… et de nature à allonger la liste des quartiers risquant d’être relégués et stigmatisés.
L’échec est aussi économique. Cela vient de notre incapacité chronique à répondre correctement à la demande. Ce n’est pas que l’on ne construit pas de logements sociaux dans notre pays ; mais on ne les construit pas là où ce serait nécessaire !
Dans les villes qui dépassent les quotas édictés par la loi SRU, les logements sociaux ont été construits selon une rationalité urbanistique guère humaniste, à l’écart des quartiers anciens, mieux équipés. Dès lors, de nouveaux quartiers qui n’ont ni âme ni identité apparaissent, rendant la vie de la population difficile et, surtout, lui faisant ressentir socialement sa mise à l’écart. L’accès à l’emploi est particulièrement compliqué, par des trajets longs et stressants. Le trajet est même devenu un critère d’embauche pénalisant.
Par ailleurs, la durée d’occupation s’est singulièrement allongée. Elle est de douze ans, alors qu’en principe le logement social devrait seulement être une étape vers l’accession à la propriété ou la location d’un logement de type intermédiaire.
Enfin, la mixité sociale a disparu, dans la mesure où des politiques d’urbanisation ont conduit à une segmentation sociodémographique. Souvent, la recherche de la bonne école par les jeunes ménages altère la mixité sociale, mais aussi intergénérationnelle.
La mixité sociale s’est détériorée aussi parce que l’État n’assure pas toujours ses fonctions régaliennes essentielles : la sécurité sur l’ensemble du territoire français. Ainsi, dans les quartiers où l’insécurité est élevée, la mixité sociale se trouve affaiblie par le départ de certains commerçants, comme par celui des populations qui ont la possibilité de les quitter.
Mais l’échec le plus flagrant est le type d’occupation des logements sociaux. Près du tiers des ménages occupant des logements sociaux ont des revenus supérieurs au plafond de ressources ouvrant droit à l’attribution d’un logement social. Comprendre les difficultés du logement social suppose aussi de s’intéresser aux modalités de gestion des opérateurs et de l’application des critères de ressources.
En aucun cas, la crise du logement ne vient de la raréfaction des aides, souvent invoquée. En effet, 40 milliards d’euros, cela représente tout de même 1, 9 % du produit intérieur brut, ce qui fait de la France la championne d’Europe des dépenses dans ce secteur.
Mais les résultats appellent pour le moins de grandes réformes. Aussi, comme il ne s’agit point seulement de critiquer, je vais essayer de formuler quelques propositions de réforme. C’est audacieux. Beaucoup sont d’ailleurs déjà connues, mais il faut les remettre au centre du débat.
D’abord, il faut diminuer le coût de la construction. Il est 50 % plus élevé, à villes et territoires équivalents, qu’en Allemagne. Autant d’argent que les ménages ne pourront pas consacrer à la consommation ou à l’épargne, avec des conséquences directes sur la croissance économique !
Les aides directes tant aux locataires qu’aux primoaccédants peuvent être facilement captées par les propriétaires ou les professionnels de l’immobilier, et avoir ainsi un pur effet inflationniste dès lors qu’il existe une pénurie d’offres de logements. En fait, nous avons besoin d’un pilotage très fin.
De même, les dispositifs protégeant de manière excessive le locataire ont des effets pervers ; tout le monde les connaît.
L’écart en France entre les prix de la construction et ceux de la consommation a augmenté depuis 2005 de 14 %, contre 5 % en Allemagne. Nous ne prenons pas le même chemin que nos voisins, et nous allons dans la mauvaise direction…
Pour inverser cette tendance, il est nécessaire de rationaliser les normes et les obligations réglementaires actuelles en matière de construction : accessibilité pour les handicapés, places de stationnement, obligations et normes techniques rigides, normes environnementales…
Par exemple, il suffirait que 20 % des logements construits respectent les normes, souhaitables, pour les handicapés pour satisfaire les besoins et réaliser des économies considérables.
En revanche, les normes basse consommation d’énergie doivent encore être améliorées. Les résultats sur les charges sont probants ; eux sont lisibles sur les factures !
Ensuite, concernant le foncier, il faut oser la densification en zone urbaine et à proximité des transports.
Certains terrains ayant abrité des locaux d’activité – de petites industries ou des stations-service – sont devenus inoccupés. Il se peut que ces terrains soient pollués, et donc inutilisables, mais l’État et les collectivités territoriales devraient s’associer pour prendre en charge tout ou partie des frais de dépollution et de démolition. Cela permettrait la réalisation de programmes immobiliers à vocation sociale ou intermédiaire dans des quartiers centraux, tout en évitant un renchérissement du foncier dans des secteurs souvent situés à proximité des transports en commun.
Il faudrait également favoriser les politiques de réserves foncières par l’intermédiaire d’établissements publics, tels que l’AFTRP, l’Agence foncière et technique de la région parisienne – à ceci près qu’on lui a supprimé ses moyens d’intervention… –, pour faire du moyen et du long terme. Cette politique avait permis de construire des villes nouvelles importantes, avec un prix du foncier tout à fait raisonnable. En procédant ainsi, nous mettrions aussi fin à des effets de mitage sur des secteurs sensibles ou agricoles.
Il faut en outre favoriser l’émergence de logements sociaux dans des zones très tendues, via la formule de mise à disposition de terrains sous forme de baux emphytéotiques ou via le paiement différé du prix des terrains. Certains montages émergent aujourd’hui, notamment le prêt foncier sur vingt ans, que je vous encourage à pérenniser, madame le secrétaire d’État.
Nous devons repenser les quartiers construits dans les années soixante et soixante-dix en termes de densification et de mixité sociale. Il s’agit d’un travail de longue haleine et de réflexion, incluant le logement intermédiaire, l’accession sociale, les commerces et les services.
En tout état de cause, les dispositifs mis en place doivent servir au développement de l’offre foncière et ne pas représenter des vecteurs de surenchère foncière. En entendant cela, la gauche devrait m’applaudir…