Je voudrais d’abord répondre très cordialement à mon excellent collègue David Assouline que je n’ai pas de phobie de l’État ! J’ai une particularité que je partage avec nombre de mes collègues dans cette enceinte : je l’ai servi sous l’uniforme comme sous-lieutenant, modestement, puis toujours sous l’uniforme comme sous-préfet. Je n’ai jamais été ni lieutenant ni préfet parce que j’ai fait le choix de la liberté, en confiant ma carrière aux électeurs, qui m’ont confirmé dans mon mandat.
Mais il se trouve que j’ai administré, sans revendiquer aucune compétence culturelle, la maison des jeunes et de la culture d’Amiens lorsque j’étais sous-préfet. Comme président de région, j’ai également présidé – cela va faire sourire ! – aux destinées du Ballet de Lorraine, pour lequel je n’avais pas de compétences particulières.
J’ai néanmoins vécu en complicité avec tous ceux qui sur le terrain, au titre des collectivités locales – communes, départements, régions –, et même si la loi ne leur en faisait pas obligation ou devoir, soutenaient des politiques de développement culturel local.
Cela étant, l’article 3 me pose un problème. Vous avez eu raison, mon cher collègue, de rappeler le formidable travail d’André Malraux, qui a créé les premières maisons de la culture dans notre pays pour chasser « le mot hideux de province » – je le cite, lui qui d’ailleurs était parisien et qui n’a jamais vécu en province. Mais quand l’État agissait, il le faisait en assurant le financement.
Ce qui me gêne dans cet article, et Jean-Pierre Leleux vient de le dire, c’est que l’État se propose de labelliser, c’est-à-dire qu’il revendique une autorité de compétence, une autorité morale, une autorité intellectuelle pour distinguer le bien du mal, sans prendre aucun engagement financier. Or si vous n’obtenez pas la labellisation, vous risquez d’être considéré par vos partenaires locaux ou par vos partenaires privés locaux comme étant une institution de deuxième zone, non reconnue, et donc non méritante.
Comme, par ailleurs, les institutions culturelles ont du mal à trouver des mécénats privés dans les circonstances économiques que nous connaissons, j’ai peur que le fait de ne pas obtenir de labellisation – une décision de l’État – ne conduise à ce que des initiatives locales soient en quelque sorte sanctionnées et privées de soutiens locaux auxquels elles auraient pu prétendre, mais qui leur seront inaccessibles faute de label.
Madame le ministre, je déclare solennellement que la labellisation est, comme l’enfer, pavée de bonnes intentions. Je ne vois pas comment elle fonctionnera, mais, en revanche, j’en vois certains dangers.
Comme je n’ai pas participé, mes chers collègues, aux travaux de la commission, je me contenterai de m’abstenir sur cet amendement, mais je tenais à attirer votre attention sur les dangers de cette labellisation sans contrepartie et sans engagement de l’État, si ce n’est un jugement moral sur l’action du terrain.