Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen qui se tiendra jeudi et vendredi à Bruxelles sera dominé par deux questions : les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne et la réponse européenne à la crise des réfugiés.
Je connais l’attention que porte la Haute Assemblée à ces deux questions et j’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt de la résolution européenne adoptée à l’initiative de la commission des affaires européennes et de sa vice-présidente Fabienne Keller.
Dans cette résolution, le Sénat appelle également l’Europe à faire preuve de plus de solidarité et d’efficacité dans le traitement de la crise migratoire.
Ces préoccupations rejoignent pleinement celles du Gouvernement à la veille du Conseil européen qui débutera demain, lequel sera particulièrement important pour l’avenir de la construction européenne.
Le premier sujet qui sera à l’ordre du jour de cette réunion sera la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
J’ai eu l’occasion de le dire devant la Haute Assemblée : la conviction du Gouvernement, c’est que l’intérêt de l’Europe, de la France et du Royaume-Uni est que celui-ci reste dans l’Union européenne. Certes, ce sont les citoyens britanniques qui en décideront, au travers d’un référendum, mais, pour notre part, nous pensons que le Royaume-Uni doit rester dans l’Europe, aux côtés de ses alliés. Nous sommes également convaincus que cela doit pouvoir se faire dans le plein respect des règles et des principes fondamentaux de l’Union européenne.
Il faut donc à la fois entendre les préoccupations britanniques et ne pas mettre en cause les fondements de l’Union européenne, les politiques communes et les possibilités d’avancées futures de l’Europe.
Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a formulé des propositions, en particulier un projet de décision engageant les chefs d’État ou de gouvernement, afin de répondre aux demandes qui avaient été exprimées par le Premier ministre britannique, en vue précisément du référendum qui sera organisé dans les prochains mois au Royaume-Uni.
Ce paquet de propositions respecte trois de nos exigences fondamentales : pas de révision des traités, pas de droit de veto du Royaume-Uni sur l’intégration future de la zone euro, pas de remise en cause du principe de la libre circulation des citoyens européens.
Pour autant, certaines questions importantes doivent encore être clarifiées, raison pour laquelle la négociation se poursuit sur des points essentiels.
Tout d'abord, concernant les relations entre les pays membres et non membres de la zone euro, point à nos yeux le plus important dans cette négociation, notre position est claire.
Les États qui ne font pas partie de la zone euro doivent, bien sûr, être respectés. Ils doivent être informés de nos décisions et ne pas être soumis à des contraintes de solidarité budgétaire qui ne les concernent pas. Cependant, nous ne pouvons pas leur donner la possibilité d’empêcher le mouvement d’intégration de la zone euro, de s’y opposer, par exemple par un veto, ou même de le freiner. Ceux qui veulent aller de l’avant doivent être en mesure de le faire.
Toujours sur ce point, nous devons également préserver l’intégrité du marché intérieur à vingt-huit, en particulier pour ce qui concerne les services financiers, qui en sont une composante importante. En effet, il ne doit pas y avoir de distorsion de concurrence entre les membres de la zone euro et le Royaume-Uni en matière de régulation financière et de mécanismes de supervision des marchés financiers. Il n’est donc pas possible de donner à une place financière – celle de Londres – une sorte de statut spécifique §et, en même temps, une source de fragilité du système financier européen.
Nous sommes encore aujourd'hui en train de débattre de ces points. Ces derniers ont bien évidemment été l’un des enjeux de la rencontre qui a eu lieu entre le Président de la République et le Premier ministre David Cameron lors de la visite que celui-ci a effectuée à Paris lundi dernier.
L’autre grande question qui sera débattue est celle de la libre circulation et de l’accès aux prestations sociales des travailleurs européens vivant au Royaume-Uni.
Le paquet de décisions qui a été proposé par Donald Tusk prévoit de clarifier des règles, de lutter contre les abus, de moduler le niveau des prestations familiales en fonction du pays de résidence des enfants et d’établir un mécanisme de sauvegarde permettant aux États qui connaissent un afflux important de travailleurs en provenance d’autres États membres de restreindre les prestations sociales liées au travail pour une durée limitée – il est question de quatre ans, mais cette durée fait encore l’objet d’une discussion.
Ces dispositions sont examinées de très près et débattues par les États les plus concernés, en particulier les pays du groupe de Visegrád et la Roumanie, dont beaucoup de citoyens vivent et travaillent au Royaume-Uni.
Bien évidemment, nous sommes tous très attentifs à ce qu’elles respectent l’acquis communautaire et soient conformes à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.
