Mes chers collègues, nous devions recevoir aujourd'hui le directeur général des outre-mer, Monsieur Alain Rousseau, mais il est retenu par un conseil d'administration de l'Agence française de développement (AFD) qui doit marquer le rapprochement de cette agence de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Nous accueillons donc son adjoint, Monsieur Claude Girault, ainsi que Madame Agnès Fontana, sous-directrice des affaires juridiques et institutionnelles de la DGOM.
Nous devons au préalable procéder à la désignation d'un binôme de rapporteurs pour la mise en chantier de notre travail sur les normes. Je vous rappelle que notre excellent collègue, Éric Doligé, avait été désigné rapporteur coordonnateur lors de notre réunion du 5 novembre 2015 car il s'agit, comme pour le foncier, d'une étude vaste et complexe.
Sur la question des normes, un premier sujet s'impose concernant les outre-mer : celui des normes sanitaires applicables au secteur de l'agriculture.
Qu'il s'agisse des grandes cultures comme la banane ou la canne ou bien de l'élevage, de nombreuses questions se posent, et notamment celle de la mise en cohérence des normes de production sur le territoire européen et avec les normes de mise sur le marché. Cela est très directement en lien avec les interrogations que nous avons formulées récemment à propos de la commercialisation du sucre de canne et de la conciliation des objectifs de la politique commerciale européenne avec les politiques agricole et régionale de l'Union.
Sur ce dossier, quels sont les candidats au rapport ?
Je propose la candidature de Catherine Procaccia qui, à la commission des affaires sociales, a suivi le dossier de la pollution à la chlordécone, utilisée pour la culture des bananes, et plus généralement des normes phytosanitaires en outre-mer. Envisageons-nous dans le cadre du premier volet d'évoquer aussi la question de la pêche ?
Certes, c'est un sujet important. S'intègrerait-il parfaitement au premier volet ou bien à d'autres moments de l'étude ? Il nous faudra en discuter. Peut-être le sujet connexe de l'aquaculture pourrait-il être traité en même temps que l'agriculture et que l'élevage. J'ai, pour ma part, reçu la candidature de Jacques Gillot.
Si vous en êtes d'accord, Catherine Procaccia et Jacques Gillot formeront donc notre premier binôme de rapporteurs sur la question des normes applicables au secteur de l'agriculture.
Permettez-moi de vous informer des suites données à notre travail sur l'économie sucrière des RUP et l'impact des accords commerciaux négociés par l'Union européenne. La commission des affaires européennes a approuvé notre proposition de résolution européenne (PPRE) sur le rapport de notre collègue Gisèle Jourda, en apportant une précision utile pour faire référence à la récente communication de la Commission européenne sur la transparence des négociations commerciales. Puis, sur mon rapport, la commission des affaires économiques de notre assemblée a adopté sans modification notre PPRE, qui est devenue désormais résolution du Sénat et a été transmise au Gouvernement et à la Commission européenne. J'ai rencontré hier le député européen Younous Omarjee qui s'est engagé à soutenir notre initiative auprès de ses collègues du Parlement européen. En outre, le président de notre commission des affaires européennes, Jean Bizet, m'a appris que, dans le cadre de l'accord négocié avec le Vietnam, un contingent de quelques centaines de tonnes avait finalement été fixé pour limiter les importations vietnamiennes de sucres spéciaux. C'était une des demandes que nous formulions dans notre PPRE. La direction générale Commerce de la Commission européenne l'a également assuré que les accords déjà signés ne permettraient pas aux pays tiers de concurrencer la production de sucres spéciaux de nos outre-mer. Cependant, je ne me risquerais pas à être aussi optimiste car le commerce international évolue très rapidement et de nombreux pays sont capables d'adapter leur production pour devenir bientôt des concurrents dangereux pour nos outre-mer.
Ce sont plutôt de bonnes nouvelles, même si nous devons rester vigilants.
C'est le sens même des recommandations que nous avons émises dans notre résolution pour affûter nos moyens de contrôle et de surveillance des importations en provenance de pays tiers.
Je prends acte de la nouvelle position adoptée par la Commission européenne. Il faut toutefois faire en sorte que nous ne nous trouvions plus à l'avenir dans la même situation. La France et l'Union européenne doivent rester fermes au cours de la négociation des prochains accords de commerce bilatéraux.
