Notre commission a été saisie de la proposition de résolution européenne n° 346 de Mme Keller adoptée à l'unanimité le 28 janvier par la commission des affaires européennes.
En vertu du règlement du Sénat, nous allons adopter à l'issue de notre réunion une proposition de résolution qui deviendra automatiquement la résolution du Sénat dans les trois jours francs suivant sa publication si personne ne demande son examen en séance, c'est-à-dire à temps pour que notre gouvernement puisse s'en prévaloir en vue du Conseil européen des 18 et 19 février où seront discutées les propositions du « paquet Tusk » en réponse aux demandes formulées par le gouvernement britannique.
L'objet de cette résolution est de rappeler l'attachement du Sénat aux principes fondateurs de l'Union, en soutien de la position du gouvernement dans le cadre des négociations avec le Royaume-Uni, sans trop fermer la négociation mais en fixant des lignes rouges.
L'euroscepticisme croissant au Royaume-Uni depuis les années 1990 et l'émergence du Parti de l'indépendance (UKIP) ont conduit le Premier ministre David Cameron, le 23 janvier 2013, à annoncer que s'il remportait les élections législatives générales de 2015, il organiserait un référendum avant 2017 sur la question du maintien ou non du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Le 7 mai 2015, la victoire acquise, le principe du référendum l'était donc aussi. Le Royaume Uni a mené un audit sur la répartition des compétences entre l'Union et le Royaume-Uni, audit qui n'a pas été suivi de réforme drastique de l'Union européenne. Le 9 novembre 2015, David Cameron a donc adressé au Président du Conseil européen, M. Donald Tusk, une lettre faisant état des réformes que le Royaume-Uni souhaitait voir aboutir avant de confirmer son appartenance à l'Union.
Quatre axes de réforme, ou « corbeilles », sont présentés. La « corbeille » compétitivité propose d'approfondir le marché unique en l'élargissant aux secteurs du numérique, des services, des transports et de l'énergie, de réduire la réglementation et de multiplier les accords commerciaux avec des pays comme les États-Unis, la Chine et le Japon. La deuxième « corbeille » traite de la protection des États hors zone euro, en d'autres termes, de la protection des intérêts de la City. L'idée est que les États hors zone euro puissent prendre part ou être associés aux décisions relatives à la zone euro.
La troisième « corbeille » a trait à la souveraineté, déclinée en deux axes : le renforcement des pouvoirs des Parlements nationaux et la modification de la référence à « une union toujours plus étroite » entre les peuples européens, vue par les Britanniques comme une pente inéluctable vers une l'Union européenne fédérale dont ils ne veulent pas.
Enfin, les Britanniques demandent l'aménagement du principe de libre circulation des personnes avec la possibilité d'instaurer un délai de quatre ans avant que les travailleurs européens, non-britanniques, bénéficient des allocations liées notamment à l'emploi. C'est un point sensible pour l'opinion publique britannique, comme nous l'a rappelé la semaine dernière notre ambassadrice à Londres et comme me l'a également dit, il y a quelques jours, le nouvel ambassadeur britannique à Paris.
David Cameron s'est engagé à faire campagne pour le maintien du Royaume-Uni dans l'Union à la condition impérative d'obtenir de réelles avancées sur toutes ces demandes de réformes transmises au président du Conseil.
Une négociation en format très resserré, réunissant huit représentants du Conseil européen et du Royaume-Uni, a débouché sur la présentation du « paquet Tusk » le 2 février. Composé de plusieurs textes qui figurent dans mon rapport, ce paquet comprend l'annonce d'efforts pour accroître la compétitivité, simplifier la législation et réduire les obstacles aux échanges commerciaux dans les secteurs de l'énergie et du numérique. Il prévoit aussi l'instauration d'une clause d'exemption d'application de la clause d'union étroite au Royaume-Uni et à lui seul. Enfin, ce « paquet » prévoit la création d'un mécanisme de « carton rouge », permettant aux Parlements nationaux, s'ils sont suffisamment nombreux - sans doute 55 % d'entre eux - de s'opposer à une initiative législative de la Commission européenne.
