La proposition de loi organique et la proposition de loi de modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle ont été déposées les 5 et 10 novembre 2015 par MM. Bruno Le Roux, Jean-Jacques Urvoas et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen de l'Assemblée nationale.
Ces deux textes complémentaires, qui font l'objet d'une procédure accélérée et ont été examinés par l'Assemblée nationale en séance publique le 16 décembre 2015, visent à répondre à des difficultés pratiques relevées lors des élections présidentielles de 2007 et 2012 concernant notamment, pour ne citer que ce qui relève du champ de notre commission, le rôle des médias audiovisuels durant la période précédant ces scrutins.
Ces difficultés concernent en particulier le régime applicable pendant la période intermédiaire, qui s'étend de la date de publication de la liste officielle des candidats à la veille du début de la campagne officielle. Elles ont fait l'objet de propositions de réforme de la part du Conseil constitutionnel, de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle de 2012 et de propositions du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).
Ces deux textes ne se limitent pas aux questions touchant à la communication mais quatre articles au moins relèvent de cette thématique et sont susceptibles d'intéresser notre commission de la culture. Dans la proposition de loi organique, il s'agit de l'article 4, d'une part, relatif à l'accès aux médias audiovisuels des candidats à l'élection présidentielle et donc au régime de la période intermédiaire déjà mentionnée ; de l'article 7, d'autre part, qui modifie les horaires des opérations de vote afin de prévoir une ouverture des bureaux de 8 heures à 19 heures avec la possibilité de repousser la fermeture à 20 heures.
Dans la proposition de loi, nous concernent également l'article 2, relatif à la sanction du non-respect de l'interdiction de divulgation anticipée des résultats du scrutin, et l'article 2 ter, ajouté par l'Assemblée nationale, qui concerne la diffusion des mises au point de la Commission des sondages sur les antennes des sociétés de l'audiovisuel public dans la semaine précédant le scrutin.
L'essentiel de mon intervention portera sur l'article 4 de la proposition de loi organique, qui traite de la période intermédiaire. C'est un sujet sensible qui touche à notre conception même de la démocratie et du respect du pluralisme. Voilà pourquoi, sans sous-estimer les difficultés rencontrées par les médias audiovisuels pour appliquer le principe d'égalité des temps de parole et d'équité des temps d'antenne, nous devons aussi être très exigeants sur les garanties apportées pour que le débat politique demeure ouvert, sincère et juste.
En préambule, je voudrais exprimer ma préoccupation face aux évolutions proposées et mon attachement au principe de l'égalité qui constitue la meilleure garantie pour vivifier notre démocratie. Nous mesurons tous le déficit de renouvellement des élites politiques et de diversité d'idées dans le débat public dont souffre notre pays. Et face à cela, nous sommes invités à examiner une réforme qui pourrait favoriser les candidats les plus connus, les mieux installés et qui disposent déjà d'une très forte attention des médias.
La campagne pour l'élection du Président de la République constitue un des rares moments, dans notre démocratie, où les médias sont obligés de respecter à la lettre des principes de non-discrimination entre les candidats et les forces politiques qu'ils représentent. On sait aussi combien l'élection du Président de la République structure notre vie politique.
La procédure des parrainages joue déjà le rôle de filtre pour assurer le sérieux et la représentativité des candidatures. Sachant qu'elle sera renforcée par ces textes, dont la commission des lois est saisie au fond, il n'y a pas de raison a priori pour laisser au CSA et aux médias une marge d'appréciation pour décider quelle exposition accorder à tel ou tel candidat. C'est pourtant le sens de l'article 4 de la proposition de loi organique, qui prévoit de substituer le principe d'équité - lequel régit déjà les autres élections - au principe d'égalité dans la mise en valeur des candidats dans les médias.
Je n'ignore pas qu'une telle évolution vise aussi à lutter contre la tentation des médias de ne plus couvrir la campagne présidentielle pendant les trois semaines que dure la période intermédiaire compte tenu de la difficulté qu'ils ont à appliquer strictement le principe d'égalité. Selon les décomptes du CSA : « les chaînes TF1, France 2, France 3, Canal+ et M6 n'ont réservé que 12 heures à la retransmission des interventions des candidats, soit une diminution de 50 % par rapport au volume relevé lors de la même période sur ces chaînes en 2007. Les temps de parole accordés sur les antennes des radios généralistes et des chaînes d'information en continu ont aussi été en baisse par rapport à 2007 ». Il s'agit là d'une véritable difficulté que nous ne pouvons ignorer mais les recommandations du CSA, qui sont d'ordre technique, visent à s'adapter à cette évolution des pratiques des médias sans véritablement s'interroger, ce que je regrette, sur la façon dont il conviendrait de rendre compte de la campagne pour l'élection présidentielle au XXIe siècle. Désormais, avec la révolution numérique et la multiplication de nouveaux formats de programmes télévisuels, la campagne électorale ne se limite pas au « JT ». Je regrette que nous ayons à examiner des dispositions techniques - qui ont leur intérêt et leur limite - sans avoir conduit une réflexion politique plus vaste qui aurait permis de s'interroger également sur la façon, par exemple, dont les sites internet et la presse rendent compte de cette campagne et sur les conditions de respect du pluralisme par ces médias. Le président du CSA, avec lequel je me suis entretenue, reconnaît que le problème tel qu'il est traité ne concerne que les tranches d'information et donc les rédactions des médias. Les documentaires, les magazines d'information ne sont pas véritablement pris en compte dans cette réflexion.