Notre résolution demande notamment que les mandats de négociation donnés à la Commission par le Conseil soient soigneusement pesés. Ils devraient s'appuyer systématiquement sur des études d'impact qui prennent en compte les conséquences prévisibles pour les RUP. En cours de négociation, il faudrait aussi assurer la bonne information des États membres et des Parlements nationaux, qui est aujourd'hui trop tardive et trop lacunaire. Nous proposons également de créer un observatoire des revenus et de se doter de moyens de suivi en temps réel des flux d'importation pour rendre enfin efficaces les clauses de sauvegarde et les mécanismes de stabilisation. Ne nous interdisons pas de rencontrer la Commission européenne pour lui présenter directement nos recommandations.
Le diable se niche dans les détails. Il nous faudra examiner attentivement la traduction juridique qui pourrait être faite de nos recommandations. J'ai souvenir d'un conflit entre la France et la Commission européenne, né d'une divergence d'interprétation des textes relatifs à la pêche.
Je vous rejoins entièrement. C'est pourquoi il est tellement important que nous exigions de disposer des versions des documents en français, alors que la pratique de la Commission est de tout traiter en anglais, même lorsqu'il s'agit de la politique à l'égard des RUP...
Nous accueillons maintenant Monsieur Claude Girault, directeur général adjoint des outre-mer, et Madame Agnès Fontana, sous-directrice des affaires juridiques et institutionnelles à la DGOM.
Soyez les bienvenus. Nous avons sollicité la Direction générale des outre-mer sur la vaste et difficile question des normes en souhaitant que vous nous éclairiez et vous nous aidiez à cerner les secteurs pour lesquels la question de l'inadéquation normative se pose avec la plus grande acuité. La DGOM est en effet quotidiennement confrontée à cette problématique et vous devez recenser des exemples concrets très nombreux. Nous allons vous écouter avec beaucoup d'intérêt.
Permettez-moi d'excuser le directeur général Alain Rousseau qui devait se rendre à la réunion du conseil d'administration de l'Agence française de développement (AFD) dont l'évolution programmée reçoit toute notre attention.
Les normes constituent un sujet de préoccupation quotidienne pour la DGOM. C'est l'une des directions générales ministérielles les plus sollicitées pour la production normative. Pratiquement tous les textes législatifs s'appliquent en tout ou partie dans les outre-mer, selon des modalités spécifiques ou non. C'est la même chose pour l'élaboration des dispositions réglementaires : nous sommes constamment sollicités pour assurer la cohérence de l'application outre-mer des décrets et règlements. Nous devons donc penser au préalable ces modalités d'application afin d'éviter de nous retrouver acculés à produire dans l'urgence pour rattraper un train en marche. L'Assemblée nationale et le Sénat s'expriment régulièrement pour condamner le recours systématique à des habilitations pour ordonnance. Nous souhaitons également que l'adaptation normative se fasse dès la conception de la loi. Nous nous appuyons sur le secrétariat général du gouvernement pour permettre une prise en compte de la dimension ultramarine au bon moment.
Néanmoins, à l'usage, l'exercice se révèle d'une redoutable complexité. La loi du 14 octobre 2015 relative à l'actualisation et à la modernisation du droit des outre-mer a encore offert un témoignage éloquent de la grande diversité des législations et des institutions qui prévalent outre-mer. Nous sommes bien loin de la période des DOM et des TOM. Les douze territoires ultramarins présentent douze statuts et ordonnancements juridiques distincts. Nous-mêmes, nous nous laissons parfois surprendre par des différences d'application dans des territoires aussi proches historiquement que Saint-Martin et Saint-Barthélemy par exemple. Il faut prendre conscience de cette grande complexité.
Nous commençons à entendre remonter du terrain les échos des difficultés de certains territoires - je pense principalement à ceux du Pacifique - à suivre l'évolution législative et réglementaire de la France hexagonale lorsqu'ils sont dotés d'une large autonomie normative. Ce n'est pas tant leur volonté de suivre l'évolution du droit qui est en cause, que leur capacité effective à produire les normes dans l'ensemble des domaines où ils sont compétents et au même rythme que l'Hexagone. On peut observer empiriquement un décalage croissant entre les normes hexagonales et les normes locales, qui emporte des coûts non négligeables dans un monde de circulation accélérée des biens et des personnes qui connaît de rapides transformations technologiques. Les milieux économiques commencent à s'en plaindre.
