Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il nous est proposé, par M. Mézard et plusieurs de ses collègues du groupe RDSE, de procéder à la suppression des missions temporaires que le Gouvernement peut être amené à confier à des parlementaires.
Le parlementaire en mission a été institué sous la IIe République. Ce régime n’entretenait pourtant pas de confusion dans l’exercice des pouvoirs, puisqu’il avait la singularité de poser une séparation très stricte entre l’exécutif et le législatif.
La Ve République a voulu faire sienne cette pratique. Que ce soit pour préparer une réforme législative ou pour en dresser un bilan, le recours aux parlementaires en mission s’est essentiellement développé à partir des années soixante-dix.
On observe que, au cours des dernières législatures, le nombre des nominations s’est établi à un niveau assez constant : on compte environ 100 missions confiées à des parlementaires par législature. Ces missions temporaires et leur utilité ne semblent donc pas avoir été l’objet, de la part des gouvernements successifs, d’une remise en cause ou d’une désaffection au cours des dernières années.
J’ai moi-même été amené, en 2013, à conduire avec mon collègue Ronan Dantec une mission sur le rôle des collectivités territoriales dans les négociations climatiques. La durée de cette mission n’a pas excédé six mois et notre rapport a été rendu public. Je nourris humblement l’espoir que nos travaux auront pu être éclairants dans la perspective de la COP 21, qui s’est tenue par la suite.
Le 29 janvier dernier encore, quatre d’entre nous, trois sénateurs du groupe Les Républicains et un du groupe socialiste et républicain, se sont vu confier une mission sur le renforcement de l’attractivité et de la compétitivité des principales portes d’entrée maritimes françaises.
Le recours aux parlementaires en mission présente en effet des intérêts multiples.
Dans la conduite de ses réformes, le Gouvernement peut notamment souhaiter s’appuyer sur les travaux d’un membre de la représentation nationale afin de disposer d’un éclairage nouveau que ne lui offriraient pas nécessairement les services ministériels.
Le « déminage » parlementaire est également parfois incontournable en vue de dessiner une réforme que le Gouvernement éprouve d’importantes difficultés à engager.
Certains de nos collègues se sont d’ailleurs remarquablement illustrés dans cet exercice. Je pense notamment à la « patate chaude » de la réforme du régime de l’auto-entrepreneur : les recommandations formulées par le député Laurent Grandguillaume ont été très favorablement accueillies et elles ont ensuite été intégrées, de façon tout à fait naturelle, au sein du projet de loi relatif à l’artisanat.
La question d’une évolution des conditions dans lesquelles ces missions sont attribuées ou du cadre au sein duquel elles s’accomplissent peut légitimement être posée et débattue. Mais l’éventuelle suppression de la pratique de ces missions mérite, dans tous les cas, une réflexion plus approfondie de notre part.
La révision constitutionnelle intervenue en 2008, portant sur l’équilibre des relations entre l’exécutif et le législatif, représentait d’ailleurs un cadre tout à fait approprié pour un tel débat. Nous aurions notamment pu, avec la préoccupation de restituer la fonction de parlementaire en mission au pouvoir législatif, intégrer de nouvelles procédures de désignation par les présidents des deux chambres.
La proposition qui nous est faite aujourd’hui de supprimer purement et simplement les missions temporaires confiées à des parlementaires est disproportionnée au regard des griefs formulés.
En effet, l’affaiblissement de la fonction de contrôle parlementaire peut aussi largement trouver sa source dans l’accumulation des représentations de parlementaires au sein des comités, autorités, observatoires et autres commissions.
Il nous paraîtrait injustifié de supprimer les missions temporaires confiées à des parlementaires pour ce motif quand, dans le même temps, on dénombre de multiples nominations de parlementaires, en tant que personnalités qualifiées, dans divers organismes.
L’exemple des autorités administratives indépendantes est, à ce titre, assez éloquent. En 1981, il n’en existait que deux : la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA ; elles sont désormais une quarantaine. Les statuts divers dont elles relèvent vont de la simple consultation au contrôle, avec des pouvoirs d’investigation variés et des régimes de sanctions qui les confrontent aux juridictions administratives et pénales.
La prolifération de ces instances et la présence en leur sein de membres du Parlement conduisent à la création, au fil du temps, d’une sorte de « Parlement bis ». Les assemblées parlementaires se privent alors, par respect pour les élus siégeant dans ces autorités, de réels moyens de contrôle et de débats sur des problèmes de société.
Au regard de tous ces éléments, et même si certaines questions soulevées par nos collègues du groupe du RDSE peuvent apparaître légitimes, nous ne souscrivons pas à la proposition qui nous est faite ce soir. Nous ne voterons pas la suppression des missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires.
Ces missions, il est toujours utile de le rappeler, représentent un travail bénévole et ne donnent lieu au versement d’aucune indemnité aux parlementaires qui les conduisent.
Le groupe socialiste et républicain votera contre ce texte.