Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 16 février 2016 à 14h30
Droit des étrangers en france — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette discussion générale devant, selon toute probabilité, se conclure par l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable, je vous épargnerai une analyse comparative des vertus et des limites respectives du texte de l’Assemblée nationale et de son double sénatorial, que, dans sa grande majorité, je le rappelle, mon groupe n’avait pas voté en première lecture.

Nous ne l’avions pas voté parce que, loin d’améliorer le projet de loi du Gouvernement, qui n’avait pas osé aller au bout de sa logique, le texte élaboré par le Sénat non seulement en restreignait encore la portée, mais encore l’orientait dans une autre direction. D’un projet de loi relatif au droit des étrangers en France, nous étions passés à un projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration, ce qui renvoyait à des problématiques différentes, même si elles pouvaient conduire à s’accorder sur un certain nombre de mesures communes.

D’un côté, une logique d’intégration ; de l’autre, une logique de contrôle. La première part du principe que l’immigration est plutôt quelque chose de positif pour le pays, d’autant plus qu’elle sera encadrée par une politique active d’intégration, la seconde du principe que l’immigration est plutôt une source de problèmes et d’ennuis dont il s’agit de se protéger en réduisant les conditions d’accès à notre territoire et en activant les dispositifs d’expulsion des indésirables.

En mettant ces logiques en exergue, je sais que je force le trait, que je passe sous silence le fait que les deux textes tentaient aussi de les concilier. Mais avouez que les dosages étaient si différents que les ressemblances avaient finalement disparu. Il n’est donc pas étonnant que la commission mixte paritaire se soit terminée sur un constat d’échec.

Pourtant, la question n’est pas de savoir qui a tort et qui a raison. La réalité, c’est que ni le texte de l’Assemblée nationale ni celui du Sénat ne répondent au problème de fond et à l’urgence du moment.

Le projet de loi, quelle que soit sa version, doit constituer la soixante-quinzième ou soixante-dix-septième révision des lois sur l’immigration « ordinaire », qui ne pose aucun problème réel vu la stabilité des flux – quelque 240 000 entrées annuelles pour 100 000 sorties – et l’origine des demandeurs, essentiellement des ressortissants des pays de l’ancien empire colonial français, ce qu’ont d’ailleurs souvent tendance à oublier les ex-partisans de l’intégration des départements français d’Algérie à la France.

Ce qui, en revanche, pose un redoutable problème, c’est l’afflux des réfugiés chassés par la déstabilisation du Moyen-Orient et de l’Afrique, par la misère du sous-développement partout dans le monde.

Pour parler seulement de l’actualité, la délégation de la commission des lois qui vient de se rendre en Grèce a pu constater l’ampleur du phénomène : en 2015, ce seul pays a comptabilisé presque un million d’entrées – 911 000 très exactement – de migrants syriens, irakiens, afghans, pakistanais ou en provenance du Maghreb. Au mois d’août dernier, 10 000 réfugiés affluaient parfois chaque jour en mer Égée, la Grèce ayant pris la place de l’Italie en première ligne pour l’entrée de ces migrants.

Nous avons pu constater – et c’est heureux – que la réponse humanitaire était à la hauteur de ce que l’on pouvait attendre d’une Europe qui se dit « civilisée », grâce à la mobilisation des Grecs et des organisations humanitaires, grâce aussi à l’aide des institutions européennes, même si celle-ci demeure bien tempérée.

Toutefois, pour le reste, une fois ces réfugiés restaurés, réconfortés, soignés, identifiés et mis en fiche, une fois ceux qui ont toutes les chances de bénéficier de l’asile, parce qu’ils sont ressortissants de pays où leur vie est menacée, distingués des migrants économiques, à quelques centaines près, tous se retrouvent dans la nature… Pour l’essentiel, ils se mettent en route vers l’Allemagne, la Suède ou la Grande-Bretagne – très peu vers la France, d’ailleurs –, via les Balkans.

Pour l’heure, ils ne font que transiter vers des pays prêts à les accueillir ou, du moins, qui font comme si. Mais que se passera-t-il quand ce ne sera plus le cas ? On voit déjà, avec l’exemple de Calais et des côtes de la mer du Nord, les résultats de cette politique du chacun pour soi à la grâce du sort. Qu’en sera-t-il, demain, quand les portes de l’Eldorado se fermeront ?

Autant dire que les débats sur le bon dosage entre mesures d’intégration et mesures d’interdiction et de contrôle laissent une impression d’irréalité totale.

Les problèmes essentiels sont ailleurs que là où l’on va les chercher ; les solutions aussi. C’est la raison pour laquelle le groupe du RDSE s’abstiendra sur la motion tendant à opposer la question préalable, tout en déplorant que le vrai débat soit encore reculé et, plus encore, les décisions qu’impose la gravité de la situation.

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