Intervention de Éric Doligé

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 février 2016 à 9h32
Approbation de l'accord entre le gouvernement de la république française et le conseil fédéral suisse modifiant le protocole additionnel à la convention entre la france et la suisse du 9 septembre 1966 modifiée en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Éric DoligéÉric Doligé, rapporteur :

Nous examinons ce matin deux conventions fiscales, l'une, avec la Suisse, sur le sujet particulier de l'échange d'informations, et l'autre, avec Singapour, de portée générale. L'Assemblée nationale a déjà examiné ces deux textes.

Il n'est pas nécessaire de rappeler - l'actualité s'en charge pour nous - combien une bonne coopération fiscale avec la Suisse est importante. Un seul chiffre permet de prendre toute la mesure des enjeux : 85 % des 45 000 régularisations effectuées depuis 2013 auprès du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives (STDR) proviennent de la Confédération helvétique. En février 2015, l'affaire « Swiss Leaks » révélait un vaste système de fraude fiscale organisée par la banque HSBC. En janvier 2016, les médias faisaient état de près de 38 000 comptes non déclarés, soit près de 12 milliards d'euros, détenus par des citoyens français auprès de la banque UBS.

Pourtant, les échanges de renseignements fiscaux entre la France et la Suisse sont, depuis 2009, régis par un dispositif juridique conforme aux derniers standards de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). La convention fiscale bilatérale de 1966, modifiée par un avenant du 27 août 2009, prévoit un mécanisme d'échange d'informations « à la demande », c'est-à-dire au cas par cas, grâce auquel l'État requérant peut obtenir des éléments de nature à prouver que certaines bases fiscales ont été illégalement soustraites à l'impôt.

En dépit de cette règle, la coopération demeurait difficile. En effet, la ratification de cet avenant avait été conditionnée par la Suisse à la signature d'un échange de lettres, daté du 11 février 2010, qui paraphrase l'avenant par des formulations ambiguës. Alors qu'il aurait pu être utilisé par la France pour appuyer ses demandes, cet échange de lettres est en pratique invoqué par la Suisse pour écarter de nombreuses requêtes, jugées « non vraisemblablement pertinentes » ou contraires à un « principe de proportionnalité ».

Le problème porte sur deux points précis. La Suisse se fonde sur l'échange de lettres, d'une part, pour interpréter strictement l'obligation de fournir le nom et l'adresse du contribuable visé - ce qui a notamment pour conséquence d'interdire à la France d'effectuer des « demandes groupées » sur plusieurs personnes à la fois, pourtant très utiles dans le cas d'entités liées entre elles ; d'autre part, pour imposer l'identification préalable de la banque ou l'établissement qui détient les informations, ce que par définition l'administration française ignore fréquemment. À défaut de ces éléments, la Suisse ne s'estime pas liée par les demandes.

C'est très précisément à ces insuffisances que s'est heurtée la demande effectuée par la France le 24 janvier 2013 dans le cadre de ce qui est devenu « l'affaire Cahuzac ». D'une manière générale, l'attitude vétilleuse des autorités suisses a bien souvent cette conséquence de rendre les réponses inutilisables - si elles sont transmises. Sur les 426 demandes effectuées entre le 1er janvier 2011 et le 15 avril 2013, seules 29 réponses ont été reçues par la France - soit 6,5 % du total - et 6 ont été jugées satisfaisantes.

Avec la modification des commentaires de l'OCDE sur son modèle et plus généralement la pression internationale croissante sur la Suisse, la mise en conformité du dispositif est devenue possible, et même inévitable. La négociation a toutefois pris du retard, en raison du rejet en 2014 par le Parlement suisse de la nouvelle convention bilatérale sur les successions, dans laquelle avait été inclus le nouveau dispositif. Il a donc été décidé d'élaborer un texte spécifique, qui a abouti au présent accord du 25 juin 2014.

Cet accord prévoit trois avancées notables.

Premièrement, il assouplit les conditions d'identification de la personne visée par la demande : celle-ci doit toujours être « identifiée », mais plus forcément par son nom et son adresse. Ceci constitue une réponse à la dissimulation parfois grossière du bénéficiaire effectif des avoirs derrière un prête-nom ou une structure intermédiaire. Par ailleurs, elle ouvre la possibilité de procéder à des « demandes groupées », conformément à une demande récurrente de la France et aux recommandations de l'OCDE.

Deuxièmement, cet accord met fin à l'obligation d'identifier au préalable l'établissement financier qui détient les informations recherchées. Le nom et l'adresse de la banque ne seront fournis par l'autorité requérante que dans la mesure où ils sont connus : en fait, c'est déjà ce que dit l'accord actuel, mais la nouvelle formulation « efface » son interprétation restrictive.

Troisièmement, l'accord prévoit une clause de portée générale, qui stipule que les éléments de la convention et du protocole « doivent être interprétés de manière à ne pas faire obstacle à un échange effectif de renseignements ». Il s'agit d'une sorte de précaution supplémentaire, recommandée par l'OCDE, et qui devrait prévenir d'éventuelles interprétations restrictives à l'avenir.

Ces trois améliorations sont de nature à éviter que l'administration suisse ne se dérobe. Cet accord s'applique aux faits survenus à compter du 1er février 2013, une portée rétroactive qui correspond opportunément au délai de prescription fiscale.

Bien sûr, le présent accord se limite à améliorer l'échange « à la demande » entre les deux pays, dispositif qui conserve sa faiblesse intrinsèque : il suppose de savoir au préalable ce que l'on cherche, ce qui est par définition rarement le cas, et repose in fine sur la bonne volonté des autorités interrogées.

Toutefois, il est raisonnable d'espérer que la Suisse mette en oeuvre l'échange automatique d'informations d'ici à 2018, comme elle s'y est engagée, avec 94 autres pays, le 29 octobre 2014 à Berlin, et comme elle le pratique déjà avec les États-Unis dans le cadre de la loi « FATCA » (Foreign Account Tax Compliance Act). La loi fédérale a été récemment modifiée afin de permettre la mise en oeuvre de ce dispositif, qui signe véritablement la fin du secret bancaire. L'échange automatique oblige en effet les États à transmettre de leur propre initiative et de façon exhaustive les informations concernant les comptes détenus par des non-résidents, conformément à une « norme commune de déclaration » particulièrement exigeante présentée par l'OCDE l'année dernière.

La réelle amélioration de la coopération fiscale avec la Suisse devra bien sûr être confirmée dans les prochaines années, mais les premiers effets sont indéniables. La perspective de la levée du secret bancaire a d'ores et déjà conduit près de 45 000 « repentis » à se manifester auprès du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives (STDR) depuis 2013, produisant 1,9 milliard d'euros de recettes en 2014, 2,7 milliards d'euros en 2015, et probablement 2,1 milliards d'euros en 2016. La place de Genève, qui ne fait pas mystère de ces bouleversements, incite désormais ses clients à régulariser leur situation.

Nous n'en attendons qu'avec davantage d'impatience les chiffres du « jaune » budgétaire sur la coopération fiscale de la France avec ses partenaires... qui n'est étrangement plus disponible depuis deux ans. Compte tenu du contexte, j'interrogerai le ministre en séance publique à ce sujet.

Si le renforcement simultané de l'échange à la demande et de l'échange automatique ne mettra pas fin à la fraude fiscale internationale, il constitue néanmoins un progrès très important, qui aurait été difficilement concevable il y a seulement deux ou trois ans. C'est pourquoi toutes les initiatives politiques qui vont en ce sens doivent être soutenues avec constance et détermination.

Compte tenu de ces observations, je vous propose donc d'adopter le présent projet de loi.

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