Intervention de Didier Migaud

Réunion du 11 février 2016 à 10h30
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Bien sûr, cette avancée ne vaut pas seulement en cas de sinistre et doit encore être confirmée dans le texte qui sera adopté définitivement.

Dans son rapport public annuel 2016, la Cour fait le point sur l’exercice de ses compétences, notamment l’évaluation des politiques publiques, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le président. Nous avons répondu à un certain nombre de demandes émanant de l’Assemblée nationale et du Sénat, et je profite de l’occasion pour me réjouir de la qualité des relations entre la Cour et le Parlement, qui témoigne de l’intensité et de la portée de la mission d’assistance de la juridiction à la représentation nationale. Je pense tout particulièrement à la qualité de nos relations avec les commissions des finances et des affaires sociales du Sénat.

J’en viens au premier message de la Cour : la situation des finances publiques s’améliore, mais cette amélioration est encore lente, limitée et fragile. La situation reste, en conséquence, source de préoccupations, voire d’inquiétudes.

La Cour relève la difficulté rencontrée pour redresser cette situation plus nettement et plus durablement, malgré les efforts entrepris. Selon les dernières prévisions du Gouvernement, les objectifs de réduction des déficits publics auraient été tenus l’an dernier. Les résultats devraient même être meilleurs que prévu. Pour autant, cette baisse est restée lente et limitée.

La prévision gouvernementale de maîtrise des déficits pour 2016 est plus ambitieuse qu’en 2015. La réalisation de cet objectif reste malgré tout incertaine, et ce pour trois raisons.

Tout d’abord, les hypothèses d’inflation et de hausse de la masse salariale du secteur privé – les prévisions de recettes fiscales et sociales – paraissent surestimées. Les prévisions toutes récentes de la Commission européenne viennent d’ailleurs de confirmer ce risque.

Ensuite, le choix de sous-doter certaines dépenses de l’État dans la programmation budgétaire initiale fait peser des risques de dépassement. Des urgences prévisibles en cours d’année, comme le plan pour l’emploi et la formation annoncé par le Gouvernement ces dernières semaines, sont susceptibles d’accentuer ces risques.

Enfin, l’objectif retenu pour la croissance des dépenses sociales sera également difficile à tenir. Une partie des économies attendues en matière de régimes de retraite complémentaire et d’assurance chômage pourrait ne pas être au rendez-vous cette année.

La Cour se réjouit évidemment de la perspective d’un retour à des conditions économiques un peu plus favorables, mais la prudence reste de mise. En 2016, le déficit public devrait rester supérieur à 3 points de PIB. La dette publique approcherait 100 points de PIB. Cette situation n’autorise aucun relâchement des efforts.

La réduction des déficits publics ne peut en effet pas seulement reposer sur l’amélioration des recettes permise par une amélioration conjoncturelle. Elle doit aussi résulter d’une action résolue sur le besoin de financement structurel de toutes les administrations publiques : État, collectivités territoriales, sécurité sociale. Dans ce dernier cas, nous ne pouvons pas nous satisfaire, collectivement, d’un déficit durable des comptes sociaux, destiné uniquement à financer des dépenses courantes.

Une fois de plus, la question n’est pas, pour la Cour des comptes, de tenir une position dogmatique ni de recommander à toute force de réduire les crédits nécessaires à l’exercice de missions prioritaires. La question qui se pose est celle de l’efficacité et de l’efficience de la dépense publique, et de la pertinence de crédits alloués à des missions ou des structures dont l’utilité n’est plus aussi démontrée.

Il faut mettre en regard les moyens consacrés et les résultats effectivement obtenus, avant de décider d’un éventuel maintien, voire d’un abondement de ces moyens. L’augmentation des dépenses ne doit pas être la principale, voire la seule réponse, à chaque fois qu’un problème est identifié, au risque de perdre de vue l’exigence d’efficacité et d’efficience de l’action publique.

Au total, la maîtrise des déficits et du poids de la dette publique doit être poursuivie avec vigueur. Dans le cas contraire, la France risquerait d’être à l’avenir encore plus contrainte dans l’utilisation de l’instrument budgétaire.

