Intervention de Francis Delon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 février 2016 à 9h05
Suivi de l'état d'urgence — Audition de M. Francis delOn président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement

Francis Delon, Président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) :

Je poursuis sur la question adressée par M. le Président Bas sur le recueil de données informatiques dans le cadre des perquisitions administratives. Nous nous sommes effectivement interrogés si ce recueil devait relever du régime de la loi sur le renseignement ou de la législation sur l'état d'urgence. Cette dernière a expressément permis aux personnes qui effectuent la perquisition administrative de recueillir les données présentes sur l'ordinateur, mais sans emporter celui-ci. J'ai bien entendu ce que nous disait le Président Bas. On pourrait imaginer un autre raisonnement bâti sur la reconnaissance d'une forme d'atteinte à la vie privée qui implique notre contrôle. Il nous a semblé que l'esprit même de la loi sur le renseignement consistait à nous concentrer sur ce qui était une technique de renseignement et sur l'atteinte qu'elle pouvait induire sur la vie privée. Il fallait donc au préalable avoir la conviction que nous étions en présence d'une technique de renseignement. Ce n'était pas le cas, car il s'agissait d'une technique d'enquête mise en oeuvre au vu et au su de la personne concernée. Dès lors, cette pratique ne relevait pas de notre mission.

Je poursuis sur le même sujet des relations avec l'état d'urgence. M. Michel Mercier nous a demandé si, au fond, la commission pouvait jouer un rôle pour valider la pertinence d'une perquisition administrative. Ce n'est pas le cas aujourd'hui dans la loi. Nous ne pouvons que le constater. Est-ce une évolution que le Parlement souhaitera ? Ce n'est pas à moi d'en juger. En tout cas, si le Parlement estimait que la commission peut jouer un rôle dans l'appréciation de la pertinence d'une perquisition administrative, dès lors que celle-ci est décidée sur la base de renseignements collectés, il y a un certain lien avec le renseignement et ce raisonnement n'est pas impossible. Mais aujourd'hui, ce n'est pas l'état du droit.

Le nombre des avis négatifs est du même ordre, en termes de pourcentage, que celui observé à l'époque de la CNCIS : il est inférieur à moins de 1 %. Ce nombre, assez faible, s'explique dans le cadre de la loi du 24 juillet 2015. En effet, les services disposent désormais d'un cadre juridique assez précis. Ils doivent ainsi respecter la loi et un filtrage est assuré à deux niveaux : par le chef de service, d'une part, puis par le ministre, avant même que la demande ne nous arrive. Je sais que certaines demandes sont refusées par le ministre. Nous disposons à cet égard d'un certain nombre d'éléments précis pour le signaler.

D'autre part, nous avons pris la décision d'avoir un dialogue permanent avec les services, que ce soit avec les services à Paris, voire les services territoriaux. La commission s'est déplacée à plusieurs reprises, et je vais d'ailleurs le faire ce soir même, dans les zones de défense pour voir les services régionaux et leur expliquer la manière dont notre commission travaille. Les services connaissent nos exigences et les limites de leur action, ce qui suscite une forme d'autocensure préalable. Cette tendance constatable est l'un des éléments qui explique que soit rendu, au final, un nombre d'avis négatif très restreint. J'ajoute que lorsque nous avons un doute sur une demande, nous pouvons être amenés à demander des informations supplémentaires. Une telle démarche peut alors conduire le service concerné à retirer sa demande puisqu'il peut, à ce moment-là, constater que sa demande n'est pas pertinente.

M. Jean-Yves Leconte s'est demandé si ce qu'il a désigné comme le « déstockage des opérations non autorisées » avait été réalisé. Au risque d'être taxé d'une certaine naïveté, j'observe qu'il y a une bonne prise de conscience dans les différents services concernés du fait qu'il existe désormais un cadre juridique précis et exigeant ainsi que des recours juridictionnels. Comme nous l'avons rappelé à l'ensemble des chefs de service, il y a là une grande novation. En effet, l'action des services de renseignement peut être désormais soumise au juge administratif et le secret de la défense nationale ne peut plus lui être opposé. Ce point-là est très important et nous le rappelons constamment aux services. Je pense que cet élément a conduit les services à se placer dans ce cadre et les ministres ont rappelé ce point aux services qui sont placés sous leur autorité. Il s'agit-là de mon sentiment.

