Intervention de Philippe Dallier

Réunion du 4 février 2016 à 14h30
Accès au logement social — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Philippe DallierPhilippe Dallier, rapporteur :

Dans les zones tendues, c’est bien souvent le manque de foncier disponible et le coût de celui-ci qui posent problème. Mais ces critères ne sont pas les seuls.

Nos collectivités territoriales, au premier rang desquelles les communes et les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, sont des acteurs majeurs de la politique du logement. Encore faudrait-il qu’elles disposent des moyens nécessaires pour participer à l’effort de logement qui leur est demandé. Constituer des réserves foncières et en assurer le portage, financer la construction de logements et les équipements publics nécessaires à l’accueil de nouveaux habitants, cela demande de mobiliser des ressources budgétaires importantes. Or la rigueur budgétaire imposée par le Gouvernement aux collectivités ne les y aide pas ; c’est le moins que l’on puisse dire.

Rappelons enfin que les problèmes de la qualité des logements et de la rénovation énergétique du parc vieillissant sont des enjeux majeurs ; nous ne les avons encore que très peu traités.

Mais revenons au texte qui nous est soumis.

La politique du logement que les membres du groupe CRC appellent de leurs vœux repose avant tout sur une augmentation des crédits consacrés aux aides à la pierre et sur une mobilisation des fonds d’épargne gérés par la Caisse des dépôts et consignations, en l’occurrence le livret A et le livret de développement durable, en vue de financer davantage la construction de nouveaux logements sociaux et la réhabilitation des logements dégradés du parc existant.

Afin de dégager des fonds supplémentaires pour le financement du logement social, les auteurs de la proposition de loi suggèrent de mettre fin aux dispositifs fiscaux de soutien à l’investissement locatif des particuliers dans le parc privé, dont « l’efficacité sociale » serait, selon eux, « plus que limitée », ces dispositifs alimentant « une rente » tout en créant « des effets d’aubaine ».

Dans cette perspective, l’article 1er de la proposition de loi prévoit purement et simplement la suppression du dispositif Pinel de soutien à l’investissement locatif dans le logement intermédiaire.

Dans le même temps, pour favoriser la mixité sociale au sein du parc HLM, l’article 2 de la proposition de loi prévoit d’augmenter de 10, 3 % les plafonds de ressources des différentes catégories de logements sociaux – il s’agit des prêts locatifs aidés d’intégration, ou PLA-I, des prêts locatifs à usage social, ou PLUS, des prêts locatifs sociaux, ou PLS, et même du prêt locatif intermédiaire, ou PLI –, revenant ainsi sur la baisse votée en 2009 lors de l’examen de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, dite « loi MOLLE ».

Cette mesure d`élargissement du nombre de bénéficiaires potentiels, qui rendrait indispensable la construction de logements sociaux supplémentaires, serait financée par les ressources dégagées par la suppression du dispositif Pinel, qui a succédé le 1er septembre 2014 au dispositif Duflot, ce dernier étant entré en vigueur le 1er janvier 2013.

L’article 3 est un gage financier. Il s’agit non pas du gage traditionnel consistant à relever les droits sur les tabacs et alcools, mais d’un gage beaucoup plus politique, puisqu’il est proposé de baisser le taux du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.

Si je considère, à l’instar des auteurs de la proposition de loi, que les résultats de la politique du logement menée actuellement sont insuffisants, notamment au regard du montant des dépenses publiques qui y sont consacrées, j’estime néanmoins qu’il convient de ne pas adopter ces différents articles et, par conséquent, cette proposition de loi.

Relever les seuils de ressources de 10, 3 % pour l’accès aux logements locatifs sociaux, comme le prévoit l’article 2, reviendrait probablement à rendre un trop grand nombre de personnes éligibles aux PLA-I et aux PLUS, mesures pourtant destinées aux catégories modestes, tandis que la quasi-intégralité des ménages français pourrait désormais prétendre aux PLS et aux PLI.

En effet, 30, 2 % des ménages sont déjà éligibles aux PLA-I, soit les logements sociaux dont les loyers sont les plus bas, et 65, 5 % des ménages peuvent demander à se loger dans un logement financé grâce à un PLUS. Et les PLS et PLI sont déjà respectivement accessibles à 81, 4 % et à 86, 9 % des ménages.

