Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 29 mai 2010 à 15h00
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Article 24

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je passerai rapidement sur le renvoi systématique des outre-mer au dernier article des lois, sur le recours abusif du Gouvernement aux ordonnances, sur les contradictions permanentes entre les déclarations de crise et les décisions de vérité, entre les gestes symboliques, qui clament l’importance des outre-mer pour la France, et les actes concrets, qui n’ont qu’un faible impact sur ce qu’on prétend tellement vouloir pour nos régions, à savoir leur développement économique endogène.

Monsieur le ministre, ce projet de loi comporte cinq titres et vingt-quatre articles. Or la seule mesure que vous prévoyez pour les outre-mer – qui ont à résoudre des problématiques bien différentes de celles de la métropole – consiste à prendre par ordonnance des mesures d’adaptation concernant des règles d’organisation, de gouvernance ou de procédure ! C’est très important, certes, mais vous laissez dans l’ombre, ou dans l’indifférenciation, des éléments essentiels et cruciaux pour ce secteur économique de l’agro-nutrition, présenté dans la LODEOM comme éminemment prioritaires.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré ici même, lors du débat d’orientation agricole, que la compétitivité dépendait de trois facteurs : la baisse des coûts de production, les débouchés et la valorisation des produits. Pour illustrer votre démonstration, vous avez argué d’exemples, de réponses et de stratégies, contestables ou non, qui ne sont valables que pour la métropole.

Mais qu’y a-t-il donc dans ce projet de loi, et notamment dans cet article 24, pour améliorer la compétitivité, ne serait-ce que la structuration ou la diversification, des agricultures ultramarines ? Qu’y a-t-il sur la pêche, s’agissant de régions maritimes, mais également ultrapériphériques, dans lesquelles presque tout reste à structurer, là où l’on parle, en métropole, de moderniser ?

Permettez-moi, monsieur le ministre, de reprendre votre approche des facteurs de compétitivité, en y introduisant quelques nuances. Les cultures historiques mises à part, le vrai défi des outre-mer, c’est l’autosuffisance alimentaire, qu’il s’agisse d’agriculture, d’élevage ou de pêche.

Reprenons donc vos propos et remplaçons le terme de compétitivité par celui d’autosuffisance. Dans les outre-mer, celle-ci dépend aussi des trois facteurs que vous avez cités, mais également d’autres qui ne se déclinent pas de la même manière qu’en métropole.

Premier facteur : l’accès au foncier. Certes, des espaces existent en Guyane. Encore faut-il y accéder, avoir les moyens financiers de s'y installer et de s'approprier la terre ! Quand seront levés, ou contournés, les freins bancaires à l'installation des jeunes agriculteurs ? Quand sera normalisée la question des titres fonciers ? Quand nos agriculteurs bénéficieront-ils des mêmes aides – dotations, prêts bonifiés, fonds de garantie – que leurs homologues métropolitains ?

Deuxième facteur : les coûts de la production. Cela vaut également pour la métropole. La baisse de ces coûts, par tous les leviers possibles, y compris au niveau de la réglementation communautaire, est une condition incontournable pour le développement de nos agricultures. Il n'en est pas question dans ce projet de loi, ni dans les ordonnances prévues à l'article 24, alors que les outils de la LODEOM, insuffisants, auraient pu utilement être complétés.

Troisième facteur : les débouchés. En Guyane, contrairement aux autres régions ultramarines, le nombre d'exploitations a fortement augmenté. Dans le même temps, le taux de couverture des besoins alimentaires par la production locale est des plus faibles. C’est dire l'importance de cette question ! Mais tant qu'il sera moins cher pour la population de manger des produits importés que des produits locaux, tant que les normes d'approvisionnement de la restauration collective rendront difficiles le recours aux petits producteurs locaux, et tant que ces petits producteurs ne pourront vivre décemment de leur activité, nous n'irons pas bien loin, même si nos capacités de production augmentaient miraculeusement ! Depuis la crise sociale de 2009, nous avons entendu parler d'assouplissement des règles des marchés publics, nous ne voyons aucun changement. Pourquoi ?

Quatrième facteur : la valorisation des produits. Il s’agit du troisième facteur monsieur le ministre, s'agissant de la métropole. Voilà un domaine où la marge de progression est grande dans les outre-mer ! Pour la pêche, par exemple, la structuration d'une interprofession rassemblant les acteurs de l'amont et de l'aval est nécessaire. Pour l'heure, ce sont les opérateurs et les demandes de l'aval qui dynamisent le secteur et tirent les producteurs. L’industrie de la transformation des produits agricoles, susceptible de générer une véritable valeur ajoutée pour l'exportation ou même le tourisme, est balbutiante. Mais pour atteindre ces objectifs, il faut structurer les filières, former les hommes, conforter le positionnement des producteurs d'outre-mer sur les marchés d'écoulement, en interne comme en Europe ou ailleurs ! Or les financements manquent, la formation manque ; par exemple, il n'y a même pas un centre permanent de formation sur les métiers de la mer en Guyane ! Vous voyez, monsieur le ministre, chaque facteur de réussite est entravé par des freins qui ne relèvent aucunement d'un manque de volonté, d'une incapacité de compétence, ou d'une attente d'assistanat de nos populations. Et ces résistances de base, les ordonnances que vous proposez de prendre ne suffiront pas à les lever.

Les amendements relatifs à la question, cruciale, du financement, n'ont pas passé le cap de l'irrecevabilité au titre de l’article 40 de la Constitution. J'espère que vous serez plus attentifs aux autres, simples propositions de mise en cohérence ou rappels des engagements du Gouvernement. Vous aurez ainsi l’opportunité de nous permettre de distinguer, dans l’action gouvernementale, ce qui relève de la communication de crise de ce qui constitue une véritable politique de soutien au développement des outre-mer.

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