Les demandes dans le domaine de la souveraineté trouveraient là satisfaction, sans que les lignes rouges de la position française soient franchies. En effet, le renforcement des droits des Parlements nationaux se ferait dans le respect des répartitions de compétences entre eux et la Commission européenne.
En revanche, des discussions devront encore avoir lieu avant le prochain Conseil européen dans divers domaines. En ce qui concerne la protection des États hors zone euro, la lettre du président Donald Tusk prévoit la création d'un mécanisme garantissant aux pays non membres de la zone euro que leurs intérêts seront pris en compte. Les conditions d'application de ce mécanisme doivent encore être discutées. Il est toutefois bien précisé que ce dispositif ne peut pas constituer un veto ni contribuer à reporter des décisions urgentes pour la sécurité financière et l'équilibre économique de la zone euro. Pour ce qui relève de l'aménagement du principe de libre circulation des personnes, Bruxelles propose un mécanisme dit de « frein d'urgence » pour les mesures de sécurité sociale dont bénéficient les travailleurs migrants communautaires. Ce mécanisme ne serait mis en oeuvre que pour répondre à une situation exceptionnelle et probablement en lien avec les autorités européennes. En revanche, il ne devrait pas être réservé au seul Royaume-Uni, mais ouvert à tous les pays membres, sous réserve qu'il s'agisse de faire face à un afflux de travailleurs d'autres États membres d'une magnitude exceptionnelle et d'une durée prolongée.
Avant de devenir définitif, le « paquet Tusk » sera débattu par l'ensemble des chefs d'État et de gouvernement lors du Conseil européen des 18 et 19 février. En cas de désaccord, un Conseil européen supplémentaire pourrait être organisé avant fin février. Ce calendrier permettrait au Royaume-Uni de tenir son référendum sur l'appartenance à l'Union à la fin juin 2016, avant les congés annuels tout en respectant le délai de quatre mois prévus par la procédure législative organisant le référendum.
Ces contraintes d'agenda ajoutent une pression supplémentaire aux négociations à Bruxelles mais elles permettent de clore plus vite ce chapitre tourmenté de l'histoire de l'Union.
J'en viens à la proposition de résolution adoptée le 28 janvier. Elle n'est pas rendue caduque par le « paquet Tusk » rendu public le 2 février, dans la mesure où ce texte se situe au niveau de grands principes et non pas dans le détail technique des différentes dispositions. Notre texte rappelle nos priorités dans les négociations, sans interférer dans le processus des discussions techniques et il laisse toute la souplesse nécessaire pour parvenir à un accord négocié. Cette proposition de résolution rappelle les invariants politiques sur lesquels aucune marge de négociation n'est envisageable. Alors que le projet européen est fragilisé par l'accroissement de la dette, la crise des réfugiés et la montée de l'insécurité aux frontières de l'Union, la proposition de résolution rappelle opportunément que les régimes dérogatoires ne sauraient être la règle au sein de l'Union, affirme le souhait que le Royaume-Uni reste membre de l'Union et rappelle que sa sortie serait de nature à porter atteinte à la cohésion européenne. D'ailleurs, notre texte donne acte des demandes du Royaume-Uni tout en soulignant que les réformes, si elles étaient adoptées, ne pourraient être envisagées que dans le strict respect des principes fondateurs de l'Union auxquels le Sénat est attaché : l'union entre les peuples, la souveraineté et la liberté de circulation des personnes.
Cette proposition fixe les lignes rouges que la négociation ne saurait franchir. Ainsi, le principe de libre circulation des personnes est réaffirmé dans une rédaction qui vise explicitement le mécanisme de « frein d'urgence » prévu par le « paquet Tusk ».
Est également réaffirmé l'attachement au principe d'une « union toujours plus étroite entre les peuples ». Il est bien souligné que ce principe, fondement du projet européen, est conforme à la vision politique que défend la France au sein de l'Union. La suite du texte rappelle que la délimitation des compétences de l'Union découle du droit écrit des traités et repose sur les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Le mécanisme de « carton rouge » proposé par le « paquet Tusk » renforcerait naturellement le rôle des Parlements nationaux, ce qui est un principe que nous pouvons soutenir, tout en respectant les prérogatives reconnues à la Commission et au Parlement européen par les traités.
