La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (projet n° 356, texte de la commission n° 369, rapport n° 368).
Mes chers collègues, comme je l’ai annoncé en conférence des présidents, nous voterons, à ma demande, par scrutin public sur l’ensemble de ce projet de loi, conformément à l’article 60 de notre règlement.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le 13 novembre 2015, notre pays est confronté à une menace terroriste d’une gravité sans précédent au cours de notre histoire.
Voilà maintenant trois mois, 130 victimes innocentes ont perdu la vie, en plein cœur de Paris et aux abords du Stade de France, tandis que des centaines d’autres resteront longtemps marquées dans leur chair, parfois même pour le restant de leurs jours. Jamais, jusqu’alors, nous n’avions connu des attentats d’une telle nature et d’une telle ampleur sur le sol national.
Sous l’autorité du Président de la République, le Gouvernement a pris toutes les mesures qui s’imposaient, décrétant notamment l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national, afin de donner aux autorités de l’État les moyens, dans de telles circonstances, de préserver l’ordre public et de prévenir la commission de nouveaux attentats.
Le 20 novembre, le Parlement a adopté à la quasi-unanimité la loi modernisant la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et en prorogeant l’application pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015.
Aujourd’hui, en raison de la persistance de menaces susceptibles de nous frapper à tout moment, le Gouvernement soumet à votre examen une nouvelle loi de prorogation de l’état d’urgence pour une durée supplémentaire de trois mois.
À cet égard, je veux saluer le travail réalisé en commission des lois du Sénat autour du constat de la nécessité de cette nouvelle prorogation, et remercier tout particulièrement le président Philippe Bas. Je tiens également à remercier le comité de suivi de l’état d’urgence et son rapporteur spécial, Michel Mercier, qui ont d’ores et déjà fourni un travail très important d’évaluation des mesures que nous avons prises dans le cadre de l’état d’urgence.
Je crois utile de commencer par rappeler l’état d’esprit dans lequel nous proposons au Parlement d’adopter cette nouvelle loi de prorogation.
L’exception au droit commun fait partie intégrante de l’histoire républicaine française. Tout État démocratique a en effet le devoir de prévoir un dispositif d’exception susceptible de lui donner les moyens de droit pour faire face à une situation d’une extrême gravité. Mais il doit bien évidemment le faire dans le respect scrupuleux des principes démocratiques et en prévoyant les garanties permettant de s’assurer qu’il en sera fait un usage strictement nécessaire.
La loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence vise ainsi à nous permettre de lutter contre tout « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou contre des « événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Nul ne conteste ici, j’en suis convaincu, que les attentats du 13 novembre s’inscrivaient dans ce cadre.
Mais si nous devons faire preuve de fermeté et de détermination, nous devons également agir dans la pleine conscience de la responsabilité qui est la nôtre. L’état d’urgence n’est pas le contraire de l’État de droit : il en est au contraire, dès lors que la situation l’exige, le bouclier.
Contrairement à ce que j’ai pu lire ici ou là parfois dans la presse, l’état d’urgence n’est donc pas synonyme d’arbitraire. Les raisons justifiant d’y avoir recours, sa déclaration comme sa prorogation, ainsi que les actes et les décisions pris sur son fondement, sont tous prévus et strictement encadrés par la loi.
Par principe, l’état d’urgence n’a pas vocation à durer plus longtemps qu’il est nécessaire. Sa légitimité réside précisément dans ce caractère provisoire, déterminé par la persistance du péril imminent qui a justifié sa déclaration. Je vous présenterai dans quelques instants les données factuelles qui amènent le Gouvernement à juger que ce péril persiste.
J’ajoute enfin que, avec la loi du 20 novembre 2015 et cette nouvelle loi de prorogation, nous demeurons fidèles à l’ambition républicaine et progressiste qui animait les rédacteurs de la loi de 1955 – je veux bien sûr parler de Pierre Mendès France et d’Edgar Faure –, lesquels considéraient en effet que l’état d’urgence constituait une alternative libérale à l’état de siège.
C’est dans ce même esprit que le Gouvernement a pris l’initiative, dès la loi du 20 novembre, de supprimer certaines mesures relatives au contrôle des médias qui apparaissaient inadaptées aux réalités contemporaines et susceptibles de porter atteinte aux libertés publiques.
C’est également pourquoi le Gouvernement a souhaité prévoir des garanties supplémentaires, telles que l’interdiction de procéder à des perquisitions administratives « dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes », la nécessité d’information du procureur de la République avant et après la perquisition ou encore le contrôle du juge administratif, y compris dans l’urgence.
Enfin, c’est également ce gouvernement, et nul autre, qui a mis en place un contrôle parlementaire inédit et pleinement effectif de l’état d’urgence ; j’y reviendrai.
Je veux maintenant vous présenter un bilan précis des mesures que nous avons mises en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence et des résultats qu’elles ont d’ores et déjà permis d’obtenir.
Depuis le 13 novembre dernier, 3 336 perquisitions administratives ont été réalisées. Elles ont notamment permis la saisie de 578 armes, qui se répartissent de la manière suivante : 220 armes longues ; 169 armes de poing ; 42 armes de guerre ; 147 autres armes, présentant pour la plupart un caractère de dangerosité élevé. De plus, 395 interpellations ont eu lieu, entraînant 344 gardes à vue.
Au lendemain des attentats du 13 novembre, l’État a fait le choix de créer un effet de surprise pour éviter toute réplique éventuelle et déstabiliser les filières liées à des activités terroristes. Nous y sommes d’ores et déjà parvenus.
Néanmoins, je n’ignore pas que, depuis la proclamation de l’état d’urgence, des critiques ont été émises, notamment sur l’usage qui était fait de ces mesures. J’ai pour ma part identifié certains faits isolés, certaines perquisitions qui n’ont pas été accomplies avec le discernement qui aurait dû pourtant présider à leur mise en œuvre ou même à leur choix. Je pense notamment à une perquisition dans une ferme biologique du Périgord qui a eu lieu le 24 novembre dernier et qui était manifestement injustifiée. Je pense également aux conditions d’une autre perquisition, menée le 17 novembre, cette fois dans une mosquée à Aubervilliers. On peut perquisitionner un lieu de culte, mais rien ne justifie, au moment de cette perquisition, que l’on ne respecte pas un certain nombre de symboles de la religion concernée, au risque de choquer les fidèles.
J’ai par conséquent immédiatement donné des instructions extrêmement fermes pour que les opérations de perquisition ne concernent que des objectifs pertinents et qu’elles se déroulent de manière irréprochable. Ces instructions ont fait l’objet d’un télégramme, en date du 25 novembre dernier, adressé aux préfets. J’ai également demandé à la Direction générale de la police nationale et à la Direction générale de la gendarmerie nationale de transmettre les mêmes consignes auprès de leurs effectifs.
J’ai transmis l’ensemble des éléments communiqués à mes collaborateurs précisant les conditions de mise en œuvre de l’état d’urgence aux commissions de contrôle de l’état d’urgence instituées par le Parlement. Votre rapporteur, Michel Mercier, dispose depuis de nombreuses semaines de ces documents.
Je souhaite également vous informer des suites judiciaires qui ont été pour l’heure réservées à ces mesures, et tout particulièrement aux perquisitions.
À la date du 2 février, 563 procédures judiciaires avaient été ouvertes. Sur les 344 gardes à vue, 65 condamnations ont d’ores et déjà été prononcées et 54 décisions d’écrou ont été prises.
Si l’on s’en tenait au seul chiffre des procédures ouvertes sous la qualification terroriste – 28 procédures, dont 23 pour apologie du terrorisme –, le bilan pourrait sembler modeste, mais ce serait une erreur de méthode que de s’arrêter à ce décompte pour évaluer l’utilité des perquisitions effectuées.
En effet, les perquisitions administratives ont, par construction même, une finalité préventive et de renseignement. Les éléments collectés peuvent alimenter des dossiers de renseignement qui donneront lieu, le cas échéant, à judiciarisation plusieurs semaines ou plusieurs mois plus tard, après avoir été enrichis par d’autres sources d’information. C’est pourquoi ces résultats sont extrêmement précieux, sans être pour autant encore définitifs.
En outre, les perquisitions ont pour effet de désorganiser les réseaux qui arment et financent le terrorisme, en particulier à travers les trafics d’armes et de stupéfiants. C’est donc tout un environnement logistique permettant l’organisation et la commission d’actes terroristes que nous avons commencé à déstabiliser durablement.
Les saisies d’espèces, qui s’élèvent à plus de 1 million d’euros, permettent également aux services de Bercy d’ouvrir des enquêtes particulièrement utiles. Les données numériques qui ont été saisies et qui sont en cours d’exploitation déboucheront dans de nombreux cas sur de nouvelles mises en cause.
La mise en œuvre de l’état d’urgence a d’ores et déjà permis aux forces de sécurité d’accomplir un travail considérable. La lutte contre la menace terroriste se poursuit et elle se poursuivra sans trêve ni pause.
À ce jour et depuis 2013, le travail minutieux de nos services de renseignement a ainsi permis de déjouer onze attentats, outre les deux tentatives qui ont échoué à Villejuif et à bord du Thalys reliant Amsterdam à Paris.
Je veux par conséquent saluer devant vous le travail réalisé par la Direction générale de la sécurité intérieure, dont je veux rappeler qu’elle est saisie, en propre ou avec la police judiciaire, du suivi de 216 dossiers judiciaires concernant 1 038 individus pour leur implication dans des activités liées au terrorisme djihadiste. Parmi eux, 320 ont d’ores et déjà été interpellés et 13 font l’objet d’un mandat d’arrêt international ; 199 ont été mis en examen, 153 ont été écroués et 46 font l’objet d’un contrôle judiciaire. Ces chiffres montrent, s’il en était besoin, à quel point l’action quotidienne des services, sous l’autorité de la justice, porte ses fruits, permettant ainsi d’empêcher la commission sur notre sol d’actions violentes, voire d’attentats.
Je voudrais à présent vous rappeler les garanties qui ont été prises afin de nous assurer que les mesures mises en œuvre au titre de l’état d’urgence respectent scrupuleusement, comme je le disais en introduction, toutes les exigences de l’État de droit.
En premier lieu, afin de préserver les garanties dont doivent bénéficier les personnes mises en cause et la sécurité juridique des procédures, des directives très précises ont été données, dès le lendemain des attentats, en vue d’associer pleinement l’autorité judiciaire, à travers les procureurs de la République, aux opérations de perquisition administrative, et ce en parfait accord avec la Chancellerie.
En second lieu, nous avons veillé à ce que les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence fassent l’objet d’un contrôle juridictionnel, qui n’était pas systématiquement prévu par la loi de 1955.
Ce contrôle est exercé à titre principal par le juge administratif. Certains ont pu déplorer l’absence, dans ce dispositif, du juge judiciaire, y voyant une « mise à l’écart » plus ou moins délibérée. Pourtant, il ne s’agit là que d’une conséquence de ce principe général du droit qui veut que le juge administratif soit compétent pour contrôler la légalité des mesures de police administrative.
Le juge administratif a d’ailleurs eu maintes fois l’occasion, au cours de notre histoire récente, de démontrer qu’il n’était pas moins indépendant que le juge judiciaire, et pas moins sourcilleux en matière de contrôle du respect des libertés publiques.
Par ailleurs, en vertu d’un principe ancien de la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier, dans le cadre des procédures judiciaires engagées par des perquisitions administratives, la légalité des ordres de perquisition émanant de l’autorité administrative.
À cet égard, j’ai eu l’occasion d’entendre des propos extrêmement incongrus en droit, aux termes desquels l’absence du juge judiciaire dans les procédures relevant de l’état d’urgence priverait la personne concernée par celles-ci de tout recours. Certains expliquent même que cette procédure consistant à prendre des mesures de police administrative sous le contrôle d’un juge administratif est absolument dérogatoire à tous les principes de l’État de droit et constitue en cela une violation des principes intangibles hérités de notre histoire et énoncés notamment dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
À l’intention de ceux qui développent de telles théories, je rappellerai simplement que c’est par une loi de 1790, …
… c’est-à-dire votée un an après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, que le législateur a posé le principe que, pour les actes relevant des pouvoirs de l’exécutif, il est normal que le juge judiciaire soit écarté. Cela a été confirmé par l’arrêt Blanco de 1873, époque scélérate de remise en cause des libertés publiques, comme chacun sait, puis, une nouvelle fois, par une décision du Conseil constitutionnel de 1987, lequel a considéré que le juge administratif avait toute légitimité pour contrôler les actes pris par le Gouvernement dans le cadre des mesures de police administrative, dès lors qu’ils n’entraient pas dans le champ de l’article 66 de la Constitution.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Entre les commentaires auxquels certains se livrent sur ce sujet en convoquant des références juridiques et historiques frelatées et la réalité du droit, il existe donc un décalage qui méritait d’être souligné à la tribune de la Haute Assemblée. Je me devais d’apporter ces précisions et ces corrections pour leur répondre : le Gouvernement ne met en œuvre les mesures relevant de l’état d’urgence que pour protéger la République de la violence de ceux qui s’en prennent à ses valeurs de fraternité, de concorde et de solidarité.
Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe UDI-UC.
Bien entendu, en tant que ministre de l’intérieur, j’affirme que ces mesures ne sont pas soutenables sans un contrôle parlementaire exigeant.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce contrôle a été exercé par le Sénat comme par l’Assemblée nationale. J’ai d’ailleurs créé, au sein de mon ministère, une structure spécialisée ayant pour mission de répondre dans les quarante-huit heures à toute demande des parlementaires. Toutes les interrogations doivent pouvoir être exprimées, y compris celles que je viens d’évoquer ; cela est parfaitement légitime, mais je persiste à penser que, dans les circonstances particulières auxquelles nous sommes confrontés, ce sont les terroristes qui font peser un risque sur nos libertés et sur les valeurs de la République, et non l’État lorsqu’il prend des mesures pour en protéger les citoyens.
Nouveaux applaudissementssur les mêmes travées.
S’agissant des assignations à résidence, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions introduites en novembre dernier à l’article 6 de la loi de 1955, les a déclarées conformes à la Constitution. Il a, par là même, réaffirmé la compétence du juge administratif, l’assignation à résidence n’étant pas constitutive d’une privation de liberté au sens de l’article 66 de la Constitution, aux termes duquel l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle. Cette décision, rendue le 22 décembre 2015, est sans ambiguïté.
Ainsi, près de 400 assignations à résidence ont été prononcées depuis le début de l’état d’urgence, dont 27 concernaient des personnes susceptibles de constituer une menace pour l’ordre et la sécurité publics dans le contexte de la conférence internationale sur le climat. Elles se sont tout naturellement trouvées périmées à l’issue de la COP 21, c’est-à-dire dès le 12 décembre. Par ailleurs, 41 autres assignations ont été spontanément abrogées, lorsque des éléments nous ont permis de lever les doutes quant à la dangerosité des personnes concernées.
Enfin, s’agissant des contentieux administratifs, dont le nombre n’est pas un mauvais indice de la pertinence de l’action menée, 160 référés, dont 125 référés-liberté et 35 référés suspension, ont été soumis à la juridiction administrative. Seulement 11 suspensions ont été prononcées : ce chiffre traduit tout à la fois le sérieux des procédures engagées par le ministère de l’intérieur et la parfaite indépendance de la juridiction administrative, qui n’hésite pas à prononcer des annulations quand la situation l’exige. Cela prouve bien, s’il en était besoin, qu’un juge intervient pour évaluer de manière rigoureuse la pertinence des actes pris dans le cadre des mesures de police administrative. Au demeurant, j’ai souvent eu l’occasion de l’observer : ceux-là mêmes qui dénoncent l’absence du juge judiciaire s’empressent de se féliciter des jugements rendus par le juge administratif lorsqu’il casse des décisions prises par le Gouvernement !
M. Bruno Sido rit.
Par ailleurs, si 108 recours au fond ont été introduits, une seule annulation a été prononcée jusqu’à présent. Je précise qu’aucune annulation n’a concerné des personnes assignées à l’occasion de la COP 21. En effet, il a été jugé que ces assignations à résidence ne méconnaissaient pas le principe de proportionnalité, s’agissant d’individus présentant un risque pour l’ordre public dans le contexte que vous connaissez.
Aujourd’hui, 290 assignations à résidence sont toujours en vigueur, dont 83 % – je m’empresse de le dire – concernent des individus surveillés par nos services de renseignement au titre de leur activité dans le champ de l’islamisme radical. À la fin de l’état d’urgence, leur assignation à résidence cessera de plein droit, même si, bien sûr, des suites judiciaires et administratives de droit commun sont mises en œuvre lorsque les conditions sont réunies.
De même, je tiens à souligner que les interdictions de manifester décidées par les préfets jusqu’au 12 décembre 2015 étaient pleinement justifiées par l’impossibilité dans laquelle se trouvait alors le Gouvernement de garantir le maintien de l’ordre public dans ces circonstances particulières, alors que nos forces étaient mobilisées pour protéger les Français du terrorisme et assurer le bon déroulement de la COP 21.
La liberté de manifester, à laquelle nous sommes particulièrement attachés, demeure bien évidemment la règle dans notre pays. Chacun a encore pu le constater au cours de ces dernières semaines, à l’occasion de plusieurs mouvements sociaux. Le 30 janvier dernier, des manifestants ont même pu défiler, sous la protection des forces de l’ordre, pour dénoncer l’état d’urgence. Je trouve cela tout à fait légitime. À mes yeux, il est du rôle du ministère de l’intérieur, même dans le contexte de l’état d’urgence, de tout mettre en œuvre, en mobilisant les forces de sécurité intérieure, pour que le droit de s’exprimer et de manifester puisse s’exercer, sauf lorsque risquent de survenir des troubles graves à l’ordre public que nous ne serions pas en mesure de prévenir. C’est dans cet esprit que j’ai décidé d’interdire les manifestations prévues à Calais, qui menaçaient de donner lieu à des violences graves, comme cela s’était déjà produit auparavant.
Concernant les mosquées et les salles de prière, quarante-cinq d’entre elles ont fait l’objet d’une perquisition administrative et dix ont été fermées. Ces lieux, dont certains étaient des établissements recevant du public totalement clandestins, constituaient autant de bases arrière pour la propagande d’un islam incompatible avec les valeurs de la République, encourageant ou légitimant la commission d’actes mettant en péril l’ordre et la sécurité publics.
Je relèverai le cas particulier de la mosquée de Lagny, en Seine-et-Marne. Celle-ci a été la toute première à faire l’objet d’une mesure de dissolution, après l’adoption de trois décrets en conseil des ministres prononçant la dissolution des associations constituant les personnes morales sur lesquelles reposait la gestion des activités de la mosquée.
Enfin, je rappelle que l’état d’urgence est soumis à un contrôle parlementaire d’une portée inédite. Dans son principe, celui-ci avait été inscrit dans la loi du 3 avril 1955, mais il n’avait jamais été appliqué. Il a été indiqué d’emblée aux présidents des commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale que nous étions résolus à mettre en œuvre un tel contrôle, allant même au-delà de celui exercé par une commission d’enquête parlementaire.
J’ai affirmé d’emblée que j’étais prêt à apporter des réponses précises et circonstanciées sur tout cas individuel, à transmettre en temps réel et quotidiennement un bilan chiffré des mesures mises en œuvre. De même, je me suis engagé à exiger la plus grande transparence de la part de tous mes services à l’occasion de contrôles réalisés sur pièces et sur place par le président du comité de suivi parlementaire.
En outre, des réunions hebdomadaires ont été organisées avec les représentants des groupes parlementaires, sous l’autorité du Premier ministre ou sous la mienne. Jusqu’à présent, jamais un tel contrôle n’avait été mis en place ; les parlementaires, de la majorité comme de l’opposition, l’ont d’ailleurs unanimement reconnu.
J’en viens à la prorogation de l’état d’urgence et aux raisons pour lesquelles nous la croyons absolument nécessaire.
Vous savez que la nécessité de cette prorogation s’apprécie à l’aune de la persistance d’un péril imminent. Or, je le dis devant vous avec gravité : force est de constater que, plusieurs mois après les actes terroristes du 13 novembre, le péril qui menace la France n’a pas disparu, tant s’en faut.
Je rappellerai tout d’abord que le Conseil d’État lui-même, jugeant en référé, a estimé, par une décision du 27 janvier dernier, que la persistance d’un péril imminent justifiait que le Président de la République s’abstienne, à l’heure actuelle, de prendre un décret mettant un terme anticipé à l’état d’urgence, et que ce faisant il ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales.
Par ailleurs, depuis le 13 novembre, des attentats, fussent-ils de moindre ampleur, ont été commis en France et à l’étranger, visant nos intérêts et nos ressortissants. Ils ont également visé des alliés directs de la France, au nom d’organisations terroristes telles que Daech ou Al-Qaïda au Maghreb islamique.
À la fin de l’année 2015, plusieurs attentats ont été évités en Belgique et en Allemagne. De même, au mois de décembre, deux projets terroristes en gestation sur le territoire national ont été déjoués : le premier à Tours, où un djihadiste tchétchène a pu être arrêté avant de passer à l’acte, et le second dans la région d’Orléans, où deux individus cherchaient à se procurer des armes en vue de s’en prendre à des représentants de la force publique.
Le 24 décembre 2015, un couple demeurant à Montpellier a été mis en examen et écroué pour association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme et financement du terrorisme. Des documents de propagande djihadiste et un faux ventre de femme enceinte recouvert d’une couche d’aluminium, qui aurait pu servir à dissimuler des explosifs, ont notamment été saisis au domicile des personnes interpellées.
Le 7 janvier 2016, un individu armé, apparemment porteur d’un engin explosif, qui s’est par la suite révélé factice, et d’un document de propagande faisant clairement référence à Daech a été neutralisé par des policiers en faction devant le commissariat du XVIIIe arrondissement de Paris alors qu’il s’apprêtait à passer à l’action.
Le 11 janvier 2016, à Marseille, un adolescent mineur a blessé à l’arme blanche un professeur des écoles, avant de revendiquer son action et son mobile antisémite.
Je rappelle également qu’au mois de décembre dernier, Daech a explicitement appelé à cibler nos écoles et à tuer des enseignants et des élèves.
En outre, depuis le 13 novembre et au cours des dernières semaines, les organisations terroristes ont démontré leur capacité à frapper dans de nombreuses villes étrangères – à Tunis, à Bamako, à Jakarta, à Istanbul, à Ouagadougou, sans même parler, bien sûr, de la Syrie et de l’Irak – et à viser notamment les ressortissants français et européens présents à l’étranger.
Le 20 novembre 2015, deux terroristes ont ainsi attaqué l’hôtel Blue Radisson de Bamako, au Mali, établissement essentiellement fréquenté par des Occidentaux. Ils ont assassiné vingt otages avant d’être neutralisés. Le groupe djihadiste Al-Mourabitoune, dirigé par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, a revendiqué la prise d’otages.
Le 12 janvier 2016, un attentat suicide perpétré à Istanbul et visant des touristes allemands a causé la mort de dix d’entre eux et en a blessé dix-sept autres.
De même, le 15 janvier, un triple attentat était perpétré à Ouagadougou, au Burkina Faso, visant un hôtel et des établissements connus pour être fréquentés par des expatriés et causant la mort de trente personnes, parmi lesquelles trois ressortissants français.
À l’heure actuelle, nous savons qu’environ 600 Français sont présents en Syrie et en Irak ; 254 sont d’ores et déjà revenus sur le territoire français et nous faisons preuve à leur endroit de la plus grande sévérité.
Parmi eux, 143 font l’objet d’un suivi judiciaire, dont 74 ont été incarcérés après avoir été placés en garde à vue et 13 ont été placés sous contrôle judiciaire.
Par ailleurs, 111 Français de retour de Syrie ou d’Irak sont actuellement surveillés par nos services de renseignement ; 67 d’entre eux ont d’ores et déjà fait l’objet d’entretiens administratifs avec la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI.
Au cours de la seule année 2015, nous avons enregistré 329 nouvelles arrivées sur le théâtre des opérations en provenance de notre pays. En un peu plus d’un an, le nombre de personnes ayant manifesté des velléités de départ, mais n’ayant pas encore mis leur projet à exécution est passé de 295 à la fin de l’année 2014 à 755 au début de l’année 2016.
Pour toutes ces raisons, et quelles que soient les précautions que nous prenons, il ne nous est pas permis de nous croire à l’abri, ni de considérer que le « péril imminent » qui a justifié, en novembre dernier, la proclamation de l’état d’urgence a disparu.
C’est pour permettre à notre pays de faire face à une menace exceptionnellement grave que le Gouvernement a décidé de prendre, dans le respect scrupuleux de l’État de droit, des mesures exceptionnelles. Ces mesures sont nécessaires au combat que nous menons contre le terrorisme et elles ont commencé à porter leurs fruits, mais il ne nous est pas permis, je le dis avec gravité, de relâcher notre vigilance, tant le risque auquel notre pays est confronté demeure élevé.
Au milieu des années quatre-vingt, tandis que la France, déjà, était en butte à des attentats islamistes commandités depuis l’étranger, le président François Mitterrand avait défini, d’une formule lapidaire, la doctrine qui devait présider à notre action : « tout faire, sauf céder ».
Tous les gouvernements successifs ont eu à cœur d’adopter cette politique de fermeté face au terrorisme. Je suis convaincu qu’elle doit nous réunir encore aujourd’hui ; c’est pourquoi je vous demande solennellement d’approuver le projet de loi prorogeant de nouveau l’état d’urgence pour trois mois.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI -UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, dans la soirée du 13 novembre 2015, des attentats affreux ont été perpétrés sur notre territoire, dans la région parisienne et à Paris, faisant plus de 130 morts et de nombreux blessés, qui ne sont pas encore tous rentrés chez eux.
La France se trouvant dès lors dans une situation de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, pour reprendre la formule de la loi de 1955, dans la nuit, le Président de la République a déclaré l’état d’urgence en conseil des ministres. Quelques jours plus tard, le Parlement a approuvé cette mesure, avant de proroger pour trois mois, jusqu’au 26 février, l’état d’urgence, assorti, M. le ministre l’a rappelé, d’un contrôle parlementaire.
Avant d’exposer la position de la commission des lois à l’égard de cette nouvelle demande de prorogation de l’état d’urgence, je voudrais établir un bilan rapide du travail effectué dans le cadre de ce contrôle parlementaire.
M. le ministre de l’intérieur a largement dressé le bilan des mesures prises depuis le 14 novembre 2015 ; je ne reviendrai pas sur les chiffres qu’il a livrés.
Il convient de remercier tous ceux qui ont assisté aux nombreuses réunions que nous avons tenues dans le cadre du contrôle parlementaire mené, notamment, par la commission des lois. Le Gouvernement s’est pleinement prêté à l’exercice. Nous avons obtenu les renseignements que nous avions demandés, et même ceux que nous n’avions pas demandés !
Sourires.
Nous connaissons toutefois les limites d’un tel contrôle et nous savons qu’il faut parfois aller au-delà des simples éléments statistiques qui peuvent nous être communiqués. À cet égard, je relèverai qu’il y a eu quelque 350 assignations à résidence et de nombreuses perquisitions administratives. Cela nous amènera à nous interroger sur les modalités de contrôle des unes et des autres.
Il faut souligner une innovation fondamentale au regard des autres périodes d’état d’urgence qu’a connues notre pays : l’utilisation des technologies de l’internet, qui constitue pour les groupes terroristes un moyen particulièrement efficace de mener leurs actions. Nous avons affaire à des techniciens de l’internet de premier ordre et nous devons prendre en compte cette dimension technologique dans notre combat contre le terrorisme.
Je m’étendrai plus longuement sur le contrôle des actes et des mesures pris dans le cadre de l’état d’urgence, qui représente une question fondamentale. M. le ministre de l’intérieur a beaucoup insisté sur ce point : lorsque la République agit dans le cadre de l’état d’urgence, en recourant à des pouvoirs exorbitants du droit commun, l’État de droit est-il encore respecté ? Si tel n’était pas le cas, nous serions comme les terroristes et nous bafouerions la République. §Lorsque l’on veut réformer la Constitution, cela signifie que l’on est attaché à l’État de droit. Sinon, à quoi bon établir une règle suprême ?
Il ressort de l’analyse de la jurisprudence du Conseil d’État à compter du 11 décembre 2015 que la République a agi dans le cadre de l’État de droit, dont elle a respecté les règles fondamentales, auxquelles nous sommes particulièrement attachés.
Je souhaite évoquer cette jurisprudence s’agissant des mesures d’assignation à résidence, qui ont donné lieu au plus grand nombre de recours, ce qui peut s’expliquer. C’est à leur propos que le Conseil d’État a le mieux explicité ses pouvoirs et le niveau de contrôle qu’il souhaitait exercer.
Le Conseil d’État a tout d’abord choisi d’avoir largement recours au Conseil constitutionnel, en utilisant les questions prioritaires de constitutionnalité, mises en place par la révision constitutionnelle de 2008, à trois reprises : sur les assignations à résidence, sur les perquisitions et sur les pouvoirs éventuels dont dispose la juridiction administrative en matière d’injonctions au Président de la République.
S’agissant des assignations à résidence, le Conseil constitutionnel a répondu qu’elles avaient pour objet d’assurer la prévention des atteintes à l’ordre public et que la Constitution n’excluait pas la possibilité, pour le législateur, de prévoir la mise en œuvre d’un régime d’état d’urgence conciliant cet objectif avec le respect des droits et libertés que la République reconnaît à tous ceux qui vivent sur son territoire.
Le Conseil constitutionnel distingue donc mesures privatives de liberté, qui relèvent du juge judiciaire au titre de l’article 66 de la Constitution, et mesures restrictives de liberté, qui sont des mesures de police administrative relevant du seul juge administratif.
L’assignation à résidence est une mesure de police administrative, sauf à dépasser les douze heures de rétention dans le même lieu ou à imposer de se présenter plus de trois fois au commissariat ou à la brigade de gendarmerie. La durée et la composition de la mesure doivent être justifiées et proportionnées au danger.
De ce point de vue, le Conseil d’État s’est livré à un contrôle plein et entier des mesures prises au titre de l’état d’urgence. Ce point est à mon sens très important et témoigne que nous sommes toujours restés dans le cadre de l’État de droit.
