Intervention de Vincent Delahaye

Réunion du 4 février 2016 à 14h30
Autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes — Adoption d'une proposition de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission modifiés

Photo de Vincent DelahayeVincent Delahaye :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, mes chers collègues, les deux propositions de loi que nous examinons aujourd’hui sont le produit d’un remarquable travail de contrôle parlementaire mené par la commission d’enquête sur le fonctionnement des autorités administratives indépendantes. Il faut le souligner, notre débat d’aujourd'hui démontre une nouvelle fois le dynamisme du contrôle parlementaire au Sénat.

Concernant le fond de notre débat, je crois que le constat est clair. Nous assistons depuis quelque temps à une multiplication notable des autorités administratives indépendantes. Lorsque la notion fut développée par la doctrine et le législateur à la fin des années soixante-dix, il n’existait alors que la CNIL et la CADA. Les autorités administratives indépendantes avaient ainsi vocation soit à faciliter les relations entre le citoyen et l’administration, soit à saisir par le droit des phénomènes nouveaux, à l’image du numérique.

Aujourd’hui, nous comptons plus d’une quarantaine de structures qui peuvent se prévaloir de la qualité d’AAI. Certaines ont la personnalité juridique, d’autres non. Certaines sont de « hautes autorités », alors que d’autres ne sont qualifiées que de « conseils » ou de « commissions ».

Au-delà de la diversité des textes instituant ces structures, de la disparité des régimes et des dénominations, nous avons parfois devant nous des structures disposant à la fois d’un important pouvoir normatif en tant que régulateur sectoriel, d’un important pouvoir parajuridictionnel, au moyen de la possibilité d’adresser des sanctions, et d’un pouvoir administratif de fait.

Nous avons beau nous étonner d’une pareille confusion des pouvoirs, on nous répond que cela n’est pas grave puisque ces administrations sont « indépendantes ». Certaines de ces autorités disposent de pouvoirs exorbitants en matière d’enquête ou d’investigation : peu importe, elles sont « indépendantes ».

Pourtant, la commission d’enquête a bien démontré que derrière ce label de l’indépendance pouvait se cacher une forme d’entre soi des grands corps de l’État, d’esprit de club au moyen duquel on passe de cabinet ministériel en juridiction administrative, puis en autorité administrative indépendante. Cette situation est problématique, car la multiplication des AAI, dans des secteurs aussi divers que les marchés financiers, le numérique, les données personnelles, la bioéthique, et avec de tels pouvoirs tend progressivement à déposséder le Gouvernement comme le Parlement de leur propre pouvoir d’appréciation dans des domaines qui sont par nature législatifs.

En tant que parlementaires, nous ne pouvons pas abandonner une partie de notre compétence quotidienne à des structures dont le personnel n’est pas élu sans cautionner de facto un véritable déni technocratique de démocratie. Il était donc nécessaire de bâtir un statut général des autorités administratives indépendantes et donc d’en donner une définition, un cadre et surtout une liste.

À ce titre, les deux textes que nous allons examiner proposent une solution globalement équilibrée pour harmoniser le cadre légal dans lequel existent les AAI. Je me félicite surtout que nous puissions enfin disposer d’une liste de rang législatif. L’indépendance qui sert de fondement à l’autorité des AAI trouve enfin un contenu réel et concret, différent du corps administratif d’origine des membres de ces organismes.

Le titre Ier de la proposition de loi ordinaire explicite ainsi clairement que le mandat global de six ans est non révocable mais non renouvelable, sur un modèle comparable à celui des membres du Conseil constitutionnel, dont nous connaissons le traditionnel « devoir d’ingratitude » à l’endroit de l’autorité qui les a nommés.

En matière de déontologie, ces textes fixent un niveau exigeant mais nécessaire. Les auteurs proposent un régime d’incompatibilités comparable à celui des parlementaires, ce qui me semble être un gage de saine administration. La commission des lois a accepté que les membres de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique soient soumis à l’exercice de la déclaration de patrimoine, ce qui est une exigence d’exemplarité de bon sens. Il est peut-être regrettable que cette exigence n’ait pas été élargie à d’autres autorités.

Enfin, en matière de contrôle parlementaire, ces textes affirment clairement les moyens grâce auxquels le Parlement peut contrôler ces autorités réglementaires. Les AAI devront ainsi rendre compte de leur activité devant la représentation nationale, au moins par la présentation d’un rapport. Elles devront également se soumettre aux convocations des commissions permanentes, qui pourront, par ce biais, bénéficier plus aisément du produit de leurs travaux. Enfin et surtout, la proposition de loi organique permet d’étendre la liste des personnalités dont la nomination par le Président de la République est soumise à l’autorisation du Parlement selon la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution.

Ces deux propositions de loi n’enlèvent rien aux spécificités des AAI, qui peuvent avoir besoin de disposer de compétences particulières pour l’exercice de missions déterminées. Ainsi, le travail du Sénat apportera davantage de clarté et de démocratie à cette nébuleuse d’électrons administratifs libres de toute attache gouvernementale. Ce travail a été conforté par l’analyse de la commission de la culture et de son rapporteur pour avis, Philippe Bonnecarrère, sans oublier les observations formulées au nom de la commission des lois par son rapporteur Jacques Mézard.

Quelques points restent encore à traiter, notamment sur la liste des AAI annexée à la proposition de loi ordinaire. Bien que la présence sur cette liste ne fasse qu’attester d’un label sans remettre en cause l’existence des organismes qui ne seraient pas mentionnés, nous ne pouvons traiter cette question à la légère. Nous n’imaginons pas l’impact sectoriel de la dégradation d’un régulateur du rang d’AAI au rang de simple autorité administrative. Nous n’imaginons pas l’impact d’une telle décision sur l’exercice de ses compétences ni sur son fonctionnement interne. J’espère que nous parviendrons, au cours de l’examen en séance publique, à trouver un consensus sur la liste des AAI et que le Sénat parviendra ainsi à envoyer à l’Assemblée nationale des propositions solides.

Aussi, comme vous l’aurez compris, mes chers collègues, les sénateurs du groupe UDI-UC soutiendront l’adoption de ces deux propositions de loi.

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