Comment réagir ? Quel accompagnement l'État peut-il proposer pour garantir l'exercice des compétences transférées ? Certes, les transferts de compétences sont dans l'ensemble soldés, même si demeurent quelques débats plus politiques que juridiques sur les conditions d'exercice des compétences normatives. C'est plutôt la capacité des collectivités territoriales à produire des normes qui nous préoccupe. Il faut certainement mener des travaux de qualification et de requalification des agents des collectivités territoriales et des services de l'État. C'est la raison pour laquelle, par exemple, il vient d'être décidé, en accord avec le ministère de l'Intérieur, que le secrétaire général de la préfecture déléguée de Saint-Martin et Saint-Barthélemy serait désormais recruté parmi les membres du corps préfectoral et non plus parmi les attachés d'administration. Nous préparons cette évolution devant le Conseil d'État. Nous encourageons les collectivités territoriales à suivre le même type de politique de hausse du niveau des qualifications. C'est une évolution qui s'imposera de toute façon à elles et qu'il vaut donc mieux anticiper.
D'autres actions de simplification de la législation pour la rendre moins volumineuse, moins complexe seraient envisageables. Mais, à titre personnel, avec le recul, je considère la simplification avec une certaine perplexité alors que les sources normatives se multiplient et que les journaux officiels s'épaississent toujours davantage.
Il n'existe pas de sujet qui ne touche pas les outre-mer. Même la loi « montagne » trouve à s'appliquer à La Réunion. Les outre-mer sont concernés par tous les textes. Cela résume bien la complexité de la tâche que nous devons collectivement affronter, ministères, Parlement, collectivités territoriales et équipes déconcentrées. Nous n'avons pas le loisir de nous concentrer uniquement sur quelques sujets. C'est aussi pour cela que la DGOM est aussi fréquemment consultée. En matière de droits civils et civiques, hormis sur certains points dans les collectivités du Pacifique, l'application est certes uniforme, mais dès que l'on touche aux compétences coeur des collectivités territoriales, nous devons exercer la plus grande vigilance car l'application est nettement différenciée.
Les outre-mer sont concernés au même titre que l'Hexagone par le débat sur l'adaptation et la simplification des normes. La situation y est encore plus complexe par le fait que les outre-mer sont richement dotées en normes de différentes catégories : le droit commun, les mesures d'adaptation du droit commun, la production propre des collectivités territoriales qui se substitue parfois à la norme nationale. Nous sommes confrontés à un problème de taille du vivier d'experts et de professionnels capables localement d'accompagner l'application des normes de façon satisfaisante. Nous nous préoccupons d'offrir des capacités de service adaptées aux outre-mer. Rien ne justifie que les outre-mer ne reçoivent que de la complexité quand l'Hexagone demande de la simplification. Mais je n'ai pas de solution tout prête. Lorsqu'on regarde la production normative nécessaire à la mise en oeuvre même des derniers trains de simplification, par exemple pour prévoir les cas où le silence de l'administration vaut rejet ou acceptation, on mesure quel travail il faudrait mener à bien pour assurer parfaitement a sécurité juridique des outre-mer.
Sur le coût des normes en outre-mer, nous ne sommes pas outillés pour répondre de façon satisfaisante. L'instance cardinale demeure le Conseil national de l'évaluation des nomes (CNEN), enceinte explicitement chargée de mesurer le coût des normes. Il est vrai que, pour mener à bien cette évaluation, les élus qui en sont membres examinent l'étude d'impact associée aux textes mais en contestent souvent la qualité et l'exhaustivité. En outre, la distinction entre l'outre-mer et la métropole ne fait pas partie des clefs de lecture du CNEN. Celui-ci a construit une typologie des normes selon les domaines concernés et selon les ministères porteurs. Même dans ce dernier cas, le ministère de l'outre-mer n'est pas considéré à part mais fusionné avec le ministère de l'Intérieur.
