Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que les chiffres du mal-logement viennent d’être rendus publics par la Fondation Abbé Pierre, nous sommes confortés dans notre conviction qu’il y a urgence à agir pour garantir à tous le droit au logement.
À l’heure actuelle, 141 000 personnes dorment dans la rue. Ce chiffre a doublé en dix ans. En outre, près de 900 000 personnes ne disposent pas de logement personnel. Ce sont des familles, des femmes et des enfants qui se trouvent parfois obligés de dormir dans la rue ou dans une voiture, alors que les parents travaillent ! Pour ceux qui subissent de plein fouet les conséquences de la grave crise économique et du chômage, l’accès au logement peut sembler impossible.
Ainsi, 5, 7 millions de personnes produisent un effort financier que la Fondation Abbé Pierre qualifie d’« excessif », car il laisse un reste à vivre en deçà du seuil de pauvreté.
Une telle situation conduit à la multiplication des impayés. Aujourd’hui, 1, 2 million de personnes sont sous la menace d’une expulsion, alors qu’elles sont parfois reconnues prioritaires au titre du droit au logement opposable, le DALO.
Ces situations font le lit de traumatismes immenses. De surcroît, le mal-logement a des conséquences multiples, notamment sur la santé, la scolarité des enfants… Cette situation heurte profondément notre morale politique et humaniste, ainsi que notre conscience !
Oui, il y a urgence à agir ! C’est pourquoi le groupe CRC prend toutes ses responsabilités en vous soumettant cette proposition de loi.
Depuis maintenant plusieurs décennies, le logement est considéré non plus comme un droit, mais comme un bien faisant l’objet d’un marché spéculatif. Cela a permis de créer des rentes spectaculaires pour certains, au prix de grandes difficultés pour le plus grand nombre.
Nous identifions comme cause principale d’une telle crise l’absence d’une construction à la hauteur des besoins. En effet, nous sommes bien loin des 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux, promis par le Président de la République en 2012. Pour l’année 2015, seulement 109 000 logements sociaux ont été financés. Cumulée aux difficultés du secteur privé, cette situation est inquiétante non seulement, bien entendu, pour le droit au logement, mais également pour l’emploi. Le secteur du bâtiment et des travaux publics a perdu plus de 12 000 emplois en 2014 !
Cette absence de production est liée à plusieurs phénomènes.
Tout d’abord, les coûts de construction sont plus élevés ; je pense notamment aux prix du foncier. Je rappelle d’ailleurs que nous proposons la création d’une agence foncière nationale pour le logement.
Ensuite, parmi les freins figure – c’est le débat qui nous occupe aujourd’hui – la baisse drastique des aides à la pierre, qui se conjugue malheureusement avec la forte diminution des dotations aux collectivités territoriales. D’un côté, les aides à la pierre reculent. De l’autre, les collectivités perdent 3, 7 milliards d’euros par an de dotations, soit 11 milliards d’euros à l’horizon 2017.
Dans ces conditions, les prix de sortie augmenteront de plus en plus, faute d’un soutien de la part de l’État.
Or l’absence de construction publique suffisante est l’une des causes du logement cher dans le parc privé. En effet, le déficit de l’offre aboutit à une demande très forte, conduisant à la montée des prix. Il y a donc bien une problématique commune et des interactions fortes entre le secteur privé et le secteur dit « social ». À nos yeux, un parc public répondant aux besoins est le plus sûr instrument de régulation des loyers dans le secteur privé. Loin de s’opposer, ces deux secteurs se complètent.
La loi de finances pour 2016 nous inquiète particulièrement.
Le désengagement de l’État se poursuit depuis de nombreuses années et s’accentue désormais. Les subventions de l’État sont en voie de disparition, contrairement à l’engagement de François Hollande, qui avait promis de doubler les aides à la pierre. La création du Fonds national des aides à la pierre, ou FNAP, abondé par les offices HLM et les locataires, acte clairement le fait que les crédits de l’État ne constituent plus l’essentiel du financement des bailleurs sociaux.
Le calcul est simple : avec moins d’argent, on construira moins, ce qui aggravera la crise actuelle du logement. Il est donc urgent de réorienter la masse financière affectée aux politiques du logement, qui pèsent aujourd’hui 40 milliards d’euros ; nous avons donc des marges de manœuvre.
Trop d’argent public continue d’alimenter les niches fiscales, comme les dispositifs Scellier, Robien ou encore Pinel. Cette dernière niche a pour objet de soutenir le développement du logement dit « intermédiaire », ce qui revient à reconnaître un nouveau segment de marché, à la fois plus cher que le logement social et moins coûteux que le logement dit « libre ». Mais jamais le logement cher n’a été mis en cause par les politiques successives ! Pire : ces dernières soutiennent les investisseurs privés les plus fortunés, à hauteur de 1, 8 milliard d’euros au total. Cette somme serait bien plus utile pour les acteurs du logement social.
On utilise l’argent public pour permettre aux plus aisés de se constituer un capital, ce qui n’est conforme ni à notre morale ni à notre sens de la justice sociale.
En effet, l’efficacité des niches fiscales n’a jamais été prouvée : il n’y a aucun chiffre en ce sens. Il faudrait sans doute charger un observatoire national de mener des évaluations. Mais ces niches créent à l’évidence un effet d’aubaine pour réduire les impôts des intéressés. Soyons clairs : c’est leur motivation principale pour investir.