Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les domaines agricoles et halieutiques ultramarins subissent, au même titre que tout le territoire français, une grave crise. Comme mon collègue le soulignait tout à l’heure, toutes les filières sont touchées.
Nous l’avons rappelé à maintes reprises, nos outre-mer sont fortement marqués par de nombreuses particularités, parmi lesquelles on compte l'importance prise par l'agriculture et la pêche dans l'équilibre socio-économique de ces territoires, et le « défi de l'autosuffisance alimentaire », pour reprendre l’expression des rapporteurs. Ces spécificités ont bien été mises en exergue à l’occasion des récentes concertations relatives aux outre-mer, dont le comité interministériel de l’outre-mer du 6 novembre dernier.
Dans les départements caribéens, les effets de la crise sont significatifs. L'avenir est pour le moins incertain, surtout au regard des accords conclus très récemment entre l'Europe et l'Amérique latine, dont l'objectif est, à terme, de libéraliser les échanges entre ces continents. Or ces pays produisent des denrées semblables aux nôtres, dans des conditions radicalement différentes. Il en résultera évidemment un dumping tarifaire.
En Martinique, l'agriculture génère plus de 270 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel. Elle requiert plus de 10% de la population active de l'île, sans compter l'agroalimentaire, premier employeur de l'industrie martiniquaise. Cette agriculture nourrit la population d'un territoire qui compte deux fois plus d'habitants que la moyenne des départements ruraux français, pour la même densité de population que l’Île-de-France. Les rapporteurs soulignent bien la forte réduction du nombre de surfaces agricoles et d'exploitations en trente ans. De 19 570 exploitations, nous sommes passés à 3 500 aujourd'hui, soit une baisse de 82%. Il s'agit de la plus importante diminution parmi les quatre départements d’outre-mer.
Les rapporteurs de la commission de l'économie affirment la nécessité d'édicter des normes spécifiques. Je partage l’analyse mais ne souscris pas à la méthode. En effet, le recours aux ordonnances en application de l'article 38 de la Constitution n'est pas approprié. La question est de savoir comment les ultramarins vont percevoir ce qui semble être un véritable double discours permanent. Les États généraux de l'Outre-mer, la mission sénatoriale, et le CIOM concluaient tous à la nécessité, pour les outre-mer, de prendre en charge leurs destins en participant réellement à la mise en œuvre des politiques publiques. De même, le 6 novembre dernier, le Président de la République s'interrogeait sur l'objectif essentiel de « passer d'une économie administrée à une économie endogène dans laquelle les Martiniquais soient acteurs de leur développement économique et politique ». Nous sommes donc étonnés de constater qu'il revient au Gouvernement, par voie d'ordonnances, d'adapter un texte aussi essentiel pour les outre-mer que celui relatif à la modernisation de l'agriculture et de la pêche.
Vous pourriez m'opposer que la prise de ce type d'ordonnances doit être précédée d'une consultation préalable des conseils départementaux et régionaux des collectivités concernées, conformément à la procédure prévue aux articles L.3444-1 et L.4433-3 du code général des collectivités territoriales. Toutefois, je ne vous étonnerai pas beaucoup en rappelant – je l’ai souvent fait – le caractère plutôt formel de ces consultations. En tant que président de conseil général, je peux en témoigner ! Les délais impartis aux exécutifs locaux sont généralement si courts qu'un examen approfondi des dossiers est très souvent impossible. Dans bien des cas, la décision finale est déjà prise, et même parfois publiée, au moment où l'avis est sollicité.
Par ailleurs, force est de le constater, le Parlement est, une fois de plus, dessaisi de son rôle, ce que les rapporteurs, eux aussi, regrettent. D’après la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel depuis 1986, le recours aux ordonnances au titre de l'article 38 de la Constitution est subordonné à la justification et à la précision des demandes d'habilitation du Gouvernement. Si la précision de la demande ne semble pas faire défaut depuis la réécriture de l'article 24 par la commission de l'économie, il n'en va pas de même pour sa justification. Le recours aux ordonnances n'est pas justifié dans la mesure où il existe, en théorie du moins, pour les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution, la possibilité d'adapter les textes nationaux par voie d'habilitation. Or, une fois le Gouvernement habilité à agir par voie d'ordonnances, l'habilitation ne sera plus accessible aux collectivités domiennes, puisque les deux types d’habilitation ne peuvent se cumuler sur un même sujet. C'est en cela que ce texte apparaît contestable constitutionnellement, puisque le recours à l'article 38 de la Constitution vide de son sens la procédure de l'article 73, dont on ne cesse de nous vanter les mérites.
Bref; au « chèque en blanc » signé au nom du Gouvernement, j'aurais préféré l’établissement d’un réel partenariat entre la puissance publique, les élus locaux, les partenaires sociaux et les entreprises, ainsi que l'annonçait le Président de la République il y a moins de six mois.