Nous ne disposons d'aucun instrument permettant de comparer le coût d'application d'une même norme en outremer et en métropole, en laissant de côté bien évidemment les lois peu nombreuses qui ne concernent que l'outre-mer - par exemple, pour régler le processus électoral en Nouvelle-Calédonie - et qui par définition ne se prêtent pas à une comparaison. Mais ce sujet pourrait donner lieu à une étude intéressante pour les inspections générales. On pourrait procéder en constituant un panier de normes couvrant divers secteurs (construction, santé, fonction publique, commande publique,...) et mesurer leurs coûts de mise en oeuvre dans un échantillon de collectivités territoriales métropolitaines et dans un autre échantillon de collectivités territoriales ultramarines. On pourrait mener une étude préalable sur les coûts unitaires et les surcoûts objectifs constatés dans les outre-mer. Par exemple, dans le domaine de la construction, il faudrait prendre en compte l'impact de l'acheminement des matériaux, souvent depuis l'Union européenne, les situations de monopole de fait, etc.
Nous ne disposons pas d'un recensement exhaustif qui nous permettrait d'identifier avec précision les domaines où l'adaptation normative constitue un enjeu prioritaire pour le développement économique. Mais nous y réfléchissons. Des besoins s'expriment dans le domaine de l'énergie. La récente loi sur la transition énergétique a montré combien les outre-mer se trouvaient dans une situation radicalement différente de celle de l'Hexagone. L'enjeu n'y est pas de gérer la sortie du nucléaire mais de passer à une économie moins carbonée, moins dépendante du pétrole. Le domaine de la construction est également important. Les contraintes et l'environnement ne sont pas du tout les mêmes en outre-mer. Les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution ont demandé des habilitations pour pouvoir intervenir. De là, on vient naturellement au sujet extrêmement délicat des règles d'urbanisme. En dehors de la Guyane, les territoires ultramarins sont exigus. La ressource foncière y est rare, chère et difficile à aménager. Mayotte ne comprend que peu de zones plates qui se prêteraient facilement à l'expansion des zones urbaines. Au contraire, les terrains sont très pentus, les risques de ravinement et d'éboulement en cas de fortes pluies sont élevés. Beaucoup de zones seraient déclarées non constructibles dans l'Hexagone et il n'y a pas de raison de garantir un niveau de sécurité plus faible à nos concitoyens ultramarins.
Un sujet qui touche les outre-mer a particulièrement occupé le Parlement ces dernières années : la défiscalisation. Il y a certainement un coût d'entrée dans le dispositif significatif pour les entreprises, qui se plaignent de la complexité du montage des dossiers. Le sujet est délicat car il faut maintenir l'équilibre entre le respect de certains critères d'appréciation des projets et l'efficacité du mécanisme en termes économiques. Nous sommes conscients que les modifications de la législation intervenues en 2015, l'instauration du crédit d'impôt notamment, ont fait éprouver aux entreprises des difficultés. Nous sommes néanmoins surpris de voir des cabinets de conseil professionnels exercer leur mission en ayant plus en vue leur intérêt que celui de leur client. Nous en voulons pour preuve la médiocrité de certains dossiers que nous recevons. Ces montages de dossiers maladroits empêchent l'entreprise de bonne foi de trouver un financement adéquat de ses projets. N'oublions pas, enfin, le coût de la défiscalisation pour les finances publiques.
En matière de transposition des directives européennes, la France s'acquitte de ses obligations. Le secrétariat général du Gouvernement réunit tous les trimestres un comité à haut niveau sur ce sujet. La consigne est claire : pas de surtransposition ! Les seuls cas de surtransposition que je garde en mémoire concernent plutôt l'extension territoriale des normes européennes que leur contenu. Par exemple, la loi d'actualisation du droit des outre-mer du 14 octobre 2015 a fait évoluer le droit de l'aviation civile en vigueur à Saint-Barthélemy en s'inspirant d'une directive européenne qui ne s'y appliquait pas de plein droit. Il s'agissait d'assurer une égalité dans la protection des personnes entre les territoires ultramarins.
Il est vrai que les dérogations sur le fondement de l'article 349 du TFUE sont rares, même si nous nous efforçons de tirer profit de cet article. Par exemple, la réforme du code des marchés publics adopté par ordonnance l'été dernier nous a permis d'introduire de nouvelles dispositions favorables à l'emploi des jeunes ultramarins.