J’évoquerai maintenant quelques points particuliers.
S’agissant tout d’abord des notes blanches, qui ont suscité un certain nombre d’articles de presse, le Conseil d’État a admis la possibilité, pour le ministre de l’intérieur, de les utiliser, dès lors qu’elles étaient soumises au débat contradictoire. Cette exigence étant posée, tout mode de preuve peut être discuté.
Ensuite, le Conseil d’État a admis les mesures prises sur le fondement de l’état d’urgence, ainsi que des mesures visant à maintenir l’ordre public, mais ne présentant pas de lien évident avec l’état d’urgence, au motif que la situation ayant mené à la déclaration de ce dernier, à savoir la menace terroriste, était prégnante et avait pour conséquence de modifier toutes les règles relatives au maintien de l’ordre public. Ce point extrêmement important devra être précisé lorsque nous débattrons de la réforme constitutionnelle.
Concernant les perquisitions administratives, elles ont été nombreuses, mais n’ont donné lieu qu’à très peu de contentieux. En effet, par définition, elles ont déjà pris fin au moment où elles pourraient être contestées. Elles donneront peut-être lieu, ultérieurement, à un contentieux de la responsabilité. Nous aurons à débattre, le moment venu, de la façon dont peut être engagée la responsabilité de l’État ; ce sera peut-être en dehors du régime de la faute lourde, qui est celui aujourd’hui reconnu et qui empêche pratiquement toute intervention du juge.
J’en viens à la question de savoir s’il faut ou non proroger l’état d’urgence.
À deux reprises, le Conseil d’État s’est prononcé sur la notion de « péril imminent », estimant qu’un tel péril était toujours présent. Dès lors qu’il y a péril imminent, cela justifie suffisamment la prorogation de l’état d’urgence. C’est la position que la commission des lois proposera au Sénat de retenir.
Mais la question est aussi de savoir comment sortir de l’état d’urgence. Dès lors que le péril est permanent, on ne peut y répondre uniquement par des mesures exceptionnelles fondées sur l’état d’urgence.
Vient un moment où il faut renforcer les procédures de droit commun, pour permettre au juge judiciaire de retrouver tout son rôle. Il est essentiel de préparer dès maintenant les conditions du retour au droit commun, aux procédures habituelles, faute de quoi nous en serons toujours au même point dans trois ou six mois. Or nous ne pouvons pas vivre de façon définitive sous l’empire de l’état d’urgence.
Monsieur le ministre, le Conseil d'État, dans son avis, ouvre un certain nombre de pistes pour la sortie de l’état d’urgence. Aurai-je la fatuité de dire que le Sénat a déjà en partie répondu à cette problématique en votant, la semaine dernière, la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste présentée par nos collègues les présidents Bas, Retailleau et Zocchetto et votre serviteur ?
Le Conseil d'État nous dit que, en matière de lutte antiterroriste, tous les moyens légaux employés en dehors des périodes d’état d’urgence doivent être mis à contribution.
Tout d’abord, il faut renforcer l’efficacité des enquêtes et des investigations, qui doivent être menées sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Cela correspond au premier chapitre de la proposition de loi que nous avons votée la semaine dernière. Il faut aussi assurer les garanties dont bénéficient les justiciables et la surveillance des personnes revenant de zones contrôlées par des groupes terroristes. Nous avons également adopté des dispositions en ce sens.
Sur ce sujet, le Gouvernement a déposé un texte dont notre assemblée débattra dans quelques semaines. Nous l’avons précédé ; j’espère qu’il saura tenir compte du travail accompli par le Sénat.
Mes chers collègues, au bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose de voter l’article unique du présent projet de loi, en n’en modifiant que la forme, afin que le Parlement puisse se prononcer sur la prorogation de l’état d’urgence, autoriser expressément les perquisitions administratives et, enfin, donner au Président de la République la possibilité de mettre fin, le cas échéant, à l’état d’urgence avant le 30 mai 2016.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France vit depuis plus de deux mois et demi sous un régime d’état d’urgence. La mise en œuvre – justifiée – de celui-ci dès le 13 novembre 2015, pour rétablir la sécurité et répondre à la terrible angoisse de nos concitoyens, suscite aujourd’hui, que vous le vouliez ou non, monsieur le ministre, des interrogations, une inquiétude croissante et l’hostilité d’associations et de personnalités diverses.
Depuis le 16 novembre, le Parlement est accaparé par cette question de l’état d’urgence et par la regrettable, très regrettable initiative relative à la déchéance de la nationalité.
Congrès de Versailles, première prorogation de l’état d’urgence, propositions de loi d’initiative sénatoriale tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste ou relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, …
… projet de loi portant réforme du code de procédure pénale, projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation : ce second projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence s’inscrit dans ce maelström législatif, couronné par le débat constitutionnel qui se déroule en ce moment même à l’Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, vous connaissez la principale critique adressée à votre dispositif : son inefficacité dans la lutte contre le djihadisme de Daech. Si quelque 3 300 perquisitions administratives ont été effectuées, seulement quatre enquêtes ont été ouvertes pour des faits de terrorisme, et une seule personne a été mise en examen à ce jour…
Le temps me manque pour détailler les effets désastreux de ces perquisitions hors droit
M. Bruno Sido s’exclame.
, de ces assignations à résidence parfois si excessives que les avant-projets de loi d’application de la révision constitutionnelle envisagent même de les assouplir quelque peu. Le Gouvernement serait-il bipolaire ?
Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.
La prorogation de l’état d’urgence stricto sensu est aujourd’hui proposée, alors que, dans le même temps, les excès sont en partie reconnus au travers des avant-projets de loi précités. Peut-être ces derniers n’ont-ils pour objectif que d’amadouer une gauche récalcitrante ?
Puisque, selon votre propre aveu, monsieur le ministre, le dispositif de l’assignation à résidence ne respecte pas les libertés publiques, il faut modifier ce projet de loi. C’est ce que nous proposerons au Sénat de faire par voie d’amendements.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je répète, mot pour mot, ma question du 20 novembre dernier : des mesures très larges doivent certes être prises pour faire face à la situation, mais ne peuvent-elles pas l’être dans le cadre du droit commun, avec un contrôle de l’autorité judiciaire ? Pouvons-nous accepter de maintenir une situation qui brise l’équilibre des pouvoirs, avec, d’une part, un pouvoir exécutif surpuissant, et, d’autre part, des pouvoirs législatif et judiciaire rabaissés ?
L’état d’urgence est un état d’exception. Il entraîne une mise en cause significative des droits des citoyens, ce qui suscite interrogations et critiques, y compris au-delà de nos frontières. Monsieur le ministre, est-il acceptable que notre pays soit pointé du doigt par une association aussi reconnue et rigoureuse qu’Amnesty International ?
MM. Roger Karoutchi et Bruno Sido s’exclament.
Comme je ne cesse de le répéter depuis le Congrès de Versailles, la dérive sécuritaire en cours, les propos martiaux, la remise en cause des libertés publiques constituent autant de victoires pour Daech.
Oui, ces intégristes assassins « nous tendent un piège politique », pour reprendre la formule de l’ancien garde des sceaux Robert Badinter, qui souligne par ailleurs que « ce n’est pas par les lois d’exception et des juridictions d’exception qu’on défend la liberté contre l’ennemi ».
Des forces comme Daech se nourrissent de la violence, du sang et du malheur. Oubliez-vous que ce sont les dizaines de milliers de bombes déversées sur l’Irak qui ont donné naissance à ces combattants qui mêlent fanatisme et soif de vengeance contre la destruction insensée de leur pays, de leur peuple ?
Face à ce phénomène, l’arme absolue, c’est la liberté, la démocratie, la paix.
Oui, il faut assurer la sécurité de notre peuple. Pour cela, il faut donner des moyens humains et matériels suffisants à nos forces armées et à notre police, réorganiser nos services de renseignement, qui eux aussi ont été victimes de l’austérité.
Cette politique de sécurité doit s’inscrire dans un vaste effort de reconstruction de notre société dévastée par des décennies de crise.
Le Premier ministre m’a choquée quand il nous a affirmé qu’« expliquer c’est déjà vouloir un peu excuser ».
Comme si ceux qui s’efforcent d’expliquer pouvaient éprouver de la bienveillance à l’égard des terroristes !
Certes, le libre arbitre est à prendre en compte dans une large mesure, mais les racines du fléau de la radicalisation ne se trouvent pas uniquement dans les parcours personnels. Pour mieux lutter et combattre, monsieur le ministre, il est nécessaire de comprendre l’ensemble du phénomène en cherchant toutes les explications.
Oui, le fanatisme religieux se nourrit de terribles fractures, là où la République faillit, là où « liberté, égalité, fraternité » ne restent que des mots vains.
Combien de jeunes tomberont encore dans le fanatisme si des actions d’envergure ne sont pas menées sans attendre, en urgence, en grande urgence ?
Dans son avis sur le projet de loi dont nous débattons, le Conseil d’État a lui-même signalé que l’état d’urgence doit demeurer temporaire. Cependant, le « péril imminent » qui justifie l’état d’urgence demeurera, selon les propos tenus par le Premier ministre lui-même à la BBC, jusqu’à l’éradication de Daech. Ce péril imminent devient donc un péril permanent…
En conséquence, l’orientation préconisée par le Conseil d'État lui-même est de faire entrer dans le droit commun l’état d’urgence, ce qui sera d’ailleurs l’objet du prochain projet de loi tendant à réformer le code de procédure pénale.
Monsieur le ministre, il faut dire la vérité : l’état d’urgence va devenir permanent et la justice soumise, dans bien des circonstances, à la puissance administrative et à la puissance policière.
Pour conclure, l’état d’urgence dépasse à mon sens largement le champ de la réaction à la menace terroriste. Avec l’état d’urgence, le pouvoir exécutif s’affirme, le Parlement et la justice s’inclinent.
Nous sommes en guerre, martelez-vous ! Mais quels sont donc vos projets de paix, monsieur le ministre ? Comment allez-vous apaiser notre pays, redonner l’espoir ? Comment allez-vous participer à l’essor de la fraternité, en France et dans le monde ?
Nous sommes de plus en plus nombreux à être las des propos guerriers et des coups de menton. Nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir comprendre, à attendre des actes et un discours de justice, de progrès, de réconciliation, des actes et un discours républicain, pour tout dire des actes et un discours de gauche !
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
On l’aura compris, le groupe CRC votera contre ce projet de loi tendant à proroger l’état d’urgence.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat est un moment de rencontre entre le Gouvernement et le Parlement, dans une exigence de responsabilité collective face à un péril.
La loi de 1955 relative à l’état d’urgence confère en effet au Parlement la responsabilité, en exerçant son pouvoir d’appréciation, d’autoriser ou non le Gouvernement à appliquer l’état d’urgence ou à le proroger.
Le régime de l’état d’urgence prévoit une extension des pouvoirs d’intervention et des pouvoirs d’enquête des pouvoirs publics, afin d’assurer la sécurité de la République. Comme le ministre l’a dit à juste titre, il s’agit d’une forme d’état particulier, liée à des situations d’urgence, qui remonte loin dans la tradition républicaine. Depuis qu’elle existe, notamment dans ses premières années où elle était contestée de l’intérieur comme de l’extérieur, la République a toujours voulu se donner les moyens de la défense de la démocratie, des libertés et de l’intégrité territoriale du pays. C’est donc bien une tradition républicaine que nous poursuivons.
Il n’y a plus de débat, me semble-t-il, sur la justification de l’état d’urgence pour la période qui vient de se terminer. Nous avons approuvé, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, l’engagement de l’état d’urgence à la quasi-unanimité, et nous n’entendons personne regretter ce vote positif. Il faut en tirer quelques conclusions.
Cette justification est-elle maintenue pour la période de trois mois à venir, pour laquelle le Gouvernement sollicite la prorogation de l’état d’urgence ?
Je ne m’étendrai pas longuement sur l’importance du danger auquel nous sommes confrontés. La source principale de ce danger est une entreprise politique internationale djihadiste, visant à établir une autre forme de société, une autre norme de vie, qui a pris pour cible notre pays, entre autres, et qui dispose de nombreux moyens de transmission de son message et d’impulsion de sa volonté meurtrière envers notre société.
La question que nous devons nous poser est la suivante : ces groupes djihadistes – l’État islamique n’est pas la seule organisation décidée à frapper notre pays – ont-ils au même degré qu’il y a trois mois la capacité de déclencher des actes meurtriers dans notre pays ? Nous sommes très nombreux à considérer, après avoir écouté tous les arguments, que la réponse à cette question est indiscutablement positive.
L’état d’urgence habilite les pouvoirs publics à employer un éventail plus large de pouvoirs de l’État de droit qu’en situation ordinaire. Permettez-moi néanmoins d’insister sur le fait que, dans tous les actes qui ont été effectivement pris par les représentants du Gouvernement en application de l’état d’urgence durant ces trois mois, la volonté a toujours été d’associer l’autorité judiciaire, à travers la participation des représentants du ministère public.
Nous pouvons donc avoir la certitude que l’intention du Gouvernement, comme ses actes l’ont montré, n’est pas de dissocier l’intervention d’urgence de celle de l’autorité judiciaire. J’ajoute que la justice administrative a exercé un contrôle très attentif sur les décisions prises. Ce point a fait l’objet de nombreuses discussions au sein du comité de suivi.
Je ferai simplement observer, à cet égard, que, même s’agissant des assignations à résidence, plus des deux tiers de ces décisions n’ont pas été contestées devant la justice. Cela signifie que les personnes qui en ont fait l’objet savaient qu’il n’y avait guère de motifs de les voir remises en cause. Et lorsqu’elles ont été contestées, les cas dans lesquels elles ont été déclarées non fondées représentent moins de 5 % de l’ensemble des décisions de contrainte qui avaient été adoptées.
Comme le disait le ministre à l’instant, cela démontre à la fois que la justice est attentive et intervient très rapidement à travers les procédures d’urgence et que le Gouvernement est vigilant quant au bien-fondé des actes pris dans le cadre de l’état d’urgence. Nous sommes, me semble-t-il, nombreux à considérer que le Gouvernement, en particulier le ministre de l’intérieur, a fait face à la situation avec beaucoup de fermeté et une forte volonté de respecter le droit.
De notre côté, je crois que nous n’avons pas à rougir du travail parlementaire accompli pour assurer un contrôle vigilant sur la conduite de l’état d’urgence.
Nous en sommes convaincus, la situation continue de requérir des moyens spécifiques d’enquête et de contrôle des personnes et des organisations qui présentent un risque particulier. C’est ce qui fonde l’objet même de cette demande de prorogation de l’état d’urgence pour les trois mois à venir.
À partir du constat que le danger s’établit durablement à un niveau élevé, le débat porte aussi sur la création de moyens supplémentaires de vigilance et de préservation de la sécurité. Ce sera l’objet du projet de loi visant à renforcer l’efficacité de la justice pénale. Comme le rappelait M. Mercier, nous avons déjà débattu de ce sujet la semaine dernière, à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi déposée par les groupes de l’opposition. Nous avons alors bien vu que, comme cela avait déjà été le cas pour la loi antiterroriste de 2014 et pour la loi sur le renseignement, nous étions en mesure de dégager des solutions partagées au terme d’un dialogue républicain.
Cela étant dit, pour aujourd'hui, et peut-être aussi pour demain – qui peut savoir quels faits interviendront, quels risques se réaliseront d’ici à la fin du mois de mai ? –, la prudence s’impose.
Notre mandat, mes chers collègues, est, en tout moment, de servir la République. Quand la République fait face au danger, cela nous dicte des devoirs. Je suis assuré que nous saurons y faire face.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI -UC et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui, près de trois mois après les sanglants attentats de Paris et de Saint-Denis, pour décider ou non de la prorogation de l’état d’urgence pour trois mois supplémentaires.
Dans l’exposé des motifs, pour nous convaincre de la nécessité de cette prorogation, le Gouvernement aligne pêle-mêle les actes terroristes déjoués en France et ceux aboutis à l’étranger.
Il évoque également « un bilan opérationnel conséquent au-delà des seuls constats chiffrés ». Une telle formule me paraît relever au mieux d’une forme de surréalisme, au pire d’un étonnant jésuitisme gouvernemental.
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.
Il fallait bien l’inventer, une telle formule, pour tenter de justifier une prorogation de l’état d’urgence, alors même que ce fameux bilan, dans le strict domaine de la lutte contre le terrorisme, est assez mince ! Sur 3 289 perquisitions administratives effectuées, seules cinq procédures concernent des faits de terrorisme, contre 202 relevant du chef d’infraction à la législation sur les stupéfiants.
Dans quelques années, lisant l’exposé des motifs de ce projet de loi, les historiens ne manqueront pas de souligner comment une tactique politique a habilement été transformée en obsession politique, contribuant au lavage de cerveau de la population, afin de la persuader que sa sécurité dépend de la prorogation de l’état d’urgence.
Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.
Personne n’oserait affirmer aujourd’hui que la menace terroriste est écartée. Chacun sait, sur nos travées comme dans l’ensemble de notre société, que la menace est bien réelle et qu’il faudra probablement plusieurs années pour la réduire. Devons-nous, pour autant, maintenir ce régime d’exception aussi longtemps que durera le terrorisme et conférer aux autorités administratives des pouvoirs étendus et renforcés, susceptibles de restreindre considérablement les libertés publiques ?
Mme Esther Benbassa. Nous disposons en France d’un arsenal législatif pour le moins complet, pour ne pas dire pléthorique, permettant de lutter contre le terrorisme. Cet arsenal n’a cessé d’être renforcé ces dernières années et promet de l’être un peu plus encore dans les semaines à venir, avec de nouveaux textes visant davantage à protéger les politiciens des retombées électorales d’un éventuel attentat que les Français eux-mêmes.
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.
Je voudrais également rappeler que les conditions permettant de décréter l’état d’urgence ne visent pas spécifiquement la criminalité terroriste. En effet, les mesures de contrainte qu’il autorise ont vocation à s’appliquer à un nombre potentiellement infini de situations, puisqu’il suffit, pour décider d’une perquisition ou d’une assignation à résidence, d’exciper d’un « comportement » perçu comme « une menace pour la sécurité et l’ordre publics », pour interdire une réunion, de soutenir qu’elle est « de nature à provoquer ou à entretenir le désordre », ou, pour dissoudre une association, de démontrer qu’elle participe, facilite ou incite « à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ».
Non seulement les résultats obtenus à ce jour sous le régime de l’état d’urgence ne plaident pas en faveur de sa prorogation, mais ses nombreuses dérives militent contre elle. Il est dommage, par ailleurs, que nous débattions de ce texte aujourd’hui, avant que le comité de suivi sénatorial sur l’état d’urgence ait remis un rapport de mi-parcours.
L’exécutif a plutôt le devoir de revenir à l’État de droit afin de remédier à tout ce qui fait défaut actuellement pour parvenir à éradiquer le terrorisme et de se donner les moyens nécessaires. Il est urgent de poser les bonnes questions, pour trouver des réponses plus adaptées à ce phénomène à facettes multiples que nous avons su cerner et vaincre dans le passé sans avoir eu recours à un état d’exception, et ce dans les pires moments.
Légiférer en permanence, en profitant de l’émotion d’une population endeuillée, relève de la paresse intellectuelle.
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.
Cela impressionne peut-être les délinquants, mais pas les terroristes !
On ne va tout de même pas proroger l’état d’urgence pour maintenir l’ordre public !
M. Urvoas, nouveau garde des sceaux, reconnaissait lui-même, lorsqu’il était président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, que « l’arrêt de l’état d’urgence ne sera pas synonyme d’une moindre protection des Français. L’essentiel de l’intérêt que l’on pouvait attendre des mesures dérogatoires me semble à présent derrière nous. » Je ne crois pas que M. Urvoas soit un adhérent d’EELV !
C’est encore lui qui disait, il y a peu : « Stop à l’état d’urgence ! »
Si quelque chose pouvait sortir les Français de leur marasme et de leur angoisse, ce serait moins l’empilement de textes de loi à l’efficacité douteuse que la prise d’un éventail de décisions pragmatiques et opérationnelles en matière de lutte contre le terrorisme et l’émergence de quelques espoirs pour l’avenir en matière économique et sociale. Rien ne sert de les plonger dans cette ambiance obsédante, tournant autour de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité, mesures qui, de surcroît, enfoncent chaque jour un peu plus leurs initiateurs. Les Français veulent vivre en sécurité, en liberté et améliorer leur quotidien : sans cela, tout le reste ne sera considéré que comme une vaine entreprise – une de plus !
Mon groupe votera majoritairement contre la prorogation de l’état d’urgence.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Monsieur le ministre, vous venez une nouvelle fois devant le Parlement demander la prorogation de l’état d’urgence. Si, la fois précédente, nous n’avions guère hésité à soutenir cette demande, car les douze jours accordés par la Constitution étaient nettement insuffisants pour agir efficacement, cette fois votre requête nous paraît beaucoup moins légitime.
Comme aucun parlementaire du premier parti de France en termes électoraux ne fait partie des différentes commissions mises en place pour contrôler l’application de l’état d’urgence, nous n’avons que peu de visibilité sur le détail des mesures prises rendues possibles par cette dérogation au droit commun permise par nos textes.
Certes, vous faites état d’un certain nombre de perquisitions, de saisies d’armes, de fermetures de mosquées ou de salles de prière fortement radicalisées ; nous vous prions de faire part de nos félicitations et de notre soutien à vos services.
M. David Rachline. Mais à quoi sert l’état d’urgence lorsque des migrants sèment le chaos à Calais, soutenus par des groupuscules d’extrême gauche ?
Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.
À quoi sert l’état d’urgence lorsque, sur les plateaux de télévision, des islamistes radicaux viennent proférer des paroles scandaleuses, le tout devant une ministre qui reste muette, alors qu’on la connaît bien virulente quand, par exemple, des parlementaires s’opposent à sa politique ?
En outre, douze lieux de culte fermés, c’est bien faible, d’autant que l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste nous apprend que, contrairement à une idée reçue, on ne bascule quasiment jamais dans l’islam radical en pianotant seul sur son ordinateur, le facteur déclenchant étant lié, dans 95 % des cas, à un contact humain ! Dans ces conditions, ce n’est pas la fermeture de sites virtuels qui va régler la question de la radicalisation, mais bien celle de sites réels !
Certes, me direz-vous, un certain nombre de forces de police considèrent qu’il faut prolonger l’état d’urgence, car les procédures sont simplifiées, les marges de manœuvre plus grandes, etc. Cela se comprend très bien. Dans un État policier, les procédures sont toujours plus simples pour les forces de l’ordre ! Mais nous, nous défendons non pas un État policier, mais un État de droit. §D’autres avouent que ces facilités sont désormais utilisées à d’autres fins que la seule lutte contre le terrorisme, mais tous sont unanimes pour dire que les difficultés naissent souvent au moment de la judiciarisation de la procédure. À cet égard, le tant espéré départ de celle qui faisait office de ministre de la justice ces derniers mois fait naître un sentiment d’espoir !
Si vous entendez, comme nous, faciliter le travail des forces de l’ordre dans la lutte contre les terroristes et dans la lutte contre la délinquance tout en respectant l’État de droit et en préservant les libertés, permettez-moi de vous donner – ou plus exactement de vous redonner – quelques pistes : contrôles aux frontières, arrêt de l’accueil des migrants, politique pénale forte, expulsion des délinquants étrangers, accès aux fiches « S » élargi à l’ensemble des forces de police ! Pourquoi un officier de gendarmerie, commandant une compagnie, ne peut-il pas avoir accès à ces fiches et ne connaît-il donc même pas les personnes habitant sur son secteur repérées comme potentiellement dangereuses ?
Oui, je pense que la prolongation de l’état d’urgence, c’est avant tout de la « com’ », destinée à cacher votre absence d’action ou vos errements en matière de réforme constitutionnelle !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, faut-il proroger l’état d’urgence ? Répondre à cette question – nous le ferons, très majoritairement, de manière favorable –, c’est résoudre une équation à plusieurs degrés.
La situation est-elle la même que lors de la discussion de la loi du 20 novembre 2015 ? Pas exactement : d’abord, parce que le choc émotionnel s’est en partie estompé, ensuite parce que, deux mois et demi de mise en œuvre de l’état d’urgence, cela permet de tirer un bilan, bilan d’autant plus accessible que le ministre de l’intérieur a fait le choix de la transparence à l’égard du comité de suivi sénatorial.
Le pouvoir exécutif doit aussi nous dire et établir qu’il existe toujours un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public.
Si le travail que nous avons réalisé au sein du comité de suivi nous permet de disposer d’éléments concrets sur le bilan de l’état d’urgence, en ce qui concerne le péril imminent, il revient au Gouvernement – et, en premier lieu, au ministre de l’intérieur –, qui dispose en l’état des renseignements de nature à étayer l’existence de ce péril imminent, de nous convaincre de celle-ci. Vous l’avez fait lors de votre intervention, monsieur le ministre, et nous n’avons pas de raison de mettre en doute la fiabilité de vos déclarations.
Ce point étant établi, la résolution de l’équation avance ; il convient ensuite de décider si la prorogation de l’état d’urgence est encore utile pour assurer la sécurité de nos concitoyens face au risque terroriste et si le maintien des procédures restreignant les libertés est proportionné audit risque.
Je comprends que, pour un gouvernement, quel qu’il soit, imaginer un nouvel attentat, un nouveau drame après la sortie de l’état d’urgence relève du cauchemar, car personne ne l’épargnerait en ce cas, et surtout pas ceux qui refusent la prorogation de l’état d’urgence.
Pourtant, mes chers collègues, il faudra bien sortir un jour de l’état d’urgence !
Cet exercice est difficile, en premier lieu pour le Gouvernement, dont un des objectifs, respectable au demeurant, est de rassurer l’opinion publique, tétanisée, sur tout le territoire national, par les attentats odieux et, il faut le dire, par la reprise en boucle des images à longueur de semaine par des chaînes de télévision capables de terroriser nos compatriotes jusque dans nos plus petits villages de montagne.
Cependant, monsieur le ministre, il en est de l’état d’urgence comme de tout : sa pérennisation entraînerait sa banalisation pour l’opinion et une dérive inacceptable pour les libertés publiques. Vous risquez donc de cumuler attentats et atteinte aux libertés. C’est la dure loi de l’exercice du pouvoir !
L’état d’urgence a-t-il été efficace ? Autrement dit, les mesures administratives en découlant ont-elles prouvé leur utilité dans la lutte contre le terrorisme ?
Ces mesures, vous l’avez rappelé, ont été d’une ampleur exceptionnelle : environ 3 300 perquisitions administratives et 392 assignations à résidence ont été décidées sur l’ensemble du territoire national.
On peut raisonnablement considérer que le « stock » de perquisitions a été largement évalué, et c’est là un euphémisme. Reste à permettre ou non à l’autorité administrative d’intervenir suite à de nouveaux renseignements. Quant aux assignations à résidence, la question est plutôt de savoir dans quelles conditions il peut y être mis fin, la fin de l’état d’urgence emportant la fin des assignations à résidence.
Comme l’a rappelé notre excellent rapporteur Michel Mercier, l’état d’urgence constitue bel et bien « un régime juridique exceptionnel par les prérogatives étendues qu’il offre à l’autorité administrative », sous le seul contrôle a posteriori, ajouterai-je personnellement, du juge administratif. C’est là à nos yeux le nœud du problème et la vraie question de fond pour l’avenir.
Certes, le rapporteur a souligné, à juste titre, que l’état d’urgence « ne constitue aucunement un régime arbitraire dénué de toute voie de recours », mais, la différence fondamentale avec le contrôle de l’autorité judiciaire, c’est que le juge administratif intervient a posteriori et au fond plusieurs mois après le recours.
Dans la perspective de la recherche du juste équilibre entre sécurité et liberté, nous pouvons être sensibles à l’argumentation du ministre Bernard Cazeneuve et du rapporteur Michel Mercier et accepter la prorogation pour trois mois de l’état d’urgence, mais en disant clairement que cela ne vaut pas blanc-seing pour ce qui se passera au terme de cette prorogation.
Il convient que, au cours de ces trois mois, soient mises en place les dispositions législatives utiles pour faciliter le travail de nos services de sécurité – et uniquement pour cela – et qu’il soit mis fin à l’état d’urgence.
Monsieur le ministre, cela ne devrait pas amener à éluder les problèmes de fond concernant les quartiers sensibles, l’économie, le pouvoir d’achat et le bilan de notre politique étrangère, laquelle n’est pas sans lien avec ce qui se passe sur notre territoire…
Nous disons fermement que les textes relatifs à ces questions, en particulier en matière pénale, doivent restituer à l’autorité judiciaire le pouvoir de garant des libertés individuelles au sens de l’article 66 de la Constitution et de l’expression initiale de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, ce qu’ont rappelé avec force et courage, ces dernières semaines, le Premier président de la Cour de cassation, ainsi que tous les premiers présidents de cour d’appel de France.
Nous aurons l’occasion d’y revenir lors des prochains débats sur la révision constitutionnelle et le texte portant réforme du code de procédure pénale, et je pense que la position d’une partie de notre groupe sera alors différente…
Pour l’heure, monsieur le ministre – c’est aussi une marque de confiance personnelle à votre égard –, la grande majorité du groupe du RDSE votera la prorogation de l’état d’urgence ; deux de nos collègues s’y opposeront.
Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l'UDI -UC et du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le ministre, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Vous les avez rappelés, ils sont consternants. J’en ajouterai un que vous n’avez pas cité : le nombre des signalements a plus que doublé depuis mars 2015, pour dépasser les 8 000 cas.
La France est donc en guerre, une guerre d’un type totalement nouveau, une guerre qui ne dit pas son nom, où nos ennemis sont en civil, ont pour cible des civils qui sont leurs compatriotes, une guerre qui s’est affranchie des frontières, des champs de bataille, des codes militaires, une guerre qui ne s’achèvera pas par un armistice et ne finira malheureusement pas avec la seule éradication de Daech.
Cette guerre a surpris un Occident perdu dans des rêves de fin de l’histoire et brutalement réveillé par le retour dans l’histoire du tragique, sous sa forme la plus archaïque et la plus cruelle. C’est une guerre prétendument menée au nom d’une religion, une guerre froide peut-être aussi, inspirée par un totalitarisme, au sens que donnait à ce terme Hannah Arendt : la fusion de l’idéologie et de la terreur.