Les principes fondant l'action économique, financière et monétaire de l'Union sont défendus par cette proposition de résolution qui rappelle que l'euro est la monnaie unique de l'Union, aux termes des traités, ce qui n'est pas remis en cause par le « paquet Tusk ». La proposition interdit la reconnaissance de manière officielle, fût-ce par un simple protocole, du fait que la coexistence actuelle de plusieurs monnaies dans l'Union puisse devenir la norme. Elle souligne que les mesures de réassurance accordée aux États non membres de la zone euro garantissent l'intégrité de la zone euro et son autonomie de décision.
Les positions françaises sont bien reprises dans la lettre du président du Conseil européen Donald Tusk. La proposition appelle de ses voeux une Europe plus compétitive dans le respect d'une concurrence loyale et une convergence fiscale et sociale. Cette rédaction, conforme aux traités régissant l'Union, n'appelle pas de remarques particulières. Il est aussi précisé que le Sénat soutient la proposition britannique d'approfondir le marché unique en harmonisant les marchés de capitaux et en créant un marché unique du numérique et de l'énergie.
La proposition de résolution souligne enfin l'importance d'outils de régulation et de transparence. La commission des affaires européennes souhaite envoyer un message mais ne pas gêner le Gouvernement dans les négociations. Je vous propose de soutenir ce texte équilibré, adopté à l'unanimité des groupes politiques lors de sa discussion à la commission des affaires européennes.
En complément de ce texte très complet, je vous soumets une proposition d'amendement afin de mieux faire référence aux enjeux de la politique de sécurité et de défense de l'Union, qui sont cités trop rapidement. Si l'Europe s'est construite autour de l'économie et de l'agriculture, les enjeux de sécurité et de défense, aujourd'hui essentiels, doivent être renforcés. Mon amendement insiste sur l'importance des défis sécuritaires auxquels l'Union doit faire face.
Au sein de l'Union, le Royaume-Uni a un rôle particulier en matière de défense et de politique étrangère. Membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, il dispose d'une diplomatie globale, d'une armée à la compétence reconnue et d'une tradition de projection extérieure. Nos deux pays collaborent de façon très étroite, dans le cadre du traité de Lancaster House de 2010, dans les domaines de la sécurité et de la défense. C'est avec le Royaume-Uni que la France est intervenue en Libye en 2011. Les conflits au Moyen-Orient et la lutte contre le terrorisme ont été l'occasion d'échanges fructueux et constructifs avec la diplomatie et les services de renseignement britanniques.
Il est évident que la sortie du Royaume-Uni de l'Union ne favoriserait pas la construction d'une réponse européenne adaptée aux défis sécuritaires qui nous menacent. Certes, la coopération franco-britannique pourrait se poursuivre sur un plan bilatéral, mais elle ne serait pas alors une force d'entraînement pour les autres États membres, ce que notre commission appelle de ses voeux.
C'est aussi pour cette raison qu'il convient de chercher un aboutissement favorable aux négociations engagées entre le Royaume-Uni et l'Union, tout en rappelant l'importance du renforcement des moyens consacrés aux politiques de défense et de sécurité par chaque État membre. Je vous propose donc de compléter l'alinéa 7 ainsi : « Considérant que l'Union européenne, face à l'accroissement des menaces extérieures, doit replacer la sécurité en tête de ses priorités, et que les pays membres de l'Union européenne doivent se fixer comme objectif prioritaire de consacrer 2 % de leur PIB au budget de défense, 20 % de cet effort devant bénéficier aux dépenses d'investissement ». Cet alinéa supplémentaire marquerait l'attachement de la France à sa politique de défense et à la nécessité d'aller de l'avant. Sous réserve de cet ajout, je vous propose d'adopter la proposition de résolution.