Intervention de Clotilde Valter

Réunion du 16 février 2016 à 14h30
Droit des étrangers en france — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous examinez, en nouvelle lecture, le projet de loi relatif au droit des étrangers en France. Vous en avez déjà longuement débattu en première lecture, aussi irai-je à l’essentiel.

Le Gouvernement déplore que la commission mixte paritaire ait échoué. En effet, ce projet de loi constitue l’ultime étape de la grande réforme engagée par le Gouvernement concernant la législation applicable aux étrangers en France, que nous avions entamée l’année dernière avec la réforme de l’asile et le vote, à une large majorité, de la loi du 29 juillet 2015. Cette dernière nous a permis de moderniser nos procédures et de nous placer en situation de faire face à la grave crise migratoire à laquelle l’Union européenne est confrontée depuis plus d’un an.

Si nous regrettons l’échec de la commission mixte paritaire, c’est aussi parce que le projet de loi relatif au droit des étrangers en France contient plusieurs dispositions importantes nous permettant de répondre aux failles qui pénalisent notre politique migratoire depuis trop longtemps.

Notre premier objectif consiste à mieux accueillir et à mieux intégrer les étrangers qui vivent légalement sur notre sol. Nous en avons longuement débattu lors de nos échanges. Pour ce faire, nous souhaitons que chaque étranger qui s’installe légalement et durablement en France puisse disposer de tous les outils nécessaires pour bien s’intégrer à la société française, puis, s’il en fait le choix, pour rejoindre notre communauté nationale grâce à la naturalisation. La France doit aider ceux qui souhaitent la rejoindre à s’approprier notre langue et les valeurs universelles que nous défendons.

Aujourd’hui, les étrangers qui vivent en France sont soumis à un véritable parcours administratif du combattant. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a proposé de changer de logique en consacrant le principe de l’accès à un titre de séjour pluriannuel après la première année de séjour, ce qui permettra aux étrangers d’éviter des allers-retours en préfecture.

La création de ce titre s’accompagnera de deux évolutions indispensables : d’une part, le renforcement du parcours d’intégration, qui devra s’accompagner de cours de langue renforcés, nous en avions longuement parlé ; d’autre part, parce que nous sommes dans un État de droit, le renforcement des outils dont disposent les préfectures pour lutter contre la fraude, avec l’instauration d’un droit de communication. La préfecture n’aura plus à demander à la personne concernée de fournir des pièces ; elle se tournera directement vers les administrations qui en disposent. Nous y gagnerons en temps et en efficacité.

Le deuxième grand objectif de ce projet de loi consiste, dans le contexte de la mondialisation qui accroît la concurrence entre les États, à renforcer l’attractivité de notre pays pour les talents et les étudiants étrangers.

Nous proposons d’inscrire dans notre législation deux innovations.

La première, c’est la création d’un titre unique, dit « passeport talents », destiné à tous les étrangers dont nous souhaitons la venue en France. Ce titre, valable quatre ans, renouvelable, regroupe et élargit certaines catégories de titres existants.

La seconde, c’est la simplification du passage du statut d’étudiant à celui de salarié, pour que les meilleurs étudiants puissent concrétiser dans leur vie professionnelle les espoirs que la France a placés en eux en leur permettant de venir étudier chez nous.

Pour résumer, avec le titre de séjour pluriannuel et le « passeport talents », nous souhaitons renforcer notre législation en matière de droit au séjour et l’adapter aux réalités de la mondialisation. Nous pourrons ainsi mieux tenir compte des mobilités liées à la connaissance, au savoir et à la culture. Nous intégrerons mieux les étrangers sur notre sol. Enfin, nous lutterons plus efficacement contre la fraude. Tels sont les points auxquels le Gouvernement est attaché.

J’en viens maintenant à la lutte contre l’immigration irrégulière, troisième objectif du projet de loi. À cet égard, le Gouvernement fera toujours preuve de la plus grande fermeté : un étranger en situation irrégulière doit être reconduit à la frontière, et les filières criminelles de l’immigration clandestine doivent être démantelées. Il y va du respect de l’État de droit.