Les principales adaptations du droit outre-mer demeurent celles qui résultent des habilitations demandées par la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique dans les domaines de l'énergie, de la construction et du logement.
Pour le ministère des outre-mer, le traitement des outre-mer dans les négociations commerciales européennes est une question essentielle. Il mène une action soutenue, en lien avec les ministères en charge de l'agriculture, du commerce extérieur et des affaires étrangères, ainsi qu'avec la Commission européenne. Le Président de la République a récemment écrit au président de la Commission européenne à propos des aides d'État outre-mer. Nous sommes vigilants pour que les positions des régions ultrapériphériques (RUP) soit prises en compte dans la définition des mandats de négociation. Toutefois, certaines négociations ouvertes depuis de très nombreuses années sont très difficiles à suivre dans la durée. Notre vigilance a pu être parfois prise en défaut.
Les résultats de nos efforts pour peser sur les négociations commerciales peuvent paraître insuffisants mais la France n'est pas seule autour de la table. Pour être plus convaincants à l'avenir vis-à-vis de nos partenaires, nous devons être en mesure de produire tous les éléments d'information nécessaires sur les effets anticipés et les risques pour les RUP de l'ouverture commerciale. Pour évaluer l'impact des baisses tarifaires, nous devons connaître parfaitement la structure des économies ultramarines. La CNEPEOM constitue également un outil précieux pour documenter notre position et présenter des preuves économiques et financières imparables au-delà des déclarations et des réclamations politiques. Pour apprécier les capacités de réorganisation d'un secteur, les coûts réels de production doivent être examinés en lien étroit avec les professionnels.
En matière de normes sanitaires applicables aux produits agricoles, nous pouvons affirmer qu'il existe bien une équivalence entre les normes de production et les normes de commercialisation. Des produits agricoles de pays tiers ne peuvent pas être commercialisés auprès des consommateurs de l'Union européenne après avoir subi des traitements phytosanitaires avec des substances interdites par les normes de production européennes ou avec des substances qui ne bénéficient pas d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) français. C'est le principe. Est-ce que cela signifie une égalité d'armes entre les outre-mer et les pays tiers ? Non, car la commercialisation est autorisée dès lors que les contrôles ne trouvent pas trace de substances interdites ou sans AMM. En d'autres termes, en l'absence de traces dans les productions agricoles, ces produits peuvent être utilisés par les pays tiers. Nous savons pertinemment, par exemple, pour la culture de la banane, que l'épandage aérien est interdit dans les RUP mais pratiqué en Amérique du Sud et en Amérique centrale et que l'Union européenne importe ces productions. Les contrôles font l'objet d'un plan de surveillance annuelle établi par le service en charge de la police sanitaire. Il est revu d'année en année en fonction des moyens disponibles et des techniques de détection des substances, qu'il faut constamment développer. Nos services sont audités régulièrement par les autorités européennes en charge des contrôles sanitaires et vétérinaires. Même si la situation n'est pas satisfaisante, l'Union européenne ne peut de toutes les façons prétendre disposer d'une compétence universelle pour légiférer sur les méthodes de production des pays tiers. Il y a cependant des pistes à explorer du côté des labels, mais c'est une démarche complexe, car il s'agit d'un engagement volontaire auprès du consommateur à ne pas recourir à certaines substances interdites en Europe. Cette démarche n'est pas intégrée dans le droit positif et ne produit aucune norme opposable pour l'instant. Elle n'est d'ailleurs pas certaine d'aboutir.
Vos questions sur cette problématique suscitent beaucoup de réflexion en interne au ministère des outre-mer.
Je vous remercie pour vos interventions. Mon premier sentiment est que nous touchâmes juste en retenant ce sujet d'étude. Mon second est que notre tâche ne sera pas aisée.
