Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, si le texte qui nous est soumis est riche de technicité, il brille moins par la confiance qu’il accorde à la culture et à sa vitalité.
Exprimé autrement, à défaut de résoudre le problème du sens de la culture aujourd’hui, ce texte compense par une large batterie de mesures techniques.
Madame Férat, monsieur Leleux, vous avez mené avec beaucoup de mérite et de patience un travail constructif en déposant de multiples amendements sur ce texte que j’aurais tendance, compte tenu du nombre de dispositions qu’il contient, à qualifier de texte portant DDOC, ou diverses dispositions d’ordre culturel.
Il est vrai que la situation est assez étonnante. Depuis quelques mois, nous avons eu à examiner la loi Macron, la loi de transition énergétique, et aujourd’hui ce projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine ; demain viendra le projet de loi sur le numérique.
Ces textes sont de nature très différente et je ne les mélange pas ; je veux simplement dire qu’ils ont en commun de comporter un nombre de dispositions tel qu’on finit par en perdre le fil. C’est leur technicité finalement qui leur permet de conserver une forme de continuité.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je considère pour ma part qu’il faut se garder de verser dans cet excès – même s’agissant des meilleures choses – ; non seulement la technique est omniprésente dans ce texte – c’est un tort –, mais surtout il n’a que trop peu de sens.
Exprimé autrement, et à l’instar de certains des orateurs qui se sont exprimés avant moi, je ne décèle pas d’ambition dans les dispositions qui nous sont présentées, et ce en dépit du travail fait par la commission.
Selon moi, une culture est vivante, elle n’a pas besoin d’être défendue, d’être détaillée article par article, objectif par objectif ; elle est attractive par sa propre vitalité.
L’article 2, même si je ne veux pas employer de termes trop lourds, représente pour moi sinon une forme de défaite sur le fond, au minimum un manque de confiance envers la culture.
Cet article est en effet comme une caverne d’Ali Baba. Il fixe dix-sept objectifs – on en a compté près de vingt dans une rédaction antérieure – à la politique en faveur de la création artistique. Dans la vie courante, dans la vie législative, dans la gestion publique – vous en connaissez par cœur les modalités –, lorsqu’on affiche dix-sept objectifs, cela signifie en réalité qu’on n’en a aucun, en particulier lorsqu’ils ne sont pas hiérarchisés.
Autant j’approuve bien volontiers le principe fixé à l’article 1er, qui se suffisait à lui-même, autant l’article 2 n’était peut-être pas indispensable à ce texte. Il me semble même assez largement superfétatoire.
Je dirai une dernière chose sur ce manque de confiance – et sachez, madame la ministre, que mon propos ne se veut pas spécialement critique ; je souhaiterais au contraire que ce texte soit plus rassembleur. Nous retrouvons là les éléments du débat que nous avions connu dans le cadre de la loi de finances avec l’idée directrice que le budget de la culture était sanctuarisé. Nous comprenions bien votre objectif budgétaire et donc le travail qu’il sous-tendait pour obtenir des arbitrages favorables, mais, en même temps, la sanctuarisation budgétaire peut-elle être considérée comme l’alpha et l’oméga de la culture ? Je n’en suis pas tout à fait certain.
Pour en finir avec article 2, dans le détail duquel je n’entrerai pas, je vous sais gré, monsieur le rapporteur, d’avoir proposé d’en modifier notamment le premier alinéa, qui assimilait l’exercice de la liberté de création à un service public. J’avoue que cette formulation m’avait beaucoup étonné, la liberté artistique ne me semblant pas pouvoir être assimilée à un service public. Je ne méconnais pas les valeurs du service public, mais celui-ci est un moyen ; en tant que tel, il n’est pas consubstantiel à la liberté de création.
