Intervention de Colette Mélot

Réunion du 9 février 2016 à 14h30
Liberté de création architecture et patrimoine — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Colette MélotColette Mélot :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, ce texte tant attendu devait révolutionner le monde de la culture. Il l’a très certainement ému, car nombreux sont les professionnels qui nous ont adressé leurs protestations !

Pour autant, le projet de loi ne fait qu’effleurer certains sujets majeurs, alors que s’y trouvent rassemblées quantité de mesures techniques disparates, qui trouvent ainsi une fenêtre législative fort opportune.

Sur le volet dit « création », nous déplorons qu’il y ait si peu de fond et trop de forme. Beaucoup de dispositions s’apparentent surtout à un catalogue, particulièrement bavard, de bonnes intentions.

Faute de réforme d’ampleur, le Gouvernement a largement communiqué sur sa mesure phare : l’inscription de la liberté de création dans la loi.

Je crois que dans la France qui est la nôtre aujourd’hui, au XXIe siècle, nous pouvions rester sereins sur ce point. La création n’a sans doute jamais été aussi libre. Elle est protégée par nos tribunaux, sans nécessité d’une loi : la liberté d’expression n’est-elle pas un principe fondamental de notre République ?

Nous ne nous battrons pas sur cet article 1er, permettant au Gouvernement, après trois années de restrictions budgétaires, de marquer son attachement à la culture.

De même, à l’article 2, la longue liste des objectifs de la politique culturelle a-t-elle surtout valeur de symbole. Elle occupera quelque temps nos débats, puisque le champ culturel est vaste, et que chacun voudra apporter sa pierre à l’édifice…

Mais entrons dans le vif du sujet.

En matière de création, le projet de loi comporte certaines avancées, souvent à la suite de concertations ou de négociations interprofessionnelles, par exemple pour encadrer les relations entre artistes-interprètes et producteurs, ou concernant le cinéma, en matière de transparence. Je tiens à souligner l’importance de la mise en place d’un cadre juridique sécurisé pour les pratiques amateurs, celle également d’un observatoire de la création, ou encore l’insertion des écoles d’art dans notre système d’enseignement supérieur.

En revanche, nous avons de nombreux points de désaccord sur d’autres sujets. Je citerai deux exemples, particulièrement révélateurs des erreurs de méthode du Gouvernement.

Concernant la création d’un médiateur de la musique, vous avez prévu, madame la ministre, un périmètre d’action considérable et diverses possibilités de saisine, ce qui a conduit certains professionnels du secteur à s’inquiéter à juste titre sur la portée du dispositif et le respect du secret des affaires.

S’il est nécessaire de trouver des alternatives à la voie judiciaire, pour des différends économiques opposant notamment producteurs et artistes-interprètes, nous devons encadrer le périmètre d’intervention de ce médiateur. Puisque nous disposons des modèles du médiateur du cinéma et du médiateur du livre, pourquoi cela n’a-t-il pas été fait ?

S’agissant des web radios, madame la ministre, vous avez décidé de les faire bénéficier du régime de rémunération équitable. Mais votre empressement vous a conduit à faire l’impasse sur une étude d’impact préalable. Or il semble qu’une telle mesure pénalisera aussi bien les artistes-interprètes que les producteurs, le régime de « droit exclusif » actuellement en vigueur leur permettant de négocier des rémunérations largement supérieures à celles qui s’appliquent à la licence légale.

Cette disposition fait partie des nombreux articles introduits à l’Assemblée nationale, souvent à l’initiative du Gouvernement lui-même. Je rappelle que le texte a doublé de volume lors de la première lecture. Quelles sont les raisons de ces ajouts de dernière minute, alors que le projet de loi est depuis tant de temps en préparation ?

Bien que longuement mûri, le texte présente d’ailleurs de nombreuses lacunes sur ce volet « création ». Comme l’a souligné notre rapporteur, il est pauvre sur l’audiovisuel, peu ambitieux en matière d’emploi et d’activité professionnelle, et je m’étonne, en tant que rapporteur de la loi de finances, de la faible place accordée au livre, qui est déjà le secteur le moins aidé financièrement par l’État.

Face à ce constat, il appartenait à l’opposition de corriger les excès du texte et de se faire force de proposition. Aussi, je salue la détermination de notre rapporteur Jean-Pierre Leleux, qui a accompli cette lourde tâche.

