nombre de ces trajets a augmenté de 20 % en dix ans, tandis que, dans le même temps, celui des déplacements automobiles stagnait.

Qu’il s’agisse du bus, du métro, du tramway ou encore du train, les transports publics constituent donc à la fois une condition de notre liberté de circulation, un facteur de développement économique et un atout pour notre industrie touristique. Il est donc de notre responsabilité de faire en sorte que nos concitoyens qui les utilisent puissent le faire en toute tranquillité, sans craindre d’être victimes de la délinquance, a fortiori d’une entreprise terroriste.

Sur ce dernier point, le niveau de la menace à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés étant particulièrement élevé, la sagesse nous commande de faire preuve de la plus grande prudence et de prendre en amont toutes les dispositions qui s’imposent pour sécuriser au mieux les transports publics. Comme vous le savez, ces derniers peuvent constituer une cible pour les terroristes : en raison de leur caractère confiné et du grand nombre de passagers qui les empruntent, ils représentent en effet des espaces propices à la commission d’attentats de masse.

Le 21 août dernier, un carnage a ainsi pu être évité de justesse dans le train Thalys reliant Amsterdam à Paris, grâce à l’héroïsme dont ont fait preuve plusieurs passagers et membres du personnel. Cependant, par le passé, d’autres attentats, visant des cibles similaires et n’ayant pu être déjoués, se sont révélés particulièrement meurtriers : à Paris, la station Saint-Michel du RER B au mois de juillet 1995 ; à Madrid, à la gare d’Atocha au mois de mars 2004 ; à Londres, dans le métro et dans un bus au mois de juillet 2005 ; à Moscou, aux stations de métro Loubianka et Park Koultoury au mois de mars 2010.

L’expérience nous enseigne donc que les transports constituent des points de vulnérabilité qu’il nous faut tenter de protéger de la façon la plus efficace possible. Par ailleurs, si la prévention des attaques terroristes représente pour nous une priorité, nous devons continuer à mener une lutte inflexible contre les agressions et les violences plus quotidiennes.

En effet, le nombre d’agressions commises aussi bien contre les voyageurs que contre les personnels a nettement augmenté. Des décisions s’imposent pour inverser cette tendance en luttant sans relâche contre toutes les formes de délinquance susceptibles d’empoisonner la vie des Français qui utilisent les transports en commun. Je pense aux vols et aux agressions de toutes sortes, notamment aux rackets intolérables auxquels se livrent des bandes de jeunes délinquants sur certaines rames du RER.

C’est aussi sans relâche que nous devons lutter contre les violences sexistes dont bien des femmes sont victimes dans les transports en commun. À cet égard, une récente étude réalisée par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a montré que la totalité des femmes interrogées avait déjà été harcelée au moins une fois sur les lignes du réseau francilien.

C’est sans relâche, enfin, qu’il nous faut lutter contre la fraude et poursuivre les fraudeurs de toutes sortes, qui pénalisent gravement les transporteurs et contribuent à nourrir le sentiment d’insécurité et d’injustice parmi les usagers des transports en commun.

Ce phénomène de fraude dite « d’habitude » ou « de comportement », qui relève d’un choix délibéré et pleinement assumé par le fraudeur, est en effet lui aussi en forte augmentation depuis quelques années, alors que jusqu’à présent notre droit manquait d’outils pour l’entraver.

Son coût annuel est pourtant évalué par la Cour des comptes à plus de 500 millions d’euros pour les transporteurs. Rien que pour la SNCF, le manque à gagner est de 300 millions d’euros par an, alors que celle-ci ne recouvre qu’un très faible pourcentage des amendes infligées aux resquilleurs : 9 % seulement en 2013. Enfin, pour la RATP comme pour les entreprises de transport public de province, la fraude représente environ 100 millions d’euros.

Avant d’en venir au contenu de la proposition de loi, je rappelle que ce texte est d’abord le résultat de nombreux échanges particulièrement riches et fructueux conduits durant plusieurs mois entre l’État, les opérateurs de transports et les parlementaires.

Je tiens tout particulièrement à saluer le travail remarquable qu’ont réalisé les sénateurs François Bonhomme et Alain Fouché, respectivement rapporteur de la commission des lois et rapporteur pour avis de la commission du développement durable, afin d’améliorer le texte et de consolider les solutions juridiques susceptibles de nous aider à lutter plus efficacement contre les phénomènes criminels et délinquants, quels qu’ils soient, dans les transports en commun.

Je veux également rappeler que ce texte concrétise une ambition forte portée depuis longtemps par le Gouvernement.

En effet, dès le 16 décembre 2014, le Comité national de la sécurité dans les transports en commun, le CNSTC, après un long travail réalisé en amont, a proposé un premier train de mesures contre la fraude, repris dans la proposition de loi. Celle-ci a donc largement bénéficié du dialogue que le Gouvernement a su renouer avec l’ensemble des transporteurs. En effet, dès le mois de juin 2014, Bernard Cazeneuve avait souhaité réactiver ce Conseil, qui, après sa création en 2008, ne s’était réuni qu’une seule fois, en décembre 2011. Il n’avait depuis lors jamais plus été sollicité.

