Intervention de Marie-Christine Blandin

Réunion du 9 février 2016 à 14h30
Liberté de création architecture et patrimoine — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, voici enfin, en un seul texte, le projet tant attendu sur la culture, le beau projet que les artistes appellent de leurs vœux, le nécessaire projet qui doit garantir l’engagement de l’État et des collectivités territoriales vis-à-vis d’une société pleine d’incertitudes.

La culture donne à comprendre et à ressentir le monde tel qu’il est, tel qu’il peut devenir et aussi tel qu’il fut. La création se nourrit de la sensibilité aiguisée des artistes et utilise toutes les voies sensibles pour nous faire entrer en émotion : grâce à elle, nous rions, nous rêvons, nous nous révoltons, nous sommes déstabilisés, nous partageons des réflexions, nous rencontrons les autres.

Qui ne se souvient d’un concert qui l’a enthousiasmé, d’un livre ou d’un film qu’il a voulu partager avec ses amis, ses voisins ou ses collègues ? Qui ne s’est pas lui-même étonné de l’effet intime et profond que produisait en lui ou en elle un tableau découvert dans un musée ou une sculpture rencontrée dans l’espace public ? Qui n’est pas ressorti ébloui d’un cirque ou d’une exposition ? Qui n’a jamais eu ses certitudes ébranlées à la sortie d’une pièce de théâtre ?

La France de 2015, parcourue par des frissons d’effroi, par des élans de compassion, par de bonnes résolutions, est aussi traversée par quelques relents xénophobes. Moins que jamais, elle ne doit laisser quiconque dans une solitude aigrie et peureuse.

Les droits culturels, salués par l’ensemble du Sénat, ne sont pas un luxe. Ils sont, pour chacun, des promesses de développement individuel, d’épanouissement et d’émancipation. Ils sont aussi des ferments de démocratie et d’enrichissement par la rencontre. Ils sont la fondation d’un avenir commun désirable, « dans le respect de l’égalité entre les femmes et les hommes », comme le précise à juste titre l’alinéa 3 de l’article 2 du projet de loi.

De fait, il y a grand besoin de redresser l’injustice culturelle en matière de parité. Au demeurant, nous aurions pu ajouter aussi « sans aucune autre discrimination », tant restent nombreux les mises à l’écart et les chemins d’accès lisibles ou praticables seulement par quelques-uns. Il est impératif que les politiques publiques culturelles reconnaissent à chacun une égale dignité, qu’il soit pauvre ou riche, rural ou urbain, valide ou non, né en France ou ailleurs, amateur de slam ou passionné de chant grégorien.

Or je ne suis pas certaine que tout notre peuple, dans sa diversité et avec son foisonnement d’activités, ses aspirations et ses milliers de parcours en héritage, ait été convié à l’élaboration du projet de loi et pourra, demain, participer réellement à la vie culturelle et à la création, ni que la mue de l’ancien ministère des beaux-arts en ministère de la culture du XXIe siècle, sonnant à l’heure de l’e-society et des banlieues bigarrées, soit vraiment achevée…

À la vérité, passée la phrase symbolique « La création est libre » – qui, au demeurant, n’est pas normative et n’engage pas à grand-chose –, le souffle est vite retombé au profit d’un dialogue entre services du ministère et professionnels. Tandis que certains articles juxtaposent des intérêts particuliers, les parlementaires ont été harcelés pour faire pencher le fléau entre architectes et géomètres, auteurs et interprètes, éditeurs financeurs et producteurs, archéologues de l’INRAP, l’Institut national de recherches archéologiques préventives, et entreprises privées. Malheur à ceux qui n’ont pas les bonnes entrées, comme les paysagistes, les photographes et les artistes des musiques actuelles !

Les tables rondes de la commission ont aussi été le théâtre d’âpres revendications concurrentielles concernant le partage de la ressource, les garanties d’obligations de recours à des professionnels et les possibilités de dérogation.

Bien sûr – nous ne sommes pas naïfs –, la loi ne fait pas de poésie, mais fixe des cadres. Encore faut-il que ceux-ci soient inspirés, garants de la permanence artistique sur le territoire et de l’autonomie des programmations et fidèles aux conventions internationales dont nous sommes plus prompts à brandir le nom qu’à décliner les contenus… C’est dans cette perspective que les écologistes défendront leurs amendements.

Nous formons des vœux pour que les conférences territoriales de l’action publique et leur volet « culture » ne se résument pas à des tours de table de financeurs, mais qu’elles se nourrissent des dynamiques du territoire et des aspirations et talents des habitants, amateurs comme professionnels, qu’elles n’oublient ni la culture ouvrière, ni la culture rurale, ni la culture scientifique et qu’elles prennent en compte les itinéraires de chacun, pour garantir la qualité de la stratégie publique. En effet, c’est l’authenticité de cette attention qui fait rayonnement, alors que la finalité du rayonnement ne garantit pas que l’on tisse du lien.

Je terminerai sur une note sociale : ni les réunions interministérielles ni les commissions parlementaires n’ont pris à bras-le-corps les injustices pesantes qui entravent la constitution des droits sociaux des artistes, et plus particulièrement des plasticiens, en matière de couverture maladie ou de retraite. Le Gouvernement a fait avancer le dossier de l’intermittence, c’est une bonne chose, mais le soutien à la création, c’est aussi la dignité de l’accueil à Pôle Emploi et la réparation de « trous » dans le filet protecteur, au risque de bousculer le fonctionnement en silo de certains guichets.

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