Intervention de Jean-Marie Le Guen

Réunion du 4 février 2016 à 14h30
Autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes — Adoption d'une proposition de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission modifiés

Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons la proposition de loi et la proposition de loi organique déposées par Marie-Hélène Des Esgaulx, Jean-Léonce Dupont et Jacques Mézard, qui visent à instaurer un statut unique pour les AAI et les API.

La notion d’API est claire : les autorités publiques indépendantes sont des autorités administratives indépendantes dotées de la personnalité juridique. Cette catégorie est précisément définie et l’on en décompte sept, qui ont toutes été créées par la loi.

La catégorie des AAI a été créée par le Parlement pour la première fois en 1978 à propos de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Elle est moins précisément définie puisque, si la qualification d’AAI résulte le plus souvent de la loi, elle peut aussi provenir d’un acte réglementaire, de la jurisprudence, d’un avis des formations consultatives du Conseil d’État ou d’une analyse de caractère doctrinal.

À cette diversité d’origine s’ajoute une diversité de finalités, si bien que c’est en vain que l’on tente de les classifier.

Ce constat et cette analyse sont partagés par le Gouvernement. Or, face à cet éventail très large de possibilités, il est tout à fait légitime de s’interroger sur les garanties communes offertes en matière de déontologie, d’indépendance ou de rationalisation des modes de fonctionnement de ces autorités. Le Gouvernement souscrit totalement à ces objectifs, mais, pour les atteindre, il ne préconise pas le même chemin.

Je tiens aussi à dire que, en dépit des améliorations nécessaires sur lesquelles nous travaillons déjà, je n’approuve pas la lecture très à charge que vous proposez des AAI. Ces dernières effectuent souvent un travail remarquable, que je tiens à saluer. Je ne crois pas que l’absence de statut unique suffise à justifier un tel climat de suspicion.

Face à la disparité des situations, vous proposez de voter une loi et une loi organique qui portent statut commun des AAI et des API. C’est une idée ancienne, maintes fois débattue au sein de chaque assemblée.

Sur la durée, ce sujet a conservé tout son intérêt, mais il a évolué, et la réponse apportée sous la forme d’un statut commun a perdu de sa pertinence.

D’abord, la situation a beaucoup changé ces dernières années, et les lois qui s’appliquent déjà aux AAI et aux API constituent un cadre qui, s’il n’est pas uniforme, traduit des principes et des règles communes d’organisation et de fonctionnement. Il existe en la matière des législations diverses, et je vous renvoie à cet égard au rapport du sénateur Gélard de 2014.

Concernant le pouvoir de nomination du Président de la République, l’article 13 de la Constitution impose, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, que ce pouvoir s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Parlement est ainsi associé à la nomination du président des principales AAI. La loi organique du 23 juillet 2010 retient seize AAI dans son champ.

En matière de transparence, l’article 11 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique prévoit que « les membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes » adressent une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d’intérêts.

En matière de parité, il y a l’ordonnance du 31 juillet 2015 relative à l’égal accès des femmes et des hommes au sein des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes.

En matière budgétaire, l’article 75 du décret du 7 novembre 2012, dit « GBCP » – gestion budgétaire et comptable publique –, donne au président d’une AAI la qualité d’ordonnateur secondaire, sauf disposition législative contraire.

Les jurisprudences administrative et constitutionnelle fixent également des principes communs à l’ensemble des autorités. Le statut personnel des membres du collège doit ainsi assurer l’indépendance de l’autorité. Celle-ci repose notamment sur l’irrévocabilité du mandat.

D’autres règles, liées à la notion d’indépendance, sont le plus souvent retenues : durée fixe et assez longue du mandat et caractère non renouvelable de ce mandat, un régime particulier d’incompatibilités.

Ensuite, la plupart des dispositions contenues dans la proposition de loi et la proposition de loi organique reprennent des principes et des règles qui s’appliquent déjà aux AAI et aux API. Il en est ainsi de l’article 1er de la proposition de loi organique relatif à l’institution des AAI et des API par la loi. Il existe désormais un consensus pour que seule la loi institue une telle autorité.

L’article 2 prévoit qu’une API dispose de la personnalité morale. La proposition de loi ne fait sur ce point que transcrire la définition de l’API, qui est précisément une AAI dotée de la personnalité morale.

Aux termes de l’article 16, il faut un règlement intérieur pour chaque AAI et API. La plupart des AAI disposent déjà d’un règlement intérieur. Le fait de subordonner l’intervention du règlement intérieur à un décret en Conseil d’État constituerait un alourdissement important de la procédure.

Selon l’article 19, le président de l’autorité est ordonnateur des recettes et des dépenses. Cette disposition s’applique déjà pour la plupart des autorités. À titre d’exemple, l’Autorité de la concurrence, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, le CSA, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou encore l’Autorité des marchés financiers l’appliquent déjà.

L’article 22 prévoit un rapport au Gouvernement et au Parlement. Toutes les autorités recensées par la proposition de loi sont soumises à cette obligation par les dispositions législatives qui leur sont propres, comme le constatait déjà le sénateur Gélard en 2014.

