Intervention de Yvon Collin

Réunion du 29 mai 2010 à 15h00
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Vote sur l'ensemble

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus, après plusieurs jours d’un débat de haut niveau, au terme de la discussion du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Cette discussion, toujours courtoise, parfois même conviviale, je tiens à le souligner, s’est déroulée dans une réelle ambiance de travail, ce qui a parfois permis de trouver des consensus.

Aussi, au nom de mon groupe, et notamment des différents intervenants du RDSE qui se sont succédé, je tiens à remercier tout particulièrement nos excellents rapporteurs, le président de la commission de l’économie, ainsi que vous-même, monsieur le ministre, non seulement pour votre exceptionnel sens de l’écoute et votre patience, mais aussi pour la qualité et la précision de vos réponses.

Monsieur le ministre, aussi grave que soit le sujet, le débat a malgré tout été serein, sérieux et très riche.

Comme en témoigne notre présence en cette veille de fête des mères – comment l’oublier quand cela a été tant de fois rappelé ?.) –, nous n’avons pas ménagé notre temps. Mais un secteur aussi fondamental pour notre économie et nos territoires ne méritait-il pas que l’on s’y attarde, pour tenter de trouver des solutions, pour sortir de ces crises à la fois structurelles et conjoncturelles ?

L’agriculture française occupe encore aujourd’hui des milliers d’hommes et de femmes, qui s’investissent avec passion, sans compter ni leur temps ni leur peine. Elle dessine la plupart de nos paysages. Dans beaucoup de régions, elle contribue au maintien de la cohésion sociale. Elle constitue le soubassement du secteur agroalimentaire et dynamise le commerce extérieur de notre pays. Et n’oublions pas cette évidence : elle a une fonction alimentaire, laquelle est désormais reconnue et constitue un défi perpétuel.

Toutes ces dimensions imposent que l’on appréhende l’agriculture comme un secteur d’avenir et non comme une activité en perdition. Le France demeure et demeurera une grande nation agricole, tout le monde ici, je le crois, en est intimement convaincu.

Pourtant, comme l’écrivait déjà Voltaire, « on a trouvé, en bonne politique, le secret de faire mourir de faim ceux qui, en cultivant la terre, font vivre les autres ». Il serait sans doute excessif de prétendre que cette phrase d’un autre siècle est toujours d’actualité, mais elle n’en reflète pas moins une part de la réalité d’aujourd'hui : pour de nombreux agriculteurs, obtenir des prix rémunérateurs pour leurs produits et retirer de leur travail des revenus décents est malheureusement un combat quotidien et difficile, les crises qui frappent les exploitants étant multiformes. Aléas climatiques, crises sanitaires, volatilité des cours : les agriculteurs doivent se battre sur tous les fronts. Au fil des décennies, les embellies sont de plus en plus rares et réservées à quelques filières qui font figure d’exceptions.

La triste réalité, nous la connaissons : en 2009, toutes productions confondues, le revenu des chefs d’exploitation a chuté de 32 %. Dans mon département, les arboriculteurs ont subi des pertes atteignant 50 % !

Je le répète, l’agriculture joue un rôle stratégique. Elle ne laisse donc pas les pouvoirs publics indifférents. Cependant, les plans de soutien et les lois d’orientation se succèdent sans parvenir à la sanctuariser. Les textes ont souvent un temps de retard : plutôt que de prévenir les crises, ils servent d’abord à les amortir. C’est bien cette dimension prospective qu’il nous faut parvenir à retrouver.

À l’issue de nos débats en commission et en séance publique, le présent projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche nous entraîne-t-il, cette fois-ci, dans la bonne voie ?

Beaucoup de modifications substantielles ont été apportées au texte initial, le rendant souvent plus pertinent, mais, hélas ! encore peu convaincant, ce qui donne parfois le sentiment d’un travail inachevé. De ce point de vue, nous ne pouvons que regretter l’absence d’une deuxième lecture du fait de l’engagement par le Gouvernement de la procédure accélérée.

Une fois de plus, je crains qu’on ne confonde vitesse et précipitation ! C’est donc aux travaux de l’Assemblée nationale que nous devons nous en remettre pour que ce texte aille plus loin, en espérant surtout que nos collègues députés ne reviendront pas sur les apports du Sénat, et notamment sur l’adoption des amendements présentés par le groupe du RDSE. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour « veiller au grain », si j’ose dire !

Nous avons ainsi renforcé la politique de l’alimentation, avec les dispositifs relatifs aux circuits courts et aux marchés publics. Nous avons également amélioré le texte sur la question des relations entre les acheteurs et les producteurs, au bénéfice de ces derniers. Le groupe du RDSE avait déposé, sur cette question, des amendements, dont certains ont été satisfaits : les progrès concernant les accords de modération des marges et la taxe additionnelle à la TASCOM en font partie. L’importance du stockage de l’eau est enfin reconnue, et l’adoption, dans une belle et touchante unanimité, de mon amendement portant sur ce point est une source de réelle satisfaction.

Enfin, en tant qu’auteur d’une proposition de loi sur l’assurance récolte, je dois reconnaître, monsieur le ministre, l’esprit d’ouverture dont vous avez fait preuve sur ce sujet, notamment au travers de l’amendement du Gouvernement sur la réassurance publique. Ce progrès indéniable a été salué sur tous les travées. La volonté d’avancer a été unanime et, au-delà des clivages partisans, c’est bien l’œuvre du Sénat tout entier ; il faut s’en réjouir !

Pour autant, la majorité des membres de mon groupe a quelques regrets. Sur la contractualisation, notamment, nous restons sur notre faim. Le volet foncier ne nous semble pas en mesure de stopper la déprise agricole. La politique d’installation menée en direction des jeunes, malgré des avancées notables, n’est pas encore suffisamment dynamique. L’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ne disposera pas de tous les moyens qui lui sont nécessaires pour mener à bien sa mission. Le risque existe que nous en restions, une fois de plus, au stade des discours, fussent-ils présidentiels, et de la bonne volonté affichée.

Au terme de notre discussion, l’appréciation que mon groupe porte sur ce texte pourrait se résumer ainsi : « Des progrès, mais peut mieux faire. »

Au fond, je dois le dire, ma grande inquiétude se situe ailleurs. Tant qu’on n’en reviendra pas à une agriculture régulée à l’échelle européenne, avec la PAC, et surtout au niveau mondial, avec l’OMC, ainsi que me le rappelait encore récemment notre excellent collègue Jean-Pierre Chevènement, nos dispositifs franco-français resteront autant de coups d’épée dans l’eau.

Aussi, nous souhaitons que le Gouvernement français se mobilise, comme il a su le faire pour les banques. Il doit déployer la même énergie pour convaincre nos partenaires qu’on ne peut pas continuer à exiger des normes sociales, sanitaires et environnementales pour quelques pays seulement. Le principe de concurrence loyale devra être mieux défini dans les instances commerciales internationales. Comme en matière économique, il nous faut parvenir à une coordination des politiques agricoles à une échelle supranationale, et même mondiale.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la grande majorité des membres du groupe du RDSE, tentée par l’abstention, s’opposera finalement à ce projet de loi, qui ne porte pas suffisamment l’espoir d’une agriculture retrouvant les moyens de produire dans la sérénité, pas plus qu’il n’apporte à nos agriculteurs la certitude de pouvoir vivre de leurs productions et donc de leur travail. Le reste du groupe se partagera entre l’abstention et le vote positif.

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