Selon une simulation que nous avons demandée à la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages du ministère du logement, la DHUP, relever les différents seuils de ressources de 10, 3 %, comme le prévoit l’article 2 de la proposition de loi, reviendrait à rendre 35 % des ménages éligibles aux PLA-I et 72, 1 % aux PLUS, qui sont pourtant destinés aux catégories modestes, tandis que 86, 1 % des ménages pourraient désormais prétendre aux PLS !

En outre, toujours selon la DHUP, 49 % des ménages qui sont actuellement locataires du parc privé deviendraient éligibles aux PLA-I, 82, 4 % d’entre eux pourraient demander à bénéficier d’un PLUS et 92, 4 % seraient concernés par le PLS !

De fait, toute volonté de cibler le logement social sur ceux qui en ont le plus besoin deviendrait caduque. Une telle mesure risquerait donc de pénaliser les ménages les plus fragiles, puisque ceux-ci devraient faire face à la concurrence de ménages disposant de revenus plus élevés et présentant de ce fait de meilleures garanties pour les bailleurs sociaux contre les impayés de loyers.

En outre, en plus de ces possibles effets d’éviction, un allongement de la file d’attente serait probablement à craindre, sachant que le délai d’obtention d’un logement social en région parisienne est d’ores et déjà de trois ans en moyenne.

Je considère donc que, à une bonne question – comment accroître la mixité sociale au sein du parc social, y compris, comme j’aime à le répéter, au niveau de la cage d’escalier ? -, l’article 2 de la proposition de loi apporte une réponse peu opérante et potentiellement contre-productive.

Selon moi, créer les conditions d’une véritable mixité sociale passe avant tout, dans la construction neuve, par la mixité des modes de financement, PLA-I, PLUS, PLS, au sein d’une même opération et par la présence systématique de PLA-I destinés aux publics ayant les plus faibles ressources dans l’ensemble des opérations réalisées. C’est d’autant plus nécessaire qu’un nombre important de ménages susceptibles de bénéficier d’un logement en PLA-I occupent en réalité un logement financé en PLUS.

Dans le parc ancien et très ancien, le problème de la mixité est plus compliqué à résoudre, puisque, assez naturellement, les attributaires de logements ont tendance à sélectionner les dossiers des familles les plus modestes, eu égard au niveau des loyers, qui sont plus faibles qu’ailleurs.

Cependant, le Gouvernement semble décidé à proposer des solutions dans un texte qui nous sera prochainement soumis, afin de permettre aux bailleurs de moduler le prix des loyers. Si la remise en ordre des loyers était déjà possible, elle était peu utilisée. La modulation envisagée pourrait effectivement permettre d’améliorer la mixité sociale au sein de ces opérations.

Venons-en maintenant à la disposition prévue à l’article 1er : la suppression du dispositif Pinel.

Alors que les résultats du dispositif Duflot étaient en deçà de ceux qui avaient été escomptés par le Gouvernement, le Pinel a trouvé son public. Son maintien suscite un large consensus chez les professionnels du secteur de l’immobilier et du bâtiment que nous avons entendus au cours de nos auditions.

Ce relatif succès semble se traduire dans les premiers chiffres communiqués par les promoteurs immobiliers – un peu plus de 47 000 logements ont été acquis en 2015 en utilisant ce dispositif – et pourrait contribuer à soutenir le marché de la construction de logements neufs, riche en emplois peu qualifiés et non délocalisables, qui connaît depuis maintenant plusieurs années une crise difficile.

Du reste, nous ne disposons pas encore du recul nécessaire pour mesurer l’efficacité du dispositif.

En tout état de cause, les acteurs sont unanimes pour réclamer aux pouvoirs publics de la stabilité fiscale, ce qui est indispensable au bon fonctionnement du marché immobilier. Les dispositifs doivent permettre aux investisseurs de bénéficier d’une visibilité maximale, afin de pouvoir valablement estimer leurs revenus futurs.

Toutefois, nous ne manquerons pas de demander une évaluation de l’efficacité du dispositif Pinel. Cela étant, le supprimer aujourd’hui nous semblerait une erreur. Voilà pourquoi je ne peux que vous inviter à ne pas adopter les trois articles de cette proposition de loi, mes chers collègues.

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