Merci pour ces éléments liminaires. J'aurais quelques questions et observations. Vous nous dites que consigne a été donnée pour ne pas surtransposer en droit national les normes européennes. Je pense malgré tout que la surtransposition demeure fréquente et que nous inventons également des normes propres qui n'existent pas au niveau européen ! Les normes françaises, même postérieures, sont parfois plus exigeantes que les normes européennes. Nous ne pouvons pas non plus faire abstraction de l'environnement normatif régional des outre-mer. En un sens, en appliquant outre-mer la norme européenne, nous sommes déjà en surtransposition par rapport à l'environnement régional, ce qui empêche les outre-mer d'être compétitifs dans leur zone. Le problème est donc de savoir si nous pouvons écarter la norme française ou européenne pour nous rapprocher dans les outre-mer des normes adoptées dans leur environnement régional.
En matière de construction, vous avez évoqué les surcoûts propres aux coûts d'acheminement des matériaux. Le fond du problème précisément, c'est de ne pas pouvoir recourir outre-mer à des matières premières locales ou régionales, parce qu'elles ne sont pas conformes aux normes européennes, pourtant prévues pour des latitudes très différentes. Peut-être est-il temps de repenser cette dépendance vis-à-vis de l'approvisionnement européen ?
Cela nous renvoie à la question générale de l'adaptabilité des normes en fonction des territoires. Il devrait être possible de dessiner un système d'adaptation territoriale des normes, en particulier pour tenir compte des spécificités des outre-mer. Même en termes de normes de sécurité, l'uniformité ne va pas de soi, puisque, pour prendre un exemple concret en Europe continentale, les normes de type Seveso ne sont pas les mêmes en France et en Allemagne. La différenciation est donc possible, même dans les territoires qui ne disposent pas de l'autonomie concédée par l'article 74 de la Constitution et que l'on a peut-être tendance à enfermer dans un carcan normatif injustifié et inadapté. J'observe que le Conseil d'État ne s'est pas prononcé contre l'adaptabilité des normes, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une adaptabilité systématique des normes par niveaux de collectivité ou par catégorie générale de collectivités selon la taille ou la répartition géographique.
Malgré le travail de la CNEN, le choc de simplification ne se voit pas ; j'ai même l'impression que, dès que l'on supprime une norme, on en rajoute deux nouvelles !
Je remercie également nos intervenants des précisions qu'ils nous ont apportées. Je note toutefois que, sur la question centrale du différentiel de coûts d'application des normes en outre-mer et dans l'Hexagone, nous ne disposons d'aucun élément de réponse. Nous aurons besoin pour poursuivre nos travaux et réfléchir à l'adaptation des normes outre-mer de toute la collaboration du ministère. Quelle méthode pouvons-nous suivre de concert pour adapter les normes françaises, avant de défendre cette position auprès de la Commission ? Comment le Gouvernement peut-il contribuer à défendre l'édiction de normes propres aux outre-mer au niveau européen ? L'article 349 du TFUE doit servir de fondement à toute démarche. Nous ne devons pas baisser les bras, malgré les difficultés qui ne sont pas minces.
Estimez-vous que la situation en matière de normes a empiré depuis quinze ou vingt ans ou bien qu'elle est restée globalement la même ? De nouveaux secteurs sont-ils concernés ? Comment peut-on pallier votre prise en compte tardive dans le processus d'élaboration des lois et des décrets ? Je pense en particulier aux dispositions de la loi Larcher qui rend obligatoire une phase de concertation préalable avec les partenaires sociaux avant de légiférer sur le droit du travail. Pourrait-on prévoir des dispositions analogues en direction des représentants des outre-mer avant de légiférer sur le droit des outre-mer ?
Par ailleurs, au vu de mon rapport sur la chlordécone et des investigations que nous avions menées sur la culture de la banane dans la zone, mais aussi du riz au Suriname par exemple, je reste très dubitative lorsque vous affirmez que les normes de production et les mesures de contrôles sont de niveau équivalent à celles de l'Union européenne...
Je m'interroge également sur les voies et les moyens d'obtenir une meilleure implication du ministère des outre-mer en amont du processus d'élaboration des normes. La ministre même reconnaît que c'est nécessaire. Discernez-vous des pistes d'amélioration ?
J'aimerais également insister sur un point connexe, la pratique systématique du recours aux ordonnances, que j'ai fortement critiquée dans mon dernier rapport budgétaire. Même lorsque cela n'est pas justifié par l'urgence ou une extrême technicité, le Gouvernement demande des habilitations. C'est d'autant plus incompréhensible qu'il ne parvient pas toujours à respecter les délais d'habilitation et doit renouveler sa demande.
J'ai personnellement relevé que ces dernières années les particularités des outre-mer étaient mieux prise en compte. Je salue cette nouvelle approche.
Néanmoins, il faut admettre que l'adaptation des textes ne va pas assez loin. Transposer outre-mer les directives européennes, c'est déjà en soi surtransposer ! Sur l'article 349 du TFUE, le débat n'a que trop duré. Appuyons-nous sur la récente décision de la Cour de justice de l'Union européenne qui a donné tort à la Commission en reconnaissant la possibilité d'adapter le droit dérivé aux spécificités des RUP sur le fondement de l'article 349.
J'ai ouï dire qu'un texte de simplification des normes d'urbanisme serait bientôt publié. Pouvez-vous nous le confirmer ? Que contient-il pour les outre-mer ?
Permettez-moi une réflexion d'ordre très général. Si les normes sont plus complexes, c'est aussi que les problèmes à traiter sont plus complexes. L'exigence de sécurité et de protection des consommateurs s'accroît aussi dans la population. Ne tombons pas dans le simplisme mais sachons faire preuve de souplesse, d'agilité.
Je viens de rapporter le projet de loi sur la biodiversité. L'étude d'impact datait de 2013 : trois ans d'écart avec le passage en séance publique, c'est énorme ! En outre, cette étude était très incomplète dès l'origine et aucune des dispositions nouvelles introduites par le Gouvernement par voie d'amendement n'a fait l'objet d'une étude d'impact. Ce cas n'est pas isolé et la plupart des projets de loi sont concernés par ces pratiques. On ne peut dès lors s'étonner de constater que, faute d'évaluation précise en amont, nombre des mesures que nous votons demeurent sans effet.
S'agissant des outre-mer, l'adaptabilité des normes pourrait être intégrée aux études d'impact en amont de la discussion des textes. Pour l'instant, les études d'impact que nous recevons ne contiennent aucun élément particulier sur les difficultés d'application dans les outre-mer, même dans le cas du projet de loi sur la biodiversité qui les concerne au premier chef. Nous devons clairement changer nos pratiques.
Sur la formation des élus, je partage les remarques de la direction générale des outre-mer qui valent non seulement pour l'outre-mer mais aussi pour l'Hexagone. Nous devons collectivement nous mettre à niveau pour appréhender les problèmes en relation avec l'administration.
Nous n'avons pour l'instant évoqué que le processus descendant d'application qui va du législateur vers le terrain. Ne faudrait-il pas sortir des schémas habituels et amorcer un mouvement inverse, ascendant, en recourant davantage à l'expérimentation ? Dans quels domaines pourrions prioritairement procéder à des adaptions expérimentales des normes dans les outre-mer ?
La problématique sous-jacente à nos débats me semble celle-ci : comment parvenir à une différenciation territoriale dans le respect de l'unité de la République ? Dans le cas des outre-mer, elle se traduit dans l'alternative entre les régimes des articles 73 et 74 de la Constitution. Je rappelle que dans les collectivités soumises à l'article 74 de la Constitution le transfert de compétences normatives ne doit pas être surestimé : il s'agit d'un pouvoir d'adaptation des normes par des actes qui demeurent de nature administrative et sont de ce fait soumis au Conseil d'État. Nous n'en sommes pas à un transfert du pouvoir législatif proprement dit. D'ailleurs, le code pénal et le code de procédure pénale ne sont pas des matières transférables, ce qui signifie que les collectivités de l'article 74 ne peuvent fixer le régime des sanctions applicables en cas d'infraction aux règles qu'elles ont fixées.
Je crois que le droit des outre-mer demeure trop mal connu et trop peu étudié. Certaines initiatives vont toutefois dans le bon sens, comme la proposition d'instaurer une chaire dédiée au sein de l'Institut d'études politiques de Paris.
Sur les ordonnances, reconnaissons un certain progrès. Depuis 2008, nous voyons plus fréquemment des projets de loi consacrés aux outre-mer examinés au Parlement. Il me paraîtrait toutefois indispensable de prévoir dans le calendrier législatif, chaque année, un moment de débat dédié à l'actualisation du droit applicable outre-mer.
