Intervention de Hugues Portelli

Réunion du 3 février 2016 à 22h20
Suppression des missions temporaires confiées par le gouvernement aux parlementaires — Adoption d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi organique présentée par le groupe du RDSE porte sur un sujet qui n’est pas très souvent traité, y compris dans les facultés de droit : les parlementaires en mission, catégorie pourtant très intéressante.

Ayant commencé mes travaux par quelques recherches dans les archives, j’ai découvert que le premier utilisateur de cette procédure ne fut autre qu’Alexis de Tocqueville : il en fut non pas le bénéficiaire, mais l’instigateur, au tout début de la IIe République, régime de séparation des pouvoirs s’il en fut – si stricte était leur séparation que tout se termina par un coup d’État ! Or, malgré cette séparation absolue des pouvoirs, Alexis de Tocqueville, ministre des affaires étrangères, put, grâce à une loi votée fort opportunément en mars 1849, attribuer à l’un de ses amis, M. de Corcelle, député, le titre de « parlementaire en mission », moyennant quoi celui-ci put partir à Rome pour six mois en qualité de ministre plénipotentiaire.

Ainsi apparu dans notre histoire constitutionnelle, ce dispositif connut une éclipse, avant de reparaître sous la Ve République.

Il faut mesurer combien les premiers mois de celle-ci furent une époque bénie pour l’exécutif. Songez que le gouvernement Debré put, sur le fondement de l’article 92 de la Constitution, supprimé depuis, prendre une ordonnance lui permettant d’élaborer toutes les lois, notamment organiques, qu’il souhaitait. Ces lois ont pu être adoptées sans guère de contrôle de constitutionnalité et alors que le Parlement n’était pas encore en fonction : le Sénat, en particulier, ne fut élu qu’en avril 1959.

Dans l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, on introduisit le dispositif du parlementaire en mission, qui, dans un premier temps, ne prospéra guère. Il fallut attendre les années soixante-dix pour que se développe son utilisation, de manière bientôt exponentielle. Sous la présidence de Georges Pompidou, le gouvernement Messmer, en particulier, y recourut assez abondamment.

Le phénomène a pris, ces vingt dernières années, une ampleur extrême. Imaginez que onze parlementaires en mission ont été nommés au cours du seul mois de janvier dernier : ce chiffre est tout de même impressionnant !

Qu’est-ce donc qu’un parlementaire en mission ? Il s’agit d’un parlementaire de plein exercice, jouissant de la plénitude de ses droits de sénateur ou de député, notamment en matière d’indemnité, d’immunité, de droit de vote, et qui, dans le même temps, sur nomination du Gouvernement, exerce une mission publique non élective, dont la durée ne peut pas dépasser six mois. D’un point de vue constitutionnel, cette mission constitue une exception au principe d’incompatibilité entre le mandat parlementaire et toute fonction publique, élective ou non élective, principe en vertu duquel un sénateur ou un député qui entre au Gouvernement cesse d’être parlementaire, du moins provisoirement.

Dès l’origine, on a considéré que tout type de fonction publique non élective pouvait être confié à un parlementaire en mission. C’est ainsi que certains parlementaires en mission ont été amenés à exercer des fonctions importantes : M. Christian Nucci, ancien parlementaire bien connu, notamment des services de police et de la magistrature, fut haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, avec rang préfectoral.

Cette possibilité pour un parlementaire de cumuler son mandat avec une fonction publique non élective place celui qui en bénéficie du côté de l’exécutif pendant une durée de six mois, au terme de laquelle, normalement, sa mission s’achève. Il redevient alors simple parlementaire. En revanche, si la mission se voit prolongée, la loi dispose que le mandat parlementaire cesse. On ne connaît que quelques exceptions à cette règle : l’exemple le plus connu est celui d’Edgar Faure, qui, chargé de préparer les cérémonies du bicentenaire de 1789, poursuivit sa mission au-delà des six mois prévus tout en demeurant député du Doubs. Il se trouva bien un électeur de sa circonscription pour saisir le Conseil constitutionnel, mais celui-ci ne donna pas suite, estimant qu’il ne pouvait être saisi, dans un tel cas, que par les instances de l’assemblée à laquelle appartient le parlementaire en mission.

Dans d’autres cas, les assemblées parlementaires font preuve de davantage de rigueur ; c’est ainsi que M. Nucci, encore lui, ayant vu sa mission renouvelée six jours trop tard, a perdu son mandat parlementaire.

J’en viens au contrôle exercé dans ce domaine.

Le Conseil constitutionnel, ainsi que je l’ai expliqué, ne peut être saisi, « en cas de doute », que par le bureau d’une assemblée ; en l’absence d’une telle saisine, il s’estime incompétent.

Quant au Conseil d’État, qui lui aussi a été saisi dans certains cas, il ne s’est prononcé ni sur la nature juridique de la mission ni sur son bien-fondé, même s’il a refusé de classer la nomination d’un parlementaire en mission parmi les actes de gouvernement. En revanche, il s’est hasardé à définir ce que pouvait être une véritable mission, car, après tout, le Premier ministre ou un ministre peut, de manière informelle, charger un parlementaire de suivre tel ou tel dossier, par exemple, sans prise d’un décret de nomination. Selon le Conseil d’État, l’exercice d’une mission suppose, a minima, la remise d’un rapport. Dans la vraie vie, il arrive que le rapport, voire le décret de nomination, se perde…

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