La menace est là. Elle est non seulement imminente, mais aussi permanente. Nous n’en avons donc pas fini avec cette guerre. Tout se passe comme si l’État islamique, mis en difficulté au Levant, était en train de se projeter partout sur la planète, frappant sur presque tous les continents. La liste de ses cibles est aussi étonnante qu’effrayante.
Devant cette menace, mes chers collègues, nous ne devons pas hésiter, nous ne devons pas trembler. Nous devons être implacables, nous devons protéger les Français et la France.
Nous voterons, monsieur le ministre, cette seconde prorogation de l’état d’urgence, comme nous avions voté la première, comme nous avions voté la loi relative au renseignement ou la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. La majorité sénatoriale a toujours su prendre ses responsabilités. §Notre soutien ne vous a jamais manqué dès lorsqu’il s’est agi de protéger nos compatriotes.
Nous voterons cette reconduction de l’état d’urgence d’abord parce que nécessité fait loi, en balayant toutes les oppositions d’ordre idéologique, en considérant que la sécurité et la liberté ne sont pas des sœurs ennemies, mais plutôt des sœurs siamoises !
Nous voterons cette reconduction de l’état d’urgence avant même d’avoir voté une quelconque révision constitutionnelle.
Nous voterons ce projet de loi tel qu’amendé par le rapporteur et le président de la commission des lois, que je tiens à remercier ici.
Nous le ferons à la lumière d’une double évidence : d’une part, l’état d’urgence ne peut être que temporaire ; d’autre part, comme l’a dit dans son avis du 2 février dernier le Conseil d'État, pour faire face à une menace permanente, il faut des instruments pérennes.
Il importe donc d’envisager dès maintenant la sortie de l’état d’urgence.
Aujourd'hui, Michel Mercier y a fait allusion, deux textes sont sur la table : le projet de réforme du code de procédure pénale du Gouvernement et notre proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste, votée ici la semaine dernière. Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, qu’entre ces deux textes, je choisis le second, parce que celui du Gouvernement est trop timide…
… en matière de répression du terrorisme : nous créons trois nouveaux délits, vous n’en créez pratiquement aucun.
En outre, la proposition de loi que nous avons adoptée est beaucoup plus exigeante et rigoureuse en matière d’application des peines.
Par exemple, sur la proposition de Michel Mercier, nous avons introduit une peine de perpétuité réelle, une peine d’interdiction du territoire non pas facultative mais systématique pour les étrangers reconnus coupables d’infraction en matière de terrorisme. Il faut rompre définitivement avec l’angélisme pénal qui a marqué les quatre premières années du quinquennat.
Évidemment, on ne gagne pas une guerre uniquement avec un arsenal juridique.
Sans même évoquer la diplomatie, à laquelle Jacques Mézard vient de faire allusion, non plus que la fragilité dont souffre parfois la coopération entre nos services de renseignement, je voudrais mettre en exergue trois lignes de front qui me semblent importantes.
La première, c’est l’Europe. Nous assistons, mes chers collègues, à l’émergence du chaos, au retour des passions nationalistes sur le continent européen. Où sont les voix qui appellent à rebâtir une Europe menacée de déliquescence, en voie de désintégration ? Je ne mésestime pas vos efforts, monsieur le ministre, mais il est urgent que l’Allemagne et la France fassent entendre une voix forte.
M. Bruno Retailleau. La deuxième ligne de front, c’est celle de nos valeurs. Nous ne devons rien céder sur ce plan. Il faut, évidemment, rappeler systématiquement l’exigence de laïcité, refuser toute dérive communautariste en France, rétablir l’autorité de l’État sur tout le territoire, monsieur le ministre ! Aucune parcelle du territoire national ne saurait échapper à la loi de la République.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI -UC.
La troisième ligne de front, c’est l’école. Parce que nulle part ailleurs dans le monde il n’existe un lien aussi étroit entre la nation et l’école, parce que nulle part ailleurs sur la planète une importance aussi décisive n'est accordée au pacte scolaire au cœur du pacte républicain, il nous faut créer, comme Pierre Manent l’écrit si bien, une nouvelle « amitié civique ». Nous ne le ferons ni dans la médiocrité ni dans la facilité ; nous le ferons dans l’exigence, dans le mérite, dans l’effort, pour que demain, pour les jeunes Français, les mots « France », « patrie », « République » ne soient pas des termes abstraits, mais renvoient à un contenu sentimental et affectif. C’est capital !
M. Bruno Retailleau. En conclusion, mon groupe votera bien sûr la prorogation de l’état d’urgence. À Stockholm, Albert Camus, recevant le prix Nobel, fit allusion à l’école de la République et à son instituteur. Celui-ci lui avait confié la mission qui est la nôtre aujourd'hui : « empêcher que le monde se défasse ». La France ne doit pas se défaire face à la barbarie !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI -UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’émotion est déjà derrière nous, la vie quotidienne a repris son cours. Pour autant, est-ce le retour à la vie normale pour notre pays ?
Bien évidemment, nous savons que la menace terroriste est toujours aussi forte et nous devons apprendre à vivre avec, sans céder à la peur et encore moins à la panique, qui pourrait nous entraîner, par un réflexe sécuritaire, à mettre en péril nos libertés publiques. Ce serait là sans nul doute la victoire de nos ennemis, les terroristes.
L’état d’urgence, tel qu’il a été voté le 20 novembre 2015, est une mesure d’exception, qui était nécessaire. Faut-il oui ou non le proroger aujourd'hui ? Pour le savoir, il ne faut surtout pas se demander si la menace terroriste est toujours aussi forte, car la réponse est évidente et elle pourrait nous conduire à proroger très longtemps, trop longtemps, ce cadre qui doit rester une exception. Telle est d’ailleurs l’analyse du Conseil d’État sur ce projet de loi : « L’état d’urgence doit demeurer temporaire. »
Nous devons aujourd’hui savoir si nos services de police, de gendarmerie et de renseignements ont impérativement besoin que nous maintenions l’état d’urgence. D’après le Gouvernement, la réponse est oui, et le Conseil d’État partage son analyse.
Monsieur le ministre, une nouvelle fois, nous allons vous faire confiance. Je formulerai toutefois deux interrogations.
La question de la durée de la prorogation de l’état d’urgence n’a pas été évoquée jusqu’à présent. Pourtant, il faut justifier cette durée. Pourquoi trois mois et pas deux ?
Est-ce pour attendre le vote du projet de loi défendu par le garde des sceaux ? Pourquoi ne pas parler de l’Euro 2016, qui est présent dans tous les esprits ? Quid de cette compétition, en effet ?
La question principale, qui a déjà été soulevée, c’est de savoir quand et comment nous pouvons sortir de l’état d’urgence. L’éventualité d’un attentat commis au lendemain de la levée de l’état d’urgence ne doit pas nous conduire à rester trop longtemps en dehors du cadre de droit commun. Le moyen de sortir de l’état d’urgence sans baisser la garde, c’est de renforcer et d’actualiser notre arsenal répressif contre les terroristes.
Telle est bien la démarche qu’a choisie le Sénat dès que nous avons voté l’instauration de l’état d’urgence. Aussitôt en effet, la commission des lois s’est mise au travail, s’appuyant sur les connaissances qu’elle avait déjà accumulées, auditionnant un certain nombre d’acteurs du dispositif d’enquête et de répression, en particulier les magistrats, dont les procureurs. Nous avons proposé un dispositif qui me semble assez complet concernant l’amélioration de la chaîne pénale : accroître l’efficacité des enquêtes ; créer de nouvelles incriminations.
Nous avons ainsi créé deux incriminations très importantes : la première porte sur la consultation habituelle des sites Internet faisant l’apologie du terrorisme ; la seconde, plus importante encore à mes yeux, concerne le fait de séjourner intentionnellement sur le théâtre d’opérations de terrorisme, qui devient un délit, de façon à ne pas attendre que ceux qui en reviennent et qui sont des menaces en puissance commettent un autre délit pour que nous puissions les appréhender et les neutraliser.
C’est dans le cadre normal de l’État de droit, sous l’autorité du juge judiciaire, que nous envisageons la lutte à moyen et long termes contre le terrorisme. Monsieur le ministre, convenez qu’il s’agit d’un apport tout à fait considérable du Sénat, donc de la représentation nationale, à la lutte effective contre le terrorisme. En effet, dans la période troublée que nous connaissons, de quoi avons-nous besoin ? De symboles ou d’outils juridiques efficaces ? Probablement des deux, mais ce qui est sûr, c’est que la menace d’une déchéance de nationalité ne permettra jamais de neutraliser le moindre terroriste.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.
M. François Zocchetto. Ces remarques formulées, vous aurez compris, monsieur le ministre, que notre groupe soutiendra la demande de prorogation et sera particulièrement attentif à ce que les dispositifs de suivi de l’état d’urgence puissent se poursuivre, sous la houlette de la commission des lois et de Michel Mercier.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie l’ensemble des orateurs de leurs contributions à ce débat sur la prorogation de l’état d’urgence ; j’apporterai dans un instant les précisions qui manquaient à mon propos liminaire, notamment sur les raisons de cette demande du Gouvernement.
Je tiens tout particulièrement à remercier Bruno Retailleau des questions, toutes excellentes, comme toujours, qu’il a posées avec brio et finesse et auxquelles je tiens à répondre avec minutie ; mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, ne vous inquiétez pas : en disant cela, je ne veux pas le compromettre…
Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.
Sourires.
Nous avons suffisamment de sujets d’opposition pour que vous n’ayez aucune crainte concernant sa tranquillité politique et intellectuelle !
Sur la question de l’Europe, un sujet absolument déterminant, comme vous le savez, un conseil JAI s’est tenu à Amsterdam voilà quelques jours, à l’occasion duquel nous avons présenté un agenda extrêmement précis. Quel est le sujet de préoccupation au regard de la menace terroriste ?
Nous avons obtenu le 15 décembre 2015 une modification de l’article 7-2 du code frontières Schengen, dont la mise en œuvre rapide devra permettre de procéder à des contrôles systématiques de nos ressortissants qui reviennent notamment du théâtre des opérations terroristes, au moment du franchissement des frontières extérieures de l’Union européenne, quel que soit le lieu de ce franchissement. C’est la première proposition.
Si nous voulons être efficaces dans la lutte contre le terrorisme, ce contrôle systématique doit être assorti d’un certain nombre d’éléments qui, aujourd’hui, ne sont pas possibles ou n’existent pas. Je pense tout d’abord à l’interrogation systématique du fichier du système d’information Schengen, le SIS. C’est la deuxième proposition.
Certes, un certain nombre d’États versent aujourd'hui dans ce fichier des informations concernant l’activité terroriste de ceux qu’ils ont dans leur radar, mais il faut que cela concerne tous les pays, ce qui n’est pas le cas. C’est la troisième proposition. Cela permettra, au moment du franchissement des frontières de l’Union européenne, d’identifier les individus qui peuvent poser problème, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui, comme les événements du 13 novembre dernier l’ont d’ailleurs prouvé concernant un certain nombre de ceux qui nous ont frappés.
Il est absolument indispensable de connecter le SIS aux autres fichiers de police dont nous disposons, de manière à ce que le croisement des informations permette de réduire le risque de trous dans la raquette. C’est la quatrième proposition. Je pense à la base de données SLTD, Stolen and Lost Travel Documents, c’est-à-dire le fichier des documents volés, et à d’autres fichiers concernant la grande criminalité.
Par ailleurs, et c’est une autre proposition très importante, il faut qu’Eurodac, qui est une banque de prise des empreintes digitales, puisse être utilisé à des fins de sécurité. Il n’en est pas ainsi aujourd’hui. Cela implique donc une modification de son règlement par l’Union européenne.
Si nous ne mettons pas toutes ces mesures en œuvre et si nous n’y ajoutons pas une dernière mesure, qui est une task force européenne de lutte contre les faux documents, nous aurons des terroristes qui ont fait prendre leurs empreintes sous de fausses identités et qui, si nous ne savons pas les identifier au moment du franchissement des frontières, nous frapperont sans qu’on ait pu les détecter dans les fichiers. En effet, une grande partie de ceux qui rentrent aujourd’hui du théâtre des opérations terroristes et qui veulent frapper dispose de faux documents fournis par Daech, qui a récupéré des milliers de passeports vierges en Irak et en Syrie et qui est une véritable usine de faux documents.
Je vous rappelle que deux des kamikazes qui ont frappé en France le 13 novembre dernier s’étaient vu prendre leurs empreintes digitales à Leros sous de fausses identités, en bénéficiant de faux passeports.
Monsieur Retailleau, selon vous, il faut une initiative européenne forte pour maîtriser notre espace européen commun. Les propositions que nous avons formulées correspondent à un agenda extrêmement précis et sont de nature à permettre de sauver cet espace que nous avons en commun.
À tout cela s’ajoute la question migratoire. Sur ce sujet aussi, les choses sont extrêmement claires dans notre esprit. Nous devons impérativement tarir le flux. Il est faux de penser que l’Europe peut accueillir sur son territoire l’ensemble des réfugiés. Ce n’est pas possible. Par conséquent, nous devons aider les pays qui ont des camps à y maintenir un haut niveau de soutien humanitaire ; c’est d’ailleurs ce qui préside aux discussions entre la France, l’Allemagne et la Turquie.
Je me suis rendu en Grèce avec mon homologue allemand, pour que les propositions qui ont été formulées par la France au conseil JAI soient très vite transformées en propositions franco-allemandes. Je me suis en effet rendu au conseil des ministres allemand pour présenter ces propositions et faire en sorte qu’elles soient partagées par nous tous. Monsieur Retailleau, vous avez eu raison de souligner que c’était extrêmement important.
Mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs d’entre vous ont évoqué la question de l’autorité de l’État. Sur ce sujet, il faut faire preuve d’une extrême fermeté, tout en étant extrêmement prudent face aux conséquences que peut avoir, dans un pays fragilisé, une instrumentalisation politique systématique de la question de l’autorité de l’État.
Je prendrai des exemples très concrets. Après des événements comme ceux qui se sont déroulés à Roye – j’ai d’ailleurs été interrogé sur ce point au Sénat –, on demande immédiatement que justice soit rendue. Pour qu’il en soit ainsi, il faut respecter le temps judiciaire – nous en sommes tous d’accord ici –, le temps des investigations, le temps de la police scientifique et technique. Vous avez pu constater que, la semaine dernière, une grande partie de ceux qui ont été à l’origine de ces troubles à l’ordre public avait été condamnée. Il en a été de même à Moirans, où des interpellations ont eu lieu.
J’ai entendu des déclarations immédiatement après les événements inacceptables de Corse, qui m’ont conduit à me rendre sur place. Des interpellations ont eu lieu aussi la semaine dernière.
Lorsque l’on constate des intrusions de migrants sur le port de Calais – migrants instrumentalisés par des No Borders, qui sont des activistes, qui exposent les migrants à des risques pour eux-mêmes, avec un cynisme absolu –, les forces de l’ordre, sous mon autorité, interviennent et les comparutions sont immédiates.
Lorsque j’ai empêché dimanche dernier une manifestation en raison de ces troubles et d’autres rassemblements qui étaient susceptibles de se produire et que des individus ont bravé cette interdiction, se revendiquant de l’uniforme qu’ils avaient porté, alors que celui-ci incarnait le respect du droit, l’attachement aux décisions et aux lois votées par le souverain, j’ai fait la même chose ! L’autorité de l’État, l’attachement à l’ordre public et le respect du droit, c’est pour tout le monde !
M. David Rachline s’exclame.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. On ne comprend pas qu’un général en retraite puisse s’ériger au-dessus des lois de la République et enfreindre celles-ci en toute impunité, en raison de ce qu’il pense être bon. Cela rappelle de très mauvais souvenirs à la République… Aussi longtemps que je serai ministre de l’intérieur, cela ne sera pas.
Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains. – Mme Éliane Assassi applaudit également.
Monsieur Retailleau, vous avez évoqué la question des services de renseignement. À ce sujet, je veux appeler votre attention sur un constat que je dresse à chaque fois : à peine un attentat se produit-il que les micros sont tendus et qu’est posée la question « quelle est la faille des services de renseignement ? », sans même savoir s’il y a eu faille.
Je rappelle tout de même qu’une grande partie de ceux qui ont commandité les attentats du 13 novembre vivait en dehors du territoire national, comme les Belgo-Marocains qui les ont préparés, et qu’ils n’étaient donc pas suivis par nos services. Quant à ceux qui l’étaient et qui se trouvaient sur les théâtres d’opérations en Syrie, ils sont revenus en France après avoir franchi les frontières de plusieurs pays de l’Union européenne, en ayant vraisemblablement utilisé – l’enquête le dira – les mêmes procédés de dissimulation.
Je tiens à attirer l’attention de chaque parlementaire sur le fait que la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, le Service du renseignement territorial, mais aussi la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, sont confrontés à des risques et à des menaces inédites, émanant d’individus situés à l’extérieur de notre pays et utilisant tous les moyens de dissimulation, notamment de faux documents, pour revenir sur le territoire national et nous frapper. Je tiens à défendre ces personnels placés sous ma responsabilité, car je sais à quel point ces services sont engagés et travaillent à flux tendus.
On parle beaucoup de l’attentat qui vient de se produire, mais jamais de ceux qui ont été déjoués. Or je rappelle que, en douze mois, les services de renseignement ont démantelé dix-huit filières d’acheminement de terroristes vers les théâtres d’opérations et déjoué onze attentats.
J’indique à tous ceux qui théorisent sur l’inefficacité de l’état d’urgence et des services de renseignement que, depuis le début du mois de janvier, la Sous-direction antiterroriste, la SDAT, et la DGSI, ont procédé à l’interpellation de quarante personnes en un mois. Si vous rapportez ce nombre, que je n’avais pas encore donné, à celui des arrestations intervenues chaque mois depuis le début de la crise syrienne, cela représente une augmentation très significative. Quarante personnes en un mois ! La moitié d’entre elles ont été placées sous contrôle judiciaire ou en détention ; les autres font l’objet d’un suivi particulier.
Je me dois devant vous de dire la vérité sur le niveau du risque, sur l’activité des services, mais aussi de rendre un hommage appuyé, car personne ne le fait spontanément, aux policiers et aux gendarmes pour le travail qu’ils font, car ils le méritent. Présents devant les synagogues, les mosquées et les institutions, ils assurent, dans leurs uniformes, la protection des Français et veillent au respect des valeurs républicaines auxquelles nous tenons tous, comme la laïcité, qui est le droit de croire ou de ne pas croire, puis, dès lors que l’on a fait le choix de sa croyance, de l’exercer librement.
Aux théoriciens récurrents et pavloviens des violences policières, je rappelle toutes les violences que subit la police lorsqu’elle assure la protection des Français et veille au respect des principes républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
On n’évoque jamais ce point, et je le regrette beaucoup, car le respect des valeurs et des principes de la République, c’est aussi la reconnaissance que l’on doit à ceux qui, au péril de leur vie, assurent la protection de tous les Français dans un contexte de menace élevée.
Les policiers et les gendarmes vivent douloureusement ces procès en France, compte tenu de la lourdeur de leur tâche, de l’engagement qui est le leur pour l’accomplir et de la contrainte inhérente à leurs responsabilités. Il me semble donc que l’on pourrait, au moins de temps en temps, leur adresser un minimum de remerciements plutôt que de stigmatiser l’État policier, les violences policières et le reste.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.
Sachez cependant que, en tant que ministre de l’intérieur, je serais d’une intransigeance totale si des manquements étaient commis par ceux qui, sous ma responsabilité, sont chargés de faire respecter l’ordre républicain.
Monsieur Zocchetto, vous vous êtes interrogé sur la durée de la prolongation de l’état d’urgence et sur la pénalisation de la fréquentation des sites faisant l’apologie d’actes terroristes. Comme Michel Mercier, vous vous demandez comment sortir de l’état d’urgence.
Je prépare bien entendu la sortie de l’état d’urgence tous les jours en prenant des mesures. À titre d’exemple, un certain nombre des personnes qui ont été assignées à résidence et qui présentent un danger ne sont pas de nationalité française. Il serait légitime de les expulser vers leur pays au terme de l’état d’urgence. Nous devons manifester notre détermination et faire preuve de fermeté à l’égard d’individus qui vivent en France, mais qui ne sont pas de nationalité française et qui enfreignent la loi.
Des mesures de droit commun pourront prendre le relais de l’état d’urgence, lorsque celui-ci aura cessé, pour assurer la sécurité des Français, comme les interdictions de sortie du territoire, lesquelles relèvent de la loi du 13 novembre 2014.
Le projet de loi pénale, dont vous aurez à débattre, et la proposition de loi que vous avez vous-même portée sont autant de textes préparant la sortie de l’état d’urgence par des mesures de droit commun. Il s’agit d’assurer, dans le respect rigoureux des principes constitutionnels et des libertés publiques, la sécurité des Français.
La pénalisation de la consultation des sites faisant l’apologie d’actes terroristes a été envisagée, monsieur Zocchetto, lors de l’examen de la loi visant la pédopornographie, mais le Conseil d’État a considéré qu’une telle mesure n’était pas constitutionnelle. Cette disposition n’a donc pas été retenue. Votre proposition présente donc un intérêt, en même temps qu’elle pose un problème de constitutionnalité, qu’il faudra examiner de près.
Monsieur Richard, vous avait repris dans votre intervention l’ensemble des interrogations que j’avais moi-même exprimées sur la dimension internationale et les risques qui s’y attachent. Je partage bien entendu vos propos.
Le président Mézard a posé des questions extrêmement justes, avec l’esprit de nuance et la sagesse qui le caractérisent toujours, sur le nécessaire équilibre entre la sécurité, que nous devons assurer, et l’état d’urgence, que nous ne pouvons pas prolonger indéfiniment. Au-delà de la période de trois mois, nous souhaitons pouvoir prendre des mesures, soit de police administrative, soit de droit commun, inscrites dans la loi pénale, pour prendre le relais de l’état d’urgence.
Enfin, madame Benbassa, madame Assassi, je n’ai pas eu le sentiment que vous adhériez à ce que nous proposions. Vous avez exprimé avec sincérité, et parfois avec beaucoup de passion, votre opposition à l’état d’urgence.
Très sincèrement, nous faisons face à une menace inédite, qui ne ressemble en rien, madame Benbassa, à ce que nous avons eu à affronter jusqu’à présent. Je rappelle que près de 2 000 ressortissants français sont concernés, de près ou de loin, par les activités terroristes de groupes situés en Irak et en Syrie, une partie d’entre eux vivant sur le territoire national. Le défi auquel nous sommes confrontés n’est donc pas du tout le même que celui que nous avons dû relever au milieu des années quatre-vingt-dix, face, par exemple, au GIA, le Groupe islamiste armé. Il est d’une tout autre nature.
Par conséquent, face à l’ampleur de ce phénomène, nous ne pouvons pas raisonner comme nous l’avons fait il y a de cela vingt ou trente ans. Face à ce niveau de menace élevé, et alors que le nombre d’interpellations intervenues depuis le début du mois de janvier dernier est extrêmement élevé – j’ai rappelé les chiffres –, le raisonnement qui est le vôtre, que je peux comprendre et que je respecte, est le suivant : « Le danger, c’est la manière dont l’État s’arme pour faire face à la menace et le risque que cela fait peser sur nos libertés ».
Pour ma part, je considère, et là se situe le désaccord de fond que j’ai avec vous, que si la République ne se dote pas, dans le respect des principes constitutionnels et du droit, des moyens de faire face à la menace qui se présente à elle et qui a l’acuité que je viens d’indiquer, alors les libertés publiques s’en trouveront très fortement vulnérabilisées et remises en cause. Un État qui, avec toute la rigueur et tous les scrupules que je viens d’indiquer, se prépare à affronter, avec lucidité, une telle menace, en prenant toutes les précautions en droit pour éviter toute dérive, ne remet pas en cause les libertés publiques, il les protège.
C’est parce que j’ai la conviction profonde que nous ne pouvons pas ne pas réagir face à une telle violence à l’égard de ce que nous sommes et de ce que sont nos valeurs que je présente aujourd'hui le projet de loi prolongeant l’état d’urgence, non pas avec la conscience tranquille – lorsque l’on est confronté à une telle menace, on interroge à chaque instant sa conscience pour savoir si l’on fait bien et si l’on prend les bonnes mesures –, mais avec la sincérité d’un Républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
I. – L’état d’urgence déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et le décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, prorogé par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions, est prorogé pour une durée de trois mois à compter du 26 février 2016.
II. – Il emporte, pour sa durée, application du I de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.
III. – Il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l'expiration de ce délai. En ce cas, il en est rendu compte au Parlement.
Monsieur le ministre, je connais suffisamment votre sens de l’État pour ne pas avoir de doute sur le fait que les mesures que vous nous proposez sont indispensables à la sécurité des Français. Je m’interroge en revanche sur le climat dans lequel ce débat s’inscrit et se poursuit.
Dans le contexte particulièrement difficile dans lequel nous nous trouvons, la façon dont nous nous adressons aux Français, la façon dont l’exécutif s’adresse aux Français, est évidemment décisive.
La France est un superbe et grand pays, dont l’énergie et la vigueur ont parfois besoin d’être stimulées. Notre pays a, aux tréfonds de lui-même, foi dans ses valeurs, mais il ne les mobilise avec enthousiasme que s’il les sent partagées.
C’est à cette France-là, celle qui croit que, au fond, elle peut venir à bout de tous ses adversaires sans jamais remettre en question ses valeurs et ses principes, qu’il faut s’adresser. Il y a au fin fond de notre pays, liée à notre histoire, une force qui nous permet chaque fois qu’elle est mobilisée d’écarter les trahisons, les reniements, les menaces, les petitesses et les mesquineries qui accompagnent parfois le débat public. Oui, c’est à cette France-là qu’il faut s’adresser.
En disant cela, je n’ai pas le sentiment d’exprimer une conviction personnelle. Je pense qu’elle est partagée dans cet hémicycle et qu’elle est le fruit de notre histoire, cette histoire qui nous dit que la France de 1914 n’est pas celle de 1940, celle que ses dirigeants surent mobiliser grâce à une foi républicaine et patriotique, celle qui sut emporter la victoire, dans des circonstances douloureuses, quand celle de 1940 s’effondra, avec des dirigeants qui, au fond, ne surent être à la hauteur ni de l’événement ni de la France qu’ils étaient censés diriger.
Comment expliquer que la France de 1959 ait su se redresser, alors que celle de 1958 apparaissait au bord du précipice ? Sans doute est-ce parce que le général de Gaulle a su parler à la France de toujours
Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.
, alors que ceux qui la dirigeaient auparavant, Pierre Pflimlin ou Guy Mollet
Exclamations sur les mêmes travées.
Si nous ne cessons d’évoquer les menaces, d’expliquer à notre jeunesse qu’elle doit apprendre à vivre avec la terreur, de rappeler qu’il y aura toujours au-dessus de nos têtes la menace immanente du terrorisme, alors nous installons un climat et nous mobilisons une France du repli et de la peur. Et de cette France-là, il n’y a rien à attendre de bon !
Je souhaite donc, monsieur le ministre, que le Président de la République, le Gouvernement et nous tous ici dans cet hémicycle sachions trouver le ton pour nous adresser aux Français.
Il faut dire à nos compatriotes que, en croyant à nos valeurs, en partageant cette foi républicaine, nous ne céderons rien. Il faut leur dire que nous n’avons pas peur, que nous ne devons pas revenir en arrière sur ce qui nous caractérise et que, par conséquent, chaque fois que nous voterons une loi, chaque fois que nous nous mobiliserons sur un texte, nous le ferons au nom de ces valeurs, sans céder au repli, à la frilosité et à la peur, mais en ayant foi dans le destin de notre pays.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Pierre Raffarin applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai voté l’instauration de l’État d’urgence à la suite des attentats du mois de novembre dernier, j’ai voté sa prolongation pour trois mois, mais je ne voterai pas cette nouvelle prorogation, parce le principal intérêt de l’état d’urgence réside dans l’effet de surprise des interventions des premières semaines, et elles furent nombreuses. Or nous n’en sommes plus là.
Selon la commission de contrôle de l’Assemblée nationale, alors présidée par Jean-Jacques Urvoas, devenu depuis lors notre garde des sceaux : « L’essentiel de l’intérêt de ce que l’on pouvait attendre de ces mesures [d’urgence] semble, à présent, derrière nous. Partout où nous nous sommes déplacés, nous avons entendu que les principales cibles et les objectifs avaient été traités. De fait, l’effet de surprise s’est largement estompé, et les personnes concernées se sont pleinement préparées elles aussi à faire face à d’éventuelles mesures administratives. »
En outre, l’argument de la persistance d’un danger fort et permanent invoqué par le Gouvernement en appui de sa demande, mais aussi par d’autres, peut se retourner. La permanence du danger est précisément le signe que son traitement relève de bien autre chose que de la prolongation de l’état d’urgence.
« Réagir efficacement à un attentat terroriste en donnant à l’État les moyens proportionnés à l’ampleur de la menace imminente était une chose, nous dit encore la commission Urvoas, combattre sur la profondeur le terrorisme en est une autre ».
Personnellement, je déplore le peu d’attention porté par le Gouvernement, en tout cas à ma connaissance, aux dimensions autres que policières – quelle que soit l’importance de ces dernières – de la lutte contre le terrorisme, et tout particulièrement à leur dimension idéologique. Neutraliser les tueurs actifs ou potentiels, c’est l’urgence ; stériliser le terreau idéologique qui les nourrit, l’obligation permanente. Je crains que le souci quasi exclusif de l’urgence ne l’ait fait oublier.
Les Français ne comprendraient pas la levée de l’état d’urgence si un nouvel attentat survenait, nous dit-on. Un an après les attentats de janvier 2015, état d’urgence ou pas, ces Français comprendraient-ils mieux si une nouvelle tuerie intervenait ? Je ne le pense pas.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup de choses ont été dites. Je voudrais tout d'abord revenir, comme l’a souligné M. Pierre-Yves Collombat, sur le fait que quelque 95 % des assignations à résidence et des perquisitions ont été décidées dans les six premières semaines après la proclamation de l’état d’urgence.
