Intervention de François Commeinhes

Réunion du 9 février 2016 à 14h30
Liberté de création architecture et patrimoine — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de François CommeinhesFrançois Commeinhes :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, articulé autour de deux grands objectifs, ce projet de loi a la double ambition d’« affirmer et garantir la liberté de création », et de « moderniser la protection du patrimoine ».

C’est sur ce dernier volet que je m’exprimerai, me faisant le porte-parole de beaucoup de maires car ces dispositifs impactent fortement les collectivités.

En juin dernier, le Conseil économique, social et environnemental a souligné avec pertinence le flou qui règne sur la gouvernance des politiques culturelles à venir tant que la réforme territoriale, notamment la loi NOTRe, n’aura pas produit ses effets.

Car, dans sa version votée à l’Assemblée nationale, la volonté de simplification avec la création des cités historiques, voulue par la loi, supprime les verrous de protection du patrimoine national.

Notre assemblée l’a déjà prouvé l’an passé en redonnant une ambition à la loi NOTRe : nous ne sommes pas opposés, et les territoires que nous représentons non plus, à l’évolution des règles.

Toutefois, le patrimoine n’est pas une compétence qui se transfère, mais un bien national qui se protège. En cela, l’État doit rester garant des mesures de protection du bien général, c’est son rôle ! Les règles ne peuvent être que nationales. Censée simplifier les dispositifs de protection existants, la création des cités historiques risque de conduire à un affaiblissement de la protection du patrimoine en décentralisant la compétence de sauvegarde patrimoniale.

Les cités historiques viennent remplacer des outils qui ont fait leur preuve : les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, les ZPPAUP, et les aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine, les AVAP, créées en 2010.

Surtout, ce désengagement de l’État pose le problème du financement de la défense du patrimoine par les collectivités, alors que dans un contexte de baisse de leurs dotations, celles-ci n’en ont pas les moyens. On peut douter à ce sujet de la pérennisation de l’accompagnement financier et technique de l’État.

Je salue le travail de notre commission et de notre corapporteur Françoise Férat en la matière. Ces cités historiques devenues sites patrimoniaux protégés bénéficieront de deux niveaux de protection. Le Sénat propose de rendre leurs caractéristiques aux secteurs sauvegardés et transforme très opportunément la « cité historique » en « site patrimonial protégé », retrouvant ainsi le sillage de la loi Lang. L’État y est fort et présent, aidé par des commissions aux prérogatives renforcées et des documents de protection efficaces.

Le plan de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine sera moins contraignant mais tout de même protecteur, s’inspirant très largement des règles actuellement en vigueur concernant les aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine.

Pourtant, il n’y a pas de raison objective de supprimer les AVAP, d’autant qu’elles n’ont pas fait l’objet d’une évaluation, car cette suppression serait non pas une simplification, mais un affaiblissement des protections patrimoniales.

L’argument consistant à dire que les AVAP n’ont pas rencontré un franc succès ne prend pas en compte les effets de l’annonce depuis 2014 d’un projet de loi pouvant modifier les règles relatives à l’urbanisme patrimonial. Cela eut pour effet « pervers » de geler les initiatives pour transformer les ZPPAUP en AVAP, en les fragilisant également au regard de la date butoir du 15 juillet 2016.

Au-delà, il est nécessaire d’avoir un projet de loi fort pour la protection du patrimoine bâti et non bâti, urbain et rural, qui, par conséquent, va plus loin que les dispositions existantes. Ce n’est pas le cas ici et, comme souvent, le législateur devra, à moyen terme, revoir sa copie et ses ambitions.

À l’instar des positions de l’AMF, j’ai personnellement appelé en commission à la suppression du dispositif des cités historiques dont on ne perçoit nullement l’intérêt, si ce n’est le désengagement de l’État sur le champ de la protection du patrimoine. Les cités historiques n’engagent aucune simplification ni aucune amélioration des dispositifs de protection actuels.

Car oui, le patrimoine est idée d’avenir à conjuguer au temps national ! La décentralisation n’implique pas le renoncement à des règles de protection qui exigent pérennité et harmonisation, et elle ne consiste pas non plus à casser des outils de gestion locale qui ont fait leur preuve…

Avec leurs patrimoines, nos villes et villages possèdent un exceptionnel potentiel économique. Ils permettent à la France d’être la première destination touristique au monde ! Nos quartiers anciens constituent un formidable gisement de logements à reconquérir, gage de développement social et environnemental. Ne cassons pas cette richesse sur l’autel de la rationalisation technocratique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion