Intervention de Claude Girault

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 28 janvier 2016 : 1ère réunion
Étude de la problématique des normes dans les outre-mer — Audition de M. Claude Girault directeur général adjoint des outre-mer et de Mme Agnès Fontana sous-directrice des affaires juridiques et institutionnelles de la direction générale des outre-mer

Claude Girault, directeur général adjoint des outre-mer :

Permettez-moi d'excuser le directeur général Alain Rousseau qui devait se rendre à la réunion du conseil d'administration de l'Agence française de développement (AFD) dont l'évolution programmée reçoit toute notre attention.

Les normes constituent un sujet de préoccupation quotidienne pour la DGOM. C'est l'une des directions générales ministérielles les plus sollicitées pour la production normative. Pratiquement tous les textes législatifs s'appliquent en tout ou partie dans les outre-mer, selon des modalités spécifiques ou non. C'est la même chose pour l'élaboration des dispositions réglementaires : nous sommes constamment sollicités pour assurer la cohérence de l'application outre-mer des décrets et règlements. Nous devons donc penser au préalable ces modalités d'application afin d'éviter de nous retrouver acculés à produire dans l'urgence pour rattraper un train en marche. L'Assemblée nationale et le Sénat s'expriment régulièrement pour condamner le recours systématique à des habilitations pour ordonnance. Nous souhaitons également que l'adaptation normative se fasse dès la conception de la loi. Nous nous appuyons sur le secrétariat général du gouvernement pour permettre une prise en compte de la dimension ultramarine au bon moment.

Néanmoins, à l'usage, l'exercice se révèle d'une redoutable complexité. La loi du 14 octobre 2015 relative à l'actualisation et à la modernisation du droit des outre-mer a encore offert un témoignage éloquent de la grande diversité des législations et des institutions qui prévalent outre-mer. Nous sommes bien loin de la période des DOM et des TOM. Les douze territoires ultramarins présentent douze statuts et ordonnancements juridiques distincts. Nous-mêmes, nous nous laissons parfois surprendre par des différences d'application dans des territoires aussi proches historiquement que Saint-Martin et Saint-Barthélemy par exemple. Il faut prendre conscience de cette grande complexité.

Nous commençons à entendre remonter du terrain les échos des difficultés de certains territoires - je pense principalement à ceux du Pacifique - à suivre l'évolution législative et réglementaire de la France hexagonale lorsqu'ils sont dotés d'une large autonomie normative. Ce n'est pas tant leur volonté de suivre l'évolution du droit qui est en cause, que leur capacité effective à produire les normes dans l'ensemble des domaines où ils sont compétents et au même rythme que l'Hexagone. On peut observer empiriquement un décalage croissant entre les normes hexagonales et les normes locales, qui emporte des coûts non négligeables dans un monde de circulation accélérée des biens et des personnes qui connaît de rapides transformations technologiques. Les milieux économiques commencent à s'en plaindre.

Comment réagir ? Quel accompagnement l'État peut-il proposer pour garantir l'exercice des compétences transférées ? Certes, les transferts de compétences sont dans l'ensemble soldés, même si demeurent quelques débats plus politiques que juridiques sur les conditions d'exercice des compétences normatives. C'est plutôt la capacité des collectivités territoriales à produire des normes qui nous préoccupe. Il faut certainement mener des travaux de qualification et de requalification des agents des collectivités territoriales et des services de l'État. C'est la raison pour laquelle, par exemple, il vient d'être décidé, en accord avec le ministère de l'Intérieur, que le secrétaire général de la préfecture déléguée de Saint-Martin et Saint-Barthélemy serait désormais recruté parmi les membres du corps préfectoral et non plus parmi les attachés d'administration. Nous préparons cette évolution devant le Conseil d'État. Nous encourageons les collectivités territoriales à suivre le même type de politique de hausse du niveau des qualifications. C'est une évolution qui s'imposera de toute façon à elles et qu'il vaut donc mieux anticiper.

D'autres actions de simplification de la législation pour la rendre moins volumineuse, moins complexe seraient envisageables. Mais, à titre personnel, avec le recul, je considère la simplification avec une certaine perplexité alors que les sources normatives se multiplient et que les journaux officiels s'épaississent toujours davantage.

Il n'existe pas de sujet qui ne touche pas les outre-mer. Même la loi « montagne » trouve à s'appliquer à La Réunion. Les outre-mer sont concernés par tous les textes. Cela résume bien la complexité de la tâche que nous devons collectivement affronter, ministères, Parlement, collectivités territoriales et équipes déconcentrées. Nous n'avons pas le loisir de nous concentrer uniquement sur quelques sujets. C'est aussi pour cela que la DGOM est aussi fréquemment consultée. En matière de droits civils et civiques, hormis sur certains points dans les collectivités du Pacifique, l'application est certes uniforme, mais dès que l'on touche aux compétences coeur des collectivités territoriales, nous devons exercer la plus grande vigilance car l'application est nettement différenciée.

Les outre-mer sont concernés au même titre que l'Hexagone par le débat sur l'adaptation et la simplification des normes. La situation y est encore plus complexe par le fait que les outre-mer sont richement dotées en normes de différentes catégories : le droit commun, les mesures d'adaptation du droit commun, la production propre des collectivités territoriales qui se substitue parfois à la norme nationale. Nous sommes confrontés à un problème de taille du vivier d'experts et de professionnels capables localement d'accompagner l'application des normes de façon satisfaisante. Nous nous préoccupons d'offrir des capacités de service adaptées aux outre-mer. Rien ne justifie que les outre-mer ne reçoivent que de la complexité quand l'Hexagone demande de la simplification. Mais je n'ai pas de solution tout prête. Lorsqu'on regarde la production normative nécessaire à la mise en oeuvre même des derniers trains de simplification, par exemple pour prévoir les cas où le silence de l'administration vaut rejet ou acceptation, on mesure quel travail il faudrait mener à bien pour assurer parfaitement a sécurité juridique des outre-mer.

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