Il y a un mois, lors de l’audience solennelle de la Cour, j’évoquais la capacité de la France à procéder à des choix souverains de politique publique, à dégager des marges de manœuvre pour faire face aux priorités du temps. Il faut reconnaître que cette capacité reste entravée par la situation des finances publiques.

Plusieurs insertions du rapport public annuel 2016 illustrent parfaitement la difficulté parfois rencontrée dans la répartition des moyens consacrés à des missions régaliennes. C’est notamment le cas du contrôle de légalité et du contrôle budgétaire des actes des collectivités territoriales. Notre rapport démontre que, sans modernisation de l’organisation et des modes de fonctionnement, la réduction uniforme des moyens est inefficace. Plus grave encore, elle peut fragiliser, voire remettre en cause, l’exercice de certaines missions pourtant essentielles.

J’en arrive au deuxième message de la Cour, fil rouge du rapport : l’urgence de moderniser les services publics appelle des choix déterminés et une mise en œuvre méthodique.

Cette méthode se fonde sur des principes de bon sens : une réforme réussie repose sur une bonne anticipation des besoins, une identification correcte des investissements pertinents, une conduite rigoureuse et un accompagnement du changement selon le calendrier approprié, c’est-à-dire sans précipitation, mais sans immobilisme.

Le cas des transports ferroviaires en Île-de-France et celui de la politique de maintenance des centrales nucléaires illustrent tout à fait la nécessité, pour les pouvoirs publics, de choisir avec rigueur et de hiérarchiser les investissements à consentir dans la durée.

Par ailleurs, je suis souvent amené, au nom des juridictions financières, à évoquer la question de la pertinence des dépenses d’investissements. Contrairement à une idée reçue, ces dernières ne sont pas vertueuses par principe. L’investissement est vertueux quand il répond à un besoin collectif, lorsqu’il est produit avec le souci de l’efficacité et de l’efficience, et dès lors que les dépenses de fonctionnement qu’il entraîne ont été correctement anticipées. Or le rapport public annuel 2016 offre de nouvelles illustrations d’investissements dont la pertinence n’est pas démontrée.

Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, une mauvaise idée fait le plus souvent une mauvaise réforme, alors qu’une idée qui n’est pas mauvaise en soi ne fait pas nécessairement une bonne réforme.

La Cour analyse ainsi les raisons de l’échec du contrat de génération. Ce dispositif pouvait a priori apparaître comme une bonne idée. La multiplication des objectifs poursuivis et la complexité du dispositif finalement adopté lui ont toutefois porté préjudice : les entreprises l’ont perçu comme une contrainte supplémentaire, et ne l’ont pas vraiment adopté. Ainsi, alors que 220 000 contrats de génération étaient attendus en juillet 2015, seuls 40 300 d’entre eux ont été signés.

La fusion entre Transdev et Veolia Transport constitue une autre opération mal conçue. Son bilan est très négatif à court terme pour la Caisse des dépôts et consignations, dont le choix stratégique devra, bien sûr, être apprécié sur le long terme.

Les juridictions financières sont conduites, dans leurs travaux, à étudier la capacité des gestionnaires publics à mener les projets ambitieux décidés jusqu’au bout de la logique qui les sous-tend. Le cas du versement de la solde des militaires est illustratif de la difficulté parfois rencontrée pour mener une réforme à son terme, surtout lorsque celle-ci passe par la refonte d’un système d’information.

L’exemple des facteurs, dont la profession est confrontée à la baisse du volume de courrier, ou celui de l’archéologie préventive appellent à aller plus loin dans l’effort de modernisation et d’adaptation.

Autre enseignement de nos contrôles : une réforme, une fois décidée, gagne à être menée rapidement et résolument. Faute d’un bon calendrier et d’un bon rythme, le résultat est souvent éloigné de l’objectif fixé, et plus coûteux. Lorsque des réformes ont été engagées, leur conduite suppose que le cap soit maintenu. C’est notamment le cas de la réforme des organismes payeurs des aides agricoles, caractérisée par des retards.