Peut-être d’autres orateurs l’ont-ils fait avant moi, je voudrais insister sur le fait que la liberté de création n’a de sens que si cette dernière fait l’objet d’une diffusion suffisamment large. Il me semble que, parmi les tâches de ce grand et beau ministère qu’est le ministère de la culture, il y a ce qui relève de l’aspect mémoriel, ce qui relève de l’aspect création et ce qui relève de l’aspect diffusion, celle-ci étant la condition de la viabilité de la création. Or cet aspect me paraît devoir être travaillé dans ce texte.
Je veux dire quelques mots rapides de l’excellent travail réalisé par nos rapporteurs Jean-Pierre Leleux et Françoise Férat.
Monsieur Leleux, tout en vous renouvelant mes félicitations pour votre travail, je serai peut-être un peu plus prudent en ce qui concerne en particulier le volet médias et la définition de l’indépendance des sociétés indépendantes, point évoqué notamment par l’orateur précédent.
Je comprends bien ce que j’appellerai votre « sous-jacent », un « sous-jacent » économique. Entendons-nous bien : je ne méconnais pas du tout la signification que vous donnez à ce volet économique et je sais que vous ne vous inscrivez pas dans une logique d’abandon au marché, dans une logique de type mainstream, pour reprendre une terminologie désormais assez classique. On perçoit néanmoins en creux dans les amendements que vous avez déposés une vraie inquiétude quant à la validité du modèle économique des grands médias dans notre pays, quant au destin des grandes radios et des grands médias télévisuels. Mme Mélot rappelait à l’instant la pression que font peser l’évolution et l’exceptionnelle puissance de Google, de YouTube ou de Netflix.
Je comprends parfaitement ce « sous-jacent » et la logique des quotas de diffusion de chansons d’expression française par les radios. En même temps, il faut trouver un équilibre, et ce au nom de l’indépendance de la culture, indépendance qui est même l’un de ses aspects indiscutables. Vous comprendrez donc que les centristes, qui sont par essence indépendants, soient également sensibles à l’indépendance en matière culturelle ou dans le domaine des grands médias.
Madame Férat, vous vous êtes attachée à traiter deux des grands thèmes traités par ce texte : les questions architecturales et les questions patrimoniales. Dans un cas comme dans l’autre, vous avez eu le souci de la qualité. Avec les collègues de mon groupe, nous apprécions vraiment cette recherche de qualité dans la manière de construire dans notre pays, dans la manière de mettre en valeur ou de préserver les paysages.
Je vous sais également gré de ne pas être entrée dans les débats internes aux professions. Notre pays manque cruellement d’une culture architecturale au sens large du terme. Je ne suis pas certain que la réponse consiste à décider quelle profession doit signer tel ou tel document administratif ou d’urbanisme ; la problématique est beaucoup plus large. Vous avez soutenu l’idée que le problème étant plus global, il concernait les architectes, les paysagistes, les urbanistes les géomètres experts, mais aussi les ingénieurs.
Tous ceux qui ont l’expérience de la gestion locale – c'est-à-dire la quasi-totalité d’entre nous – savent combien l’urbain est transversal ; de fait, il n’y a jamais de réponse sectorielle, il n’y a jamais de réponse professionnelle. Ce qui fait la richesse du travail que l’on peut conduire sur le tissu urbain, c’est son caractère transversal, c’est parce que vous-mêmes, dans vos responsabilités locales passées ou présentes, vous avez aggloméré les différentes informations pour essayer de donner le meilleur à vos territoires.
Madame la rapporteur, vous avez eu à traiter enfin la question patrimoniale. Bravo encore pour le travail que vous avez réalisé avec l’ensemble de nos collègues de la commission. Les collègues de notre groupe et moi-même approuvons pleinement votre objectif de préservation et de mise en valeur du patrimoine. Je partage sans réserve l’idée de garder dans notre pays un haut standard de protection du patrimoine et je donne volontiers acte à Mme la ministre d’avoir fait sienne cette approche dans le travail préparatoire à ce projet de loi.
D’une certaine manière, madame la rapporteur, vous avez même presque trop bien réussi.