Vous avez évoqué le sujet des « fiches S ». Nous ne sommes pas saisis spécifiquement de cette question. Ce sujet doit être placé en perspective avec la mise en oeuvre de l'article L. 851-2 du code de sécurité intérieure qui permet, pour prévenir le terrorisme, aux services d'obtenir un accès en temps réel aux données de connexion des personnes susceptibles de présenter une menace en matière de terrorisme. Un raccourci a souvent été fait, par la presse notamment, entre cette menace et les fiches S. Peut-être un lien existera mais, aujourd'hui, il ne nous a pas été soumis en tant que tel. Nous n'exerçons pas un contrôle sur les fiches S, mais notre contrôle est, quant à lui, individualisé sur toutes les demandes qui nous sont adressées. M. Franck Terrier a bien expliqué les modalités de ce contrôle.

Sur le décret du 11 décembre 2015 concernant les services du second cercle, la liste de ces derniers est peut-être trop longue. Je ne vous cache pas que la commission s'était prononcée en faveur d'une liste plus courte. Le Gouvernement, après avis du Conseil d'État, a préféré retenir une liste un peu plus longue. Est-ce que cette liste a une importance en matière de contrôle ? Bien sûr, car le périmètre est plus grand. C'est la raison pour laquelle j'ai parlé précédemment de la centralisation des données. Nous insistons en permanence sur cette centralisation des données auprès du Gouvernement. Le contrôle de la commission ne peut être effectué que si les données sont regroupées. Il faut nous garantir un accès simple à ces données regroupées.

Ce défi est devant nous et a été, je le crois, perçu par le Gouvernement. Hier encore, nous avions des réunions sur ce sujet-là. Un rapport a été établi, à la demande du Gouvernement, sur ce sujet. Des évolutions sont manifestement à attendre sur ce sujet, dans les semaines qui viennent.

S'agissant de la coordination de l'action des services, ce sujet ne relève pas de la compétence de la commission. Il relève davantage du Premier ministre et du coordinateur du renseignement. J'en profite pour répondre à une autre question qui a été posée par M. Marc et qui concerne les dysfonctionnements que nous avons pu observer dans les services. Il est en effet arrivé que nous apercevions qu'une demande de même ordre était formulée par deux services différents. Que faisons-nous dans ce cas ? Nous le signalons au Premier ministre et c'est à lui d'en tirer les conséquences, puisque c'est lui qui, in fine, va autoriser ou non la mise en oeuvre de la technique de renseignement. Notre position nous confère ainsi une vision assez panoramique de ce que font les services de renseignements et ceux-ci le savent. Mais notre rôle n'est pas celui du coordonnateur du renseignement !

M. le Président Sueur nous a posé plusieurs questions. S'agissant des moyens dont nous disposons pour exercer notre contrôle, ceux-ci sont en progression. Je l'ai d'ailleurs indiqué lors des auditions préalables à ma nomination. Nous nous sommes concentrés, dès les premières semaines, sur la continuité du service portant sur le contrôle a priori. Depuis quelques semaines, nous avons commencé à exercer un contrôle a posteriori : nous l'avons fait en province, nous le faisons auprès des services et, en réponse à une question posée à propos de la surveillance internationale, nous exerçons également ce contrôle auprès des dispositifs en charge de la surveillance internationale. Ce contrôle suppose des moyens et des compétences techniques dont nous disposons et ce, par la présence d'une personnalité qualifiée au sein de la commission qui est un ingénieur compétent dans ce domaine et d'un ingénieur spécialisé dans le personnel de la commission. C'est ici une grande différence avec la CNCIS ! Le fonctionnement de la CNCTR est différent, puisqu'il s'appuie sur des moyens techniques qui lui permettent de comprendre précisément les techniques qui sont complexes à mettre en oeuvre. Nous utilisons ces compétences pour exercer notre contrôle le mieux possible, dans les conditions et avec les moyens qui vous ont été précédemment précisés par M. Franck Terrier.

Nous observons que les demandes émanant du second cercle ne sont pas très nombreuses. Autrement dit, on a largement donné l'accès aux services du second cercle aux techniques du renseignement. En effet, ces services ne sont pas toujours préparés à cela ; il faut déployer une prudence nécessaire et nous leur répétons qu'une technique non maîtrisée ne peut être employée. Nous adressons d'ailleurs un avis défavorable aux services qui demandent l'usage d'une technique non maîtrisée. Pour toutes ces raisons, il n'y a pas eu d'inflation de demandes émanant des services du second cercle. J'espère avoir répondu à toutes vos questions.

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