Finalement, le principal enjeu aujourd'hui, de ce point de vue, c’est la gestion des 339 assignations à résidence, qui pourraient être annulées si l’état d’urgence n’était pas prolongé, ce qui pourrait provoquer des difficultés. Pour cela, il est vrai, l’état d’urgence et sa prorogation sont indispensables, mais le sont-ils dans les mêmes conditions que pendant les trois premiers mois ? Je me pose vraiment la question.
Ensuite, nous examinons le 9 février en séance publique un projet de loi présenté en conseil des ministres le 2 février et examiné par la commission des lois le 3 février. Pourquoi une telle rapidité, pour ne pas dire une telle précipitation ? Ne pouvait-on pas un peu mieux prévoir ? En cette période, face aux urgences, notre pays a également besoin de sérénité.
Enfin, la menace est mondiale. Tous les pays qui sont des symboles de diversité, de pluralité et de tolérance sont visés. La réaction de la France, face à cette menace, doit rester un exemple. Pour mobiliser la communauté internationale et nos partenaires qui n’ont pas la même perception de la menace que nous, nos arguments doivent pouvoir être compris. Sinon, nous n’y parviendrons pas, alors que la mobilisation de l’ensemble de nos partenaires européens et mondiaux est absolument nécessaire.
Vous nous dites, monsieur le ministre, que l’état d’urgence reste aujourd'hui indispensable pour gérer la menace, et nous serons nombreux ici à vous faire confiance sur ce point. Toutefois, comme d’autres l’ont dit, la sécurité n’est jamais une politique suffisante en soi : c’est une condition indispensable pour se projeter dans l’avenir avec confiance, et c’est ce dont le pays a besoin aujourd'hui.
L'amendement n° 1, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il peut également y être mis fin par le Parlement qui apprécie, au terme d’un délai de trente jours, si les conditions fixées à l’article 1er de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence demeurent réunies.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Lors de la première prorogation de l’état d’urgence a été mis en avant l’ajout positif dans la loi de 1955 de l’information au Parlement, qui s’est d'ailleurs concrétisé les jours suivants par la mise en place d’un comité de suivi au sein de la commission des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, aux travaux duquel j’ai participé.
Or le contrôle parlementaire a été inscrit hier soir à l’Assemblée nationale dans le projet de révision constitutionnelle. « Les règlements des assemblées prévoient les conditions dans lesquelles le Parlement contrôle la mise en œuvre des mesures de l’état d’urgence », lit-on dans l’amendement adopté par les députés, sur l’initiative du rapporteur, Dominique Raimbourg, au nom de la commission des lois, sur lequel le Gouvernement a émis un avis favorable. « Si le Parlement, dans sa sagesse, décide d’élever ces éléments au rang constitutionnel, le Gouvernement respecte la volonté du Parlement », a indiqué, pour sa part, le garde des sceaux, M. Urvoas.
Vous le savez, nous sommes absolument défavorables à la constitutionnalisation de l’état d’urgence, considérant qu’il n’y a rien de plus dangereux que de faire vaciller le socle des droits fondamentaux en période troublée. Toutefois, nous aurons le temps d’en discuter dans les semaines à venir…
Pour l’heure, mes chers collègues, nous vous proposons d’intégrer dans la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence un contrôle effectif du Parlement, en lui conférant le pouvoir d’interrompre l’état d’urgence au-delà de trente jours si les conditions fixées à l’article 1er de la loi précitée ne sont plus réunies.
Votre amendement est intéressant, madame Assassi, sauf qu’il limiterait beaucoup trop les pouvoirs du Parlement.
Le Parlement décide de proroger l’état d’urgence aujourd'hui ; il peut très bien y mettre fin dans deux ou trois jours. Pourquoi prévoir un délai de trente jours ? Le Parlement est souverain et peut adopter la position qu’il souhaite.
Je suis donc défavorable à l'amendement n° 1, parce qu’il tend à limiter les pouvoirs du Parlement.
Sourires.
L'amendement n'est pas adopté.
L'article unique est adopté.
L'amendement n° 2, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase du premier alinéa de l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, les mots : « à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics » sont remplacés par les mots : « dont le comportement est dangereux pour la sécurité et l’ordre publics ».
La parole est à Mme Christine Prunaud.
Les mesures de contrainte qu’autorise la loi relative à l’état d’urgence, telle qu’elle a été modifiée en novembre dernier, sont d’une portée générale ayant vocation à s’appliquer à un nombre potentiellement large de situations. Il suffit, pour décider d’une perquisition ou d’une assignation à résidence, d’avoir « des raisons sérieuses de penser » qu’un « comportement » peut être « une menace pour la sécurité et l’ordre publics », alors qu’auparavant les personnes étaient ciblées du fait « d’activités avérées comme dangereuses pour la sécurité et l’ordre publics ».
Selon le rapporteur du Conseil d’État, « cette rédaction, telle qu’elle résulte de la loi de 2015, permet il est vrai de se fonder, plus que ne le faisait la précédente, sur un risque, une potentialité, appréciation toujours plus délicate à opérer que le constat d’une certitude ».
L’interprétation combinée de la notion de comportement avec celles de sécurité et d’ordre publics constitue une atteinte au principe de légalité et de prévisibilité de la loi, en ce que les notions prévues par la loi sont trop vagues et imprécises.
L’élargissement des critères et du champ d’application a ainsi conduit, comme nous l’avons constaté, à un nombre exponentiel de mesures de perquisition et d’assignation à résidence dans un temps très réduit – quelques semaines.
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, nous vous proposons, au moins pour la formulation de l’article 6 de la loi de 1955, de s’astreindre à assigner à résidence les personnes dont le comportement est véritablement dangereux pour la sécurité et l’ordre publics, comme prévu initialement dans la loi en question.
Je répondrai aux auteurs de cet amendement en deux temps.
Premièrement, la commission a fait le choix de ne pas revenir sur des modifications apportées à la loi de 1955 à l’occasion du texte prorogeant la durée de mise en œuvre de l’état d’urgence. Il y aura probablement lieu d’en discuter. Si la réforme constitutionnelle vient à son terme, la loi de 1955 sera modifiée et nous aurons l’occasion de l’amender, afin de l’améliorer. Plusieurs thèmes ont ainsi été développés au cours de la discussion générale.
Deuxièmement, sur le fond, je rappelle que les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence relèvent de la police administrative et sont donc, par définition, des mesures de prévention. Il s’agit d’empêcher la commission de tel ou tel acte. S’il s’agit de constater un comportement, l’acte est déjà commis, et l’on se trouve dans le cadre de la police judiciaire et non plus dans celui de la prévention et de la police administrative.
Pour ces deux raisons, la commission a émis un avis défavorable.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 3, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le I de l’article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence est ainsi modifié :
1° Après la deuxième phrase du deuxième alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Une copie de l’ordre de perquisition est remise à la personne faisant l’objet d’une perquisition. » ;
2° Le quatrième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Une copie de ce compte rendu est remise à l’intéressé. »
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Le régime de l’état d’urgence ne peut qu’être exceptionnel, comme nous l’avons signalé. Or, de prolongation en prolongation, il devient permanent, mettant en péril la cohésion sociale de la nation. Nous avons été alertés par de nombreux syndicalistes de la police et de la magistrature, qui ont démontré que l’état d’urgence ne pouvait que provoquer des dérives, des abus à l’encontre des libertés individuelles et collectives.
Notre amendement est donc destiné à limiter autant que faire se peut la poussée de l’arbitraire. Il tend à faire écho au constat opéré par le rapporteur Michel Mercier, à savoir que le cadre juridique de l’état d’urgence mériterait un réexamen à l’aune des enseignements tirés pendant sa première période de mise en œuvre. Selon lui, une telle réflexion ne peut être menée alors que le Parlement est saisi parallèlement de la constitutionnalisation de l’état d’urgence ; telle n’est pas notre opinion.
Dans la lignée de ce que vient de dire ma collègue Christine Prunaud, plusieurs compléments devraient être apportés à la loi du 3 avril 1955. Ainsi, le cadre juridique des perquisitions administratives mériterait, selon nous, d’être précisé. À la lumière de plusieurs éléments qui nous ont été révélés, il nous semble indispensable de prévoir dans la loi qu’une copie de l’ordre de perquisition est remise à la personne faisant l’objet de celle-ci.
Comme l’indiquent les auteurs du rapport sur ce texte, bien que les ordres de perquisition signés par les préfets disposent, en leur dernier article, que l’acte doit être notifié à l’intéressé, des perquisitions ont été conduites sans qu’il ait été procédé à une telle remise, ce qui rend ensuite quasiment impossible toute faculté de recours juridictionnel pour les personnes concernées, celles-ci n’étant pas formellement informées de leur droit au recours.
De la même manière, il est indispensable qu’une copie du compte rendu de la perquisition soit, à son issue, remise à l’intéressé. Tel est l’objet de notre amendement.
Je dois dire à son auteur que l’amendement est bien inspiré. Si je ne me trompe, monsieur le ministre de l’intérieur, les ordres de perquisition comportent un dernier alinéa prévoyant expressément que celui qui ordonne cette perquisition doit procéder à la remise d’une copie. Or nous avons constaté à plusieurs reprises que cela n’était pas fait.
Monsieur le ministre, vous devriez pouvoir satisfaire l’amendement en donnant les ordres nécessaires, les préfets étant soumis, jusqu’à preuve du contraire, au ministre de l’intérieur. Cela me permettrait de demander le retrait de cet amendement et, à défaut, de lui donner un avis défavorable.
Madame la sénatrice, je comprends, comme M. le rapporteur, la préoccupation que vous exprimez.
D’une part, nous présenterons, consécutivement à la réforme constitutionnelle relative à l’état d’urgence, un projet de loi ordinaire destiné à compléter le régime juridique de l’état d’urgence en application de cette révision. Ce projet de loi ajoutera à la législation actuelle de nouvelles mesures qui sont apparues nécessaires au cours de la mise en œuvre récente de ce régime.
D’autre part, madame la sénatrice, votre amendement est déjà satisfait pour deux raisons : l’ordre de perquisition préfectoral est notifié à la personne perquisitionnée au début de l’opération ; quant au compte rendu, il s’agit d’un document administratif communicable à la personne perquisitionnée, ainsi que l’a confirmé la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA.
Pour des raisons qui tiennent au fait que ces dispositions existent et que nous allons conforter leur existence par des dispositions législatives nouvelles, votre amendement est satisfait, et je vous invite donc à le retirer.
J’entends les bonnes dispositions du Gouvernement à l’égard de notre proposition. Toutefois, il nous semble utile que ces précisions figurent dans cette loi d’importance, d’autant que le cadre général du texte ne nous rassure pas.
C'est pourquoi nous maintenons notre amendement, monsieur le président.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 4, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 14-1 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La condition d’urgence est présumée remplie pour le recours juridictionnel en référé d’une mesure d’assignation à résidence. »
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Je commencerai tout d’abord par regretter la relative brièveté de nos échanges, même si vous avez pu, monsieur le ministre, exposer longuement vos arguments. Quarante-cinq minutes de discussion générale réservées aux orateurs des groupes et quatre amendements seulement du groupe CRC, ce n’est pas beaucoup pour un projet de loi qui n’est pourtant pas anodin…
En même temps qu’il soumet la constitutionnalisation de l’état d’urgence à l’Assemblée nationale, le Gouvernement demande au Sénat de prolonger celui-ci de trois mois, arguant d’un contexte national et international risqué – personne ne le conteste au demeurant, même si le danger ne disparaîtra probablement pas en l’espace de trois mois, vous me l’accorderez.
En réalité – ce débat le révèle –, le Gouvernement veut gagner du temps pour faire passer une réforme pénale et de nouvelles mesures qui, de fait, inscriront dans la loi ordinaire une grande partie des dispositions de l’état d’urgence.
Comme nous le disions au travers de notre précédent amendement, plusieurs compléments doivent être apportés à la loi du 3 avril 1955. Si la loi du 20 novembre 2015 améliore en théorie les voies de recours contre les mesures prises pendant l’état d’urgence, il apparaît que l’efficacité de ces recours est fortement limitée.
Pendant les premières semaines de l’état d’urgence, de nombreuses personnes ont été dans l’impossibilité de faire valoir leur droit à la défense, leur droit à un procès effectif ayant par conséquent été violé.
En effet, un grand nombre de recours ont été classés selon la procédure du « tri sans audience », qui s’applique lorsque la demande ne présente pas un caractère d’urgence. En dépit de la décision du Conseil d’État du 11 décembre 2015, qui considère comme présumée la condition d’urgence pour la contestation d’une mesure d’assignation à résidence en référé-liberté, le ministère de l’intérieur continue, comme le souligne M. Mercier, rapporteur du texte, de soutenir dans ses mémoires en défense, à l’occasion des audiences de contestation de ces mesures, que la condition d’urgence n’est pas remplie.
C’est pourquoi, mes chers collègues, nous vous proposons, pour garantir le droit à la défense, d’inscrire dans la loi le fait que la condition d’urgence est présumée remplie pour le recours juridictionnel en référé d’une mesure d’assignation à résidence.
Les auteurs de l’amendement proposent d’inscrire dans la loi une sorte de « droit à l’audience », tel qu’il a été reconnu par le Conseil d’État dans ses décisions du 11 décembre dernier. C’est en effet un progrès très important de la part du juge administratif qui, s’il intervient a posteriori, n’en est pas moins capital, puisqu’il garantit à la personne assignée à résidence qu’elle pourra, dans tous les cas, bénéficier d’une audience devant le juge des référés.
En considérant ainsi que l’assignation à résidence constitue en elle-même une violation suffisamment grave des libertés publiques fondamentales pour que la condition d’urgence soit remplie de fait, le Conseil d’État poursuit la construction de ce droit prétorien qu’il a commencé à bâtir depuis longtemps. Tout à l’heure, M. le ministre n’a pas hésité à remonter à l’arrêt Blanco, rendu en 1873. Je suggère aujourd’hui que l’on n’attende pas encore 143 ans pour changer la loi si elle doit l’être !
Sourires.
Nous aurons, me semble-t-il, l’occasion de rediscuter de ce point après la révision constitutionnelle, si celle-ci va à son terme. En attendant, ne provoquons pas de navettes entre les deux assemblées et engageons-nous clairement pour la prorogation de l’état d’urgence. Ce faisant, nous adresserons à l’opinion publique, mais aussi aux terroristes, le signal que notre réaction ne faiblit nullement.
En conséquence, l’avis de la commission est défavorable.
L'amendement n'est pas adopté.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, dans le texte de la commission.
En application de l’article 60 du règlement, j’ai demandé, en ma qualité de président du Sénat, que ce vote ait lieu par scrutin public.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 144 :
Nombre de votants346Nombre de suffrages exprimés344Pour l’adoption316Contre 28Le Sénat a adopté.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il est des lois qui arrivent à bas bruit devant le Parlement et qui, chemin faisant, enrichies par le travail des assemblées, deviennent un jalon pour les politiques qu’elles portent.
Au regard du travail intense, auquel la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a soumis le texte qui lui a été proposé, je crois que celle que nous écrivons aujourd’hui comptera parmi les grandes lois de la politique culturelle française. Une telle abondance d’amendements ne saurait être, en effet, qu’un signe manifeste de l’importance que vous lui accordez.
Que le Gouvernement partage les conclusions du travail de la commission ou qu’il ne les partage pas – l’on verra par la suite qu’il est loin de les partager toutes –, il convient de se réjouir que le Sénat s’en soit ainsi emparé.
Si tout concourt à faire de ce débat un moment important pour l’avenir de la culture en France, il me reste à préciser, indépendamment de la discussion au fond que nous allons engager, l’intention du Gouvernement dans cette loi.
Que la grande mutation, dans laquelle numérique et mondialisation se conjuguent, vienne ébranler la vie culturelle de notre pays, chacun en conviendra ici ! Patrimoine, vie artistique, accès à la culture : il n’y a pas un domaine de l’action culturelle qui ne soit affecté, de près ou de loin, par ces bouleversements, dans lesquels on pourra voir la marque de notre époque.
Une question s’impose alors : dans ces conditions nouvelles, les règles et les dispositions que nous avons prises par le passé pour organiser notre vie culturelle ont-elles la même efficacité aujourd’hui et l’auront-elles encore demain ?
Poser cette question, c’est déjà y répondre. Nous adapter à cette nouvelle donne est d’autant plus nécessaire que nous avons besoin d’une vie artistique riche et diversifiée, d’un patrimoine préservé, pour enrichir et consolider ces liens qui nous rassemblent et par lesquels nous formons une nation. Les événements tragiques de 2015 ont renforcé le Gouvernement dans cette conviction. C’est pourquoi il en a fait l’une de ses priorités majeures.
En la matière, les temps troubles que nous connaissons redoublent la responsabilité de l’exécutif, comme du législateur, et je sais que la Haute Assemblée l’aura bien à l’esprit au cours de ce débat.
Ne nous étonnons pas qu’un nouveau texte législatif soit nécessaire. Tout n’appelle pas une loi, certes. C’est la raison pour laquelle nous n’avons inclus dans ce texte que ce qui avait besoin de l’être. Néanmoins, pour réaffirmer les fondements de nos politiques culturelles, pour moderniser une partie de nos dispositions et pour consacrer une nouvelle liberté dans nos codes, une loi s’imposait.
Moderniser la protection du patrimoine s’imposait, comme chaque fois qu’il fallut redéfinir son périmètre. Il fut un temps, en effet, où ce que nous appelions « patrimoine » se limitait aux chefs-d’œuvre et aux grands monuments. Leur recension, leur préservation et leur restauration imposèrent à l’État d’intervenir.
Puis, ce fut le temps des abords et des quartiers les plus anciens et les plus remarquables. Il s’agissait à la fois de protéger les traces de notre passé, car « un chef-d’œuvre isolé est un chef-d’œuvre mort », disait Malraux, et d’améliorer les conditions de vie et de travail des Français.
C’est ce qui conduisit mon ministère à faire adopter la grande loi de 1962 sur les secteurs sauvegardés : sauver les quartiers menacés d’abandon ou de destruction et venir en aide aux collectivités, contraintes de « choisir entre le bulldozer et la restauration ». Malraux ouvrit ainsi une étape nouvelle pour la protection du patrimoine, qui ne cessa ensuite de s’approfondir.
Grâce aux lois Defferre, qui engagèrent la décentralisation culturelle, l’État, garant de la préservation des traces du passé, s’est adjoint le concours indispensable des collectivités qui, depuis lors, se sont constamment engagées à ses côtés. Sans leur action, sans l’implication déterminante de leurs élus, rien n’aurait été possible.
Aux châteaux des princes comme aux châteaux de l’industrie, on reconnut bientôt une égale valeur d’existence. Aux quartiers médiévaux comme aux quartiers Renaissance, aux vieux bourgs nichés à flanc de colline comme aux cités ouvrières, aux maisons bâties par des anonymes comme aux immeubles signés de grands architectes, on accorde aujourd’hui une grande importante.
Leur préservation et leur mise en valeur font désormais consensus, et il faut s’en réjouir. La législation que nous avons mise en place au fil du temps confère à notre pays, à son histoire et à ses territoires un aspect singulier, qui fait notre fierté et que beaucoup d’autres pays nous envient.
Il n’y a pas, je le crois, de domaine de la vie culturelle qui ne suscite aujourd’hui autant d’attachement de la part des Français. Le succès des Journées européennes du patrimoine, l’engagement de nos concitoyens dans les nombreuses associations qui œuvrent à le sauvegarder en témoignent. Et comme vous, comme chaque élu, comme chaque habitant de notre pays, je partage cet engouement.
On aurait pu penser – certains le croient encore – qu’il fallait s’en tenir là. Une première visite à la Villa Cavrois, que l’on doit au génie de Robert Mallet-Stevens et qui fut sauvée de la destruction grâce à l’attention et à la ténacité de conservateurs du patrimoine, d’architectes des monuments historiques, d’architectes et de restaurateurs suffirait déjà à nous convaincre du contraire.
Le démembrement de sites aussi éminents et la dispersion de leur mobilier, qu’il faut désormais racheter aux enchères, témoignent, si besoin est, de la nécessité d’étendre la protection de la puissance publique aux biens mobiliers rattachés à ces lieux, ainsi qu’au patrimoine de moins de cent ans, dont le caractère remarquable n’est pas toujours immédiatement perçu du grand public.
Ce projet de loi y pourvoit, de même qu’il crée les domaines nationaux, dont le lien avec notre histoire est exceptionnel, et qu’il reconnaît dans le droit national le patrimoine classé par l’UNESCO.
Élargir le champ de la protection de l’État était déjà un premier objectif, mais la nécessité de cette loi est plus profonde encore.
Il suffit, pour s’en convaincre, de se rendre aujourd’hui dans bien des villes de taille moyenne et dans bien des bourgs de France. À côté des « grandes migrations » de l’exode rural, qu’invoquait Malraux pour justifier la loi de 1962, il nous faut désormais convoquer les plus petites, qui ont conduit nos concitoyens à s’installer aux abords des villes et des villages. Ici et là, des périphéries croissent, tandis que des centres se vident et s’appauvrissent. Et ce sont des quartiers et des villages entiers qui sont aujourd’hui en danger.
Ce qui menace le patrimoine, vous le savez mieux que moi, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est l’absence de vie. Ce qui manque de l’achever, c’est l’absence d’usage. Les pierres ne survivent, elles ne sont préservées, que lorsqu’elles sont habitées.
Tout ceci n’a rien d’irrémédiable. La protection du patrimoine peut contribuer à revitaliser les territoires aujourd’hui menacés. De nombreux maires en ont fait l’expérience. Ce que Chinon est devenue aujourd’hui, ce que Besançon, Cahors ou Le Havre sont devenues, d’autres villes et d’autres villages de France peuvent le devenir à leur tour. Notre responsabilité est de les y aider.
Je citais Chinon à l’instant et je ne puis que prendre en exemple l’impulsion donnée par Yves Dauge, votre ancien collègue. Je souhaite que, avec lui, avec vous et avec les maires concernés, nous y travaillions, pour que la mise en place des cités historiques soit l’occasion de repenser nos outils en matière de revitalisation des centres. J’ai proposé au Premier ministre, en lien avec ma collègue en charge du logement, qu’une mission soit constituée sur ce sujet de préoccupation majeure pour de nombreux élus et pour beaucoup de nos concitoyens des villes moyennes et rurales.
Il ne s’agit donc plus seulement d’élargir la protection du patrimoine, comme on l’a fait jusqu’à présent, mais de la renforcer, en la clarifiant et en la rendant plus lisible. La clarification seule suffirait, en effet, à la rendre plus efficace : elle facilitera le travail des élus et raffermira l’accompagnement de l’État. La lisibilité seule suffirait à faire grandir l’intérêt et l’attachement que nous portons à cet héritage : plus le patrimoine sera identifiable, plus il sera attractif. Nous ferons les deux !
Tels sont les motifs qui ont conduit le Gouvernement à proposer au législateur la création des cités historiques. À l’entrée en vigueur de la loi, la France devrait en compter plus de 800. D’autres, je l’espère, viendront s’y ajouter par la suite.
Toute clarification suscite des inquiétudes. Les élus locaux en ont exprimé. Vos débats en commission en ont été le reflet. Qui ne le comprendrait pas ?
Il faut dire que, en la matière, bien des dispositions prises par le passé ont échaudé plus d’un élu. N’est-ce pas la loi dite « Grenelle II » qui condamnait déjà toutes les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager – les ZPPAUP – non encore transformées en aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine – AVAP – à disparaître ? Au 14 juillet 2016, plus de 600 auraient été concernées.
La première de vos inquiétudes fut sémantique. Vous vous êtes préoccupés de savoir si le terme de « cité historique » pouvait adéquatement recouvrir le patrimoine protégé. À cette première interrogation, je laisse l’histoire et le bon sens répondre à ma place.
L’histoire parle d’elle-même, en effet. N’est-ce pas depuis la fin du XIVe siècle que l’on a recours au terme de « cité » pour évoquer la partie la plus ancienne d’une ville ? Nous devons ce premier usage à Jehan Froissart, qui l’employa dans ses fameuses Chroniques, qui relatent la guerre de Cent Ans. Et c’est Émile Zola, dans Son Excellence Eugène Rougon, qui le départit le premier d’une stricte obédience urbaine, pour l’attribuer à tout groupe de maisons « ayant la même destination ».
Si toute ville est donc une cité, toute cité n’est pas nécessairement une ville. Un hameau ou un ensemble bâti peut parfaitement revendiquer ce titre. Vouloir le leur attribuer, ce n’est qu’être fidèle à l’étymologie !
Quant au bon sens, il devrait nous convaincre, mesdames, messieurs les sénateurs, de la nécessité impérieuse de renoncer aux acronymes.
Si j’ai proposé le terme de « cité historique », c’est parce que je veux que le patrimoine soit toujours plus visible aux yeux de nos concitoyens. C’est parce que je veux qu’ils se l’approprient davantage encore. C’est parce que je veux qu’ils reconnaissent la valeur des cités historiques, comme ils reconnaissent celle des monuments historiques.
Il est déjà rare que les sigles fédèrent les foules. En la matière, AVAP et ZPPAUP comptaient sans doute parmi les plus abscons et les plus méconnus du grand public… Je vous laisse juge et nous reviendrons sur la question de savoir si l’appellation de « site patrimonial protégé », qu’a retenue votre rapporteur, répond à ces objectifs. La charge poétique comparée des « SPP » et des « cités historiques » me semble de nature à vous convaincre.
À côté de l’inquiétude sémantique, s’est exprimée une préoccupation d’un autre ordre. Au terme de cette réforme, se sont interrogés les élus locaux, l’accompagnement de l’État sera-t-il toujours de même ampleur, condition nécessaire pour que la protection du patrimoine soit absolument garantie ?
À cette question, je réponds oui, sans hésiter.
Oui, l’État continuera d’être aux côtés des élus des territoires, via la décision qu’il prendra de prononcer le classement des cités historiques, via l’accord qu’il donnera aux différents documents d’urbanisme et de gestion qui accompagneront le classement, via les aides techniques et financières qu’il apportera aux collectivités pour l’élaboration de ces documents, via les avis conformes et les conseils assumés par les architectes des bâtiments de France ou encore via les commissions nationales et régionales, auxquelles ses services participeront fortement.
Non, l’État n’abandonnera ni les collectivités ni le patrimoine – bien au contraire. Toutefois, on ne bâtit pas une telle réforme sans les élus locaux. S’ils ne la portent pas avec nous, s’ils ne s’y reconnaissent pas, elle ne peut donner le moindre fruit. A fortiori parce qu’il n’existe aucune politique aussi partenariale que la protection du patrimoine. A fortiori parce que j’ai souhaité que les collectivités soient renforcées, comme l’État, dans le rôle de garants de cette protection.
Je suis donc attentive aux solutions qui viennent des territoires et qui sont susceptibles d’améliorer l’efficacité du texte. De fait, pour les cités historiques ou les parties de cité historique qui ne seront pas concernées par un plan de sauvegarde et de mise en valeur, Mme Férat suggère la création d’un plan de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine qui serait annexé au plan local d’urbanisme. Cette solution permet, selon elle, de répondre aux inquiétudes qui se sont exprimées. Je suis prête à travailler en ce sens.
J’ai donc proposé un amendement qui tend à s’appuyer sur cette proposition, tout en procédant aux ajustements qui me semblent nécessaires. Je vous invite à vous y rallier et je suis prête à reprendre certaines des évolutions que vous avez souhaitées.
Sur ce point, il me semble que tout est réuni pour que nous puissions bâtir un compromis transpartisan.
Sur d’autres points en revanche, votre commission et la majorité sénatoriale n’ont pas fait preuve de la même clairvoyance, et nos désaccords demeurent. Je pense en particulier à l’archéologie préventive. Notre politique en la matière est aujourd’hui déséquilibrée, l’excellent rapport de la députée Martine Faure l’a bien montré.
En renforçant les hauts standards scientifiques de notre archéologie préventive, le projet issu des débats de l’Assemblée nationale visait précisément à rétablir l’équilibre. Il y parvenait en confortant dans leur rôle chacun des acteurs, tout en clarifiant leurs périmètres d’intervention respectifs, et assurait cet équilibre en garantissant le caractère scientifique des fouilles qu’ils conduisent.
Je rappelle notamment que le texte initial du projet de loi reconnaissait la participation des services archéologiques des collectivités territoriales au service public de l’archéologie préventive et confortait leur action par une habilitation pérenne, au lieu d’un simple agrément, sans remettre en cause le rôle des sociétés privées qui ont toute leur place, je veux le dire ici, dans l’archéologie préventive. J’espère donc bien vous convaincre de revenir à la rédaction initiale.
Un mot encore, pour en finir avec cette évocation du patrimoine. Si nous nous attachons autant à le mettre en valeur, c’est parce qu’il participe à l’attractivité et à la vie culturelle de nos territoires, je l’ai évoqué, mais c’est aussi parce qu’il fait figure de point de repère, de permanence, dans un monde en perpétuel mouvement.
Pour autant, si nous regardons avec autant d’intérêt les vestiges du passé, ce n’est pas pour y retourner. Si nous accordons autant de place au passé, ce n’est pas pour le ressusciter, dans une version mythifiée et figée à jamais, comme certains, aujourd’hui, cherchent à le faire.
Si nous sauvegardons le patrimoine, c’est parce qu’il nous rappelle que des hommes sont passés avant nous et que d’autres viendront après nous. Si nous préservons l’héritage, c’est parce qu’il nous rappelle que nous sommes mortels et qu’il nous faut lutter contre ceux qui prétendent édifier – ou relever, c’est selon – une France éternelle qui n’a jamais existé que dans leurs fantasmes les plus fous et les plus dangereux.
Ne faisons donc pas de la protection du patrimoine un prétexte pour cadenasser l’avenir. Ne laissons pas le patrimoine à ceux qui s’en servent pour mieux fustiger la création contemporaine. Préservons l’héritage, tout en demeurant plus que jamais ouverts à l’invention et à la créativité. Qui contesterait aujourd’hui que le Louvre fut rehaussé dans sa splendeur par la pyramide de Pei ?