La surtransposition des normes européennes est un fait indéniable. Vous citiez l'extension à Saint-Barthélemy de règles d'aviation civile. C'est un bien mauvais exemple, puisque cette mesure a été prise sans mesurer les effets pervers qu'elle induit et notamment, la multiplication de création de compagnies aériennes aux États-Unis par des Français qui bénéficient ainsi des avantages concédés par l'Union aux compagnies américaines ! Ces avantages sont en revanche un bon exemple de la naïveté de certaines positions européennes lors des négociations commerciales internationales puisque les États-Unis n'ont pas accordé de réciprocité aux compagnies européennes...
La DGOM est à la disposition du Parlement et de la délégation sénatoriale pour travailler en commun à toutes les améliorations possibles au bénéfice des outre-mer. La CNEPEOM montre l'exemple d'une collaboration fructueuse. La connaissance des surcoûts liés à la situation objective (insularité, taille des marchés) et liés aux normes constitue un sujet central. Sur les normes de construction, il faut signaler une action conduite par les professionnels eux-mêmes : à La Réunion, des industriels ont bénéficié d'agréments dans le cadre de la défiscalisation pour construire des usines de production de matériaux aux normes européennes.
La Cour des comptes effectue en ce moment un contrôle de la DGOM. Une des premières observations qu'elle nous a faite est de structurer notre réseau de correspondants outre-mer dans les autres ministères pour pouvoir intervenir en amont et éviter d'être consultés dans l'urgence.
Nous pourrions évaluer et revoir les modalités de consultation des collectivités territoriales ultramarines en amont des textes. Il ne doit pas s'agir d'une simple formalité procédurale. Il est vrai cependant que le taux de retour de nos consultations des collectivités ultramarines est très faible.
Le débat sur les ordonnances est récurrent, mais il ne faut pas oublier que nous devons répondre à la complexité du droit, même si nous pouvons le regretter. Faut-il déléguer quasi-systématiquement au Gouvernement les adaptations outre-mer ? Faut-il prévoir un rendez-vous législatif annuel ?
Je n'ai pas connaissance d'une circulaire en préparation sur l'urbanisme, mais je vous rendrai réponse dans les meilleurs délais. Il nous faudra également procéder à une analyse fine de la jurisprudence de la CJCE pour en tirer le meilleur parti. Les expérimentations constituent un instrument intéressant et les outre-mer y sont régulièrement associés. Ce sont des lieux dont l'Hexagone peut d'ailleurs s'inspirer pour modifier sa propre règlementation. Par exemple, à La Réunion, nous mettons en oeuvre des rapprochements d'administration qui pourront inspirer les nouvelles grandes régions.
Nous sommes conscients de l'ampleur du chantier. L'évaluation du surcoût des normes doit aussi venir de l'intérieur des territoires ultramarins, même si votre idée de confier une mission aux inspections générales paraît pertinente en complément. Ces démarches croisées sont essentielles pour faire valoir notre point de vue au niveau européen et permettre une harmonisation de nos normes avec celles en vigueur dans notre environnement régional. Cela peut concerner des domaines aussi différents que le raffinage de pétrole de la Caraïbe ou la consommation de viande nord-américaine.
J'ai bien conscience des difficultés des collectivités ultramarines à disposer des ressources humaines nécessaires pour exercer une veille juridique constante qui faciliterait l'adaptation des normes nationales. J'ai aussi conscience des efforts constants de la DGOM pour travailler le plus ne amont possible. Je ne suis néanmoins pas aussi optimiste concernant l'action des autres ministères, pour qui les outre-mer ne constituent pas une préoccupation première et qui se défausse entièrement sur le ministère des outre-mer. Il y a un vrai travail d'articulation de l'action publique qui doit être mené. Un référent outre-mer devrait être installé dans chaque ministère. De même, il faut envisager la désignation au sein de la DGOM d'un référent par territoire ultramarin qui servirait de courroie de transmission rapide entre chaque collectivité et le ministère.
La problématique des normes outre-mer est d'une ampleur considérable. Je suppose que les représentants de l'État outre-mer doivent faire remonter au niveau central les difficultés d'application des textes qu'ils rencontrent ou dont les professionnels leur font part. Je souhaite que les parlementaires soient régulièrement informés de la liste des problèmes rencontrés.