En lien avec les opérateurs de transports, nous avons ainsi pu évaluer avec précision les besoins en matière de sécurité, avant d’identifier les évolutions juridiques qui apparaissaient nécessaires pour que l’action des forces de l’ordre et celle des services de sécurité internes, soit la SUGE, ou sûreté générale, la sûreté SNCF, et le Groupe de protection et de sécurisation des réseaux de la RATP, le GPSR, puissent gagner en efficacité.

Le texte tient également compte des évolutions de la situation sécuritaire globale de notre pays. L’attentat évité dans le Thalys nous a rappelé les enjeux fondamentaux de sûreté propres aux transports collectifs, plus particulièrement aux transports ferroviaires, en mettant en évidence des modes opératoires terroristes inédits sur notre sol. Certes, cet événement nous a contraints à différer quelque peu l’examen au Parlement de la proposition de loi, afin d’y intégrer des mesures supplémentaires adaptées à la menace terroriste, mais je pense que personne, dans le contexte actuel, ne s’en étonnera. Il était nécessaire, chacun en conviendra, de prendre le temps de réfléchir et d’élaborer les mesures idoines.

Malgré ce petit délai, le Comité national de la sécurité dans les transports en commun a néanmoins pu présenter, dès le 19 octobre dernier, les principales mesures contenues dans la proposition de loi qui est aujourd’hui soumise à votre examen.

Ce texte s’articule autour de deux axes majeurs : d’une part, la lutte contre la fraude, et, d’autre part, le renforcement de la lutte que nous menons contre le risque terroriste et les atteintes graves à la sécurité publique dans les transports. Je veux à présent les évoquer plus en détail.

Trois mesures principales sont prévues en matière de lutte contre la fraude.

Le texte prévoit tout d’abord, pour caractériser le délit de « fraude d’habitude », d’abaisser de dix à cinq le nombre nécessaire de contraventions reçues en cas de défaut de présentation d’un titre de transport valable. Il faudra désormais avoir commis seulement cinq infractions en moins d’un an pour que le délit soit constitué.

Il prévoit ensuite de donner la possibilité aux personnels des transporteurs de constater eux-mêmes les ventes à la sauvette dans les gares. Les agents de contrôle et de sécurité ferroviaire pourront donc constater un tel délit par procès-verbal.

Le texte prévoit également de reconnaître un droit de communication entre les transporteurs et les administrations publiques, afin de faciliter la recherche et la vérification des états civils et des adresses communiqués par les fraudeurs, et, par là même, d’améliorer le recouvrement des amendes.

Nous avons bien sûr veillé à ce que cette mesure soit préalablement soumise à l’avis du Conseil d’État. J’ajoute que le texte d’application sera, lui, soumis à l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL. Comme vous pouvez le constater, nous entendons nous conformer au droit de la façon la plus stricte et la plus précautionneuse possible, afin que cette mesure nécessaire ne puisse souffrir aucune contestation.

Enfin, le texte prévoit la création d’un nouveau délit pour lutter contre les « mutuelles de fraudeurs », dont les incitations se multiplient sur internet. Je rappelle que l’objectif de ces organisations est d’imposer la gratuité des transports pour les usagers, lesquels doivent dès lors s’acquitter d’une cotisation mensuelle auprès d’une « mutuelle » qui prend en charge le paiement des amendes dressées en cas d’infraction. Désormais, une amende sanctionnera lourdement ces pratiques particulièrement pernicieuses et contraires au civisme le plus élémentaire.

L’ensemble de ces mesures vise donc à changer l’état d’esprit des voyageurs qui pratiquent la fraude dans les transports en commun, qu’ils s’y adonnent de façon régulière ou bien épisodique.

J’en viens maintenant aux mesures de sûreté prises pour lutter contre le risque terroriste et contre les atteintes les plus graves à la sécurité publique dans les transports. En la matière, nous renforçons considérablement nos dispositifs de lutte et de vigilance.

En premier lieu, les agents de sécurité internes de la SNCF et de la RATP seront autorisés, au même titre que les agents de sécurité privés, à procéder à l’inspection visuelle et à la fouille des bagages, ainsi que, en cas de circonstances graves constatées par le préfet, à des palpations de sécurité. Bien évidemment, toute inspection de bagage, comme toute palpation de sécurité, ne pourra être réalisée qu’avec le consentement des intéressés, qui pourront les refuser, mais ne pourront alors accéder à la gare ou à la rame.

Le dispositif prévu sera donc le même que celui qui existe dans les grands magasins et que personne ne songerait à contester. Nos concitoyens ont pleinement compris sa nécessité. Je suis convaincu qu’il en ira de même dans les transports collectifs.