Être attentif au passé, être ouvert à l’avenir : telle est l’ambition du Gouvernement, et c’est pourquoi celui-ci a souhaité rassembler création et patrimoine en un même texte ; tel est le combat qu’il mène, et c’est pourquoi il a souhaité que l’article 1er de ce projet de loi élève la liberté de création au rang de liberté fondamentale.
Je ne puis donc que me réjouir du vote conforme de votre commission. On a parfois reproché à cet article, y compris dans cet hémicycle, de ne pas être normatif ; on lui a parfois reproché sa sobriété. Pourtant, la puissance d’une loi, vous le savez mieux que moi, ne se mesure pas à la jurisprudence qu’elle va créer. Une loi n’est pas toujours là pour contraindre ; elle est aussi là pour rendre possible.
Cette loi confortera donc la France comme un pays où l’art et la création ont une place singulière. Cette loi consacrera la France comme un pays où le politique ne dicte pas sa loi à l’artistique et ne laisse aucune prise à ceux qui auraient l’intention de le faire. Cette liberté nouvelle n’a d’intérêt, bien sûr, que s’il existe un espace pour l’exercer.
Puisque nous avons longuement évoqué le bâti et sa préservation, vous m’autoriserez à y revenir, pour évoquer le bâti et son innovation. Je veux parler, bien sûr, de l’architecture. Sur ce point encore, je ne peux que déplorer le sort que votre commission a réservé à la plus grande liberté que nous avions offerte aux architectes.
Vous revendiquez votre attachement à une création artistique libre, mais vous refusez d’accorder aux architectes la liberté d’expérimenter dans des conditions pourtant encadrées. Vous vous inquiétez de ce que les périphéries et les entrées de villes finissent par se confondre, tant elles sont uniformes, et vous refusez que les architectes interviennent davantage dans les constructions individuelles pour les petites surfaces…
Malraux lui-même, en présentant la loi de 1962, récusait tous ceux qui se vantaient d’être des défenseurs du patrimoine en construisant du neuf à l’ancienne. Il invitait, déjà, lorsqu’il s’agissait de bâti nouveau, à choisir la modernité, car, disait-il, « quand l’ancien entre en jeu, la reconstruction aboutit inévitablement à l’ersatz ». Nous aurons un débat dans cet hémicycle et j’espère que, dans ce débat, c’est à Malraux, dont vous vous revendiquez souvent, que vous resterez fidèles.
Comme les architectes, les artistes ont besoin de conditions propices et durables pour oser créer en toute liberté. Or, c’est un fait avéré, le numérique et la mondialisation les transforment. Ces grandes mutations modifient notamment en profondeur les relations entre les acteurs – artistes, producteurs, diffuseurs ou distributeurs.
Dès lors, posons la question : quelles dispositions doivent être modernisées pour garantir aux artistes des conditions pérennes, favorables à la création ? Quelles dispositions faut-il, au contraire, réaffirmer et compléter ?
En la matière, je revendique une méthode : encourager des négociations entre les acteurs, car ils sont les mieux à même de déterminer ce qui leur est collectivement le plus profitable. On aura donc recours à la loi uniquement lorsque la nécessité l’impose : soit pour entériner des accords, soit pour endosser une responsabilité que les parties prenantes n’auront pas voulu assumer, comme je l’ai fait sur le livre.
C’est en ayant l’ensemble de ce processus à l’esprit, y compris les combats que je mène au sein des instances communautaires en faveur du droit d’auteur, y compris ceux que je poursuis contre l’offre illégale, que je vous invite par conséquent à examiner ce texte et à juger des amendements qui vous sont proposés par votre rapporteur.
Ainsi, pour rééquilibrer les relations entre les artistes et les producteurs de cinéma à l’ère du numérique, nous avons adapté nos dispositions pour que ces relations soient plus transparentes. À ce titre, je ne peux que me réjouir que, sur l’initiative de David Assouline et du groupe socialiste, vous ayez transposé à l’audiovisuel ce que les députés ont adopté pour le cinéma, car c’est un réel progrès.
En revanche, pour ce qui relève des relations entre les producteurs et les diffuseurs, des négociations sont en cours, après qu’un premier accord, attendu depuis longtemps, a été conclu entre France Télévisions et les producteurs. Tout ce qui viendrait déséquilibrer ces négociations ou prendre les acteurs au dépourvu doit donc être évité. C’est pourquoi je ne puis qu’être en désaccord avec les amendements adoptés par la commission à ce sujet, sur l’initiative de votre rapporteur.
De même, c’est la transparence que nous avons privilégiée pour rééquilibrer les relations entre artistes-interprètes et producteurs de musique, d’une part, et entre producteurs et plateformes de musique en ligne, d’autre part.
Ainsi, le développement équitable de la musique en ligne a fait l’objet d’un accord signé par de très nombreuses organisations de la filière musicale, sous la houlette de Marc Schwartz. Là aussi, d’autres négociations sont en cours et elles sont d’ailleurs suivies de près à l’étranger, car cet accord n’a pas de précédent. Il importe donc, là encore, de ne rien faire qui pourrait déséquilibrer ces négociations.
Je regrette, en revanche, que vous refusiez d’étendre la licence légale au webcasting linéaire qui ne présente aucune difficulté, dans la mesure où nous ne faisons qu’appliquer le principe de la neutralité technologique. J’espère vous convaincre de revenir sur votre décision.
Les dispositions qui régissent le cinéma, l’audiovisuel et la musique ont donc besoin d’être modernisées, parce qu’elles sont exposées au premier chef aux mutations numériques et à la globalisation. D’autres, au contraire, ont besoin d’être affirmées ou complétées.
Il s’agit tout d’abord la liberté de programmation et la liberté de diffusion. Elles sont le fondement de notre histoire, elles font notre fierté et, sans elles, aucune vie culturelle ne serait possible ; plus que jamais, il importe de les préserver. Je suis donc extrêmement attentive à ce que ces libertés soient garanties.
Toutes les dispositions qui offrent un cadre pérenne à l’intervention publique en matière culturelle ont aussi besoin d’être affirmées.
Ce sont les labels, auxquels il est nécessaire de donner une base juridique indiscutable.
Ce sont les droits sociaux, qu’il s’agit d’ouvrir aux professions du cirque et de la marionnette, après que le régime de l’intermittence a été sanctuarisé dans la loi relative au dialogue social et à l’emploi.
C’est la formation des artistes en devenir, dans nos établissements d’enseignement supérieur culturel, dans les classes préparatoires publiques aux écoles d’art, qui seront désormais reconnues par agrément, et dans les classes préparatoires à l’enseignement supérieur du spectacle vivant, qui remplacent les cycles d’enseignement professionnel initial, les CEPI.
C’est le caractère inaliénable des collections publiques, que nous vous proposons de conférer à celles des Fonds régionaux d’art contemporain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez donc compris : mon souci est de donner aux artistes la possibilité de créer librement dans cet environnement nouveau, en prenant les dispositions et en confortant les moyens qui s’imposent. Il est de permettre aux acteurs culturels, qui travaillent avec eux, d’exercer leur métier dans un environnement sécurisé. Il est de soutenir l’emploi dans ce secteur et de donner de meilleures garanties aux artistes professionnels. Il est de renforcer la protection du patrimoine, au bénéfice de tous.
Parce que tout doit être fait pour qu’une vie culturelle riche et diversifiée soit offerte aux Français, parce que mon objectif ultime reste la participation de tous nos concitoyens à la vie culturelle, j’assume que cet objectif imprègne ce texte dans sa globalité et que beaucoup de dispositions concourent à faciliter sa réalisation dans ce contexte nouveau.
Je pense à la réforme de l’exception au droit d’auteur pour faciliter l’accès à la lecture des personnes en situation de handicap, dont je me réjouis qu’elle fasse consensus. Je pense aussi à l’affirmation de l’éducation artistique et culturelle comme axe majeur de nos politiques culturelles.
Cependant, j’espère que, sur deux dispositions particulières, nos points de vue convergeront au cours du débat. Je veux parler de la réforme des conservatoires et de la reconnaissance des pratiques amateurs, parce qu’il s’agit du quotidien culturel des Français.
C’est grâce à un réseau très important de conservatoires, unique en Europe, que nos enfants ont accès à une formation et à une pratique artistique exigeantes. Nous l’avons d’ailleurs très souvent évoqué avec Catherine Morin-Desailly. Celle-ci sait combien, dès mon arrivée rue de Valois, je m’en suis particulièrement préoccupée.
Mon ambition est de faire de l’enseignement artistique spécialisé, de la pratique artistique collective, de la formation des amateurs dans les conservatoires, un moyen de renforcer la participation de tous les jeunes à la culture et de leur offrir une éducation artistique et culturelle de qualité.
J’ai souhaité conforter les grands principes de la loi de 2004 et confirmer la répartition des missions entre les collectivités territoriales et l’État. J’ai souhaité réengager l’État dans le financement des conservatoires, pour que les actions de ces derniers puissent aller encore plus loin, pour tous les enfants, dans tous les territoires, vers une plus grande diversité.
Toutefois, c’est aussi en amateurs que les Français pratiquent les arts et la culture : quelque douze millions d’entre eux le font de manière régulière. Comment ne pas vouloir les accompagner ? Comment ne pas vouloir lever le flou juridique auquel se heurtent chaque jour des spectacles amateurs ou professionnels ? Là encore, il s’agit de nous adapter à ces conditions nouvelles dans lesquelles les Français participent à la vie culturelle, tout en préservant et en renforçant l’emploi professionnel, qui reste notre priorité.
Je sais le Sénat très soucieux de défendre ces avancées et, en particulier, Maryvonne Blondin et Sylvie Robert très attachées, comme moi, à promouvoir une culture de la participation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est rien de moins que l’avenir de la vie culturelle de la France qui est entre vos mains aujourd’hui ; l’avenir de son patrimoine, que vous pouvez choisir de protéger mieux ; l’avenir de ses territoires, que vous pouvez choisir de mettre davantage en valeur ; l’avenir de ses artistes et de ses architectes, auxquels vous pouvez choisir d’accorder de nouvelles libertés ; l’avenir de ses professionnels de la culture, auxquels vous pouvez apporter le soutien dont ils ont besoin pour accompagner les créateurs dans leur travail ; l’avenir des Français, enfin, qui ne cessent de chercher dans la vie culturelle ces liens qui nous unissent, qui nous rassemblent, qui nous élèvent et qui font aussi de nous des citoyens.
Dans cette époque de grandes mutations, où numérique et mondialisation se conjuguent, le terrain sur lequel nous avons bâti nos politiques culturelles est en train de changer. Ce texte nous donne les moyens de nous y adapter.
Ce texte conforte la place que notre pays accorde aux artistes, il témoigne de la confiance qui leur est faite pour raconter le monde d’aujourd’hui et imaginer celui de demain. Prenons-en toute la mesure ! Permettons aux générations qui viennent de prendre part à une vie culturelle toujours aussi diverse, toujours aussi intense, toujours aussi propice à nourrir leur curiosité ! Car, en elle, ils trouveront de quoi faire face aux turbulences du monde.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, enfin ! Enfin, ce texte tant attendu, annoncé depuis le début du quinquennat, arrive devant notre assemblée.
On nous avait annoncé, successivement, une grande loi sur le spectacle vivant, une autre loi pour remplacer la loi HADOPI, une grande loi sur le patrimoine, une grande loi sur la création, et nous voilà avec un « projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine », un texte fusionné, protéiforme et, convenons-en, terriblement touffu.
En termes de méthode, notre commission de la culture a pu regretter la multiplication des amendements du Gouvernement introduisant des dispositifs totalement nouveaux, la quantité de demandes d’habilitation à légiférer par ordonnances, …
… ainsi que la prolifération des articles demandant des rapports au Gouvernement.
Texte touffu, disais-je, avec, comme étendard, son article 1er, qui vous tient très à cœur, madame la ministre : « La création artistique est libre ». Tout est dit !
À cet article 1er, sublime de dépouillement, succède une longue et foisonnante litanie d’articles sur des sujets aussi divers que le cinéma, les écoles d’art, la musique, la copie privée, les conservatoires, etc. Je me concentrerai sur les principaux apports de la commission de la culture, dont je remercie la présidente de la parfaite organisation des travaux. Intelligibilité, clarification, équilibre sont autant de principes qui ont guidé notre travail. Cependant, vous ne nous en voudrez pas, madame la ministre, d’avoir fait preuve aussi d’une certaine créativité.
Dans le domaine de l’audiovisuel, nous avons proposé, d’une part, de faire passer à 60 % au minimum la part de production indépendante, et, d’autre part, de définir le critère de l’indépendance à l’aune de la seule détention capitalistique.
Sur le sujet de la copie privée, nous avons adopté diverses mesures en faveur d’une plus grande transparence et d’une meilleure gouvernance de la Commission pour la rémunération de la copie privée.
S’agissant des web radios, nous proposons la suppression du dispositif, compte tenu des trop grandes incertitudes qui demeurent quant aux incidences d’une telle réforme.
Concernant les conservatoires, nous inspirant largement des travaux de notre présidente, Catherine Morin-Desailly, en particulier de la récente proposition de loi de cette dernière, nous avons clarifié la répartition des compétences entre collectivités, afin que la région assume un véritable rôle de chef de file.
Par ailleurs, au sujet du droit de suite, nous avons ouvert la possibilité à un auteur d’œuvres d’art graphiques et plastiques, en l’absence de tout héritier réservataire, de léguer son droit de suite à un musée ou à une association ou fondation culturelle.
Enfin, dans le domaine du soutien à la création, nous proposons un dispositif innovant en faveur du mécénat territorial.
Je n’ai abordé là que quelques-uns des apports les plus marquants de notre commission. Je n’irai pas plus loin, le temps qui m’est imparti étant réduit. J’aurai l’occasion, au cours du débat qui va s’engager entre nous, de développer plus avant toute la richesse de nos propositions.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – Mme Maryvonne Blondin applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lorsqu’elle a examiné le titre II du projet de loi, qui comporte les dispositions relatives au patrimoine culturel et à la promotion de l’architecture, notre commission a travaillé dans un esprit de compromis, constructif et pragmatique. Nous avons œuvré pour apporter des améliorations de bon sens, en recherchant toujours la concision et la simplification.
Il en va ainsi de la réforme des espaces protégés au titre du patrimoine. Nous ne l’avons pas rejetée en bloc, mais nous l’avons profondément modifiée, en gardant à l’esprit deux exigences.
D’une part, nous avons souhaité assurer la lisibilité des dispositifs sans mettre en cause la protection du patrimoine. Ainsi, notre commission a changé l’appellation « cité historique » en « site patrimonial protégé ». Nous avons également préféré abandonner le recours au PLU au profit d’un document plus stable et plus complet. Nos amendements visent à renforcer le rôle de la commission nationale, garante de l’intérêt public et de l’unité de la protection du patrimoine sur notre territoire.
D’autre part, nous avons voulu préserver les intérêts des collectivités territoriales. Celles-ci ont exprimé le souhait de disposer d’un cadre juridique stable et lisible, mais également d’être accompagnées et de ne pas se voir imposer des contraintes excessives. Nous les avons entendues, et c’est à cette fin que nous avons renforcé le rôle de l’État et rétabli des dispositions que le projet de loi entendait remettre en cause, comme l’élaboration conjointe des PSMV, les plans de sauvegarde et de mise en valeur.
C’est dans cet esprit que nous avons abordé la partie consacrée à l’architecture. Nous avons maintenu les dispositions originelles du projet de loi, notamment celles qui visent les CAUE, les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, ou qui ont trait au fonctionnement interne de l’ordre, et modifié celles qui sont relatives à la lutte contre les signatures de complaisance ou à l’amélioration de la qualité architecturale des lotissements.
Toutefois, nous avons supprimé les articles qui allaient à l’encontre des exigences de simplification ou qui avaient pour effet de pénaliser nos concitoyens, à l’instar de l’article concernant l’abaissement du seuil d’intervention de l’architecte.
En ce qui concerne l’archéologie préventive, nous approuvons l’instauration d’une présomption de propriété publique sur les biens archéologiques mobiliers qui présentent un intérêt scientifique. En revanche, nous sommes opposés aux dispositions adoptées par l’Assemblée nationale, qui, sous prétexte d’améliorer la qualité scientifique de l’archéologie préventive, renforcent le contrôle de l’État sur les opérateurs de droit public ou privé soumis à agrément et sur le déroulement des opérations de fouilles, avec l’objectif affiché de restreindre l’ouverture à la concurrence du secteur de l’archéologie préventive au seul bénéfice de l’INRAP, l’Institut national de recherches archéologiques préventives.
Qui serait assez naïf pour croire que la notation du volet scientifique de toutes les offres n’a pas pour but d’imposer un choix à l’aménageur, d’autant que, in fine, il lui faut obtenir une autorisation de fouilles ?
Ce soupçon se confirme encore un peu plus lorsque l’on sait que le Gouvernement prévoit de renforcer les services chargés de contrôler les offres et de noter les projets scientifiques par des agents de l’INRAP.
Néanmoins, au-delà de notre opposition sur l’archéologie préventive, vous l’aurez compris, madame la ministre, mes chers collègues, notre commission a apporté des améliorations notables à ce texte, pour assurer sa pérennité. C’est dans le même esprit de compromis et d’ouverture que nous examinerons les nombreux amendements extérieurs.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, grand millésime ou petite année ? À l’évidence, ni l’un ni l’autre !
Comme l’ont souligné plusieurs membres de notre commission lors de l’examen du texte, il s’agit plutôt d’une bouteille à moitié vide, ou à moitié pleine. Tel apparaît en effet le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis, un projet de loi maintes fois annoncé, qui, à force d’être différé, est devenu un peu un texte à tiroirs et dont on a peine à voir le fil conducteur.
À titre personnel, et j’ai eu l’occasion de le dire dans mon rapport pour avis sur la loi NOTRe, j’aurais aimé que celle-ci soit une vraie loi de décentralisation, qui, dans le domaine qui nous concerne, précise de nouveau les missions de l’État et celles des collectivités territoriales, puis qu’elle soit suivie de lois-cadres définies sur la création, d’une part, et sur le patrimoine et l’architecture, d’autre part. Je pense que nous y aurions gagné en lisibilité et en cohérence.
C’est peu dire que ce projet de loi suscite un sentiment mitigé, entre mesures bienvenues ou nécessaires, traduisant souvent des accords interprofessionnels – je pense notamment aux dispositions relatives à la musique – et modifications plus contestables – par exemple la réforme en profondeur de l’archéologie préventive – ou notoirement insuffisantes.
Je n’oublie pas l’ouverture par l’Assemblée nationale de nombreux nouveaux chantiers, ce dont je remercie nos collègues députés, au moins pour certains d’entre eux, en particulier celui sur les enseignements artistiques spécialisés. Cet oubli dans le texte initial était d’autant plus regrettable que les établissements concernés vivent depuis 2004 une crise institutionnelle, doublée ces dernières années d’une crise financière, qui est loin, hélas, d’être terminée.
Depuis la loi de 1977, le Parlement n’avait pas eu à examiner les questions relatives à l’architecture. Près de quarante ans plus tard, il était donc utile de réfléchir au rôle de l’architecte dans la cité. Certains ajouts dus à l’Assemblée nationale, notamment à son rapporteur, et relatifs à l’architecture font l’unanimité, tandis que d’autres, qui font davantage débat, seront sans doute très discutés dans les jours à venir.
Il est difficile, dans ces conditions, de porter un jugement sur ce texte. Beaucoup d’acteurs s’en sont perçus comme les grands oubliés, parfois injustement, dans la mesure où tout ne passe pas par la loi.
C’est pourquoi, sans esprit polémique, madame la ministre, notre commission, sur l’initiative de nos deux rapporteurs, François Férat et Jean-Pierre Leleux, dont je tiens à saluer le travail très approfondi, mais également de ses autres membres, s’est efforcée de clarifier le texte. Elle a adopté 34 articles sans modification et plusieurs autres ont été modifiés pour de simples questions de coordination ou des corrections mineures.
Pour une fois, nous ne sommes pas exposés à la brutalité de la procédure accélérée, ce dont nous nous réjouissons, car cela devrait nous permettre de rapprocher les points de vue, notamment en matière de protection du patrimoine, où nous avons réussi à bâtir, je crois pouvoir le dire ici, un système équilibré entre liberté des collectivités territoriales et protection efficace et simplifiée. Nous avons ainsi levé les légitimes inquiétudes qui s’étaient exprimées, et pas seulement celles des associations de défense du patrimoine.
Notre commission a également estimé utile d’enrichir le texte, afin, en particulier, de soutenir la création. Le nombre des amendements déposés montre combien notre rapporteur a eu raison de proposer que le droit de suite puisse être dévolu aux musées et fondations.
Les dispositions que nous avons adoptées afin de clarifier les relations entre producteurs et distributeurs sont plus controversées et pourraient évoluer au fil de la navette parlementaire. Elles ont le mérite de lancer un débat plus que nécessaire : le monde bouge et la mutation numérique entraîne des recompositions ; il faut y réfléchir.
Nos apports montrent en tout cas que le Sénat est aujourd’hui au rendez-vous pour prendre toute sa part dans l’élaboration d’un texte qui, sans être une grande loi, nous en sommes tous conscients, constitue une chance à saisir pour que vive, dans un monde en profonde mutation, l’exception culturelle à laquelle nous sommes tous très attachés.
Au-delà des divergences d’appréciation, une chose est sûre : dans ces temps troublés, où le fanatisme et l’obscurantisme frappent de manière effroyablement barbare salles de concert, rédactions de presse, sites archéologiques ou musées, et surtout ceux qui y travaillent ou qui les fréquentent, notre objectif doit être de réaffirmer le bien-fondé de la culture comme partie prenante de notre démocratie.
Comme le soulignait Didier Hallépée, écrivain français, auteur récemment décédé d’ouvrages plutôt techniques : « Notre culture […] s’inscrit dans deux besoins intrinsèques de l’être humain : la soif d’apprendre, la soif de transmettre. […] Besoins sans lesquels l’espèce humaine n’aurait pas parcouru le long chemin qui l’a menée de la Préhistoire jusqu’à nos civilisations modernes. »
Plus que jamais, mes chers collègues, nous devons répondre à ces besoins, car la culture n’existe pas pour elle-même : la culture est, avant tout, du développement humain.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du groupe écologiste.
Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, nous entamons au Sénat un débat sur une loi trop longtemps attendue.
Ce texte était attendu, certes, parce que les sujets qu’elle traite méritaient des réponses législatives, mais, surtout, parce que le contexte actuel, dominé par des attaques terroristes contre notre mode de vie en société, mais aussi par une remise en cause de nos valeurs républicaines et de la laïcité, qui nous permettent de vivre ensemble, comme par le chômage de masse, qui mine le lien social, appelait également une réponse culturelle.
C’est notre culture qui est visée, dans ce qu’elle est et ce qu’elle a de magnifique, ce concentré de valeurs universalistes, d’expressions et de représentations qui ont infusé au fil des siècles et les territoires de notre pays, d’apports ininterrompus de tous ceux qui sont venus le peupler et s’y installer ; c’est bien cela qui est la cible particulière des terroristes.
Ils tuent des dessinateurs caricaturistes ou des amoureux de musique dans un concert au Bataclan ; ils tirent sur des terrasses de l’Est Parisien, assassinent des Juifs parce qu’ils sont juifs, dans la France du « J’accuse » de Zola, ou détruisent des trésors archéologiques, patrimoines de l’humanité, brûlent des livres, interdisent des poèmes, des films, des chants et des musiques.
C’est aussi la culture qui est ciblée de plus en plus fréquemment par les intolérants et les extrémistes, qui, en Europe et dans notre pays, saccagent des œuvres et des expositions ou empêchent des représentations au nom de leur idéologie d’exclusion.
La culture est ciblée, mais c’est aussi par la culture que nous devons répondre, par la création, par l’art – tous les arts –, par la défense de notre patrimoine, de tous nos patrimoines.
Plus généralement, je pense que nous devons être capables de redonner du sens à la politique par la culture, et non par l’énoncé sans âme de chiffres et de statistiques économiques.
Dans ce moment où le lien social se délite, où un nombre grandissant de nos concitoyens vit dans la précarité et où la tentation éternelle d’accuser l’autre de ses difficultés de vivre envahit l’espace social et politique, s’émerveiller au plus profond de soi, mais comme tant d’autres, devant une peinture, être bouleversé par un film dans l’obscurité d’une salle, reprendre en chœur par milliers le refrain d’une chanson dans un concert, prendre plaisir à déguster les mots d’un auteur d’il y a plusieurs siècles ou d’un contemporain, par la lecture ou pendant une représentation théâtrale, ou danser sur des rythmes et des musiques qui viennent de tous les continents et de tous les temps, tel est l’antidote à la barbarie, à la haine et à l’ignorance, engrais des moissons de poison.
Oui, parce qu’aujourd’hui nous traversons des crises multiples, notamment des crises terroriste, économique et civique, aujourd’hui moins que jamais, la culture est un supplément d’âme. La culture est notre âme ! Dès lors, nous devons lui redonner toute sa place dans le projet républicain : nous devons être capables de la valoriser, de lui redonner toute sa force, tout son rayonnement et toute sa capacité dynamique d’évocation, de sublimation, d’entraînement, d’utopie, de contestation et de partage d’émotions à nul autre pareil.
Madame la ministre, mes chers collègues, la bataille culturelle pour les valeurs de la République doit être aussi un combat de la République pour la culture !
Le projet de loi que défend Mme la ministre, largement amendé à l’Assemblée nationale, est une pierre importante dans ce combat : il affirme résolument la place de l’art et de la culture dans la République, relance l’éducation artistique, renforce la protection du patrimoine et apporte, enfin, une première réponse à la révolution numérique qui a bouleversé les pratiques artistiques et culturelles.
Grâce à ce texte, les artistes seront mieux protégés et, surtout, mieux rémunérés, par des règles précises et transparentes dans les secteurs musical et cinématographique. En outre, la diversité culturelle et les pratiques amateurs bénéficieront désormais d’une reconnaissance législative, tandis que la libre création des œuvres et la libre programmation des spectacles seront des biens communs garantis par la loi.
Surtout, madame la ministre, vous avez tenu à affirmer avec force dès l’article 1er du projet de loi, à la manière d’une proclamation solennelle, que la liberté de création fait partie des libertés fondamentales. Bravo !
Pour aller dans votre sens, nous proposerons d’introduire après l’article 1er, auquel nous ne voulons rien changer, car il prend toute sa force tel quel, un nouvel article 1er bis concrétisant et renforçant cette affirmation en proclamant aussi : « La diffusion de la création est libre ».
De fait, chacun sait que, dans le contexte actuel de la mondialisation, de la financiarisation de l’économie, de la gigantesque révolution technologique du numérique, du bouleversement de l’offre et des usages et de la tendance à la concentration de la diffusion de la création entre les mains d’un petit nombre de grands acteurs qui contrôlent souvent toute la chaîne d’un secteur, la diffusion de la création est de moins en moins libre, en dépit de toutes les apparences, car l’abondance de l’offre, des supports et des consommateurs qui peuvent recevoir l’offre ne garantit pas la diversité de celle-ci.
De ce point de vue, aucun secteur n’est épargné : ni la création audiovisuelle ou cinématographique, ni la musique, ni le spectacle vivant, ni même le livre ou les arts visuels. À tel point que, pour que la création soit libre, c’est aujourd’hui sa diffusion qui doit être libérée. Comment ? En la régulant, pour s’assurer que ni le contenu de la création, ni son exposition, ni son financement ne sont touchés par l’uniformisation, qui est la négation de la création artistique.
Or, comme toujours, le marché fait son œuvre, mais sa seule logique, brutale parce que guidée avant tout par la recherche du profit maximum et par le rapport de forces financier et économique, ne permet pas de préserver ni de promouvoir la diversité et la qualité de l’offre créative, qui sont au cœur de l’exception culturelle que la France défend avec constance, et souvent avec succès, dans toutes les enceintes de la délibération, de la négociation et de la gouvernance internationales.
Ainsi, la France a obtenu que les biens culturels soient retirés de la négociation du traité transatlantique, et nous avons marqué des points encourageants, qui ne doivent pas nous conduire à relâcher notre vigilance, sur la directive Droit d’auteur, en préparation au niveau européen.
Cette tendance à la concentration a pour conséquence le délitement de cette exception culturelle, qui était au cœur du consensus républicain sur la culture, ainsi que l’effacement progressif du citoyen au profit du consommateur.
L’exception culturelle, chacun certes se sent obligé de s’y référer, et cela n’est pas à négliger, mais ce qui domine dans le monde et submerge les digues que nous avions patiemment construites, c’est la transformation de la culture en une marchandise comme les autres. Or cette conception mine les deux grandes ambitions culturelles de la République, intimement liées et dépendantes l’une de l’autre : l’égalité d’accès des citoyens aux œuvres artistiques dans tous les domaines ; la protection de la liberté de création et des créateurs, ainsi que l’aide à tous deux.
Nous savons que les « industries culturelles », comme l’on dit aujourd’hui, de façon à mon sens impropre
M. Michel Le Scouarnec opine.
Pour ce faire, de justes rémunérations doivent être servies à chaque étape de la chaîne, car la captation de la valeur par quelques grands acteurs connus qui s’émancipent de l’équité fiscale comme des protections du droit d’auteur, au premier rang desquels Google, Amazon, Facebook et Apple, met en péril les créateurs, qui sont au fondement de tout.
Il faut aussi veiller à la diversité et à l’indépendance des contenus proposés. C’est pourquoi nous n’entendons pas laisser à l’écart du projet de loi les questions qui touchent à l’audiovisuel et aux rapports producteurs-diffuseurs, ni celles qui sont liées à l’indépendance des rédactions et des productions des groupes de l’audiovisuel privé vis-à-vis de leurs actionnaires, lesquels, du reste, en vertu d’une particularité française qui n’est pas à notre avantage, ont souvent peu à voir avec le monde de la création et de l’information, ni d’ailleurs avec celui des médias en général.
Dans cet esprit, nous défendrons des amendements visant à compléter le projet de loi initial du Gouvernement, notamment en matière d’indépendance des rédactions et des producteurs, ou à corriger des excès issus des travaux de notre commission et du rapporteur Jean-Pierre Leleux ; je pense en particulier aux dispositions relatives aux rapports entre les producteurs indépendants et les diffuseurs, dont l’application, en l’état actuel de leur rédaction, reviendrait à tuer tout le tissu de la production indépendante, tel qu’il existe aujourd’hui.
