Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi a le grand mérite d’ouvrir un débat sur la laïcité et sur le mot lui-même, car sans doute n’en avons-nous pas la même lecture, la même définition, ni la même conception. Formons le vœu que ce débat nous aide, en permettant de nommer les choses et les situations, à passer de l’incantation à la pratique.
Permettez-moi de rappeler d’abord l’origine du mot « laïc », une origine tout ce qu’il y a de plus de religieuse, puisqu’il s’agit d’un terme ecclésiastique, apparu au XIIIe siècle et utilisé dans le vocabulaire des églises chrétiennes pour désigner toute personne de la communauté qui n’est ni un clerc ni un religieux, c’est-à-dire toute personne non consacrée mais appartenant à l’Église. Avouons qu’il est pour le moins paradoxal qu’un mot issu de la religion soit employé pour signifier l’exclusion de celle-ci de la sphère publique.
La loi de 1905 n’est pas une loi sur la laïcité proprement dite. C’est bien une loi de séparation de l’église, en l’occurrence l’église catholique, et de l’État. Replacée dans son contexte, elle n’est pas anodine. Il s’agissait alors de limiter l’influence morale et éducative de l’Église catholique et, en lui confisquant ses biens, de lui retirer les moyens de son action ou de les limiter.
Avec le recul, nous constatons que, en posant clairement une heureuse séparation entre le temporel et le spirituel, cette loi a procuré à l’église une liberté d’expression et une indépendance. Quant à Émile Combes, si décrié à l’époque, il mériterait, ironie du sort, d’avoir sa statue dans toutes les églises de France en tant que bienfaiteur malgré lui, puisque la confiscation des biens du clergé a transféré la propriété des édifices religieux aux communes, à qui en incombe désormais l’entretien !
Il faut maintenant regarder les choses en face, mes chers collègues : est-ce la pratique religieuse chrétienne ou judaïque qui pose problème aujourd’hui en France au regard des lois de la République et de la laïcité ? Est-ce être islamophobe que de constater que la distinction entre le politique et le religieux n’est pas de tradition chez les musulmans, comme l’histoire récente nous l’a rappelé avec les « printemps arabes » ? Peut-on dire, sans être accusé de tous les maux, que l’islam radical condamne cette séparation et que c’est bien souvent au nom du refus d’une telle séparation qu’il commet les actes terroristes que nous connaissons ?
La laïcité doit s’appliquer à toutes les religions ! Comment ne pas s’émouvoir de certaines revendications, comme celle d’un accès spécifique aux soins ou aux piscines pour les femmes ou celle de l’élaboration de menus particuliers dans les cantines ?
Remettre en cause l’installation de crèches dans les mairies à l’époque de Noël, alors que nous n’arrivons pas à faire respecter l’interdiction du voile intégral ; rester silencieux lorsque les « Femen » se livrent à des provocations et ne pas trouver les moyens de sanctionner des imams qui insultent la République : à mon sens, il ne s’agit pas là de la meilleure manière de promouvoir une vraie laïcité, c’est-à-dire celle d’un État respectueux et neutre face à toutes les croyances.
La laïcité ne peut être à géométrie variable. Il y va de l’unité du peuple et de sa confiance en ses dirigeants. Ce pacte de confiance est menacé de rupture, en raison d’interprétations de la laïcité tantôt doctrinaires, tantôt complaisantes. L’affrontement dont nous sommes témoins, aujourd’hui, au sein même de l’Observatoire de la laïcité en est une parfaite illustration.
Le président du Sénat a, à juste titre, appelé l’État à « s’emparer de la question des religions », afin d’éviter d’être pris « au piège de l’instrumentalisation croissante du religieux dans la vie publique ». En effet, penser que l’on puisse aboutir à une société sécularisée et ignorante du fait religieux est illusoire. L’aspiration à une transcendance n’est pas nouvelle ; elle est respectable en soi. C’est l’usage qui peut en être fait qui doit, le cas échéant, être condamné, voire combattu. Si l’État se doit d’être laïque au nom de la séparation des pouvoirs, il ne peut ignorer que la société est aux prises avec d’autres influences que la sienne et que la seule limite à la liberté de penser et d’agir est inscrite dans la loi du 9 décembre 1905.
La laïcité n’est pas la négation du religieux. Elle définit le rapport du religieux au politique et la gestion de la pluralité des identités religieuses de la France, dans l’assurance de leur respect, pour autant que chacune d’elles fasse sien ce principe de séparation. C’est sur cette base et seulement sur cette base que l’État pourra faire face au radicalisme religieux qui menace notre pays.
La laïcité se pratique bien plus qu’elle ne se décrète. Nous avons suffisamment condamné les lois émotionnelles, votées à la hâte sous la pression de l’actualité, pour ne pas aujourd’hui succomber à la tentation de réformer la Constitution dans les mêmes conditions, alors qu’un important arsenal juridique existe déjà. C’est l’action et la pédagogie que nous voulons privilégier !