En contrepartie de cette extension de leurs prérogatives, nous renforçons de façon significative les procédures de contrôle auxquelles sont soumis les agents de la SUGE et du GPSR. Le texte prévoit que le contenu de leur formation sera désormais fixé conjointement par le ministère de l’intérieur et le ministère des transports.

À cet égard, je sais que nous avons un point de divergence sur les modalités du contrôle de cette formation.

Vous souhaitez en effet, mesdames, messieurs les sénateurs, que la tâche en soit confiée au Conseil national des activités privées de sécurité, le CNAPS, tandis que le Gouvernement estime, quant à lui, comme les deux grands opérateurs d’ailleurs, que ce sont les services du ministère de l’intérieur qui doivent s’en charger directement. Il nous apparaît en effet que ces derniers sont les mieux placés pour réaliser les contrôles nécessaires et prescrire les exigences attendues en termes de formation, dans la mesure où ils sont déjà familiarisés avec les modalités d’intervention des agents de la SUGE et du GPSR, ainsi qu’avec les prérogatives qui leur incombent. Aucune raison particulière ne nous semble donc justifier qu’une telle mission de contrôle revienne au CNAPS.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement visant à rétablir le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. J’espère que, au terme de nos propres échanges sur ce sujet, nous parviendrons à une position efficace et par là même satisfaisante.

En second lieu, le texte prévoit d’élargir les possibilités, pour les agents de la SUGE et du GPSR, d’exercer leurs missions en tenue civile et, dans certaines conditions, en étant armés, afin de renforcer l’efficacité des opérations de constatation d’infractions.

Comme c’est le cas aujourd’hui, c’est aux préfets, dans leurs territoires respectifs, qu’il reviendra d’habiliter les agents autorisés à exercer en tenue civile et de déterminer la durée et les lieux où ces derniers pourront intervenir en ayant recours à cette option. Des instructions strictes seront donc délivrées pour encadrer l’application de cette mesure, car notre volonté n’est certainement pas de la généraliser. Le décret du 7 septembre 2007 prévoyant la mise en œuvre de la dispense d’uniforme pour les agents des services de sécurité internes sera complété, afin que le travail en civil soit strictement encadré et que son contrôle par les préfets soit pleinement effectif.

Enfin, la proposition de loi prévoit que les officiers de police judiciaire et les agents de police judiciaire, ainsi que certaines catégories d’agents de police judiciaire adjoints, soient désormais autorisés à procéder à l’inspection visuelle et à la fouille des bagages, afin de prévenir toute atteinte grave à la sécurité des personnes ou des biens, notamment les actes terroristes, y compris sans l’accord des passagers concernés.

Pour finir, je tiens à dire quelques mots sur une mesure présentant un caractère de sensibilité particulier. Je veux parler du « criblage » des personnels des exploitants de transports publics de personnes, autrement dit le fait que leur recrutement ou leur affectation puisse être précédé d’enquêtes administratives destinées à vérifier que leur comportement n’est pas incompatible avec l’accomplissement de leur mission, en ce qu’il pourrait constituer une menace grave pour l’ordre ou la sécurité publics.

Il s’agit d’un sujet auquel le Gouvernement, comme vous le savez, est sensible depuis longtemps, puisque nous avions envisagé, voici plusieurs mois, l’introduction d’une mesure équivalente dans le projet de loi relatif au renseignement, lequel prévoyait initialement que, à l’occasion de grands événements, les personnels ayant accès à des lieux dits « sensibles » fussent « criblés ».

C’est donc un enjeu qui dépasse de loin les seuls opérateurs de transports publics. Il doit être traité avec rigueur et responsabilité. De même, une telle mesure de « criblage » ne saurait exonérer les entreprises concernées de leur devoir de vigilance lors du recrutement de leurs personnels et de bonne gestion de leurs ressources humaines.

Je sais que la commission a privilégié la conservation de l’équilibre du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, en confiant au Conseil d’État le soin de fixer la liste des fonctions concernées et de déterminer les modalités d’application de la mesure de « criblage » à un décret en Conseil d’État.

Pour sa part, le Gouvernement a décidé de déposer un amendement que nous examinerons ensemble, afin que nous puissions améliorer encore le dispositif proposé. Nous pensons en effet que, en raison du degré élevé de la menace terroriste qui pèse sur notre pays, il serait utile de préciser son contenu dès maintenant.

J’ajoute que cet amendement se fonde sur les conclusions du rapport demandé par le ministre de l’intérieur et la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie après le drame survenu en juin dernier à Saint-Quentin-Fallavier. À mes yeux, c’est là une garantie à la fois d’efficacité opérationnelle et de protection des libertés individuelles.

Le Gouvernement soutient donc pleinement l’adoption de la proposition de loi qui est aujourd’hui soumise à votre examen, dans la mesure où elle nous permettra de renforcer la sécurité des usagers des transports publics sur l’ensemble du territoire national, dans un contexte de menace terroriste particulièrement élevée.

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