Pour que la lutte que nous menons contre l’immigration irrégulière soit pleinement efficace, il nous faut remédier à trois types de faiblesse. C’est également l’objectif de ce texte.

Tout d’abord, nous avons mal transposé dans le droit français certains aspects de la directive européenne Retour. Par conséquent, ce n’est que de façon exceptionnelle que les étrangers à qui nous remettons une mesure d’éloignement font l’objet de l’interdiction de retour prévue par les textes européens. Or celle-ci peut permettre aux préfectures de renforcer l’efficacité de leur action.

Ensuite, notre politique d’éloignement repose trop exclusivement sur la rétention. En conformité avec les directives européennes, nous faisons le choix de privilégier les mesures les moins coercitives, notamment pour les familles avec enfants. Le projet de loi prévoit donc de renforcer l’assignation à résidence pour en faire une alternative à la rétention, y compris pour les personnes qui font l’objet d’une procédure Dublin. Pour ce faire, ce texte clarifie les conditions de l’action des forces de l’ordre dans le cadre d’une assignation à résidence et leur apporte le cadre juridique nécessaire.

Désormais, le texte prévoit que le dispositif puisse également s’appliquer aux personnes frappées d’une expulsion administrative ou judiciaire pour un motif d’ordre public, ou bien aux personnes qui braveraient l’interdiction administrative du territoire qui leur est signifiée. De telles mesures concernent avant tout des prêcheurs de haine et des personnes liées aux activités de filières terroristes, que nous pourrons ainsi expulser du territoire dans les meilleurs délais.

Enfin, je veux parler d’un sujet particulièrement complexe, celui du contentieux de la rétention et de l’éloignement.

Le Gouvernement considère que nous avons abouti, sur ce point très délicat, à une solution tout à fait pertinente et équilibrée, qui permet de clarifier les compétences du juge administratif et du juge judiciaire.

Je rappelle qu’actuellement le juge des libertés et de la détention et le juge administratif se prononcent tous deux sur la rétention : le premier sur la proportionnalité de la mesure, le second sur sa légalité. Ces deux notions sont si proches l’une de l’autre qu’elles se confondent en réalité très largement. Dès lors, nous proposons que le juge des libertés et de la détention ait à connaître de la rétention. Quoi de plus normal qu’un juge judiciaire, gardien des libertés, statue à la fois sur la légalité et la proportionnalité d’une mesure privative de liberté ? Le juge administratif conserve bien sûr sa place : il statue, quant à lui, sur la légalité de la mesure administrative d’éloignement. Cette clarification était indispensable ; elle nous permettra de gagner en efficacité.

Le texte prévoit en outre que le juge des libertés et de la détention se prononce sur la rétention après quarante-huit heures, comme c’était le cas avant que la loi de 2011 ne fasse passer ce délai à cinq jours. Il est indispensable que la personne en rétention puisse voir un juge avant d’être, le cas échéant, éloignée. C’est ainsi et pas autrement que nous respecterons le droit, sans pour autant céder sur nos objectifs d’efficacité.

Enfin, une exigence de transparence s’impose à nous : les Français ont le droit d’être informés de ce qui se passe dans les centres de rétention. Les associations, les parlementaires, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et le Défenseur des droits ne doivent pas être les seuls à pouvoir y pénétrer. C’est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit un régime juridique spécifique encadrant l’accès des journalistes aux centres de rétention.

Mesdames, messieurs les sénateurs, grâce à ce projet de loi, nous réformons en profondeur le droit des étrangers. Par là même, nous rendons notre politique d’immigration à la fois plus efficace et plus conforme aux principes de la République. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement regrette que vous déposiez une motion tendant à opposer la question préalable, dont l’unique effet sera de priver le Sénat d’un nouvel examen du projet de loi. Dans quelques instants, le rapporteur prendra la parole pour justifier le dépôt de cette motion, et je lui répondrai ensuite sur les mesures adoptées par le Sénat en première lecture et conservées par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

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