Que dire, ensuite, des élections primaires organisées par certaines grandes formations politiques, qui ont pour effet de donner un surcroît de visibilité aux candidats qui y participent ? Ces textes ne garantissent ni l'équité entre les candidats aux primaires ni, a fortiori, avec les candidats qui n'y participeront pas. Or chacun a pu mesurer en 2012 le rôle décisif de ces primaires.
Au final, on a le sentiment que ces deux propositions de loi ont plusieurs « guerres de retard » et nous obligent à arbitrer entre deux solutions dont aucune n'est satisfaisante. Soit nous maintenons le principe d'égalité en vigueur en le consacrant dans un texte organique - nous aurons ainsi réduit le risque d'arbitraire mais nous n'aurons pas répondu au problème de la réduction de la place accordée par les médias à la campagne durant la période intermédiaire - soit nous acceptons que le principe d'égalité cède la place au principe d'équité et nous essayons de mieux encadrer le pouvoir d'appréciation laissé au CSA en soumettant par exemple l'examen de sa recommandation à un débat public devant les commissions en charge des affaires culturelles. Mais sera-ce suffisant pour contenir les possibles dérives de certains médias compte tenu de la marge d'appréciation qui leur serait reconnue ? Remarque qui amène à s'interroger sur les critères qui doivent servir de fondement au contrôle exercé par le CSA. La référence aux seuls « résultats obtenus aux plus récentes élections » et aux enquêtes d'opinion pour déterminer la représentativité apparaît pour le moins réductrice. Quant au second critère, qui fait référence à « la contribution de chaque candidat à l'animation du débat électoral », il n'est pas dénué d'une certaine subjectivité.
Afin de réduire le risque d'abus, le texte adopté par l'Assemblée nationale comporte certes deux avancées qui ne sont pas inutiles. En premier lieu, les députés ont introduit une précision prévoyant que l'application du principe d'équité pendant la période intermédiaire et du principe d'égalité pendant la campagne officielle est assuré « dans des conditions de programmation comparables, précisées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel dans une recommandation relative à l'élection présidentielle ». En second lieu, le dernier alinéa de l'article prévoit qu'à compter de la publication de la liste des candidats et jusqu'au tour de l'élection où celle-ci est acquise, le CSA publie périodiquement, dans un format ouvert et aisément réutilisable - « open data » -, le relevé des temps consacrés à la reproduction et au commentaire des déclarations et des écrits des candidats et à la présentation de leurs personnes. On ne peut que saluer ces deux progrès mais force est de constater qu'ils ne suffisent pas à encadrer la marge d'appréciation laissée aux médias et au CSA.
Vous aurez compris que mon attachement à notre culture démocratique m'invite à regarder cet article 4 avec la plus grande circonspection. En tant que rapporteur de notre commission, je me suis efforcée de présenter de manière objective les avantages et les inconvénients du dispositif proposé. Je crois utile que nous ayons un large débat sur ce sujet avant de choisir, ensemble, entre le retour au statu quo ante qui serait dès lors inscrit dans un texte de niveau organique et un aménagement éventuel du dispositif proposé.
J'en viens maintenant aux autres dispositions qui nous concernent.
L'article 7 prévoit d'harmoniser les horaires des opérations de vote en fixant au niveau organique le principe selon lequel le scrutin est ouvert de 8 heures à 19 heures. Des aménagements seraient par ailleurs possibles afin d'avancer l'heure d'ouverture - pour les collectivités d'outre-mer - et de retarder l'heure de fermeture - dans les zones urbaines - sans que le scrutin puisse toutefois aller au-delà de 20 heures. La réduction d'une heure de l'écart entre les horaires de fermeture des bureaux de vote doit permettre de réduire les risques de divulgation des résultats recueillis dans ceux qui fermaient à 18 heures. La commission des sondages estime par ailleurs que le maintien d'un écart d'une heure préservera la possibilité de réaliser des estimations dans les « bureaux tests » afin de pouvoir annoncer des résultats à 20 heures. Là encore, on peut comprendre le sens de cet ajustement technique mais est-on sûr que cela suffira à éviter les fuites sur les réseaux sociaux lors de la dernière heure d'ouverture des bureaux en zone urbaine ? N'aurait-il pas été préférable de fixer un même horaire de fermeture pour l'ensemble des bureaux de vote ?
L'article 2 de la proposition de loi ordinaire prévoit de relever de 3 500 euros à 75 000 euros l'amende réprimant la divulgation prématurée, les jours de scrutin, de résultats partiels ou définitifs. Sans doute la modification des horaires d'ouverture des bureaux devrait limiter les risques de fraude mais les nombreux écarts constatés lors des dernières élections plaident en faveur d'une plus grande sévérité, afin de garantir l'intégrité du scrutin.
La dernière disposition qui nous concerne, l'article 2 ter, est relative à la diffusion des mises au point de la Commission des sondages sur les antennes des sociétés de l'audiovisuel public dans la semaine précédant le scrutin. L'expérience a montré que les médias pouvaient se montrer peu réactifs face aux demandes de diffusion de ces mises au point, pourtant susceptibles de jouer un rôle déterminant dans le débat. L'amendement adopté par l'Assemblée nationale permet ainsi de renforcer le dispositif existant.
Telles sont les remarques que je souhaitais partager avec vous avant d'ouvrir un débat que je souhaite le plus large possible.