Par ailleurs, nous tenons à défendre le maintien dans le projet de loi des dispositions qui sont issues de nos amendements adoptés par la commission en ce qui concerne la redevance pour copie privée et le renforcement de la transparence dans les domaines de l’audiovisuel et du cinéma, aux fins de garantir de justes rémunérations aux auteurs et aux artistes.
Sur les questions importantes se rapportant à l’archéologie préventive, à l’architecture et à la défense du patrimoine, nous soutiendrons toutes les mesures qui iront dans le sens d’une modernisation, tout en préservant la philosophie et les dispositifs qui ont fait leurs preuves, des dispositifs souvent engagés et conçus d'ailleurs sous l’impulsion de notre ami et ancien collègue Yves Dauge. En d’autres termes, il n’est question ni de brader la qualité et la bonne harmonie des relations entre l’État et les collectivités territoriales, ni de faire prévaloir, s’agissant de notre patrimoine, une logique privée libérale au détriment du rôle de l’État, garant de la conservation de nos trésors patrimoniaux.
Madame la ministre, mes chers collègues, après l’inscription dans la loi du régime spécifique des intermittents du spectacle, après des arbitrages budgétaires se traduisant par des crédits enfin en augmentation et après l’engagement de l’État à travers des pactes culturels conclus avec les collectivités territoriales, le présent projet de loi concrétise l’engagement du Gouvernement et de la gauche en faveur des artistes et de la création artistique, ainsi que de la relance d’une politique de défense et de promotion de notre patrimoine.
Nous le soutenons et nous essaierons de l’améliorer en séance, comme nous avons commencé de le faire en commission sur des sujets importants. Nous espérons voter en sa faveur, pourvu, bien entendu, que nos délibérations n’aient pas conduit à le dénaturer !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, voici enfin, en un seul texte, le projet tant attendu sur la culture, le beau projet que les artistes appellent de leurs vœux, le nécessaire projet qui doit garantir l’engagement de l’État et des collectivités territoriales vis-à-vis d’une société pleine d’incertitudes.
La culture donne à comprendre et à ressentir le monde tel qu’il est, tel qu’il peut devenir et aussi tel qu’il fut. La création se nourrit de la sensibilité aiguisée des artistes et utilise toutes les voies sensibles pour nous faire entrer en émotion : grâce à elle, nous rions, nous rêvons, nous nous révoltons, nous sommes déstabilisés, nous partageons des réflexions, nous rencontrons les autres.
Qui ne se souvient d’un concert qui l’a enthousiasmé, d’un livre ou d’un film qu’il a voulu partager avec ses amis, ses voisins ou ses collègues ? Qui ne s’est pas lui-même étonné de l’effet intime et profond que produisait en lui ou en elle un tableau découvert dans un musée ou une sculpture rencontrée dans l’espace public ? Qui n’est pas ressorti ébloui d’un cirque ou d’une exposition ? Qui n’a jamais eu ses certitudes ébranlées à la sortie d’une pièce de théâtre ?
La France de 2015, parcourue par des frissons d’effroi, par des élans de compassion, par de bonnes résolutions, est aussi traversée par quelques relents xénophobes. Moins que jamais, elle ne doit laisser quiconque dans une solitude aigrie et peureuse.
Les droits culturels, salués par l’ensemble du Sénat, ne sont pas un luxe. Ils sont, pour chacun, des promesses de développement individuel, d’épanouissement et d’émancipation. Ils sont aussi des ferments de démocratie et d’enrichissement par la rencontre. Ils sont la fondation d’un avenir commun désirable, « dans le respect de l’égalité entre les femmes et les hommes », comme le précise à juste titre l’alinéa 3 de l’article 2 du projet de loi.
De fait, il y a grand besoin de redresser l’injustice culturelle en matière de parité. Au demeurant, nous aurions pu ajouter aussi « sans aucune autre discrimination », tant restent nombreux les mises à l’écart et les chemins d’accès lisibles ou praticables seulement par quelques-uns. Il est impératif que les politiques publiques culturelles reconnaissent à chacun une égale dignité, qu’il soit pauvre ou riche, rural ou urbain, valide ou non, né en France ou ailleurs, amateur de slam ou passionné de chant grégorien.
Or je ne suis pas certaine que tout notre peuple, dans sa diversité et avec son foisonnement d’activités, ses aspirations et ses milliers de parcours en héritage, ait été convié à l’élaboration du projet de loi et pourra, demain, participer réellement à la vie culturelle et à la création, ni que la mue de l’ancien ministère des beaux-arts en ministère de la culture du XXIe siècle, sonnant à l’heure de l’e-society et des banlieues bigarrées, soit vraiment achevée…
À la vérité, passée la phrase symbolique « La création est libre » – qui, au demeurant, n’est pas normative et n’engage pas à grand-chose –, le souffle est vite retombé au profit d’un dialogue entre services du ministère et professionnels. Tandis que certains articles juxtaposent des intérêts particuliers, les parlementaires ont été harcelés pour faire pencher le fléau entre architectes et géomètres, auteurs et interprètes, éditeurs financeurs et producteurs, archéologues de l’INRAP, l’Institut national de recherches archéologiques préventives, et entreprises privées. Malheur à ceux qui n’ont pas les bonnes entrées, comme les paysagistes, les photographes et les artistes des musiques actuelles !
Les tables rondes de la commission ont aussi été le théâtre d’âpres revendications concurrentielles concernant le partage de la ressource, les garanties d’obligations de recours à des professionnels et les possibilités de dérogation.
Bien sûr – nous ne sommes pas naïfs –, la loi ne fait pas de poésie, mais fixe des cadres. Encore faut-il que ceux-ci soient inspirés, garants de la permanence artistique sur le territoire et de l’autonomie des programmations et fidèles aux conventions internationales dont nous sommes plus prompts à brandir le nom qu’à décliner les contenus… C’est dans cette perspective que les écologistes défendront leurs amendements.
Nous formons des vœux pour que les conférences territoriales de l’action publique et leur volet « culture » ne se résument pas à des tours de table de financeurs, mais qu’elles se nourrissent des dynamiques du territoire et des aspirations et talents des habitants, amateurs comme professionnels, qu’elles n’oublient ni la culture ouvrière, ni la culture rurale, ni la culture scientifique et qu’elles prennent en compte les itinéraires de chacun, pour garantir la qualité de la stratégie publique. En effet, c’est l’authenticité de cette attention qui fait rayonnement, alors que la finalité du rayonnement ne garantit pas que l’on tisse du lien.
Je terminerai sur une note sociale : ni les réunions interministérielles ni les commissions parlementaires n’ont pris à bras-le-corps les injustices pesantes qui entravent la constitution des droits sociaux des artistes, et plus particulièrement des plasticiens, en matière de couverture maladie ou de retraite. Le Gouvernement a fait avancer le dossier de l’intermittence, c’est une bonne chose, mais le soutien à la création, c’est aussi la dignité de l’accueil à Pôle Emploi et la réparation de « trous » dans le filet protecteur, au risque de bousculer le fonctionnement en silo de certains guichets.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions.
Madame la ministre, votre ambition pour la culture est bien floue, et nous le regrettons.
(Protestations sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde s’exclame.) Car ce texte sur la culture, l’unique du quinquennat, alors que le parti socialiste ne cesse de donner des leçons en la matière
Mme Dominique Gillot s’exclame.
Il semble écrit que le gouvernement auquel vous appartenez soit malheureusement plus habile dans les effets de manche que dans l’exercice du pouvoir. §, affirmant être le seul capable de la valoriser, ressemble à une mauvaise ratatouille : il y a de tout, sur tous les sujets. C’est donc évidemment une déception.
Nous aurions aimé, comme vous l’aviez annoncé, une grande loi sur la création artistique, une autre sur l’architecture et une autre sur le patrimoine.
Par ces temps de perte de repères, de crise d’identité, la culture est véritablement l’élément fédérateur, le socle commun qui unit les Français.
La culture, c’est une langue qu’il faut défendre – je ne reviendrai pas sur la réforme ubuesque de l’orthographe §–, c’est un patrimoine musical, littéraire, architectural à conserver et promouvoir, ce sont des traditions locales à préserver, c’est le sens du service des millions de Français, souvent bénévoles, qui font vivre cette culture.
Permettez-moi de dire qu’avec tant d’or entre les mains votre projet de loi fait grise mine. J’aimerais en souligner quelques points.
Sur le patrimoine tout d’abord, je déplore que la création des cités historiques masque une fois de plus le désengagement de l’État. Jamais, depuis les lois de décentralisation, le modèle de financement global de la culture en France n’a été aussi menacé par les coupes claires opérées dans les dotations de l’État aux collectivités territoriales. Aujourd’hui, la baisse drastique des dotations semble être la seule réponse de ce gouvernement.
M. David Assouline s’exclame.
Votre projet est de fusionner trois catégories d’espaces protégés existantes – les secteurs sauvegardés, les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager et les aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine – au sein d’un nouveau régime de protection : les cités historiques.
La mise en œuvre de ce nouveau régime serait entièrement déléguée aux collectivités territoriales. Cette gestion décentralisée risque à l’évidence de créer des disparités énormes mettant en danger notre patrimoine. Le travail de la commission a été de ce point de vue intéressant.
Les principes essentiels de protection et le rôle de l’État dans la création des secteurs sauvegardés et des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager sont maintenus, et la protection du patrimoine réintègre le code du patrimoine.
Je m’oppose aussi à ce que la redélimitation du périmètre protégé de 500 mètres autour d’un monument historique se fasse sur l’initiative de la commune, la validation de l’État n’intervenant qu’a posteriori.
Les Français attendent que notre pays reste à la pointe de la protection du patrimoine. C’est un défi à relever, car nous sommes tributaires d’un héritage qu’il nous faut transmettre.
Concernant l’architecture, j’approuve certaines modifications apportées par la commission. Je pense notamment à celles qui portent sur les points suivants : l’abaissement à 150 mètres carrés du seuil de recours obligatoire à un architecte qui aurait pour conséquence une augmentation de frais pour nos concitoyens ; le délai réduit d’instruction du permis de construire pour les personnes faisant appel à un architecte sans y être obligées, qui provoquerait un engorgement général de nos services municipaux. Ces mesures auraient des conséquences particulièrement douloureuses, singulièrement pour certaines entreprises de construction.
S’agissant de l’article 11 A, je m’oppose à ce que l’on vienne toucher un domaine qui fait honneur à notre société. On ne comprend pas très bien pour quelles raisons vous venez vous en mêler, au risque de le contraindre : c’est celui des bénévoles, que vous vous plaisez à appeler « artistes amateurs ». Je le rappelle, bénévolat rime souvent avec excellence, j’en veux pour preuve le succès de l’admirable cinéscénie du Puy du Fou en Vendée.
Aujourd’hui, vous laissez une entière liberté aux bénévoles, alors que votre projet initial laissait craindre le contraire. Nous verrons donc comment tout cela évoluera dans le cadre de nos débats.
Nous nous opposons à ce qu’on limite le nombre de représentations des spectacles bénévoles : laissons les hommes et les femmes de bonne volonté s’investir autant qu’ils le souhaitent.
Sur ce texte où se mêlent le bon et, surtout, le beaucoup moins bon, nous conditionnons notre vote à l’évolution de nos travaux dans cet hémicycle.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la liberté de création est une liberté essentielle. Pour nous, en France, elle peut paraître évidente, mais, comme toute liberté, elle est fragile, et nous devons la préserver.
En décembre dernier, nous avons été effarés par les événements qui se sont produits à Toulouse, à l’occasion de l’exposition du photographe Olivier Ciappa portant, je vous le rappelle, sur l’« universalité du sentiment amoureux » et représentant notamment des couples homosexuels. Par trois fois, elle a été vandalisée, taguée d’inscriptions homophobes.
Kandisky l’affirmait dans son célèbre Regards sur le passé :« l’essentiel n’est pas que la forme soit personnelle, nationale, d’un beau style, qu’elle corresponde ou non au courant général de l’époque […] l’essentiel, dans la question de la forme, est de savoir si elle est née d’une nécessité intérieure ou non. »
Proclamer la liberté de création artistique, c’est encourager cette nécessité intérieure à s’exprimer, et permettre aux artistes de s’investir sans réserve dans la noble mission qui leur incombe. N’oublions pas que la création doit bénéficier à un large public, qui doit y avoir accès et même s’inspirer des créations artistiques. Je suis particulièrement sensible à ce sujet et je soutiens les dynamiques locales, qui créent du lien entre les populations, stimulent l’économie – il faut le dire et le répéter – et contribuent à la richesse de notre patrimoine national.
Au cœur de cette question réside la notion de politique de service public en faveur de la création artistique. Il doit être possible à tous d’accéder au questionnement, à l’invitation contenue dans chaque œuvre artistique, et ce quels que soient le lieu de résidence ou les revenus de nos concitoyens ! Il nous faut soutenir la diffusion artistique auprès du public, dans les écoles pour y éveiller les sensibilités, dans les rues, comme à Aurillac avec le Festival international de théâtre de rue, cher à mon collègue Jacques Mézard, dans nos parcs, dans nos musées ou dans les fonds régionaux d’art contemporain.
Le maillage exceptionnel de nos territoires par les associations et les écoles d’art est une richesse à défendre, une garantie de création et, en même temps, un moteur pour notre économie.
Enfin, la préservation de notre héritage commun est une nécessité. Je suis attentive et vigilante au renforcement de la protection du patrimoine. Il faut permettre le partage avec le plus grand nombre de ces richesses et créer les conditions d’émergence du patrimoine de demain.
Sur toutes ces questions, le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine apporte des réponses. Nous attendions depuis longtemps des mesures pour sécuriser les pratiques amateurs, préserver l’équilibre entre les acteurs de la création artistique, favoriser l’enseignement artistique dans nos territoires, créer les conditions de l’accès de tous à la culture, et fixer les grands principes de service public en faveur de la création artistique.
Nous souscrivons à la consécration de la liberté de création, inscrite à l’article 1er du texte, que je propose de compléter en prévoyant la garantie des libertés de diffusion et de programmation.
S’agissant de l’enseignement artistique, nous souhaiterions maintenir sa qualité dans nos territoires et obtenir l’assurance d’une collaboration efficace entre l’État et les collectivités locales. Nous souhaitons voir inscrit dans la loi le financement par l’État du troisième cycle des conservatoires. Par ailleurs, il est crucial d’affirmer le rôle de l’État dans le contrôle pédagogique des écoles d’art plastique et du spectacle vivant, afin d’assurer la cohérence du niveau de l’enseignement dans les différents territoires, sans oublier de renforcer l’organisation des cycles d’enseignements professionnels initiaux, qui font peser un trop lourd tribut sur les communes. Hélas, l’amendement que j’avais déposé sur ce sujet est tombé sous le coup de l’article 40 de la Constitution, je n’hésiterai pas à le rappeler dans la suite de nos débats.
Je suis heureuse que l’Assemblée nationale ait rénové le cadre juridique des pratiques artistiques amateurs : nos douze millions d’amateurs sont une grande richesse. Nous souhaitons encourager leurs pratiques, tout en défendant l’emploi artistique. Saluons à ce titre les amendements adoptés par notre commission de la culture.
Pour protéger les droits des artistes-interprètes, nous proposerons un certain nombre de dispositions visant un meilleur équilibre et davantage de transparence.
L’accord d’octobre dernier, issu de la médiation confiée à Marc Schwartz, nous paraît insuffisant pour garantir la rémunération minimale des artistes-interprètes lors de l’exploitation de leurs enregistrements en streaming.
Enfin, je regrette certains ajouts de la commission, notamment l’introduction arbitraire de seuils et dérogations, sans que leurs conséquences aient été mesurées. Les filières de la production indépendante audiovisuelle et de la création musicale d’expression française sont deux sources de diversité, qu’il faut préserver. C’est pourquoi je proposerai, sur ces deux sujets, de revenir au droit existant et de laisser libre cours aux négociations actuelles.
Concernant le patrimoine et l’architecture, nous souhaitons maintenir et renforcer un haut niveau de création architecturale en France, qui ne doit pas se faire au détriment des professions du bâtiment, de l’expertise topographique et de l’accès à la propriété, surtout dans les territoires ruraux, où le prix du foncier est faible et doit le rester. Ma collègue Mireille Jouve reviendra sur le titre II du projet de loi.
Si nous sommes favorables à certaines dispositions, les débats doivent encore nous permettre d’améliorer un projet de loi que nous espérons pouvoir approuver la semaine prochaine.
Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-François Longeot applaudissent également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà enfin saisis de cette loi attendue, retardée, repoussée. Elle n’arrive en discussion dans notre hémicycle que la quatrième année du quinquennat de François Hollande. Mieux vaut tard que jamais, diront certains. La promesse forte qu’elle contient en son article 1er, que nous proposons d’ailleurs de renforcer, à savoir l’affirmation que « la création artistique est libre », n’aurait-elle pas été la bienvenue dès le début du quinquennat, ce qui aurait permis de lui donner du sens ?
Comme l’a écrit le romancier italien antifasciste Elio Vittorini, dont nous commémorons ce vendredi la mort, survenue voilà cinquante ans, « la culture est la force humaine qui découvre dans le monde les exigences d’un changement et lui en fait prendre conscience ». Ces mots disent l’essence même de la culture : humanité, découverte, engagement et mouvement. N’en avons-nous pas grand besoin aujourd'hui ? La culture et les arts ne sont plus la culture et les arts lorsqu’ils se figent et vivent sur leurs acquis. Ils ne sont plus alors que de pâles copies de ce qu’ils sont censés être.
C’est la raison pour laquelle nous nous réjouissons du dépôt de ce projet de loi, même si son manque d’ambition nous laisse sur notre faim. Je ne pense pas qu’une seule personne parmi nous puisse considérer ce texte comme superflu, tant la culture et les arts sont le chemin de l’émancipation démocratique pour tous. La culture est aujourd’hui plus que jamais au cœur du combat que nous devons mener contre tous les obscurantismes, tous les conservatismes, tous les totalitarismes.
Quand des trésors de culture sont réduits en poussière par des guerres à travers la planète – je pense aux bouddhas de Bâmiyân et à la cité de Palmyre –, notre devoir d’alerte doit être total pour défendre la culture. Quand la guerre économique, la violence de la concurrence du marché abîment chaque jour les possibilités de fraternité et de coopération, la culture doit être portée au-devant de nos libertés. Quand l’argent veut mettre la main sur tout et réduire tout geste de création au statut de marchandise, la culture doit être protégée contre l’uniformisation. Quand la censure interdit à des artistes de pratiquer ou de diffuser leurs œuvres, quand des idéologies de régression envisagent notre société pluriculturelle comme un danger, alors qu’elle est une richesse, il est de notre devoir de faire vivre une République libre, égale et fraternelle, qui ne peut souffrir de l’assèchement culturel et artistique.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, mes chers collègues, notre ambition pour la culture et les arts n’est pas de circonstance. À nos yeux, ils doivent être au cœur de notre projet de société. Au cours de la discussion de ce projet de loi, notre détermination sera totale pour faire avancer la liberté de nos artistes, faire rayonner notre culture et favoriser son accès à tous.
Pour cela, la France a besoin d’une politique publique de grande ambition, et l’État doit être le moteur de cette politique de service public dans le domaine culturel et artistique.
Pour paraphraser l’interrogation lancée par un de vos prédécesseurs, madame la ministre, et reprise par vous-même à l’occasion de la présentation de vos vœux, la culture et les arts comme service public, pour quoi faire ?
Pour assurer, conformément à nos grands principes républicains, un égal accès de ces champs à l’ensemble des citoyens de ce pays, indépendamment de leur sexe, leur âge, leur couleur de peau, leur religion, le solde de leur compte en banque, leur situation d’emploi, l’état de leur santé, leur localisation géographique, etc.
Pour prémunir aussi les créateurs de toutes disciplines d’une pratique de leur art qui serait ostracisée, ou bridée, soit par des consignes d’exercice, soit par des empêchements matériels à exercer.
Pour garantir, enfin, la fraternité républicaine, qui unit dans un même élan les créateurs entre eux, mais aussi les créateurs et le public.
L’État doit piloter et garantir cette grande politique de service public.
Bien entendu, celle-ci est aujourd'hui déployée avec l’engagement des collectivités locales, un engagement qui doit aller de pair avec celui de l’État et, lui aussi, demande à être protégé – je pense malheureusement aux baisses actuelles de dotations. Sans un partenariat solide entre État et collectivités locales, c’est l’ensemble du système qui est fragilisé, face aux logiques de l’industrie culturelle la plus « marchandisée ».
L’action de l’État et les dispositions législatives que nous votons doivent permettre un pilotage attentif de ce partenariat, tout en veillant à garantir la liberté de création et de diffusion des artistes dans tous les domaines.
Notre volonté d’ancrer les arts et la culture dans le service public tient dans cette conviction : l’acte artistique ne peut être enfermé dans le tout-marchand !
Bien évidemment, nos yeux sont grand ouverts et nous voyons bien que le « chemin » de la marchandisation a malheureusement été emprunté voilà bien longtemps, tandis que l’« avenue » de l’éducation à la culture et aux arts a progressivement été rétrécie. Mais il faut en avoir conscience, sans les artistes, sans la protection et la promotion de la création, la massification culturelle aurait été abandonnée au seul marché et aux seules industries.
Aussi, nous abordons la discussion avec la volonté mêlée de promouvoir la création et les créateurs, de relancer l’éducation populaire, de démultiplier les lieux et les espaces de la création.
La révolution numérique nous impose également de nouveaux défis. Elle demande de nouvelles garanties pour la rémunération de l’acte créateur, de nouvelles protections face à la concentration et à l’uniformisation – nos amendements iront dans ce sens. Sans cela, l’exception culturelle que nous invoquons tous se réduira comme peau de chagrin.
Ainsi, c’est avec beaucoup d’exigences que nous entrons, pour quatre jours, dans ce débat longtemps attendu.
Certains des champs traités par le texte n’avaient pas connu de réforme législative majeure depuis les années soixante-dix. Dans le nouveau contexte national et international, devant les exigences de culture que la société exprime, au-delà même des souffrances qu’elle endure du fait de la crise, voire, précisément, pour en sortir, trop de retard a été pris.
Certains ont très longtemps considéré qu’assurer la liberté de la culture et des arts, c’était lever la censure – point déjà très important – et travailler à des modes de diffusion plus massifs. Au sein du groupe communiste, républicain et citoyen, nous pensons que cela ne suffit pas pour affronter les inégalités du monde actuel ! Aujourd’hui des réformes en profondeur sont nécessaires pour donner à chacun les moyens d’une activité culturelle épanouie.
Ce projet de loi – c’est tout à son honneur – fait des progrès en ce sens, mais ces progrès sont bien insuffisants à nos yeux et ne bénéficient pas à tous les artistes. Je pense notamment à la situation des plasticiens, qui mériterait d’être renforcée à certains égards. Mais, là aussi, nous essaierons d’enrichir le texte en ce sens.
Enrichir le texte, nos collègues de l’Assemblée nationale l’ont d’ailleurs déjà fait ! Le projet initial affichait effectivement de nombreux manques. Les discussions au Sénat ont continué dans la même veine. Intégration des archives, de la pratique amateur ou encore des conservatoires, question du partage de la valeur ajoutée sur internet, problématique de la transparence dans l’audiovisuel… : tous ces ajouts, qui font encore beaucoup débat, méritent d’être conservés, mais la discussion doit permettre de les encadrer et de les préciser.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, nous estimons que la dynamique du renforcement de l’intervention publique, avec des avancées comme celle qui a été opérée au niveau des labels, reste encore trop timide. Je pense singulièrement à la faiblesse des dispositions concernant l’éducation artistique tout au long du parcours éducatif des enfants et des jeunes.
En matière d’architecture et de patrimoine, nous apprécions certains progrès permis par le texte, notamment le fait de conforter le recours aux architectes et à leur mission de service public. Mais nous resterons vigilants face à toutes les tentations de repli de l’État, notamment en matière de patrimoine.
Nous nous inquiétons aussi des reculs opérés par la majorité sénatoriale en commission, qui nous ont obligés, contrairement à notre intention initiale, à voter contre le projet de loi dans sa version amendée par la commission.
Je pense tout d’abord à la déconstruction pure et simple – c’est bien de cela qu’il a été question – des moyens de la politique publique d’archéologie préventive, alors même que le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale contenait des avancées notables.
Je pense aussi aux dispositions ambiguës sur la question de la pratique amateur. Au prétexte de valoriser l’activité des artistes amateurs, ce que nous appelons de nos vœux, on organiserait une mise en concurrence déloyale entre amateurs et professionnels, incitant à des pratiques douteuses en matière de travail dissimulé. À ce sujet, je viens d’entendre, avec inquiétude, les propos de David Rachline.
Je pense encore à la suppression en commission des dispositions concernant la licence légale pour les web radios ou de l’interdiction du recours au crédit d’impôt recherche dans le cadre de fouilles archéologiques, instaurée grâce à un amendement que nous avions fait adopter à l’Assemblée nationale. Mais je ne doute pas que certains essaieront encore de nous convaincre que tout cela relève du crédit d’impôt recherche…
J’y ajoute la limitation de la portée des dispositions destinées à lutter contre la concentration dans le secteur de la radio ou encore la restriction de l’accès à certaines rémunérations pour certains artistes.
Enfin, nous regrettons une fois de plus qu’un texte aussi longtemps attendu et travaillé, se voulant refondateur de la culture et des arts, ait fait l’objet d’autant de dispositions renvoyant à la voie réglementaire. Avant son examen en commission du Sénat, ce n’était pas moins de 36 demandes d’habilitation à légiférer par ordonnance qui étaient sollicitées… C’est beaucoup trop à nos yeux ! Les citoyens, les artistes, les parlementaires méritent mieux !
Heureusement, nous soutenons aussi beaucoup d’autres mesures proposées dans le texte.
Ainsi, la création du médiateur de la musique, le renforcement d’une partie des droits des artistes, les progrès, encore trop timides – mais nous déposerons des amendements pour y remédier –, qui ont été réalisés sur la place des femmes artistes, le rapprochement entre les filières universitaires et les établissements spécialisés de l’enseignement artistique et culturel, entre autres mesures, marquent une nette avancée à nos yeux.
Pour conclure, je ferai appel à l’audace de Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ».
Je ne sais pas si c’est impossible, mais nous allons essayer d’améliorer ce texte autant que faire se peut, dans l’intérêt de la création et de l’émancipation culturelle de tous. En particulier, nous travaillerons tout au long du débat à revenir sur les reculs imposés par la majorité sénatoriale en commission, avec l’objectif, si nos amendements sont pris en compte, si les avancées initiales sont maintenues, de pouvoir, peut-être, voter ce texte. Nous avons beaucoup de travail et, manifestement, ce n’est pas gagné !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, ce texte tant attendu devait révolutionner le monde de la culture. Il l’a très certainement ému, car nombreux sont les professionnels qui nous ont adressé leurs protestations !
Pour autant, le projet de loi ne fait qu’effleurer certains sujets majeurs, alors que s’y trouvent rassemblées quantité de mesures techniques disparates, qui trouvent ainsi une fenêtre législative fort opportune.
Sur le volet dit « création », nous déplorons qu’il y ait si peu de fond et trop de forme. Beaucoup de dispositions s’apparentent surtout à un catalogue, particulièrement bavard, de bonnes intentions.
Faute de réforme d’ampleur, le Gouvernement a largement communiqué sur sa mesure phare : l’inscription de la liberté de création dans la loi.
Je crois que dans la France qui est la nôtre aujourd’hui, au XXIe siècle, nous pouvions rester sereins sur ce point. La création n’a sans doute jamais été aussi libre. Elle est protégée par nos tribunaux, sans nécessité d’une loi : la liberté d’expression n’est-elle pas un principe fondamental de notre République ?
Nous ne nous battrons pas sur cet article 1er, permettant au Gouvernement, après trois années de restrictions budgétaires, de marquer son attachement à la culture.
De même, à l’article 2, la longue liste des objectifs de la politique culturelle a-t-elle surtout valeur de symbole. Elle occupera quelque temps nos débats, puisque le champ culturel est vaste, et que chacun voudra apporter sa pierre à l’édifice…
Mais entrons dans le vif du sujet.
En matière de création, le projet de loi comporte certaines avancées, souvent à la suite de concertations ou de négociations interprofessionnelles, par exemple pour encadrer les relations entre artistes-interprètes et producteurs, ou concernant le cinéma, en matière de transparence. Je tiens à souligner l’importance de la mise en place d’un cadre juridique sécurisé pour les pratiques amateurs, celle également d’un observatoire de la création, ou encore l’insertion des écoles d’art dans notre système d’enseignement supérieur.
En revanche, nous avons de nombreux points de désaccord sur d’autres sujets. Je citerai deux exemples, particulièrement révélateurs des erreurs de méthode du Gouvernement.
Concernant la création d’un médiateur de la musique, vous avez prévu, madame la ministre, un périmètre d’action considérable et diverses possibilités de saisine, ce qui a conduit certains professionnels du secteur à s’inquiéter à juste titre sur la portée du dispositif et le respect du secret des affaires.
S’il est nécessaire de trouver des alternatives à la voie judiciaire, pour des différends économiques opposant notamment producteurs et artistes-interprètes, nous devons encadrer le périmètre d’intervention de ce médiateur. Puisque nous disposons des modèles du médiateur du cinéma et du médiateur du livre, pourquoi cela n’a-t-il pas été fait ?
S’agissant des web radios, madame la ministre, vous avez décidé de les faire bénéficier du régime de rémunération équitable. Mais votre empressement vous a conduit à faire l’impasse sur une étude d’impact préalable. Or il semble qu’une telle mesure pénalisera aussi bien les artistes-interprètes que les producteurs, le régime de « droit exclusif » actuellement en vigueur leur permettant de négocier des rémunérations largement supérieures à celles qui s’appliquent à la licence légale.
Cette disposition fait partie des nombreux articles introduits à l’Assemblée nationale, souvent à l’initiative du Gouvernement lui-même. Je rappelle que le texte a doublé de volume lors de la première lecture. Quelles sont les raisons de ces ajouts de dernière minute, alors que le projet de loi est depuis tant de temps en préparation ?
