Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’objet de cette proposition de loi organique du RDSE, revisitée par notre rapporteur et la commission des lois, est de supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires. Il s’agit, en français standard, de supprimer les « parlementaires en mission ».
Pourquoi cette idée saugrenue, penserez-vous ? Pourquoi priver le Parlement de ce moyen de faire connaître à l’exécutif, qui ne l’entend guère, son sentiment sur des sujets importants ? Telles sont les questions que se posent un certain nombre de nos collègues. Y répondre exige un détour et quelques explications complémentaires.
D’abord, qu’est-ce qu’un « parlementaire en mission » aux termes de la législation actuelle ? C’est tout simplement un député ou un sénateur chargé discrétionnairement par le Gouvernement d’une mission de six mois. Celle-ci se limite généralement à la rédaction d’un rapport, mais elle peut parfois consister en l’exercice de véritables fonctions administratives, telles que celles de préfet, de président de comité, de ministre plénipotentiaire, etc. À l’inverse, on ne retrouve parfois trace d’aucune activité du chargé de mission.
Durant ces six mois, le parlementaire, qui conserve son statut et peut même déléguer son droit de vote, continue d’exercer normalement son mandat parallèlement à la mission qui lui a été confiée. Quand, à la demande du Gouvernement, la mission se prolonge, son mandat cesse et il est alors remplacé par son suppléant ou par son suivant de liste, pour les sénateurs élus à la proportionnelle, sans qu’il soit besoin d’organiser une élection partielle.
Si la nomination d’un parlementaire en mission prend la forme d’un décret, celui-ci n’est pas toujours publié et peut rester muet sur l’objet de la mission.
Les bénéficiaires sont le plus souvent des parlementaires appartenant à la majorité présidentielle ou à ses franges, mais ils peuvent aussi être issus de l’opposition, dès lors qu’ils partagent les opinions de la majorité sur le sujet en cause. Le fin du fin consiste à nommer des binômes associant un parlementaire de la majorité et un de l’opposition, ne divergeant que sur les détails.
Enfin, pour un même parlementaire, ces missions, séparées de brèves interruptions, peuvent se succéder dans le temps.
On aura remarqué que cette pratique est tout d’abord une violation assumée du principe de la séparation des pouvoirs et des fonctions, à la différence des missions consultatives plus ou moins informelles confiées par un ministre au titre de la préparation d’un projet de loi ou de son suivi ; qu’elle constitue ensuite une « entourloupe » au regard du suffrage universel : les électeurs n’ayant pas voté pour un binôme exerçant alternativement un mandat parlementaire et des fonctions gouvernementales, la moindre des choses serait que le siège abandonné soit pourvu par le biais d’une élection partielle ; que la nomination ainsi que la décision de prolongation, enfin, sont le fait du Gouvernement, le Parlement ne pouvant s’y opposer.
Ce sont là autant de raisons qui, justifiant la suppression des parlementaires en mission, ont conduit la commission des lois à soutenir la proposition de loi organique du RDSE. Elle l’a fait d’autant plus volontiers que cette pratique, d’occasionnelle et parfois justifiée par les aptitudes de la personne nommée à l’exercice de la mission à elle confiée – ce fut le cas pour la nomination du premier parlementaire en mission, en 1849, en pleine affaire de Rome –, est devenue habituelle. Ainsi, il y a eu 76 parlementaires en mission durant la législature 1997-2002, 108 durant la législature 2002-2007, 113 durant la législature 2007-2012 et déjà 100 depuis 2012, en seulement trois ans ! On a même l’impression d’une amplification du phénomène en cette fin de mandat présidentiel.
Cette inflation montre, à elle seule, que la désignation de parlementaires en mission, à la discrétion du Gouvernement, représente plus souvent une décoration – méritée, je n’en disconviens pas – qu’un moyen d’améliorer la pratique gouvernementale ou d’enrichir la vie parlementaire. Personnellement, j’y vois un moyen de contrôle soft du Parlement.
C’est un moyen habile qui s’ajoute à l’encadrement constitutionnel connu sous le nom de parlementarisme rationalisé, à l’autocensure du Parlement, désormais converti à l’usage extensif des articles 40 et 41 de la Constitution, parfois de l’article 34, de la règle de l’« entonnoir » inventée par le Conseil constitutionnel, infatigable gardien des prérogatives que s’attribue le Gouvernement. Le Parlement se trouve ainsi bridé par les règles qu’il s’impose à lui-même ou qu’il accepte de se voir imposer par sa propre administration – je le dis en connaissance de cause –, sans parler des conseils discrets et amicaux distillés par les cabinets ministériels aux rapporteurs pour le bien du Parlement, dont la cote de popularité se mesure désormais à l’aune de la rapidité avec laquelle il vote les projets de loi.