Je veux maintenant revenir sur un certain nombre de difficultés que posent vos propositions et qui justifient la position du Gouvernement.

Si plusieurs règles relatives à la déontologie, à l’impartialité et à l’indépendance sont désormais communes à toutes les AAI, il est en revanche très difficile d’imaginer bâtir un cadre commun. Celui-ci ne pourrait pas tenir compte de la variété des missions et des champs d’action des autorités. Par conséquent, les bonnes mesures pour les unes sont parfois injustifiées, voire inappropriées pour les autres. Prévoir un cadre législatif commun présenterait de nombreux inconvénients : un statut unique pourrait difficilement permettre de répondre à la diversité de fait des autorités.

Quant à l’article 8 relatif au non-renouvellement des mandats des membres des AAI, cette règle peut s’avérer indispensable dans certains cas, mais contre-productive dans d’autres, par exemple quand la technicité de la matière peut rendre utile un renouvellement.

L’article 11 porte sur l’incompatibilité de la présidence d’une autorité avec tout autre emploi public. Cette règle est utile quand la présidence est un emploi à plein temps, mais très inadéquate dans le cas contraire.

Sur l’article 9, portant sur l’incompatibilité entre les fonctions de membre du collège et de la commission des sanctions, une fois encore, ces règles ne prennent pas en compte la diversité d’organisation des autorités.

Le Conseil constitutionnel s’assure que les fonctions de poursuite et d’instruction sont effectivement séparées du pouvoir de sanction au sein d’une AAI, conformément au principe d’impartialité. Cela n’impose pas que le législateur soit tenu d’organiser une séparation organique de ces différentes fonctions. Une séparation fonctionnelle peut satisfaire aux exigences constitutionnelles, comme l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision relative à l’Autorité de la concurrence.

Certaines dispositions des deux propositions de loi vont également à l’encontre de la volonté du législateur ou du Gouvernement. Elles reviennent à remettre en cause des décisions récentes. Je pense au retrait de la qualité d’AAI à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse ; à la suppression de la qualité d’API à la HADOPI, qui est transformée en établissement public administratif placé sous la tutelle du ministre de la culture, alors qu’elle poursuit des missions correspondant à celle d’une autorité indépendante.

D’autres propositions paraissent soulever de réelles difficultés constitutionnelles : la suppression de la qualité d’autorité à la Commission consultative du secret de la défense nationale, alors que la décision du Conseil constitutionnel sur la QPC du 10 novembre 2011 se fonde notamment sur cette qualité pour reconnaître la constitutionnalité de la procédure de déclassification dont elle a la responsabilité.

L’article 11 de la proposition de loi et l’article 2 de la proposition de loi organique prévoient une incompatibilité avec tout mandat électif. Une telle mesure peut être justifiée dans certains cas si l’autorité prend des décisions ayant un impact local, sur les questions de réseaux par exemple. Certaines dispositions législatives le prévoient déjà. Mais cette règle posée de manière générale serait-elle pertinente et constitutionnelle, notamment au regard de la décision du Conseil constitutionnel sur la QPC du 28 novembre 2014 ?

En conclusion, il n’apparaît pas nécessaire de bâtir au forceps un cadre juridique commun à toutes les autorités, qui ne tiendrait pas compte de leur diversité et appliquerait des règles parfois inadaptées.

À la marge, la très grande diversité des domaines d’intervention et des modalités d’action des autorités peut nécessiter des différences d’organisation et de fonctionnement, qui ne sont pas nécessairement des marques de dysfonctionnement. C’est pourquoi l’orientation que le Gouvernement retient depuis quelques années est certainement la plus pragmatique et la plus opérationnelle : continuer à identifier les thèmes communs pour les traiter un à un, sans pour autant imaginer une grande loi-cadre qui ne pourrait être adaptée à chacune d’entre elles.

Il ne s’agit pas, tant s’en faut, de renoncer aux objectifs vertueux poursuivis au travers de votre initiative. Nous proposons seulement d’être plus pragmatiques et plus agiles en choisissant l’harmonisation, la rationalisation, la mutualisation. Autant de sujets concrets auxquels le statut commun ne répond que très partiellement.

Je peux citer des projets très intéressants qui sont, par exemple, développés pour mutualiser les fonctions support.

Sous l’impulsion de la DSAF, la Direction des services administratifs et financiers, un processus de mise en commun de certaines fonctions support des services du Premier ministre et des AAI a été engagé. Les objectifs sont d’adopter une réponse collective à la contrainte de réduction des effectifs et de développer un mode de fonctionnement plus collaboratif entre les services.

Toutes les fonctions support sont étudiées : logistique-immobilier, informatique-téléphonie, ressources humaines, finances-achats. Encore une fois, ces projets très concrets viennent illustrer l’approche opérationnelle retenue par le Gouvernement, au service, je le crois, des mêmes objectifs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, pour l’ensemble de ces raisons le Gouvernement donne un avis négatif sur ces deux textes.

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