Je ne m’attarderai pas sur les améliorations que ce dernier a apportées au texte – il vient de nous les présenter –, ni sur les suppressions d’articles, qu’il s’agisse de rapports destinés à s’empiler sur les bureaux de l’administration ou de mesures inopportunes.

Je souhaiterais surtout évoquer une proposition qui a déjà beaucoup fait parler d’elle, concernant la production audiovisuelle et la possibilité pour les chaînes de développer celle-ci. Je pense qu’il est en effet temps de redistribuer les cartes à l’heure où nos chaînes connaissent la concurrence de nouveaux modèles, tels Netflix et YouTube, qui échappent à la réglementation nationale.

Notre modèle économique a beaucoup changé depuis les décrets Tasca. Il faudra tôt ou tard en tenir compte, et donner à la création française les moyens de se développer au sein de grands groupes audiovisuels.

Certes, le Gouvernement, à peine plus d’un an avant l’élection présidentielle, ne souhaitera pas s’engager, mais il nous appartient de lancer le débat. Il ne s’agit pas de régler une querelle entre professionnels, diffuseurs d’une part, producteurs indépendants d’autre part. Si des concurrents internationaux viennent s’emparer de parts de marché, tout le monde sera perdant.

Nous espérons que ce geste fort de notre rapporteur aura un impact sur les choix qui seront faits dans l’avenir.

J’en viens maintenant au second volet du projet de loi, portant sur l’architecture et le patrimoine.

Mes commentaires seront bien différents, car autant la première partie contenait peu de mesures marquantes, autant la seconde vient bouleverser notre droit patrimonial, et donc potentiellement le paysage français.

En effet, en fusionnant les trois catégories d’espaces protégés existantes pour créer des « cités historiques », le projet de loi abolit toute nuance dans cette protection, pour remettre entièrement celle-ci entre les mains des collectivités territoriales.

L’État ne conserverait qu’un rôle d’assistance technique et financière, alors que les collectivités seraient libres de choisir le document d’urbanisme à adopter pour fixer les règles patrimoniales sur tout ou partie du périmètre d’une « cité historique ».

Le plan local d’urbanisme, ou PLU, deviendrait l’outil de référence. Bien que soumis aux aléas électoraux, c’est lui qui serait donc censé protéger un patrimoine appartenant aux Français !

Vous me direz que notre Haute Assemblée devrait se réjouir de ce transfert de pouvoirs. Ce serait cependant faire preuve d’inconséquence. Les pouvoirs passent, les majorités fluctuent, mais le patrimoine reste. C’est bien pour cela qu’il doit absolument demeurer une compétence nationale. Sinon, il est peu probable que le charme des vieilles pierres puisse toujours primer des contraintes financières ou des pressions locales…

Aussi, j’espère que vous retiendrez, madame la ministre, les propositions de notre rapporteur Françoise Férat, qui a accompli un travail de réécriture remarquable afin de préserver l’effort de simplification du texte, dont nous reconnaissons d’ailleurs l’utilité, tout en maintenant un haut niveau de protection de notre patrimoine, réclamé par les nombreux acteurs qui nous ont contactés.

Les amendements adoptés en commission permettront de garantir une stabilité de la réglementation au sein de nos collectivités territoriales, ainsi qu’un haut niveau de protection du patrimoine.

Ils permettront également de réintroduire l’intervention étatique afin de ne pas laisser les collectivités livrées à elles-mêmes. Comme l’a souligné notre rapporteur, la volonté première des collectivités n’est pas d’accroître leur autonomie, mais d’être accompagnées efficacement.

Cette situation me permet de faire un parallèle avec le sujet de l’archéologie préventive, où le Gouvernement adopte précisément une démarche inverse, restreignant le champ d’intervention des services archéologiques des collectivités territoriales. Outre l’imprécision entourant les habilitations, la persistance du Gouvernement à affirmer le monopole de l’INRAP, l’Institut national de recherches archéologiques préventives, respecte peu les collectivités, tout comme les opérateurs privés.

Mais je laisserai les orateurs suivants évoquer plus largement ce sujet.

Le message que souhaiterait faire passer notre groupe aujourd’hui, c’est qu’il est urgent de faire preuve d’audace pour soutenir la création française face aux nouveaux défis de la communication, mais également de prudence pour protéger un patrimoine que tous nous envient.

Si le projet de loi n’a pas su s’inscrire dans cette démarche, nous espérons qu’il en sera autrement à l’issue de son examen par le Sénat.

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