Bien que longuement mûri, le texte présente d’ailleurs de nombreuses lacunes sur ce volet « création ». Comme l’a souligné notre rapporteur, il est pauvre sur l’audiovisuel, peu ambitieux en matière d’emploi et d’activité professionnelle, et je m’étonne, en tant que rapporteur de la loi de finances, de la faible place accordée au livre, qui est déjà le secteur le moins aidé financièrement par l’État.
Face à ce constat, il appartenait à l’opposition de corriger les excès du texte et de se faire force de proposition. Aussi, je salue la détermination de notre rapporteur Jean-Pierre Leleux, qui a accompli cette lourde tâche.
Je ne m’attarderai pas sur les améliorations que ce dernier a apportées au texte – il vient de nous les présenter –, ni sur les suppressions d’articles, qu’il s’agisse de rapports destinés à s’empiler sur les bureaux de l’administration ou de mesures inopportunes.
Je souhaiterais surtout évoquer une proposition qui a déjà beaucoup fait parler d’elle, concernant la production audiovisuelle et la possibilité pour les chaînes de développer celle-ci. Je pense qu’il est en effet temps de redistribuer les cartes à l’heure où nos chaînes connaissent la concurrence de nouveaux modèles, tels Netflix et YouTube, qui échappent à la réglementation nationale.
Notre modèle économique a beaucoup changé depuis les décrets Tasca. Il faudra tôt ou tard en tenir compte, et donner à la création française les moyens de se développer au sein de grands groupes audiovisuels.
Certes, le Gouvernement, à peine plus d’un an avant l’élection présidentielle, ne souhaitera pas s’engager, mais il nous appartient de lancer le débat. Il ne s’agit pas de régler une querelle entre professionnels, diffuseurs d’une part, producteurs indépendants d’autre part. Si des concurrents internationaux viennent s’emparer de parts de marché, tout le monde sera perdant.
Nous espérons que ce geste fort de notre rapporteur aura un impact sur les choix qui seront faits dans l’avenir.
J’en viens maintenant au second volet du projet de loi, portant sur l’architecture et le patrimoine.
Mes commentaires seront bien différents, car autant la première partie contenait peu de mesures marquantes, autant la seconde vient bouleverser notre droit patrimonial, et donc potentiellement le paysage français.
En effet, en fusionnant les trois catégories d’espaces protégés existantes pour créer des « cités historiques », le projet de loi abolit toute nuance dans cette protection, pour remettre entièrement celle-ci entre les mains des collectivités territoriales.
L’État ne conserverait qu’un rôle d’assistance technique et financière, alors que les collectivités seraient libres de choisir le document d’urbanisme à adopter pour fixer les règles patrimoniales sur tout ou partie du périmètre d’une « cité historique ».
Le plan local d’urbanisme, ou PLU, deviendrait l’outil de référence. Bien que soumis aux aléas électoraux, c’est lui qui serait donc censé protéger un patrimoine appartenant aux Français !
Vous me direz que notre Haute Assemblée devrait se réjouir de ce transfert de pouvoirs. Ce serait cependant faire preuve d’inconséquence. Les pouvoirs passent, les majorités fluctuent, mais le patrimoine reste. C’est bien pour cela qu’il doit absolument demeurer une compétence nationale. Sinon, il est peu probable que le charme des vieilles pierres puisse toujours primer des contraintes financières ou des pressions locales…
Aussi, j’espère que vous retiendrez, madame la ministre, les propositions de notre rapporteur Françoise Férat, qui a accompli un travail de réécriture remarquable afin de préserver l’effort de simplification du texte, dont nous reconnaissons d’ailleurs l’utilité, tout en maintenant un haut niveau de protection de notre patrimoine, réclamé par les nombreux acteurs qui nous ont contactés.
Les amendements adoptés en commission permettront de garantir une stabilité de la réglementation au sein de nos collectivités territoriales, ainsi qu’un haut niveau de protection du patrimoine.
Ils permettront également de réintroduire l’intervention étatique afin de ne pas laisser les collectivités livrées à elles-mêmes. Comme l’a souligné notre rapporteur, la volonté première des collectivités n’est pas d’accroître leur autonomie, mais d’être accompagnées efficacement.
Cette situation me permet de faire un parallèle avec le sujet de l’archéologie préventive, où le Gouvernement adopte précisément une démarche inverse, restreignant le champ d’intervention des services archéologiques des collectivités territoriales. Outre l’imprécision entourant les habilitations, la persistance du Gouvernement à affirmer le monopole de l’INRAP, l’Institut national de recherches archéologiques préventives, respecte peu les collectivités, tout comme les opérateurs privés.
Mais je laisserai les orateurs suivants évoquer plus largement ce sujet.
Le message que souhaiterait faire passer notre groupe aujourd’hui, c’est qu’il est urgent de faire preuve d’audace pour soutenir la création française face aux nouveaux défis de la communication, mais également de prudence pour protéger un patrimoine que tous nous envient.
Si le projet de loi n’a pas su s’inscrire dans cette démarche, nous espérons qu’il en sera autrement à l’issue de son examen par le Sénat.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, si le texte qui nous est soumis est riche de technicité, il brille moins par la confiance qu’il accorde à la culture et à sa vitalité.
Exprimé autrement, à défaut de résoudre le problème du sens de la culture aujourd’hui, ce texte compense par une large batterie de mesures techniques.
Madame Férat, monsieur Leleux, vous avez mené avec beaucoup de mérite et de patience un travail constructif en déposant de multiples amendements sur ce texte que j’aurais tendance, compte tenu du nombre de dispositions qu’il contient, à qualifier de texte portant DDOC, ou diverses dispositions d’ordre culturel.
Il est vrai que la situation est assez étonnante. Depuis quelques mois, nous avons eu à examiner la loi Macron, la loi de transition énergétique, et aujourd’hui ce projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine ; demain viendra le projet de loi sur le numérique.
Ces textes sont de nature très différente et je ne les mélange pas ; je veux simplement dire qu’ils ont en commun de comporter un nombre de dispositions tel qu’on finit par en perdre le fil. C’est leur technicité finalement qui leur permet de conserver une forme de continuité.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je considère pour ma part qu’il faut se garder de verser dans cet excès – même s’agissant des meilleures choses – ; non seulement la technique est omniprésente dans ce texte – c’est un tort –, mais surtout il n’a que trop peu de sens.
Exprimé autrement, et à l’instar de certains des orateurs qui se sont exprimés avant moi, je ne décèle pas d’ambition dans les dispositions qui nous sont présentées, et ce en dépit du travail fait par la commission.
Selon moi, une culture est vivante, elle n’a pas besoin d’être défendue, d’être détaillée article par article, objectif par objectif ; elle est attractive par sa propre vitalité.
L’article 2, même si je ne veux pas employer de termes trop lourds, représente pour moi sinon une forme de défaite sur le fond, au minimum un manque de confiance envers la culture.
Cet article est en effet comme une caverne d’Ali Baba. Il fixe dix-sept objectifs – on en a compté près de vingt dans une rédaction antérieure – à la politique en faveur de la création artistique. Dans la vie courante, dans la vie législative, dans la gestion publique – vous en connaissez par cœur les modalités –, lorsqu’on affiche dix-sept objectifs, cela signifie en réalité qu’on n’en a aucun, en particulier lorsqu’ils ne sont pas hiérarchisés.
Autant j’approuve bien volontiers le principe fixé à l’article 1er, qui se suffisait à lui-même, autant l’article 2 n’était peut-être pas indispensable à ce texte. Il me semble même assez largement superfétatoire.
Je dirai une dernière chose sur ce manque de confiance – et sachez, madame la ministre, que mon propos ne se veut pas spécialement critique ; je souhaiterais au contraire que ce texte soit plus rassembleur. Nous retrouvons là les éléments du débat que nous avions connu dans le cadre de la loi de finances avec l’idée directrice que le budget de la culture était sanctuarisé. Nous comprenions bien votre objectif budgétaire et donc le travail qu’il sous-tendait pour obtenir des arbitrages favorables, mais, en même temps, la sanctuarisation budgétaire peut-elle être considérée comme l’alpha et l’oméga de la culture ? Je n’en suis pas tout à fait certain.
Pour en finir avec article 2, dans le détail duquel je n’entrerai pas, je vous sais gré, monsieur le rapporteur, d’avoir proposé d’en modifier notamment le premier alinéa, qui assimilait l’exercice de la liberté de création à un service public. J’avoue que cette formulation m’avait beaucoup étonné, la liberté artistique ne me semblant pas pouvoir être assimilée à un service public. Je ne méconnais pas les valeurs du service public, mais celui-ci est un moyen ; en tant que tel, il n’est pas consubstantiel à la liberté de création.
Peut-être d’autres orateurs l’ont-ils fait avant moi, je voudrais insister sur le fait que la liberté de création n’a de sens que si cette dernière fait l’objet d’une diffusion suffisamment large. Il me semble que, parmi les tâches de ce grand et beau ministère qu’est le ministère de la culture, il y a ce qui relève de l’aspect mémoriel, ce qui relève de l’aspect création et ce qui relève de l’aspect diffusion, celle-ci étant la condition de la viabilité de la création. Or cet aspect me paraît devoir être travaillé dans ce texte.
Je veux dire quelques mots rapides de l’excellent travail réalisé par nos rapporteurs Jean-Pierre Leleux et Françoise Férat.
Monsieur Leleux, tout en vous renouvelant mes félicitations pour votre travail, je serai peut-être un peu plus prudent en ce qui concerne en particulier le volet médias et la définition de l’indépendance des sociétés indépendantes, point évoqué notamment par l’orateur précédent.
Je comprends bien ce que j’appellerai votre « sous-jacent », un « sous-jacent » économique. Entendons-nous bien : je ne méconnais pas du tout la signification que vous donnez à ce volet économique et je sais que vous ne vous inscrivez pas dans une logique d’abandon au marché, dans une logique de type mainstream, pour reprendre une terminologie désormais assez classique. On perçoit néanmoins en creux dans les amendements que vous avez déposés une vraie inquiétude quant à la validité du modèle économique des grands médias dans notre pays, quant au destin des grandes radios et des grands médias télévisuels. Mme Mélot rappelait à l’instant la pression que font peser l’évolution et l’exceptionnelle puissance de Google, de YouTube ou de Netflix.
Je comprends parfaitement ce « sous-jacent » et la logique des quotas de diffusion de chansons d’expression française par les radios. En même temps, il faut trouver un équilibre, et ce au nom de l’indépendance de la culture, indépendance qui est même l’un de ses aspects indiscutables. Vous comprendrez donc que les centristes, qui sont par essence indépendants, soient également sensibles à l’indépendance en matière culturelle ou dans le domaine des grands médias.
Madame Férat, vous vous êtes attachée à traiter deux des grands thèmes traités par ce texte : les questions architecturales et les questions patrimoniales. Dans un cas comme dans l’autre, vous avez eu le souci de la qualité. Avec les collègues de mon groupe, nous apprécions vraiment cette recherche de qualité dans la manière de construire dans notre pays, dans la manière de mettre en valeur ou de préserver les paysages.
Je vous sais également gré de ne pas être entrée dans les débats internes aux professions. Notre pays manque cruellement d’une culture architecturale au sens large du terme. Je ne suis pas certain que la réponse consiste à décider quelle profession doit signer tel ou tel document administratif ou d’urbanisme ; la problématique est beaucoup plus large. Vous avez soutenu l’idée que le problème étant plus global, il concernait les architectes, les paysagistes, les urbanistes les géomètres experts, mais aussi les ingénieurs.
Tous ceux qui ont l’expérience de la gestion locale – c'est-à-dire la quasi-totalité d’entre nous – savent combien l’urbain est transversal ; de fait, il n’y a jamais de réponse sectorielle, il n’y a jamais de réponse professionnelle. Ce qui fait la richesse du travail que l’on peut conduire sur le tissu urbain, c’est son caractère transversal, c’est parce que vous-mêmes, dans vos responsabilités locales passées ou présentes, vous avez aggloméré les différentes informations pour essayer de donner le meilleur à vos territoires.
Madame la rapporteur, vous avez eu à traiter enfin la question patrimoniale. Bravo encore pour le travail que vous avez réalisé avec l’ensemble de nos collègues de la commission. Les collègues de notre groupe et moi-même approuvons pleinement votre objectif de préservation et de mise en valeur du patrimoine. Je partage sans réserve l’idée de garder dans notre pays un haut standard de protection du patrimoine et je donne volontiers acte à Mme la ministre d’avoir fait sienne cette approche dans le travail préparatoire à ce projet de loi.
D’une certaine manière, madame la rapporteur, vous avez même presque trop bien réussi.
Il est permis d’observer que, parfois, pour mettre en œuvre certaines mesures, le curseur a été déplacé un peu plus loin. Je voudrais en particulier attirer votre attention sur deux points : il faut, d’une part, ne pas devenir trop jacobin et, d’autre part, ne pas rigidifier à l’excès, ou par excès d’État.
Si je dis qu’il ne faut pas devenir trop jacobin, c’est que je ne partage pas totalement l’idée, largement évoquée, selon laquelle tout ce qui relève des PSMV, des AVAP, est stable et sûr, est quelque chose sur lequel on peut compter, alors que les PLU, ou maintenant les PLUI, seraient frappés d’une sorte d’instabilité chronique ou seraient susceptibles d’évoluer très facilement, ou trop facilement.
Les élus locaux ont le sens du patrimoine. Les intercommunalités ont également le sens du patrimoine de la commune siège de celui-ci. Vous connaissez très bien, mes chers collègues, dans les intercommunalités que vous administrez, la fierté qui existe sur l’ensemble du territoire au regard de tel ou tel élément de patrimoine qui se trouve sur telle ou telle commune de votre secteur géographique.
L’idée selon laquelle la solution résiderait toujours dans le document coproduit par l’État et non dans celui qui est produit par les élus avec les « porter à connaissance » de l’État me paraît quelque peu excessive et un peu trop jacobine, si vous me permettez ce raccourci.
Il convient également de ne pas rigidifier à l’excès en matière patrimoniale.
Vous surestimez peut-être la capacité de l’État à accompagner localement les procédures de création, de révision. Les effectifs sont maintenant très faibles localement, et je doute de la capacité, sur le terrain, de pouvoir réaliser tout ce qui est envisagé.
Vous me semblez sous-estimer les délais, même si, madame la ministre, les choses se sont améliorées pour créer ou pour réviser un PSMV. La situation qu’a connue ma commune où le PSMV n’a été validé qu’au bout de vingt ans n’est plus d’actualité. Pourtant, les révisions de ces documents prennent toujours plusieurs années, et même en 2016, la facilité ne va pas jusqu’à en diminuer les coûts, puisqu’il faut procéder, vous le savez, à des inventaires parcelle par parcelle.
À titre d’exemple, une commune de 51 000 habitants, qu’il m’est permis de connaître un peu plus particulièrement, vient d’amorcer une révision de PSMV pour un coût prévisionnel de 350 000 euros. Les niveaux de contraintes restent donc assez importants : il faut à mon avis en tenir compte pour trouver un juste équilibre entre les servitudes publiques effectivement codécidées par les collectivités et l’État, et les capacités qui sont les nôtres à traiter ces questions dans nos PLU. J’ai bien entendu, madame la ministre, que, tout à l’heure dans votre intervention liminaire, vous avez annoncé que vous feriez une proposition sur ce point.
En définitive, mes chers collègues, il existe une réelle attente sur toutes ces travées, en particulier sur celles du groupe de l’UDI-UC, pour que nos débats permettent de mener à bien le travail d’amendement et, dans le même temps, que nous soyons capables, collectivement, de donner un peu plus d’ambition, un peu plus de souffle à ce projet de loi.
Enfin, un orateur précédent indiquait que la culture était au cœur de son projet politique. Je n’ai pas le sentiment que mes collègues centristes et moi-même avons besoin d’affirmer que la culture est au cœur de notre projet, tant il est évident que, pour des parlementaires passionnés par la décentralisation, par l’humanisme, par l’ouverture à l’international, dotés d’une sensibilité européenne et ayant le sens des équilibres, dotés d’une sensibilité sociale et soucieux de rationalité, tout ce qui tire vers le haut la société a beaucoup de sens. La culture fait partie de l’ADN des centristes, vous pouvez en témoigner quotidiennement, madame la présidente de la commission.
Madame la ministre, même si nous pensons que le texte doit indiscutablement être amélioré, il est probable que le groupe UDI-UC, au regard des résultats qui seront atteints en séance, vote en faveur des dispositions qui nous seront présentées.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Mmes Colette Mélot et Marie-Annick Duchêne applaudissent également.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, 2015 aura marqué un tournant dans la vie démocratique de la France. Ciblée à de nombreuses reprises, attaquée dans sa chair, elle a vu ressurgir les affres du terrorisme.
Innocent, le peuple a été touché, dans sa pleine diversité. La barbarie s’est abattue avec fracas sans faire cas de l’âge, du genre, des convictions de chacun, et la France a tristement redécouvert son visage. L’objectif était bel et bien de défier lâchement et cruellement ce que nous sommes intrinsèquement, culturellement, ce que nous représentons en tant que société plurielle et ouverte.
Nous avons tous vacillé, incrédules devant des scènes dont nous n’avons nulle habitude, abasourdis par une violence sans limites, traumatisés par une terreur qui nous était inconnue. Cependant, nous nous sommes collectivement relevés, et nous continuons à agir, à réagir comme en témoigne la vitalité des débats autour de la recherche de l’équilibre subtil entre protection de la nation et sauvegarde de nos libertés publiques.
Nous n’avons pas dérivé vers le silence craintif de ceux qui n’osent plus s’exprimer ; nous ne nous sommes pas résignés à courber l’échine devant cet obscurantisme.
D’ailleurs, l’Europe fait aussi face à ses propres obscurantismes. La menace d’un repli identitaire, mâtinée de populisme, assombrit l’horizon.
Mme Dominique Estrosi Sassone s’exclame.
Dans certains pays d’Europe centrale, des journalistes accusés de « manquer d’objectivité et d’impartialité » sont constamment mis sous pression, quand ils ne sont pas débarqués. La liberté des médias, qui a été conquise de haute lutte, se trouve ainsi remise en cause. D’autres entraves à la liberté sont en passe d’être concédées. Est-ce fidèle à la communauté de valeurs sur laquelle s’est construite l’Europe ? Est-ce fidèle à l’idéal et à l’espoir de nos pères fondateurs ?
Aujourd’hui, l’édifice inspiré par la philosophie des Lumières et l’ambition pacifiste de l’après-guerre vacillent. Sur l’ensemble du continent européen, le sens de la valeur liberté, déclinée sous tous ses jours, se perd. Et quelle liberté, peut-être la plus impérieuse, subit les assauts répétés d’idéologies qui souhaiteraient enfermer les consciences ? La liberté d’expression, qui sert de point de ralliement à tous les contempteurs d’un modèle de société tolérant, fondé sur la dialectique et la raison.
Alors, oui, la liberté ne peut être absolue. Mais il est malheureux de constater que des raisons spécieuses et pernicieuses sont invoquées quotidiennement pour restreindre son effectivité. On ne peut pas aujourd’hui ne pas penser à tout ce qui fonde cette réalité qui nous entoure.
Dans ce cadre, l’examen du projet de loi relatif à la liberté de création a bien sûr une résonance toute particulière. Il ne s’agit plus uniquement d’un texte comportant diverses dispositions qui ont trait aux secteurs culturels, à la protection du patrimoine et de l’architecture. C’est aussi la question d’un engagement pour la démocratie, à l’image de la formulation de l’article 1er qui proclame solennellement que « la création artistique est libre ».
Eu égard au climat général décrit précédemment, aux dégradations répétées d’œuvres subversives, aux atteintes à la personne à l’encontre d’artistes, dont le seul crime serait de nous pousser à nous interroger, de nous déconcerter jusqu’à nous choquer, il se révèle plus que nécessaire d’ériger en préambule ce principe universel. Je tiens ardemment à vous saluer, madame la ministre, pour cette initiative.
Sur ce point, je proposerai d’ailleurs un amendement afin de conférer une portée véritablement normative à ce principe. En effet, si je crois en la force des valeurs, je crois également en la légitimité de sanctions proportionnées. C’est pourquoi je soumettrai à votre sagesse l’idée d’une sanction pénale en cas d’entrave aux libertés de création et de diffusion artistiques, peine qui serait analogue à celle qui est prévue en cas d’entrave à l’exercice de la liberté d’expression, d’association ou de réunion.
Ce parallélisme des formes, loin d’être anodin, aurait un impact concret. Il permettrait notamment de sortir de l’impunité dont jouissent certains, en particulier des groupuscules extrémistes, qui se sont spécialisés dans l’interruption de spectacles ou de pièces de théâtre sans être pour autant inquiétés par la justice. La liberté de création mérite d’être un droit effectif et non seulement déclaratif.
Face aux dérives précitées, les artistes ont donc besoin d’un soutien politique affirmé et sans ambiguïté. Souvenons-nous du temps où ils ont risqué leur vie au titre de cette liberté de création, au titre de la possibilité d’évoquer le monde comme ils l’entendaient, en jetant leurs sentiments et leur vision dans l’acte créateur. L’artiste a toujours revendiqué son droit de déranger, et ce droit lui est inaliénable. Pourtant, l’actualité récente souligne avec quelle acuité ce droit, aujourd’hui, lui est contesté…
Dans un contexte économique moins favorable et marqué par une nouvelle phase de décentralisation, à la suite de l’adoption de la loi portant nouvelle organisation de la République, dite « loi NOTRe », qui consacre la culture comme « compétence partagée », il est essentiel de rassurer les artistes et de les prémunir, autant que faire se peut, d’un désengagement qui entraînerait l’annulation de projets.
C’est l’un des aspects d’une politique culturelle publique moderne. Si les commandes publiques existent toujours, il est surtout attendu des pouvoirs publics qu’ils mettent tout en œuvre pour créer les conditions, notamment financières, d’exercice propices à l’épanouissement et à l’activité des artistes. Cela implique de réfléchir à l’ensemble des enjeux qui concernent l’artiste, de sa formation à son insertion professionnelle, de sa participation à la vie de la cité à la valorisation de ses œuvres. À cet égard, l’article 2 énumère un nombre important de ces finalités ; c’est une avancée notable. Notre groupe a souhaité le réécrire pour en organiser un peu plus clairement les grandes missions.
Dans cette même optique, tout un titre était enfin dédié à la création et à la qualité architecturales. Même si les dispositifs prévus étaient imparfaits d’un point de vue législatif, ils pouvaient être améliorés. Or la quasi-totalité des articles portant sur l’architecture a été supprimée en commission – on en oublierait presque que l’intitulé du projet de loi comprend tout de même le terme « architecture » !
Sans surprise, vous l’imaginez, le groupe socialiste et républicain déposera donc une série d’amendements qui a pour objet de replacer la problématique architecturale au cœur de ce projet de loi. Elle est nécessaire, et plus que jamais aujourd’hui, quand les villes se reconstruisent sur elle-même, quand l’économie du foncier induit une maîtrise des formes urbaines, quand les paysages habités dessinent de plus en plus notre environnement. Nous devons susciter l’envie d’architecture, tout en ayant la lucidité nécessaire à son recours lorsqu’elle est opportune.
Par ailleurs, j’aimerais verser un sujet au débat, sur lequel certains de nos collègues, notamment Jean-Pierre Sueur, ont beaucoup travaillé : celui des entrées de ville et des zones d’activité commerciale. Il devient littéralement terrifiant de mesurer l’absence d’esthétisme et d’intégration de ces zones dans le paysage urbain. D’ici à la deuxième lecture, peut-être pourrions-nous trouver ensemble un mécanisme législatif, expérimental par exemple, qui serait de nature à remédier à ce qui constitue quand même une défiguration de la ville et de notre environnement.
Enfin, une politique culturelle de service public n’a que peu de sens si elle ne se soucie pas des personnes. Créer est unique, diffuser est impératif ; mais permettre le partage, la rencontre avec le plus grand nombre est une nécessité. L’intérêt d’une création, indépendamment de sa valeur en soi, est nul si elle demeure cachée aux yeux du plus grand nombre ; ce qui en fait son ultime richesse, c’est son appropriation par tous.
Il me semble qu’en termes de politique publique nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Il n’est plus pertinent de raisonner seulement en termes d’offre et de démocratisation culturelles. Sans négliger ni renier l’apport constant d’une telle politique, qui reste fondamentale, il est tout aussi indispensable de mieux reconnaître l’identité et la diversité culturelles des individus, ce que recouvre justement le concept de droits culturels que je souhaite vivement voir figurer à l’article 2 de ce projet de loi. C’est affaire de démocratie culturelle, c’est affaire de partage, de rencontre et de participation.
Tout un nouveau champ d’investigation s’ouvre ainsi pour les politiques publiques culturelles, dicté par l’évolution sociétale globale et de plus en plus horizontale. §À ce titre, c’est précisément une politique publique de la culture forte et porteuse de sens qui peut permettre de lutter contre les funestes phénomènes auxquels la République et l’Europe sont confrontées.
Bien évidemment, l’action publique en matière d’éducation et de culture ne sera jamais tonitruante. Loin des éclats d’un jour, elle agit sur le long terme, imperceptiblement, et les fruits récoltés ne sont mûrs qu’après une période certaine. Mais, oui, la culture est source d’émancipation individuelle et collective, source de liberté une fois encore.
C’est pourquoi, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons prendre la mesure de notre responsabilité collective de faire progresser ce texte, même si l’on sait que les grandes mutations sociétales actuelles questionnent en permanence les enjeux.
Mais, comme le disait René Char, « L’inaccompli bourdonne d’essentiel ».
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Corinne Bouchoux, Marie-Christine Blandin et Françoise Laborde applaudissent également.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, ce texte, cela a été dit tout à l’heure, répond à une forte attente et ressemble, d’une certaine façon, à un patchwork. Apporte-t-il les bonnes réponses aux attentes des artistes, des créateurs, des interprètes ? Quid de la place du public, des usagers, des amateurs, de ceux qui pratiquent toutes ces activités artistiques dont nous allons parler au cours de ces prochains jours. Nous veillerons, durant toute la discussion, à ce qu’un équilibre entre les acteurs soit pleinement trouvé.
Selon l’étude d’impact, ce texte offre un cadre rassurant aux professionnels de la photographie et aux autres arts visuels. Un oubli nous semble avoir été réparé en commission. Un mécanisme assure désormais la rémunération de ces auteurs pour les images que les moteurs de recherche et de référencement s’approprient sans autorisation, les spoliant ainsi de leur travail.
Si d’autres conséquences sur la précarité de leur situation persistent par ailleurs, cette réponse, reprenant l’article 2 d’une proposition de loi naguère repoussée, nous semble satisfaisante.
Même si la question relève, de fait, du domaine réglementaire, nous souhaitons relayer une inquiétude, qui peut sembler anecdotique, mais qui ne l’est pas.
Madame la ministre, comment comptez-vous résoudre à l’avenir les difficultés auxquelles se heurtent les auteurs d’œuvres plastiques, graphiques et photographiques pour accéder gratuitement aux musées de France ? Pour eux, il s’agit là d’une nécessité professionnelle, d’un moyen d’aider et de stimuler leur création. Or la gratuité ne leur est pas concédée de manière uniforme. Pourquoi ne pas l’accorder aux plasticiens, photographes et graphistes assujettis au régime de sécurité sociale des artistes auteurs ? Je dis bien « assujettis », et non « affiliés ».
La reconnaissance de la notion de patrimoine immatériel, déjà retenue par l’UNESCO, va dans le bon sens.
Nous saluons également, dans le présent texte, la consécration législative de la protection des biens inscrits au patrimoine mondial. Mais qu’en est-il des réserves de biosphère classées au titre du programme MAB, Man And B iosphere ?
À nos yeux, ces biens et zones naturelles méritent l’application du même régime juridique de protection que celui qui concerne les biens de la liste mondiale. Nous comptons attirer l’attention sur ce niveau de protection, fondée sur une collaboration constructive entre l’État et les collectivités territoriales. Ce point nous tient particulièrement à cœur.
Des réactions locales et des oppositions fortes ont guidé l’adoption d’une disposition en commission, quant au conflit d’usage entre les moulins à eau et la restauration de la continuité écologique des cours d’eau. À cet égard, il nous semble prématuré de modifier la législation avant d’avoir mis à plat les véritables enjeux en présence.
Mes chers collègues, pour ce qui concerne les archives, nous approuvons les dispositions relatives aux dépôts. La mutualisation et la conservation entre les différents services publics d’archives constituent, elles aussi, une réelle et belle avancée.
Les archivistes attendaient ces mesures.
En la matière, un autre progrès est à signaler. À l’heure de l’open data, modifier la définition des archives en précisant qu’elles englobent l’ensemble des documents et données permet de mieux prendre en compte les évolutions à l’œuvre. Grâce à cette clarification, on sensibilisera davantage les acteurs publics à la nécessité de sauvegarder également le patrimoine immatériel.
Enfin, la meilleure définition de ce qu’est un service public d’archives renvoie à un débat que nous devrons mener. Soyons cohérents : nous sommes sur le point d’améliorer l’accessibilité et l’ouverture des données publiques. Il faudra également évoquer les enjeux de formation et de professionnalisation ainsi que le renforcement des moyens humains, matériels et financiers, qui ne doivent pas être oubliés et sont nécessaires pour aider les archivistes.
Parallèlement, pour ce qui concerne l’archéologie préventive, nous demeurons aussi dans une forme d’ambiguïté : ce constat a été rappelé à plusieurs reprises.
D’une part, les collectivités territoriales souhaitent avoir davantage la main sur les opérations de fouilles, tout en devant faire face à des problèmes de financements. De l’autre, on le perçoit nettement, l’État entend à la fois réduire le montant de ses crédits et accroître son contrôle.
Dans un contexte où opérateurs publics et privés se partagent un marché de plus en plus réduit et compliqué, le présent texte ne tranche pas suffisamment ces questions politiques, sur lesquelles nous pouvons avoir des désaccords.
Veillons cependant à ne pas fragiliser ces services, qui travaillent avec beaucoup d’application.