La réforme de l’inspection du travail montre, par défaut, l’utilité des réflexes de bon sens que je viens d’énumérer. Il est sans doute regrettable que ce service ait connu depuis dix ans des réformes successives, dont les finalités n’ont été que progressivement définies. Le climat de travail et les résultats en ont été affectés. La Cour recommande que cette modernisation soit désormais menée à son terme rapidement.

Nos contrôles mettent en évidence la nécessité d’une plus grande clarté, d’une plus grande sélectivité, d’une plus grande efficacité et d’une plus grande efficience de l’action publique, afin de répondre aux attentes de nos concitoyens et d’atteindre les objectifs que vous fixez. C’est mon troisième et dernier message.

Pour répondre à ces attentes, les pouvoirs publics doivent envisager la suppression des structures qui ne démontrent plus leur utilité, clarifier les orientations des politiques publiques qu’ils lancent et s’y tenir, et susciter, enfin, un sursaut de responsabilité individuelle et collective.

Deux structures publiques font l’objet d’une analyse dans le rapport public annuel 2016, qui conclut à la nécessité de programmer très rapidement leur extinction.

Le premier est l’Institut français du cheval et de l’équitation ; le second est le Fonds de solidarité, dont les missions de collecte pourraient être confiées à un réseau de recouvrement tel que celui de la direction générale des finances publiques ou de l’ACOSS, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale.

Qu’il n’y ait pas de malentendu : nous ne proposons pas de supprimer les prestations de solidarité, mais le Fonds de solidarité est un organisme de collecte dont les missions pourraient tout à fait être assurées par d’autres organismes de collecte existants.

Plusieurs politiques publiques pâtissent par ailleurs du manque de clarté des orientations retenues, voire de la difficulté à s’y tenir. Le rapport évoque les théâtres nationaux ou encore la politique de la ville.

La Cour revient aussi sur le Centre national de la fonction publique territoriale, le CNFPT, qui fonctionne comme un établissement public sans tutelle. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pourriez être fondés à adapter le niveau de ses ressources en fonction de son activité et des conditions de leur emploi. En ce sens, la baisse du plafond de la cotisation, que vous avez incluse dans la loi de finances de 2016, est une incitation forte à améliorer l’efficience de cet organisme, eu égard aux marges de manœuvre dont il dispose. Tel est, en tout cas, notre sentiment.

L’esprit de réforme que les citoyens attendent des gestionnaires publics suppose un esprit de responsabilité individuel et collectif. Les services et les agents publics sont tenus à l’exemplarité. Le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires devrait accentuer davantage encore cette exigence.

Dans le même temps, deux chapitres du rapport rappellent chacune et chacun d’entre nous – citoyens, contribuables, usagers des services publics – à sa responsabilité individuelle, en tant que membre de la communauté nationale : le premier traite de la lutte contre la fraude dans les transports urbains en Île-de-France, où le taux de fraude est très supérieur à celui que l’on relève dans des réseaux comparables ; le second concerne la lutte contre la fraude fiscale. Certes, certaines améliorations législatives sont à noter sur ce sujet, mais les résultats ne sont pas encore à la hauteur des attentes.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pour conclure, ce que le rapport de la Cour met en évidence peut se résumer en trois phrases, qui ne remplacent évidemment pas sa lecture !

Premièrement, des efforts de réforme structurelle sont encore nécessaires si l’on souhaite que la France garde la maîtrise de ses choix souverains.

Deuxièmement, ces efforts doivent s’appuyer sur des décisions assumées et mises en œuvre avec rigueur.

Troisièmement, des voies possibles de réforme existent, à la portée des décideurs publics, à condition de faire preuve de détermination dans la conduite du changement, d’accorder davantage d’attention aux résultats et de viser une plus grande efficience et une plus grande clarté de l’action publique.

Les ministres en conviennent eux-mêmes le plus souvent dans les réponses qu’ils nous adressent et qui figurent après chaque chapitre du rapport : ils contestent peu nos constats et nos recommandations.

Il vous appartient, ainsi qu’au Gouvernement, de vous inspirer, si vous le souhaitez bien évidemment, de nos contributions et de reprendre nos recommandations pour conduire les réformes que vous considérez comme prioritaires ou légitimes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion