Intervention de David Assouline

Réunion du 9 février 2016 à 14h30
Liberté de création architecture et patrimoine — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, nous entamons au Sénat un débat sur une loi trop longtemps attendue.

Ce texte était attendu, certes, parce que les sujets qu’elle traite méritaient des réponses législatives, mais, surtout, parce que le contexte actuel, dominé par des attaques terroristes contre notre mode de vie en société, mais aussi par une remise en cause de nos valeurs républicaines et de la laïcité, qui nous permettent de vivre ensemble, comme par le chômage de masse, qui mine le lien social, appelait également une réponse culturelle.

C’est notre culture qui est visée, dans ce qu’elle est et ce qu’elle a de magnifique, ce concentré de valeurs universalistes, d’expressions et de représentations qui ont infusé au fil des siècles et les territoires de notre pays, d’apports ininterrompus de tous ceux qui sont venus le peupler et s’y installer ; c’est bien cela qui est la cible particulière des terroristes.

Ils tuent des dessinateurs caricaturistes ou des amoureux de musique dans un concert au Bataclan ; ils tirent sur des terrasses de l’Est Parisien, assassinent des Juifs parce qu’ils sont juifs, dans la France du « J’accuse » de Zola, ou détruisent des trésors archéologiques, patrimoines de l’humanité, brûlent des livres, interdisent des poèmes, des films, des chants et des musiques.

C’est aussi la culture qui est ciblée de plus en plus fréquemment par les intolérants et les extrémistes, qui, en Europe et dans notre pays, saccagent des œuvres et des expositions ou empêchent des représentations au nom de leur idéologie d’exclusion.

La culture est ciblée, mais c’est aussi par la culture que nous devons répondre, par la création, par l’art – tous les arts –, par la défense de notre patrimoine, de tous nos patrimoines.

Plus généralement, je pense que nous devons être capables de redonner du sens à la politique par la culture, et non par l’énoncé sans âme de chiffres et de statistiques économiques.

Dans ce moment où le lien social se délite, où un nombre grandissant de nos concitoyens vit dans la précarité et où la tentation éternelle d’accuser l’autre de ses difficultés de vivre envahit l’espace social et politique, s’émerveiller au plus profond de soi, mais comme tant d’autres, devant une peinture, être bouleversé par un film dans l’obscurité d’une salle, reprendre en chœur par milliers le refrain d’une chanson dans un concert, prendre plaisir à déguster les mots d’un auteur d’il y a plusieurs siècles ou d’un contemporain, par la lecture ou pendant une représentation théâtrale, ou danser sur des rythmes et des musiques qui viennent de tous les continents et de tous les temps, tel est l’antidote à la barbarie, à la haine et à l’ignorance, engrais des moissons de poison.

Oui, parce qu’aujourd’hui nous traversons des crises multiples, notamment des crises terroriste, économique et civique, aujourd’hui moins que jamais, la culture est un supplément d’âme. La culture est notre âme ! Dès lors, nous devons lui redonner toute sa place dans le projet républicain : nous devons être capables de la valoriser, de lui redonner toute sa force, tout son rayonnement et toute sa capacité dynamique d’évocation, de sublimation, d’entraînement, d’utopie, de contestation et de partage d’émotions à nul autre pareil.

Madame la ministre, mes chers collègues, la bataille culturelle pour les valeurs de la République doit être aussi un combat de la République pour la culture !

Le projet de loi que défend Mme la ministre, largement amendé à l’Assemblée nationale, est une pierre importante dans ce combat : il affirme résolument la place de l’art et de la culture dans la République, relance l’éducation artistique, renforce la protection du patrimoine et apporte, enfin, une première réponse à la révolution numérique qui a bouleversé les pratiques artistiques et culturelles.

Grâce à ce texte, les artistes seront mieux protégés et, surtout, mieux rémunérés, par des règles précises et transparentes dans les secteurs musical et cinématographique. En outre, la diversité culturelle et les pratiques amateurs bénéficieront désormais d’une reconnaissance législative, tandis que la libre création des œuvres et la libre programmation des spectacles seront des biens communs garantis par la loi.

Surtout, madame la ministre, vous avez tenu à affirmer avec force dès l’article 1er du projet de loi, à la manière d’une proclamation solennelle, que la liberté de création fait partie des libertés fondamentales. Bravo !

Pour aller dans votre sens, nous proposerons d’introduire après l’article 1er, auquel nous ne voulons rien changer, car il prend toute sa force tel quel, un nouvel article 1er bis concrétisant et renforçant cette affirmation en proclamant aussi : « La diffusion de la création est libre ».

De fait, chacun sait que, dans le contexte actuel de la mondialisation, de la financiarisation de l’économie, de la gigantesque révolution technologique du numérique, du bouleversement de l’offre et des usages et de la tendance à la concentration de la diffusion de la création entre les mains d’un petit nombre de grands acteurs qui contrôlent souvent toute la chaîne d’un secteur, la diffusion de la création est de moins en moins libre, en dépit de toutes les apparences, car l’abondance de l’offre, des supports et des consommateurs qui peuvent recevoir l’offre ne garantit pas la diversité de celle-ci.

De ce point de vue, aucun secteur n’est épargné : ni la création audiovisuelle ou cinématographique, ni la musique, ni le spectacle vivant, ni même le livre ou les arts visuels. À tel point que, pour que la création soit libre, c’est aujourd’hui sa diffusion qui doit être libérée. Comment ? En la régulant, pour s’assurer que ni le contenu de la création, ni son exposition, ni son financement ne sont touchés par l’uniformisation, qui est la négation de la création artistique.

Or, comme toujours, le marché fait son œuvre, mais sa seule logique, brutale parce que guidée avant tout par la recherche du profit maximum et par le rapport de forces financier et économique, ne permet pas de préserver ni de promouvoir la diversité et la qualité de l’offre créative, qui sont au cœur de l’exception culturelle que la France défend avec constance, et souvent avec succès, dans toutes les enceintes de la délibération, de la négociation et de la gouvernance internationales.

Ainsi, la France a obtenu que les biens culturels soient retirés de la négociation du traité transatlantique, et nous avons marqué des points encourageants, qui ne doivent pas nous conduire à relâcher notre vigilance, sur la directive Droit d’auteur, en préparation au niveau européen.

Cette tendance à la concentration a pour conséquence le délitement de cette exception culturelle, qui était au cœur du consensus républicain sur la culture, ainsi que l’effacement progressif du citoyen au profit du consommateur.

L’exception culturelle, chacun certes se sent obligé de s’y référer, et cela n’est pas à négliger, mais ce qui domine dans le monde et submerge les digues que nous avions patiemment construites, c’est la transformation de la culture en une marchandise comme les autres. Or cette conception mine les deux grandes ambitions culturelles de la République, intimement liées et dépendantes l’une de l’autre : l’égalité d’accès des citoyens aux œuvres artistiques dans tous les domaines ; la protection de la liberté de création et des créateurs, ainsi que l’aide à tous deux.

Nous savons que les « industries culturelles », comme l’on dit aujourd’hui, de façon à mon sens impropre

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