Madame la ministre, nous avons le sentiment qu’avec ce projet de loi on a quelque peu tendance à mettre en concurrence les professions entre elles. Architectes, géomètres, aménageurs, maîtres d’œuvre, paysagistes : nous avons besoin de tous. À nos yeux, l’enjeu n’est pas de les opposer mais de les faire coopérer, pour mieux articuler leur action. Tous ces acteurs doivent travailler main dans la main au service de la culture, du patrimoine et de nos paysages.
Au total, nous veillerons à ce que l’intérêt collectif et l’intérêt général sortent gagnants de ce travail législatif, à ce que la biodiversité de notre patrimoine soit préservée et à ce que l’on assure un équilibre entre la conservation de l’existant et les nécessaires évolutions !
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, après ma collègue Françoise Laborde, je tiens à m’exprimer sur les dispositions du présent texte relatives à l’archéologie préventive, au patrimoine culturel et à la promotion de l’architecture.
C’est un grand et vaste projet qui est soumis à notre examen aujourd’hui : un texte croisant l’amélioration de la protection du patrimoine et l’incitation à valoriser l’architecture.
Ces dispositions, dans les deux cas, étaient attendues de longue date. Au reste, c’est pourquoi plusieurs des mesures contenues dans le présent texte modifient en profondeur les règles actuellement en vigueur. Je pense notamment à la réforme des espaces protégés ou à celle des abords des monuments historiques, qui n’ont pas fini de susciter des débats. De même, les dispositions encourageant le recours à l’architecte constituent une évolution majeure à l’égard d’une profession dont le statut n’a pas été modifié depuis la loi du 3 janvier 1977.
On a pu le constater depuis l’examen du texte à l’Assemblée nationale : quelques-unes de ces mesures ont provoqué de fortes réticences de certains professionnels, mais aussi des interrogations, non moins inquiètes, émanant des collectivités territoriales, qui craignent d’être laissées en première ligne par l’État.
« Il faut que l’État reste garant des mesures de protection du bien général », avaient d’ailleurs déclaré en décembre dans une lettre commune adressée au Président de la République et au Premier ministre les deux cents maires des villes d’art et d’histoire, soutenus par l’Association des maires de France, l’AMF.
Madame la ministre, vous semblez avoir entendu cet appel, et vous êtes parue visiblement disposée à des inflexions sur la question du regroupement des dispositifs de protection et de sauvegarde dans les plans locaux d’urbanisme, les PLU. Sur ce sujet, la commission a avancé, nous semble-t-il, dans le bon sens, c’est-à-dire dans l’intérêt des collectivités territoriales. Le PLU, sujet par sa nature même à des changements fréquents, ne paraît effectivement pas le meilleur rempart pour une protection durable du patrimoine.
D’autres mesures, attendues elles aussi, ont connu une destinée plus consensuelle, comme le renforcement de la protection juridique du patrimoine de l’État, en particulier les mesures visant à la protection des biens français inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, ou concernant la sauvegarde spécifique des domaines nationaux.
En revanche, un point suscite notre mobilisation : c’est celui de l’archéologie préventive. La commission est revenue sur la plupart des mesures prises par l’Assemblée nationale, lesquelles visaient pourtant à renforcer le contrôle de l’État sur les opérateurs privés soumis à l’agrément, dans le but d’améliorer la qualité des fouilles. Au prétexte de lutter contre une « reconcentration » entre les mains de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, l’INRAP, notre commission a réduit les vérifications auxquelles sont soumis les opérateurs agréés, jusqu’à leur permettre de disposer du crédit d’impôt recherche, le CIR. Or, à mon sens, cette faveur ne répond ni à la logique du dispositif ni à une concurrence saine.
Soucieux de préserver l’intérêt général, nous proposerons des amendements tendant à réintroduire un contrôle rigoureux des opérateurs privés subordonnés à l’agrément. Ces derniers ont toute leur place au cours des opérations de fouilles, mais doivent procéder dans le respect de certaines règles. Or les pratiques de dumping économique et social visant à faire baisser les prix du marché de l’archéologie préventive sont principalement l’œuvre de ces opérateurs. Il faut pouvoir contrôler le respect de certaines exigences des opérateurs en matière sociale et faire en sorte que le renouvellement régulier de l’agrément en dépende.
Dans un marché de plus en plus concurrentiel, le choix du moins-disant financier conduit trop souvent à faire passer les critères économiques avant la qualité scientifique des projets.
Dès lors, il existe un risque réel de négligence des fouilles et des opérations post-fouilles, en contradiction avec la mission d’intérêt général que doit remplir l’archéologie préventive, d’autant que, lorsqu’une fouille est exécutée, il est impossible de la recommencer.
Notre pays dispose d’un service public de recherches archéologiques préventives particulièrement compétent. Il faut le soutenir, comme il faut reconnaître le rôle spécifique des collectivités territoriales en la matière et encourager le recours à leurs services archéologiques, ainsi que doit le permettre la procédure d’habilitation. Tel est le sens des amendements que nous avons déposés.
Au sujet du patrimoine, je salue à la fois les avancées assurées via le présent texte et les corrections apportées par la commission. La liberté donnée aux collectivités territoriales dans le choix entre le périmètre automatique de 500 mètres et le périmètre délimité laisse une ouverture opportune aux maires.
Dans le cadre de la réforme des espaces protégés, nous souscrivons également au renoncement du recours au plan local d’urbanisme au profit d’un document plus constant et de nature à échapper aux modifications intempestives. L’unité de la protection du patrimoine passe par cette stabilité.
Les collectivités territoriales seront davantage accompagnées par l’État dans l’élaboration des plans de sauvegarde et de mise en valeur. Cette demande était formulée par nombre d’entre elles. Quant au nouveau label, son appellation fait couler beaucoup d’encre. Les « cités historiques » sont devenues en commission des « sites patrimoniaux protégés ». Mes chers collègues, nous soumettrons à votre vote une appellation quelque peu différente, qui nous semble à la fois plus lisible et plus attractive : ne perdons pas de vue que, derrière cette désignation, demeurent des enjeux touristiques.
Le volet architecture a, quant à lui, été très largement complété par l’Assemblée nationale, s’inspirant des propositions formulées par la mission parlementaire sur la création architecturale et sur la stratégie nationale pour l’architecture.
Néanmoins, adoptées en première lecture par l’Assemblée nationale dans un consensus suffisamment rare pour être souligné, ces mesures se sont révélées assez clivantes au Sénat, eu égard aux sollicitations envoyées par les différents professionnels du secteur. Pour ma part, je suis attachée à la promotion de la qualité architecturale du bâti, qui, comme l’a dit Mme la rapporteur, constitue notre patrimoine de demain.
Je ne serai pas la première à dresser le constat d’une France périurbaine assez peu mise en valeur par les zones commerciales et les lotissements au kilomètre.
En favorisant le recours à l’architecte, nous nous donnons les moyens de renouer avec la qualité architecturale des constructions individuelles et collectives tout en veillant à leur insertion harmonieuse dans leur environnement. La diversité culturelle passe également par l’architecture, qui se donne à voir à tous de manière gratuite.
Dans son ensemble, nous accueillons donc favorablement plusieurs avancées de ce texte, aussi bien en matière de patrimoine que d’architecture, mais nous resterons vigilants quant au sort réservé à l’archéologie préventive.
Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et sur quelques travées du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, « la création artistique est libre » : l’article 1er du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine pourrait très bien être un sujet de philosophie pour les prochaines épreuves du baccalauréat.
Il s’agirait de définir notamment le sens de la liberté de création artistique dans la société française, de réfléchir à notre exception culturelle dans la mondialisation ou à la notion de politiques culturelles.
Toutefois, ces grandes réformes annoncées par François Hollande accouchent, dans leur premier volet consacré à la création, d’une série de mesures fourre-tout plus ou moins floues. Nous attendions pourtant un grand texte, doté d’une âme, d’un souffle, d’une ambition pour la France.
M. Jacques Grosperrin. Il est loin le temps où le mot « culture » avait du sens pour la gauche.
M. Alain Dufaut s’esclaffe.
Quel aveu ! Pour la droite, il n’en a jamais eu ! Nous, au moins, nous avons un passé !
Ce texte devait être un marqueur du quinquennat : le marqueur restera la baisse historique des crédits du ministère de la culture opérée depuis 2012, exception faite de la sacralisation en 2015.
On reconnaît, dans le présent texte, tantôt telle ou telle revendication corporatiste, tantôt de grandes déclarations d’intention s’inscrivant dans une forme de droit mou, pour reprendre une formule figurant dans l’avis du Conseil économique, social et environnemental, le CESE. Qui trop embrasse mal étreint…
« La création artistique est libre »… Vérité et paradoxe dans un pays jacobin où l’État ne semble pas avoir l’intention de partager les compétences culturelles avec les collectivités territoriales, sauf, bien sûr, lorsqu’il s’agit du financement. L’article 3, relatif à la politique de labellisation de l’État dans le domaine du spectacle vivant et des arts plastiques, en est la preuve irréfutable.
Ce serait au pouvoir législatif de labelliser les structures culturelles à soutenir et, ainsi, d’endosser ces décisions arbitraires. Ce dispositif est inacceptable, car la France incarne la liberté d’expression dans le monde. Notre pays est assimilé à la culture universelle d’une République empreinte de laïcité, de culture et d’humanisme, et non d’une culture d’État.
Cette culture étatique, centralisée, jugée parfois élitiste, remplit-elle son rôle auprès de nos concitoyens ? Où le lien avec le public est-il abordé dans ce projet de loi ? Comment y inclut-on les pratiques artistiques amateurs, qui concernent, à ce jour, 12 millions de nos concitoyens, autrement que par un nouveau cadre juridique liberticide ? S’il traite de questions juridiques nécessaires pour l’artiste amateur, l’article 11 A n’ouvre aucune perspective à ces pratiques, n’assure aucun cadre d’accompagnement, n’exprime aucune volonté de redéfinir une dynamique positive dans la relation entre artistes amateurs et professionnels.
Puisqu’il faut bien aborder le volet du financement, je pose cette question : comment incite-t-on les entreprises, les fondations et les mécènes à participer davantage à la vie culturelle ? En la matière, rien n’est fait, ou si peu, malgré le travail des rapporteurs, Françoise Férat et Jean-Pierre Leleux, que je tiens à saluer particulièrement.
Et que dire du deuxième volet de ce projet de loi, relatif au patrimoine, qui n’annonce aucun nouveau souffle pour les 1 200 musées, 500 000 entités archéologiques recensées, 44 000 immeubles protégés au titre des monuments historiques et 41 biens inscrits au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO ?
Encore une série de mesures, comme la dénomination « cité historique », qui remplace les secteurs sauvegardés par la loi Malraux de 1962, les zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager issues de la loi Lang, en 1983, et les aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine mises en place en 2010 par Mitterrand – Frédéric !
S’agit-il d’un tour de passe-passe pour désengager l’État du financement ?
Pourquoi ne pas redonner vie et jeunesse à notre patrimoine exceptionnel en regroupant le patrimoine et le tourisme au sein d’un même ministère ?
La France est le pays le plus visité de la planète pour son patrimoine architectural, son offre culturelle et son savoir-vivre. Elle a accueilli 80 millions de touristes en 2014. Aux États-Unis, 70 millions de touristes engendrent quatre fois plus de revenus : 200 milliards de dollars, contre 50 milliards d’euros en France. Nos pays vivent, certes, des réalités différentes, mais des revenus importants pourraient être engendrés par une association dynamique entre le tourisme et le patrimoine. Des milliers de projets à soutenir, un vivier d’artisans à préserver, des points de PIB à gagner et des milliards d’euros de recettes supplémentaires à collecter pour le tourisme : voilà un grand chantier, madame la ministre !
Au lieu de l’engager, vous entendez légiférer sur l’abaissement de l’obligation de recours à un architecte pour les travaux de construction ou d’aménagement supérieurs à 150 mètres carrés, au lieu de 170 mètres carrés actuellement. Selon vous, cette mesure favorisera-t-elle l’accession à la propriété du plus grand nombre, simplifiera-t-elle les normes d’urbanisme, transformera-t-elle nos lotissements en « cités historiques » ?
On reconnaît ici la signature d’un gouvernement qui oscille sans cesse entre des déclarations fortes au sujet de réformes et des lois qui n’ont pas d’ambition.
Ce projet de loi est un texte sans ambition pour une politique sans vision. Je le regrette sincèrement et je souhaite que la liberté, l’égalité et la fraternité qualifient toujours la création artistique en France.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, une importante partie de ce texte est consacrée à la protection du patrimoine. Les acteurs de la sauvegarde du patrimoine attendaient depuis longtemps une loi qui traite de la majeure partie des questions relatives au patrimoine et qui ne se contente pas de dispositions insérées au gré des circonstances, dans des textes portés par d’autres ministères que le ministère de la culture.
Oui, c’est une grande loi que vous nous proposez, madame la ministre, au sens où elle porte une orientation forte pour la politique culturelle de l’État, qui fait le lien entre création et patrimoine ; au sens, également, où elle s’inscrit dans la lignée des lois qui forment la politique de protection du patrimoine en France.
Ainsi, depuis les lois de 1887 et 1913 sur les monuments historiques jusqu’à la loi de 2001 sur l’archéologie préventive, en passant par la loi de 1930 créant les sites protégés et l’incontournable loi Malraux de 1962 sur les sites sauvegardés, toutes ont contribué à permettre que des lieux, des œuvres et des objets continuent de nous raconter notre histoire commune. Expression à la fois des racines de chacun et d’une mémoire partagée, voilà ce que représente notre patrimoine, c’est pourquoi nous y sommes tellement attachés. L’un des héritages de ces grandes lois est justement d’avoir permis que les richesses patrimoniales soient mises à la disposition de tous.
La politique de conservation, de protection et de mise en valeur du patrimoine a, depuis des années, bâti cette image culturelle de la France, dont nous avons raison d’être fiers, car elle contribue au rayonnement international de la France et représente, aujourd’hui, un poids économique considérable.
Le patrimoine porte en lui l’histoire des peuples, dont l’historien Patrick Boucheron expliquait récemment qu’elle « est riche des expériences accumulées du passé, elle ne trace pas de chemin, elle ne donne pas de leçons », et, de ce fait, elle n’admet pas d’explication univoque.
Ce n’est donc pas par hasard que les terroristes s’attaquent aux cités antiques et détruisent ce patrimoine qui représente les apports de la diversité des racines de ces peuples, mais aussi différentes lectures du passé et qui ouvre donc l’esprit à des interprétations variées. En agissant ainsi, ils espèrent effacer la mémoire des peuples et imposer plus facilement leur vision totalitaire du monde.
Il est heureux que le Gouvernement ait décidé d’intégrer à ce texte plusieurs dispositions qui affirment les valeurs de la France dans le contexte international que nous connaissons, qu’il s’agisse du contrôle du commerce international des biens culturels ou de l’instauration d’une sorte de « droit d’asile culturel » pour des biens reconnus en danger par la communauté internationale.
Par l’intermédiaire de ce texte, il s’agit bien d’affirmer que la protection du patrimoine est partie intégrante du projet politique de la culture, dont l’objectif principal est l’émancipation de tous.
Ce projet de loi replace l’État au centre des politiques culturelles, en réaffirmant son rôle et en renforçant ses outils de régulation. Parallèlement, il adapte ces politiques aux évolutions contemporaines, qu’il s’agisse de l’intercommunalité, de la participation des citoyens aux décisions ou du poids croissant du tourisme dans l’économie. En effet, sauvegarder notre patrimoine, ce n’est pas le mettre sous cloche ou le figer, mais bien protéger son âme historique en permettant que le monde contemporain s’en saisisse et en fasse usage.
Il y va ainsi de la protection et de la diffusion des biens culturels. Les dispositions prévues dans ce texte me tiennent à cœur, car pour une élue comme moi, sensible au maintien de territoires ruraux vivants, l’accès de tous à la culture demeure un objectif important. Une meilleure diffusion des collections nationales sur tout le territoire comme la reconnaissance et la sécurisation des fonds régionaux d’art contemporain, les FRAC, constituent de véritables avancées.
En outre, l’État se donne les moyens de mieux veiller à la qualité scientifique et technique des musées de France, notamment par l’intermédiaire du projet scientifique et culturel, le PSC. Nous souhaitons, pour notre part, que les musées s’ouvrent un peu plus à leur public en mettant en place des partenariats avec les associations culturelles et les établissements scolaires. Nous ferons des propositions en ce sens.
Un plus grand contrôle de l’État sur la qualité scientifique et technique pour le choix de l’opérateur comme pour le déroulement de l’opération archéologique était l’une des demandes fortes issues du Livre blanc de l’archéologie préventive. Le projet de loi y répond, en attribuant aux services de l’État la maîtrise d’ouvrage scientifique des opérations de fouilles. Évidemment, cela n’est pas sans conséquence sur plusieurs dispositions issues de la loi d’août 2003, qui avait ouvert à la concurrence les opérations d’archéologie préventive et dont la députée Martine Faure avait, dans son rapport, pointé l’ensemble des déséquilibres concurrentiels.
Contrairement à ce que la majorité du Sénat soutient, qui a conduit aux larges coupes que vous avez opérées dans le texte, madame la rapporteur, nous n’avons nullement l’intention de revenir sur le principe de l’ouverture concurrentielle et encore moins, évidemment, de créer un monopole pour l’INRAP.
Il s’agit simplement de conférer à l’État et à ses services en région – les services régionaux d’archéologie – un rôle plus régulateur, ce qui répond d’ailleurs à une demande de l’ensemble des acteurs du secteur. Nous vous proposerons donc, à travers nos amendements, de revenir à un texte plus proche de celui qui a été adopté par l’Assemblée nationale, tout en intégrant certaines modifications issues des propositions entendues lors des auditions que nous avons menées.
Lorsque l’on parle d’archéologie préventive, on ne doit pas considérer seulement l’aspect financier des fouilles et les contraintes qu’elles imposent. Gardons également à l’esprit qu’elles contribuent à valoriser le territoire sur lequel elles sont réalisées par une meilleure connaissance de l’histoire locale ou par la qualité des objets qui y sont découverts.
Cette remarque m’amène à la valorisation du patrimoine et à la qualité architecturale, qui constitue le cœur de la partie de ce projet de loi consacrée au patrimoine. En effet, la création des cités historiques dépasse la simplification des procédures et des dénominations, avec le double objectif de faciliter leur mise en œuvre et leur compréhension pour les collectivités comme pour le grand public.
Certes, le nom « cité historique » a fait l’objet de critiques et de débats, mais il rappelle celui de « monument historique », porteur sur le plan touristique et qui ne recouvre pas seulement des édifices monumentaux, loin de là.
Avec la cité historique, nous estimons, madame la ministre, que vous créez un outil puissant et souple pour unifier l’ensemble des moyens actuels de conservation, de protection et de mise en valeur du patrimoine. Plus encore, vous les modernisez en permettant un rééquilibrage de ces moyens en faveur des collectivités et des territoires, tout en maintenant une supervision par l’État, garantie de la qualité de la protection du patrimoine. Il est vrai que notre commission a œuvré pour renforcer la participation des collectivités, en particulier des communes concernées.
En définitive, je forme le vœu que le Gouvernement et le Sénat parviennent à s’entendre sur l’équilibre atteint en ce qui concerne les cités historiques. Ce nouvel outil ouvrira des opportunités nouvelles, notamment en matière de protection des centres anciens des petites villes, qui restent parfois en déshérence.
Tous les points de ce texte illustrent parfaitement que le patrimoine doit être protégé, qu’il est vivant et qu’il doit le rester !
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Marie-Christine Blandin et Corinne Bouchoux applaudissent également.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la ministre, lors de vos vœux à la presse le 20 janvier, vous avez précisé que l’examen de ce projet de loi au Sénat offrirait « l’occasion d’améliorer le texte » et qu’il existait « encore des questions » à éclaircir. Je vous le confirme !
Ce texte est sorti de l’Assemblée nationale tellement gonflé de mesures que son examen révèle des imprécisions juridiques inquiétantes pour certaines professions de l’urbanisme et de l’architecture, dont les conséquences sur l’emploi ne sont pas maîtrisées.
Mon propos se bornera à évoquer, dans le titre II, les sujets sensibles que sont l’archéologie préventive et les architectes des Bâtiments de France en versant à l’appui de mes propos des exemples concrets issus de mon territoire.
En matière d’urbanisme, tout particulièrement dans le domaine de l’archéologie préventive, ce texte requiert de profondes modifications, puisque l’approche théorique a été préférée au pragmatisme, comme en témoigne l’amendement du Gouvernement réintroduisant mot pour mot le texte de l’Assemblée nationale, lequel révélait un manque de considération pour les élus en alourdissant les conditions d’obtention des agréments de réalisation de fouilles pour les collectivités locales, conduisant à placer l’INRAP en situation de quasi-monopole.
Pourtant, en 2013, la Cour des comptes a souligné les insuffisances du cadre concurrentiel pour les activités de fouilles archéologiques ainsi que « de lourds problèmes de financement, de gestion des ressources humaines et de gouvernance » à l’INRAP.
Tous les membres de cette assemblée qui ont dirigé ou dirigent des exécutifs locaux et qui ont engagé de grands travaux ont déjà eu à souffrir des retards de l’INRAP.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Par conséquent, renforcer son monopole au détriment des collectivités territoriales constitue un contresens majeur.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
En effet, faire courir le risque d’un retour à la situation antérieure à la loi de 2003, avec un allongement des délais de fouilles et une tarification excessive, sans garantie d’une amélioration de la qualité des prestations va à l’encontre des résultats de la consultation des élus organisée par le Sénat lors du congrès des maires de 2014. Ces derniers se sont prononcés à plus de 63 % pour une simplification des règles d’urbanisme et du droit des sols.
Les collectivités ont une double exigence : être des aménageurs respectant les délais, mais aussi être les acteurs de la sauvegarde du patrimoine. Il est donc essentiel d’encourager une simplification des normes et une optimisation du temps de l’archéologie préventive, afin de ne pas bloquer les chantiers de construction et, plus globalement, les circuits économiques.
À ce titre, la question des délais d’intervention constitue un point de cristallisation des tensions.
Les absences d’échéance précise dans le code du patrimoine ont pour conséquence des retards accumulés sur certaines opérations de fouilles. Elles constituent autant de freins pour des projets dont la réussite est conditionnée par la tenue d’un agenda contraint. Or les collectivités et les opérateurs, comme les bailleurs sociaux, qui se lancent dans des chantiers ambitieux doivent faire face à des coûts supplémentaires qui surenchérissent le prix du foncier, alors que celui-ci est déjà onéreux et rare, par exemple dans les Alpes-Maritimes.
Présidente de Côte d’Azur Habitat, premier bailleur social de mon département, je connais bien ces situations qui remettent en cause les projets et entraînent des retards chroniques.
Ainsi, à l’occasion d’un lancement de chantier pour un projet d’immeuble de quatre-vingts logements sociaux et de quatre-vingt-dix-huit parkings, un four romain tuilier nécessitant des fouilles archéologiques a été trouvé.
Bien qu’elles aient été réalisées et prises en charge pour partie par la direction régionale des affaires culturelles, le manque d’encadrement des délais et les lourdeurs administratives ont engendré dix-neuf mois de retard et un coût total de 835 000 euros, …
… auxquels s’ajoutent l’incertitude et le mécontentement tant des opérateurs et des entreprises que des demandeurs de logement auxquels il est parfois difficile de faire accepter ces normes et/ou l’absence de résultat.
Un autre point en matière d’urbanisme concerne les décisions parfois jusqu’au-boutistes des architectes des Bâtiments de France. Sans remettre en question le regard scientifique qu’ils portent sur notre patrimoine et sur sa sauvegarde, leurs avis pour certains types de travaux devraient tendre vers davantage de souplesse afin de prendre en compte les décisions des élus et la pertinence de leurs projets d’aménagement.
Une catégorie d’avis émis par les architectes des Bâtiments de France pourraient ainsi devenir consultatifs pour de petits travaux ou pour le déplacement d’ornements de façade facilement démontables et repositionnables sur de nouvelles constructions afin d’éviter les situations ubuesques.
À Nice, j’ai été confrontée à des décisions subjectives et sans appel qui empêchent toute réfection, voire la démolition de certains immeubles qui deviennent insalubres, qui sont inoccupés et par conséquent susceptibles d’être squattés, alors que même si un opérateur faisait l’effort de s’y projeter, ces immeubles ne pourraient jamais répondre aux objectifs d’efficacité énergétique fixés par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
Des blocages existent aussi dans des projets de rénovation urbaine pour la reconstitution du parc social. En vue de réaliser un immeuble de trente-deux logements, l’architecte des Bâtiments de France s’est opposé à un projet de démolition-reconstruction en raison de la présence d’une fresque estimée « remarquable ».
Au regard des préconisations de l’architecte des Bâtiments de France, l’ABF, démonter cette fresque puis la repositionner à l’identique sur un nouveau bâtiment, ce qui était tout à fait possible, était jugé impossible malgré un état de vétusté et d’abandon du reste de l’immeuble pourtant flagrant.
Là encore, huit ans ont été perdus dans des allers et retours administratifs sans fin.
Les trente-deux logements sociaux n’ont pas été réalisés dans un territoire pourtant tendu. Le montant des dépenses occasionnées par une telle décision s’est élevé à près de 1 million d’euros, dont 350 000 euros pour le portage d’un projet manqué et une sécurisation de site abandonné.
Au regard de ces deux exemples particulièrement contre-productifs et paralysants mais sans pour autant s’opposer à trouver des solutions pérennes et communes pour la conservation de notre patrimoine, la rigidité et la contrainte ne doivent pas devenir l’alpha et l’oméga de cette loi, d’autant qu’il est demandé aux maires de construire toujours plus, et ce sans tenir compte des spécificités locales et des contraintes propres à chaque territoire.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canevet applaudit également.
M. le président. Je connais une ville où, dès que l’on creuse, on trouve le tibia de Jules César…
Sourires.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, articulé autour de deux grands objectifs, ce projet de loi a la double ambition d’« affirmer et garantir la liberté de création », et de « moderniser la protection du patrimoine ».
C’est sur ce dernier volet que je m’exprimerai, me faisant le porte-parole de beaucoup de maires car ces dispositifs impactent fortement les collectivités.
En juin dernier, le Conseil économique, social et environnemental a souligné avec pertinence le flou qui règne sur la gouvernance des politiques culturelles à venir tant que la réforme territoriale, notamment la loi NOTRe, n’aura pas produit ses effets.
Car, dans sa version votée à l’Assemblée nationale, la volonté de simplification avec la création des cités historiques, voulue par la loi, supprime les verrous de protection du patrimoine national.
Notre assemblée l’a déjà prouvé l’an passé en redonnant une ambition à la loi NOTRe : nous ne sommes pas opposés, et les territoires que nous représentons non plus, à l’évolution des règles.
Toutefois, le patrimoine n’est pas une compétence qui se transfère, mais un bien national qui se protège. En cela, l’État doit rester garant des mesures de protection du bien général, c’est son rôle ! Les règles ne peuvent être que nationales. Censée simplifier les dispositifs de protection existants, la création des cités historiques risque de conduire à un affaiblissement de la protection du patrimoine en décentralisant la compétence de sauvegarde patrimoniale.
Les cités historiques viennent remplacer des outils qui ont fait leur preuve : les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, les ZPPAUP, et les aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine, les AVAP, créées en 2010.
Surtout, ce désengagement de l’État pose le problème du financement de la défense du patrimoine par les collectivités, alors que dans un contexte de baisse de leurs dotations, celles-ci n’en ont pas les moyens. On peut douter à ce sujet de la pérennisation de l’accompagnement financier et technique de l’État.
Je salue le travail de notre commission et de notre corapporteur Françoise Férat en la matière. Ces cités historiques devenues sites patrimoniaux protégés bénéficieront de deux niveaux de protection. Le Sénat propose de rendre leurs caractéristiques aux secteurs sauvegardés et transforme très opportunément la « cité historique » en « site patrimonial protégé », retrouvant ainsi le sillage de la loi Lang. L’État y est fort et présent, aidé par des commissions aux prérogatives renforcées et des documents de protection efficaces.
Le plan de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine sera moins contraignant mais tout de même protecteur, s’inspirant très largement des règles actuellement en vigueur concernant les aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine.
Pourtant, il n’y a pas de raison objective de supprimer les AVAP, d’autant qu’elles n’ont pas fait l’objet d’une évaluation, car cette suppression serait non pas une simplification, mais un affaiblissement des protections patrimoniales.
L’argument consistant à dire que les AVAP n’ont pas rencontré un franc succès ne prend pas en compte les effets de l’annonce depuis 2014 d’un projet de loi pouvant modifier les règles relatives à l’urbanisme patrimonial. Cela eut pour effet « pervers » de geler les initiatives pour transformer les ZPPAUP en AVAP, en les fragilisant également au regard de la date butoir du 15 juillet 2016.
Au-delà, il est nécessaire d’avoir un projet de loi fort pour la protection du patrimoine bâti et non bâti, urbain et rural, qui, par conséquent, va plus loin que les dispositions existantes. Ce n’est pas le cas ici et, comme souvent, le législateur devra, à moyen terme, revoir sa copie et ses ambitions.
À l’instar des positions de l’AMF, j’ai personnellement appelé en commission à la suppression du dispositif des cités historiques dont on ne perçoit nullement l’intérêt, si ce n’est le désengagement de l’État sur le champ de la protection du patrimoine. Les cités historiques n’engagent aucune simplification ni aucune amélioration des dispositifs de protection actuels.
Car oui, le patrimoine est idée d’avenir à conjuguer au temps national ! La décentralisation n’implique pas le renoncement à des règles de protection qui exigent pérennité et harmonisation, et elle ne consiste pas non plus à casser des outils de gestion locale qui ont fait leur preuve…
Avec leurs patrimoines, nos villes et villages possèdent un exceptionnel potentiel économique. Ils permettent à la France d’être la première destination touristique au monde ! Nos quartiers anciens constituent un formidable gisement de logements à reconquérir, gage de développement social et environnemental. Ne cassons pas cette richesse sur l’autel de la rationalisation technocratique.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
J’indique aux membres de la commission de la culture que nous allons nous réunir immédiatement en salle 245, afin de poursuivre l’examen des amendements.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.