Les négociations vont se poursuivre sur ces questions au cours des prochaines heures.
Sur le volet relatif à la souveraineté, les textes proposés explicitent, comme le Conseil européen l’avait déjà fait en juin 2014, que l’union sans cesse plus étroite permet des voies différenciées et rappellent les dérogations dont dispose déjà le Royaume-Uni.
Le texte introduit également un « carton orange » pour les Parlements nationaux : si un nombre substantiel d’entre eux, représentant 55 % des votes qui leur sont attribués, émettent un avis motivé, au titre de la subsidiarité, pour s’opposer à un projet de législation européenne présenté par la Commission, le Conseil doit mettre fin à l’examen du projet d’acte législatif, sauf si celui-ci est modifié de manière à tenir compte des préoccupations exprimées dans les avis motivés. Cette disposition se situe à la limite de ce qui peut être accepté, mais ne remet pas en cause l’équilibre institutionnel européen. Elle constitue non pas un droit de veto des Parlements nationaux, mais un droit de réexamen d’un projet de législation.
Enfin, le volet relatif à la compétitivité ne soulève pas de difficulté, dans la mesure où les textes reprennent les éléments qui ont déjà été agréés par le Conseil « compétitivité » en décembre 2014 et insistent sur la nécessité d’une simplification et sur l’importance d’un marché intérieur qui fonctionne correctement.
La réponse à la crise migratoire constitue le second sujet à l’ordre du jour du Conseil européen.
Dans ce domaine, la priorité, pour nous, aujourd'hui, est la mise en œuvre pleine et entière des décisions qui ont été prises lors des précédents conseils européens et lors des réunions des ministres de l’intérieur et de la justice – les conseils JAI.
Il s'agit donc de mettre véritablement en place les hotspots, les centres d’accueil et d’enregistrement qui doivent permettre de faire la distinction entre les réfugiés, lesquels se verront accorder l’asile, et les immigrés en situation irrégulière, qui devront être raccompagnés dans le cadre de procédures de réadmission et de coopération avec les pays d’origine. Il s'agit également de mettre en œuvre la relocalisation des réfugiés devant être accueillis de façon solidaire au sein de l’Union européenne – vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous nous sommes accordés sur 160 000 places, dont 30 000 en France –, le dialogue avec les pays tiers et de transit, ainsi que l’assistance aux pays voisins de la Syrie – la Turquie, bien sûr, dans le cadre du plan d’action qui a été négocié, mais aussi la Jordanie et le Liban.
Sur ce dernier point, des avancées ont été enregistrées depuis le début de l’année.
D'abord, le plan d’action avec la Turquie est finalisé et le dispositif d’aide de 3 milliards d’euros a été adopté.
Au reste, la conférence de Londres du 4 février dernier a permis une mobilisation importante pour favoriser l’accueil des réfugiés en provenance de Syrie dans les pays limitrophes de celle-ci, avec des promesses de dons à hauteur de 10 milliards de dollars, les deux tiers provenant de l’Union européenne et de ses États membres.
La priorité au renforcement du contrôle des frontières extérieures est désormais reconnue par tous. Sur ce plan, l’objectif de la présidence néerlandaise est de parvenir à un accord sur le système européen de gardes-frontières d’ici à la fin de ce semestre. Il nous paraît absolument nécessaire d’atteindre cet objectif.
Par ailleurs, l’initiative prise ces derniers jours avec l’OTAN, dans le cadre d’une réunion des ministres de la défense, a permis de mettre à disposition de l’Union européenne et de FRONTEX le dispositif maritime de l’OTAN en mer Égée. Celui-ci apportera une contribution utile, notamment pour renforcer la coordination entre la Grèce et la Turquie dans l’identification des passeurs, la lutte contre les filières d’immigration illégale et la mise en œuvre des procédures de réadmission. En particulier, les bateaux qui seront identifiés dans les eaux territoriales turques devront revenir à leur point de départ – port ou côtes – en Turquie.
Il s'agit de casser le trafic d’êtres humains qui non seulement occasionne un flux de migrants, et pas uniquement de réfugiés de guerre, mais, surtout, est à l’origine de nombreux naufrages et donc de nombreuses victimes en mer Égée. En effet, tant que les passeurs auront la possibilité de vendre – moyennant des prix exorbitants, d'ailleurs – des traversées de cette mer ou d’autres zones de la Méditerranée, il y aura évidemment des personnes qui se laisseront abuser et qui s’exposeront à des dangers.