Il est permis d’observer que, parfois, pour mettre en œuvre certaines mesures, le curseur a été déplacé un peu plus loin. Je voudrais en particulier attirer votre attention sur deux points : il faut, d’une part, ne pas devenir trop jacobin et, d’autre part, ne pas rigidifier à l’excès, ou par excès d’État.
Si je dis qu’il ne faut pas devenir trop jacobin, c’est que je ne partage pas totalement l’idée, largement évoquée, selon laquelle tout ce qui relève des PSMV, des AVAP, est stable et sûr, est quelque chose sur lequel on peut compter, alors que les PLU, ou maintenant les PLUI, seraient frappés d’une sorte d’instabilité chronique ou seraient susceptibles d’évoluer très facilement, ou trop facilement.
Les élus locaux ont le sens du patrimoine. Les intercommunalités ont également le sens du patrimoine de la commune siège de celui-ci. Vous connaissez très bien, mes chers collègues, dans les intercommunalités que vous administrez, la fierté qui existe sur l’ensemble du territoire au regard de tel ou tel élément de patrimoine qui se trouve sur telle ou telle commune de votre secteur géographique.
L’idée selon laquelle la solution résiderait toujours dans le document coproduit par l’État et non dans celui qui est produit par les élus avec les « porter à connaissance » de l’État me paraît quelque peu excessive et un peu trop jacobine, si vous me permettez ce raccourci.
Il convient également de ne pas rigidifier à l’excès en matière patrimoniale.
Vous surestimez peut-être la capacité de l’État à accompagner localement les procédures de création, de révision. Les effectifs sont maintenant très faibles localement, et je doute de la capacité, sur le terrain, de pouvoir réaliser tout ce qui est envisagé.
Vous me semblez sous-estimer les délais, même si, madame la ministre, les choses se sont améliorées pour créer ou pour réviser un PSMV. La situation qu’a connue ma commune où le PSMV n’a été validé qu’au bout de vingt ans n’est plus d’actualité. Pourtant, les révisions de ces documents prennent toujours plusieurs années, et même en 2016, la facilité ne va pas jusqu’à en diminuer les coûts, puisqu’il faut procéder, vous le savez, à des inventaires parcelle par parcelle.
À titre d’exemple, une commune de 51 000 habitants, qu’il m’est permis de connaître un peu plus particulièrement, vient d’amorcer une révision de PSMV pour un coût prévisionnel de 350 000 euros. Les niveaux de contraintes restent donc assez importants : il faut à mon avis en tenir compte pour trouver un juste équilibre entre les servitudes publiques effectivement codécidées par les collectivités et l’État, et les capacités qui sont les nôtres à traiter ces questions dans nos PLU. J’ai bien entendu, madame la ministre, que, tout à l’heure dans votre intervention liminaire, vous avez annoncé que vous feriez une proposition sur ce point.
En définitive, mes chers collègues, il existe une réelle attente sur toutes ces travées, en particulier sur celles du groupe de l’UDI-UC, pour que nos débats permettent de mener à bien le travail d’amendement et, dans le même temps, que nous soyons capables, collectivement, de donner un peu plus d’ambition, un peu plus de souffle à ce projet de loi.
Enfin, un orateur précédent indiquait que la culture était au cœur de son projet politique. Je n’ai pas le sentiment que mes collègues centristes et moi-même avons besoin d’affirmer que la culture est au cœur de notre projet, tant il est évident que, pour des parlementaires passionnés par la décentralisation, par l’humanisme, par l’ouverture à l’international, dotés d’une sensibilité européenne et ayant le sens des équilibres, dotés d’une sensibilité sociale et soucieux de rationalité, tout ce qui tire vers le haut la société a beaucoup de sens. La culture fait partie de l’ADN des centristes, vous pouvez en témoigner quotidiennement, madame la présidente de la commission.
Madame la ministre, même si nous pensons que le texte doit indiscutablement être amélioré, il est probable que le groupe UDI-UC, au regard des résultats qui seront atteints en séance, vote en faveur des dispositions qui nous seront présentées.