Je souhaite, à ce moment du débat sur la motion tendant à opposer la question préalable, dire quelques mots au nom du ministre de l’intérieur qui est retenu à l’Assemblée nationale par l’examen du projet de loi relatif à l’état d’urgence.
Vous avez dit, monsieur le rapporteur, regretter que l’Assemblée nationale ait, d’un revers de main, balayé le texte que vous aviez adopté en première lecture. Le Gouvernement ne peut qu’être en désaccord avec cette affirmation.
Nous l’avons constaté au cours du débat, le texte du Gouvernement, tel qu’il a été amendé par les députés, et celui que le Sénat a adopté présentaient des divergences importantes. Les philosophies qu’ils traduisaient étaient difficilement conciliables sur certains points. Pour autant, et contrairement à ce que j’ai entendu dire, des apports significatifs du Sénat ont été conservés. Ceux-ci ont permis d’améliorer encore le texte lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale.
S’agissant des désaccords de fond que la commission mixte paritaire a mis en évidence, vous avez voulu, me semble-t-il, maintenir le statu quo et le contenu de la loi du 16 juin 2011. Or le Gouvernement avait précisément pour ambition de moderniser et d’améliorer le droit des étrangers, considérant que ce statu quo n’était pas satisfaisant.
Vous avez proposé de limiter à la portion congrue le titre de séjour pluriannuel et de maintenir, pour les étrangers qui résident dans notre pays, les tracasseries administratives dont chacun, ici, connaît les conséquences : dégradation des conditions d’accueil, précarisation du droit au séjour, limitation de l’immigration du talent et de la connaissance. Il était important que nous avancions sur ces questions.
Ensuite, je l’ai dit, vous avez revendiqué le statu quo s’agissant du régime du contentieux de larétention issu de la loi du 16 juin 2011.Chacun sait pourtant que celui-ci réussitl’exploit d’être doublement insatisfaisant, surle plan à la fois du respect des droits et de l’efficacité des procédures de reconduite à la frontière. LeGouvernement a eu l’occasion de rappeler – et il le fera à chaquefois que cela sera nécessaire – que les échecsde la politique d’éloignement menée sous lamajorité précédente avaient été dissimulés par des artifices statistiques. À un moment donné, il faut dire les choses !
Enfin, en première lecture, vous avez défendu des quotas annuels d’immigration. Nous avons eu l’occasion de souligner que ceux-ci n’étaient conformes ni à nos valeurs républicaines, ni à nos principes constitutionnels, ni à nos engagements internationaux.
Sur ces trois questions, les oppositions étaient trop profondes pour que nous puissions trouver un accord. Mais cela ne signifie pas que le travail du Sénat a été ignoré et qu’il n’en restera rien. Je vais essayer de vous en convaincre.
Sur bien des points qui ne sont pas mineurs, le Sénat a apporté des améliorations, qui ont été reprises et je tiens, monsieur le rapporteur, à vous en remercier.
L’Assemblée nationale a en effet maintenu l’article 8 bis A, que vous aviez introduit et par lequel vous aviez précisé les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives à la réserve d’ordre public en matière de délivrance et de renouvellement des titres de séjour. Ces précisions sont tout à fait bienvenues et ne manqueront pas d’être utiles à l’application de la loi. Encore une fois, je tiens à remercier le Sénat de les avoir intégrées.
Dans le même esprit, les députés ont maintenu la possibilité, que vous aviez introduite en première lecture à l’article 15, de prolonger une interdiction de retour au-delà de cinq ans, dès lors qu’il existe une menace pour l’ordre public.
L’Assemblée nationale a également voté conformes les modifications que vous aviez apportées à l’article 16 portant sur le contentieux des obligations de quitter le territoire français prises outre-mer. Par ces ajouts, vous aviez en effet pérennisé le régime dérogatoire qui existe en Guadeloupe et à Saint-Barthélemy, tenant ainsi compte d’une réalité locale bien spécifique.
En outre, le Sénat est à l’origine de garanties nouvelles, qui ont été maintenues, et même précisées par l’Assemblée nationale. Vous avez ainsi, monsieur le rapporteur, introduit un article 22 bis A, qui reprend l’une des préconisations du rapport dont vous êtes le coauteur avec Mme Éliane Assassi. Aux termes de cet article, vous avez ainsi rendu obligatoire la délivrance aux étrangers qui font l’objet d’une assignation à résidence d’une information sur les modalités d’exercice de leurs droits – c’est un point important.
Enfin, sur l’initiative de Philippe Kaltenbach et du groupe socialiste et républicain du Sénat, dont je veux saluer la grande implication et la qualité des travaux, vous avez apporté un fondement législatif à l’accès des associations de défense des droits des étrangers aux zones d’attente : il s’agit de l’article 23 bis A.
Vous avez également adopté en première lecture un autre amendement du groupe socialiste et républicain visant à garantir que la rétention des familles avec enfant s’effectue toujours dans des locaux adaptés à leur accueil. Cette disposition nous paraît très importante.
Vos travaux auront aussi permis de proposer des pistes d’amélioration, approfondies en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale. Ainsi, le Sénat a sécurisé la procédure d’escorte au consulat prévue par l’article 18 du projet de loi, en introduisant la possibilité d’entrer au domicile de l’étranger assigné à résidence en cas d’obstruction de sa part et après autorisation du juge des libertés et de la détention. Par la suite, cette mesure a été généralisée par l’Assemblée nationale à toutes les assignations à résidence prévues dans le CESEDA.
Je veux maintenant dire un mot au sujet des nouveautés introduites en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale. C’est dans un esprit de rigueur et d’apaisement que nous avons été amenés à préciser certaines questions. Je veux insister sur ce point, nous l’avons fait dans l’absolu respect de la procédure parlementaire.
Si les conditions d’accès des étrangers au service civique ont dû être précisées, c’est parce que la disposition de coordination qui avait été introduite en première lecture présentait des malfaçons et n’avait, à notre sens, pas été suffisamment travaillée. Les dispositions nouvelles adoptées en première lecture ont également rendu nécessaire l’introduction de mesures d’articulation avec la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, afin que nous puissions en préserver les équilibres. Là encore, c’était important.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, le Gouvernement ne peut que déplorer le dépôt de cette motion tendant à poser la question préalable, dont il souhaite le rejet.
Je vous laisse, mesdames, messieurs les sénateurs, le soin d’apprécier ce que vous devez faire, tout en vous remerciant encore une fois des améliorations que vous avez apportées à ce texte, et qui demeureront en dépit du dépôt de cette motion.